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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11345/2022

ACPR/372/2024 du 17.05.2024 sur OMP/5458/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉFENSE D'OFFICE;COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.132; CP.148.leta

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11345/2022 ACPR/372/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 17 mai 2024

 

Entre

A______, représenté par Me J______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de nomination d'office rendue le 13 mars 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 25 mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 13 mars 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner la défense d'office en sa faveur.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, de CHF 600.-, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce que soit ordonnée la défense d'office en sa faveur avec effet au 12 mars 2024.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ a été entendu par la police en qualité de personne appelée à donner des renseignements le 3 mai 2022 dans la matinée. Il a alors notamment expliqué avoir quitté son appartement à B______ [GE] en juin 2021 et l'avoir sous-loué à un certain C______, pour un loyer mensuel de CHF 1'550.-. Il avait habité en France, à D______ [France] pendant environ trois mois, puis chez son frère à E______ [France] et enfin, seul, dans un appartement à F______ [France], depuis le mois d'octobre ou novembre 2021.

b. Entendu une nouvelle fois par la police le 3 mai 2022, dans l'après-midi, en qualité de prévenu pour avoir indûment touché des allocations pour perte de gain et chômage depuis son déménagement de Suisse en France, A______ a indiqué qu'il avait constamment habité en Suisse mais que, pour des raisons financières, il avait été obligé de sous-louer son appartement à B______. Il n'avait pas quitté la Suisse mais uniquement pris un logement secondaire en France qui lui coûtait moins cher. Son sous-locataire avait été prévenu qu'il pouvait revenir "n'importe quand".

Il contestait avoir touché indûment les allocations chômage et perte de gain. Même s'il était retourné en France, il aurait été couvert par le chômage. Qu'il soit résident ou frontalier, "c'[étai]t la même chose".

Il touchait depuis la mi-novembre 2021 des allocations perte de gain à la suite d'un accident. Son loyer s'élevait à CHF 1'650.-, de sorte qu'il n'était pas possible de s'en acquitter et de vivre avec les environ CHF 2'800.- qu'il percevait mensuellement du chômage. Il avait donc décidé de sous-louer son appartement et s'était privé de son intimité personnelle. Son sous-locataire mentait ou s'était trompé lorsqu'il prétendait qu'il avait sous-loué la totalité de son appartement et ne l'avait vu qu'à une seule occasion, par la fenêtre.

Il a déclaré vivre en Suisse, chez C______, avant de prétendre que c'était chez lui, au chemin 1______. Il a tenu, après réflexion, à expliquer que, depuis le mois d'octobre 2021, il avait sous-loué son appartement à court terme. Il avait habité de juillet 2021 à avril 2022 chez son ami G______, dont il ne connaissait pas le nom de famille et dont il avait oublié l'adresse. Il n'aurait pas pu se rendre aux stages organisés par le chômage s'il s'était trouvé à l'étranger.

c. Faisant suite à la demande du Ministère public, A______ lui a transmis le 11 octobre 2022 notamment un document daté du 4 précédent, intitulé "à qui de droit", selon lequel H______ confirmait qu'elle l'avait hébergé de juin à décembre 2021 à I______ [GE].

d. Par ordonnance pénale du 15 décembre 2023, le Ministère public a condamné A______ à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 70.- le jour, dont à déduire un jour de détention avant jugement, assortie du sursis, délai d'épreuve de 3 ans, pour obtention illicite de prestations d'une assurance sociale ou de l'aide sociale (art. 148a al. 1 et 2 CP). Le Ministère public a renoncé au prononcé d'une expulsion obligatoire (art. 66a al. 1 let. e et al. 2 CP). Il était reproché à A______ d'avoir, à Genève, entre juillet et décembre 2021, trompé l'Office cantonal de l'emploi en indiquant faussement être domicilié au no. ______, chemin 1______ à [code postal] B______, alors qu'il était en réalité domicilié en France voisine, ceci afin de percevoir indûment des indemnités de chômage pour un montant total de CHF 20'445.75.

Le Ministère public a retenu que le prévenu aurait dû annoncer son changement d'adresse et ne pouvait pas continuer à toucher des indemnités chômage en Suisse en habitant en France. Domicilié dans ce dernier pays, il aurait certes reçu des indemnités chômage versées par Pôle emploi, mais de montants moindres.

A______ a formé opposition à cette ordonnance pénale.

e. Dans le cadre de son audition le 13 mars 2024 devant le Ministère public à la suite de cette opposition, A______ a demandé la désignation de Me J______ comme défenseur d'office. La procédure était complexe et, en cas de condamnation, l'assurance-chômage lui demanderait le remboursement des prestations reçues.

Il contestait l'ordonnance car il avait toujours habité en Suisse. De juillet à décembre 2021, il avait habité chez son ex-copine H______. Il avait pris en location un logement secondaire en France dans lequel il n'avait dormi qu'une fois ou deux, mais qui était une "bonne affaire" pour recevoir des amis ou de la famille, en période de pandémie. Depuis qu'il avait subi une anesthésie générale en raison d'une opération des ligaments croisés du genou, il avait oublié beaucoup de choses.

Son conseil ne lui a pas posé de questions.

f. Dans un courrier du 25 mars 2024 à l'attention du Ministère public, A______ a développé les motifs juridiques pour lesquels même s'il avait été domicilié en France de juillet à décembre 2021, aucune infraction à l'art. 148a al. 1 et 2 CP ne pouvait lui être reprochée.

g. Le 10 avril 2024, le Ministère public a maintenu son ordonnance pénale et renvoyé la procédure au Tribunal de police.

h. S'agissant de sa situation personnelle, le prévenu est né le ______ 1990, est originaire de France, en instance de divorce et sans enfants. Il a une formation de chauffeur – pilote de locomotives – et est titulaire d'un permis B. Il est actuellement sans emploi. Il n'a pas d'antécédents à teneur de son casier judiciaire suisse.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a retenu que la cause ne présentait pas de difficultés particulières juridiques ou de fait et que le prévenu était donc à même de se défendre efficacement seul. La cause était, en outre, de peu de gravité et n'exigeait pas la désignation d'un défenseur d'office, dès lors que l'intéressé n'était passible que d'une peine privative de liberté maximale de 4 mois ou d'une peine pécuniaire maximale de 120 jours-amende.

D. a. Dans son recours, A______ relève que le Ministère public ne conteste pas son indigence.

L'autorité précédente s'était fondée sur une interprétation erronée de l'art. 132 al. 3 CPP en retenant que sa cause devait être qualifiée de peu de gravité dans la mesure où il encourait moins qu'une peine privative de liberté de 4 mois ou une peine pécuniaire de moins de 120 jours-amende. L'ordonnance n'avait également pas pris en considération sa capacité effective à se défendre seul. Or, la cause présentait des difficultés au niveau juridique qu'il ne pouvait aucunement surmonter sans l'aide d'un conseil, comme cela ressortait de ses observations au Ministère public du 25 mars 2024.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.                  3.1. À teneur de l'art. 132 al. 1 let. b CPP, la direction de la procédure ordonne une défense d'office si le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et que l'assistance d'un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts.

3.2. La défense d'office aux fins de protéger les intérêts du prévenu se justifie notamment lorsque l'affaire n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP), ces deux conditions étant cumulatives (arrêts du Tribunal fédéral 1B_229/2021 du 9 septembre 2021 consid. 4.1 ; 1B_194/2021 du 21 juin 2021 consid. 3.1). Il n'est pas exclu que l'intervention d'un défenseur soit justifiée par d'autres motifs (comme l'indique l'adverbe "notamment"), en particulier dans les cas où cette mesure est nécessaire pour garantir l'égalité des armes ou parce que l'issue de la procédure pénale a une importance particulière pour le prévenu, par exemple s'il est en détention, s'il encourt une révocation de l'autorisation d'exercer sa profession ou s'il risque de perdre la garde de ses enfants (arrêts du Tribunal fédéral 1B_12/2020 du 24 janvier 2020 consid. 3.1 ; 1B_510/2022 du 16 décembre 2022 consid. 3.1; 1B_370/2022 du 1er décembre 2022 consid. 2.1.2). La désignation d'un défenseur d'office peut ainsi s'imposer selon les circonstances, lorsque le prévenu encourt une peine privative de liberté de quelques semaines à quelques mois si, à la gravité relative du cas, s'ajoutent des difficultés particulières du point de vue de l'établissement des faits ou des questions juridiques soulevées, qu'il ne serait pas en mesure de résoudre seul. En revanche, lorsque l'infraction n'est manifestement qu'une bagatelle, en ce sens que son auteur ne s'expose qu'à une amende ou à une peine privative de liberté de courte durée, la jurisprudence considère que l'auteur n'a pas de droit constitutionnel à l'assistance judiciaire (ATF 143 I 164 consid. 3.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_360/2020 du 4 septembre 2020 consid. 2.1 ; 7B_124/2023 du 25 juillet 2023 consid. 2.1.1).

3.3. Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que le prévenu ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. La nécessité de l'intervention d'un conseil juridique doit ainsi reposer sur des éléments objectifs, tenant principalement à la nature de la cause, et sur des éléments subjectifs, fondés sur l'aptitude concrète du requérant à mener seul la procédure (arrêts du Tribunal fédéral 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1; 7B_124/2023 précité consid. 2.1.2).

S'agissant de la difficulté objective de la cause, à l'instar de ce qu'elle a développé en rapport avec les chances de succès d'un recours, la jurisprudence impose de se demander si une personne raisonnable et de bonne foi, qui présenterait les mêmes caractéristiques que le requérant mais disposerait de ressources suffisantes, ferait ou non appel à un avocat (ATF 142 III 138 consid. 5.1; 140 V 521 consid. 9.1;
139 III 396 consid. 1.2; arrêt 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1). La difficulté objective d'une cause est admise sur le plan juridique lorsque la subsomption des faits donne lieu à des doutes, que ce soit de manière générale ou dans le cas particulier. Pour apprécier la difficulté subjective d'une cause, il faut tenir compte des capacités du prévenu, notamment de son âge, de sa formation, de sa plus ou moins grande familiarité avec la pratique judiciaire, de sa maîtrise de la langue de la procédure, ainsi que des mesures qui paraissent nécessaires dans le cas particulier pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (arrêts du Tribunal fédéral 7B_611/2023 du 20 décembre 2023 consid. 3.2.1; 7B_124/2023 du 25 juillet 2023 consid. 2.1.2).

3.4. En l'espèce, contrairement à ce que soutient le recourant, son indigence n'a pas été établie, dès lors que le Ministère public n'a pas traité cette question. Toutefois, au vu de ce qui suit, la Chambre de céans peut se dispenser d'examiner si cette condition est réalisée, la deuxième, cumulative, prévue par l'art. 132 al. 2 CPP, ne l'étant pas.

En effet, selon l'ordonnance pénale du 15 décembre 2023, qui tient désormais lieu d'acte d'accusation (art. 356 al. 1 CPP), le recourant n'est passible que d'une peine pécuniaire de 60 jours-amende – sous déduction d'un jour de détention avant jugement –, ce qui est bien inférieur au seuil prévu par l'art. 132 al. 2 CPP. Même si l'on tient compte d'un risque d'aggravation par le Tribunal de police, force est de constater que le recourant reste passible d'une peine moins élevée que celles retenues par l'art. 132 al. 3 CPP, soit une sanction qui ne dépasserait pas le maximum des 120 jours-amende caractérisant les "cas bagatelles".

En outre, l'examen des circonstances du cas d'espèce permet de retenir que la cause ne présente pas de difficultés particulières, du point de vue de l'établissement des faits ou des questions juridiques soulevées, que le recourant ne serait pas en mesure de résoudre seul. Le recourant n'a en effet eu – et n'aura – à se prononcer que sur sa situation personnelle, en particulier son domicile entre juillet et décembre 2021 et a, devant la police le 3 mai 2022 déjà, en l'absence d'un avocat, contesté avoir touché indûment les allocations chômage et perte de gain puisque, même "s'il était retourné en France, il aurait été couvert par le chômage". Qu'il soit résident ou frontalier, "c'[étai]t la même chose". C'est donc dire qu'il a compris ce qui lui était reproché et, quand bien même il n'a alors pas énoncé de disposition légale ou de jurisprudence pouvant s'appliquer à sa situation, ce qu'a fait son conseil par la suite le 25 mars 2024, il a su reconnaître les enjeux de la cause. Ainsi, les faits et dispositions applicables sont clairement circonscrits, étant rappelé qu'il revient au Ministère public puis au Tribunal de police d'appliquer le droit en vertu du principe jura novit curia.

Enfin, le fait que le recourant s'expose à devoir rembourser plus de CHF 20'000.- qu'il a touchés de l'assurance chômage pour le cas où il serait condamné pénalement n'y change rien. On ne se trouve pas ici dans le cas d'un autre motif – que ceux de la gravité ou de la complexité de la cause – d'une importance et intensité particulière pour le prévenu, assimilable à la révocation de l'autorisation d'exercer sa profession ou du risque de perdre la garde de ses enfants par exemple, évoqués par la jurisprudence précitée.

Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Le recours doit ainsi être rejeté.

5.             La procédure de recours contre le refus de l'octroi de l'assistance juridique ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).