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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/22161/2022

ACPR/364/2024 du 16.05.2024 sur OMP/921/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : EXPERTISE;RÉCUSATION;EXPERT;RAPPORT DE SUBORDINATION;AVOCAT;CONCUBINAGE
Normes : CPP.56; CPP.183.al3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22161/2022 ACPR/364/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 16 mai 2024

 

Entre

A______ et B______, tous deux représentés par Me C______, avocate,

recourants,

 

contre l'ordonnance et mandat d'expertise médicale rendue le 15 janvier 2024 par le Ministère public,

et

G______, représentée par Me D______, avocat,

Dre I______, p.a. Centre universitaire romand de médecine légale (CURML), chemin de la Vulliette 4, 1000 Lausanne 25,

Prof. E______, p.a. Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), rue Bugnon 46, 1011 Lausanne,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par actes déposés le 26 janvier 2024, A______ et B______ recourent séparément mais en termes identiques contre l'ordonnance et mandat d'expertise médicale rendue par le Ministère public le 15 janvier 2024, notifiée le lendemain.

Ils concluent à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public. A______ conclut en outre à des dépens chiffrés (art. 433 al. 2 CPP).

b. Les recourants, qui plaident au bénéfice de l'assistance judiciaire en première instance et sont assistés du même conseil juridique gratuit, ont été dispensés du paiement des sûretés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. F______, âgé de 5 ans, est décédé au bloc opératoire des Urgences pédiatriques des HUG, le ______ 2022 à 21h01. Sa mère avait appelé plus tôt le 144 pour signaler que son fils n'allait pas bien du tout et venait de faire un malaise. Malgré une absence de pouls constatée par les secouristes intervenus sur place, l'enfant avait été acheminé aux HUG pour poursuivre la tentative de réanimation, mais en vain.

Plus tôt le même jour, à 15h00, la Dre G______, pédiatre, avait reçu l'enfant en consultation urgente, en remplacement de sa pédiatre traitante. La mère avait expliqué que son fils avait des selles dures depuis plusieurs semaines et des douleurs abdominales, avec un épisode de vomissement dans la journée du 15 octobre 2022. Le ventre de l'enfant était gonflé. Elle avait procédé à un lavement et prescrit un laxatif.

Le rapport d'autopsie médico-légale du 21 mars 2023 a conclu que l'enfant était décédé d'une péritonite.

b. À l'issue de l'audience d'instruction du 29 août 2023, lors de laquelle la Dre G______, assistée de son conseil, Me D______, a été entendue à titre de renseignements, le Ministère a décidé d'ordonner une expertise médicale portant sur l'adéquation des soins prodigués à F______ et un possible lien de causalité entre d'éventuelles violations des règles de l'art médical et le décès.

c. Par pli du 13 septembre 2023, il s'est adressé au Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML) de Genève pour qu'il lui communique l'identité de l'expert à désigner.

d. Par pli du 17 novembre 2023 adressé à Me D______, le Ministère public s'est interrogé sur l'opportunité de la prise en charge par ses soins de la défense des intérêts de la Dre G______, dès lors que l'expertise serait confiée au CURML, sous la direction hiérarchique de la Prof. H______. Afin d'éviter tout risque de récusation, cette situation l'obligerait à faire appel à des experts en dehors du CURML, "avec toutes les complications que cela implique".

e. Par lettre du 23 novembre 2023 adressée au Ministère public, la Prof. H______, faisant suite à la demande de nomination d'expert du 13 septembre 2023, a proposé la Dre I______, médecin ______ au CURML, site de Lausanne, en collaboration avec le Prof. E______, ______ [auprès] du service de pédiatrie du CHUV, comme co-expert.

f. Le Ministère public a transmis ce pli aux parties le 24 novembre 2023 en leur impartissant un délai au 10 décembre 2023 pour faire valoir d'éventuels motifs de récusation.

g. Par lettre du 30 novembre 2023, Me D______ a confirmé au Ministère public que la Prof. H______ était sa compagne. Cela étant, dans la mesure où les experts désignés étaient des personnes physiques et aussi longtemps que la Prof. H______ n'était pas elle-même désignée comme experte, il n'identifiait aucune difficulté. Que cette dernière soit cheffe de service n'entamait en rien l'indépendance des médecins légistes travaillant au CURML, qui n'auraient aucun compte à rendre ni instruction à recevoir de la prénommée. Pour le surplus, il n'avait aucun motif de récusation à élever à l'endroit des experts pressentis.

h. Par pli du 4 décembre 2023, A______ et B______, par l'intermédiaire de leur conseil, ont indiqué n'avoir aucun motif de récusation à faire valoir.

i. Par pli du 4 décembre 2023, le Ministère public a communiqué à A______ et B______ le courrier de Me D______ du 30 novembre 2023 et leur a imparti un délai prolongé au 15 décembre 2023 pour se déterminer sur un éventuel motif de récusation des experts.

j. Par lettre du 14 décembre 2023, A______ et B______ ont considéré qu'il existait un motif de récusation au sens des art. 56 et 183 CPP. La Prof. H______ était la compagne de Me D______ et la directrice du CURML, dont la mission était notamment la gestion des expertises, selon ce qui était indiqué sur le site internet dudit centre. Elle avait elle-même proposé la nomination de la Dre I______ et du Prof. E______. Il était ainsi fort probable que ces derniers recevraient des instructions et devraient rendre des comptes à leur hiérarchie, soit à ladite professeure.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public indique que la question d'une éventuelle récusation des experts se pose dans la mesure où la responsable hiérarchique de la Dre I______ était la Prof. H______, cette dernière étant la compagne de Me D______, lui-même étant avocat de G______, dernière médecin ayant reçu feu F______ en consultation. Or, il n'était pas exclu à ce stade que la responsabilité de G______ puisse être engagée, l'expertise devant porter sur le respect des règles de l'art médical des différents intervenants, y compris de cette praticienne. Me D______ avait cependant argué du fait que les experts du CURML étaient désignés ad personam et travaillaient en toute indépendance, tandis que les plaignants considéraient qu'il existait un motif de récusation. Pour sa part, il retenait qu'il n'existait pas de motif de récusation. Partant, il désignait, au titre d'experts, I______ et E______ aux fins d'établir si la prise en charge de feu F______ s'était déroulée dans le respect des règles de l'art médical et, en cas de réponse négative, d'indiquer quelles règles de l'art n'auraient pas été respectées.

D. a. À l'appui de leurs recours, A______ et B______ réitèrent les motifs exposés dans leur lettre du 14 décembre 2023. Il convenait que le Ministère public adresse sa demande de nomination d'expert auprès d'un autre Centre universitaire en Suisse que le CURML. Subsidiairement, il conviendrait que le conseil de la Dre G______ résilie son mandat pour éviter une situation de conflit d'intérêts entre sa mandante et sa compagne.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, avec suite de frais, sans autre remarque.

c. Dans ses observations, la Dre G______, par la voix de son conseil, conclut au rejet du recours, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 972,90 (2 heures d'activité à CHF 450.- l'heure), TVA comprise. Elle conteste l'existence d'un motif de récusation sous l'angle de l'art. 56 let. c CPP, la Prof. H______ n'étant pas elle-même nommée experte. Sous l'angle de l'art. 56 let. f CPP, il n'existait aucun lien d'influence entre la Prof. H______ et le Prof. E______, celui-ci n'étant pas rattaché au CURML. Or, c'était lui qui, en tant que spécialiste, occupait un rôle central dans l'expertise. Le rôle de la Dre I______ consistait essentiellement à accompagner le clinicien précité et à assurer l'approche médico-légale nécessaire à la rédaction de l'expertise. Le mandat d'expertise était strictement personnel. Lorsque l'expert désigné était collaborateur d'une personne morale ou d'une institution, ce n'était pas cette dernière qui assumait la charge et la responsabilité de l'expertise mais bien exclusivement la personne physique désignée à cet effet. En sus, l'expert était tenu au secret de fonction. Ainsi, les experts n'avaient aucun compte à rendre ni à prendre des instructions de la Prof. H______. Ils ne devaient rendre compte de leur mission qu'à l'autorité qui les avait mandatés. L'appartenance de l'expert à une autorité, institution, société, parti politique ou autre organisme ne suffisait pas à faire naître un doute sur son impartialité et, partant, à constituer un motif de récusation. Enfin, le mandat de son conseil étant antérieur à la désignation des experts, son défenseur ne saurait être interdit de postuler.

d. La Dre I______ a confirmé sa disponibilité pour assumer le mandat d'expertise, précisant que même si la Prof. H______ était sa responsable hiérarchique, elle était en mesure d'accomplir sa mission avec impartialité.

e. Le Prof. E______ n'a pas formulé d'observations.

f. A______ et B______ ni aucune autre partie n'ont répliqué.

EN DROIT :

1. Vu la connexité évidente des deux recours, ils seront joints et traités par un seul arrêt.

2. Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

3. 3.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4; ATF 136 I 229 consid. 5.2; ATF 135 I 265 consid. 4.3). Il suffit que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 et les références = JdT 2017 IV p. 243; ATF 142 I 135 consid. 2.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_246/2017 du 28 décembre 2017 consid. 4.1; 6B_726/2017 du 20 octobre 2017 consid. 4.1.1). À titre exceptionnel, une violation du droit d'être entendu, pour autant qu'elle ne soit pas particulièrement grave, peut être considérée comme réparée lorsque la partie concernée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours disposant d'un pouvoir d'examen complet quant aux faits et au droit (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 = SJ 2011 I 347 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2; 133 I 201 consid. 2.2).

3.2. En l'espèce, la Chambre de céans constate d'office, en vertu du plein pouvoir de cognition en fait et en droit (art. 391 al. 1 et 393 al. 2 CPP) qui est le sien, que l'ordonnance attaquée n'est pas motivée, le Ministère public s'étant limité à résumer la position des parties dans leurs observations respectives des 30 novembre et 14 décembre 2023, sans développer plus avant pour quels motifs il retenait finalement l'argumentation de l'une d'elle. Ce vice, qui n'a pas été réparé en instance de recours, suffirait à admettre le recours et à renvoyer la cause au Ministère public pour nouvelle décision motivée. Vu cependant l'issue de la cause, il y sera renoncé par économie de procédure.

4. 4.1. Les recourants ne contestent pas le bien-fondé et/ou la nécessité d'une expertise (art. 182 CPP). Ils ne remettent pas non plus en cause les connaissances et compétences médicales des deux experts désignés (art. 183 al. 1 CPP). Quand bien même, dans leurs conclusions, ils ne demandent pas formellement la récusation de la Dre I______ et du Prof. E______, ils concluent à l'annulation de l'ordonnance et du mandat d'expertise qui les désigne comme experts, développant dans leurs recours la problématique de la nomination des précités sous l'angle de l'art. 56 CPP (art. 183 al. 3 CPP). Il faut donc retenir qu'ils demandent en réalité leur récusation (cf. à ce propos ACPR/319/2021 du 17 mai 2021).

4.2. La Chambre de céans est compétente pour examiner la demande de récusation visant des experts nommés par le Ministère public (arrêts du Tribunal fédéral 1B_488/2011 du 2 décembre 2011 consid. 1.1. et 1B_243/2012 du 9 mai 2012 consid. 1.1.; ACPR/491/2012 du 14 novembre 2012).

4.3.1. La demande de récusation doit être présentée sans délai par les parties dès qu'elles ont connaissance d'un motif de récusation (art. 58 al. 1 CPP), soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1), sous peine de déchéance (ATF 138 I 1 consid. 2.2).

La jurisprudence admet le dépôt d'une demande de récusation six à sept jours après la connaissance des motifs mais considère qu'une demande déposée deux à trois semaines après est tardive (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2016, N. 3 ad art. 58 CPP et références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_14/2016 du 2 février 2016 consid. 2 et 1B_60/2014 du 1er mai 2014 consid. 2.2).

L'autorité qui constate qu'une demande de récusation est tardive n'entre pas en matière et la déclare irrecevable (A. DONATSCH / T. HANSJAKOB / V. LIEBER (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 2ème éd., Zurich 2014, n. 4 ad art. 58 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 2C_239/2010 du 30 juin 2010 consid. 2.2; ACPR/303/2014 du 18 juin 2014).

4.3.2. En l'occurrence, les recourants se sont opposés, dans leur lettre du 14 décembre 2023, soit dans le délai prolongé imparti par le Ministère public pour ce faire, à la nomination de la Dre I______ et du Prof. E______. Ils ont d'emblée soulevé l'apparence de prévention au motif que les prénommés avaient été proposés par la Prof. H______, directrice du CURML, dont le compagnon était Me D______, défenseur de la Dre G______, dont l'éventuelle responsabilité dans le décès de feu F______ faisait précisément l'objet du mandat d'expertise.

La demande de récusation est ainsi recevable.

5. 5.1. L'art. 56 CPP – applicable aux experts par renvoi de l'art. 183 al. 3 CPP – énumère divers motifs de récusation aux lettres a à e, la lettre f imposant quant à elle la récusation lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention. La lettre f de l'art. 56 CPP a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes (ATF 138 IV 142 consid. 2.1; TF 1B_45/2015 du 29 avril 2015 consid. 2.1 et les références citées).

L'art. 56 CPP concrétise les garanties déduites de l'art. 30 al. 1 Cst. Certes, dès lors que l'expert ne fait pas partie du tribunal, sa récusation ne s'examine pas au regard de l'art. 30 al. 1 Cst., mais sous l'angle de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès (ATF 125 II 541 consid. 4a). Cette disposition assure toutefois au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert (ATF 127 I 196 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 1B_488/2011 du 2 décembre 2011 consid. 3.1). Les parties à une procédure ont donc le droit d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de la part de l'expert ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en compte, les impressions purement individuelles n'étant pas décisives (ATF
140 III 221 consid. 4.1; ATF 139 III 433 consid. 2.1.1; ATF 138 IV 142 consid. 2.1; ATF 137 I 227 consid. 2.1 et les références citées).

Il y a notamment motif à récusation lorsque l'expert affiche son antipathie à l'égard de l'une des parties par des gestes ou des propos déplacés; c'est également le cas s'il dit à des tiers qu'il estime le prévenu coupable, ou si, lors de sa nomination, il exprime déjà des opinions tranchées quant à l'issue de l'expertise (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 19 ad art. 183 CPP). En revanche, l'appartenance à une autorité, à une institution ou à un organisme dont un autre membre est à l'origine de l'action pénale ou s'est prononcé en sa faveur ne suffit pas à faire naître un doute quant à l'impartialité de l'expert. Dans bien des cas, admettre le contraire limiterait de façon inacceptable la possibilité pour les tribunaux de recourir à une expertise. Dans le même sens, le fait qu'un expert doive se prononcer sur des déclarations faites par un collègue ne suffit pas à le récuser (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 23 ad art. 183 CPP et les références citées).

5.2. En l'espèce, si aucun des experts désignés ne réalise personnellement l'un ou l'autre des motifs de récusation de l'art. 56 CPP, leur désignation, sur proposition de la Prof. H______, qui n'est autre que la compagne de l'avocat de la doctoresse dont la responsabilité pénale pourrait être engagée par l'expertise médicale ordonnée – et qui serait donc, elle, récusable à tout le moins sous l'angle de l'art. 56 let. c CPP si elle-même était désignée comme experte –, crée manifestement une apparence de prévention, au sens de la clause générale de l'art. 56 let. f CPP.

Que la Dre I______ estime être en mesure d'accomplir sa mission avec impartialité n'y change donc rien, en tant que c'est le processus de sa désignation et de celle du co-expert qui est en cause.

Le Ministère public en a du reste été conscient puisqu'il s'est précisément interrogé sur la pertinence de la prise en charge par Me D______ de la défense des intérêts de la Dre G______, interpellant l'avocat sur un risque de récusation à ce propos.

Or, il n'appartient pas à l'avocat concerné de se déporter pour éviter cet écueil, d'autant plus que son mandat est antérieur à la désignation litigieuse (cf. à ce propos l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_476/2022 du 6 décembre 2022 consid. 2.2.2. et les réf. citées, applicable par analogie, à teneur duquel lorsqu'il est question d'un motif de récusation lié cumulativement à un conflit d'intérêt affectant un avocat, le premier à œuvrer sur le dossier continue d'exercer, alors qu'il appartient au second de renoncer à s'en saisir).

6. Au vu de ce qui précède, les experts désignés doivent être récusés et l'ordonnance attaquée annulée (art. 60 al. 1 CPP), comme il y est au demeurant expressément conclu, étant précisé que la demande d'annulation d'actes peut être présentée conjointement avec la requête en récusation (ATF 144 IV consid. 1.1.2).

Le Ministère public est invité à rendre une nouvelle ordonnance et mandat d'expertise médicale qu'il confiera à deux nouveaux experts qu'il aura désignés lui-même ou sur proposition d'un organisme qui ne dépend pas du CURML ni, partant, de la Prof. H______.

7. Vu l'issue de la cause, les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'État (art. 13 al. 1 let. b a contrario RTFMP [E 4 10.03]). Il n'y a donc pas besoin de statuer sur la demande d'assistance judiciaire relative aux frais.

8. 8.1. Le requérant qui a gain de cause dans une procédure de récusation peut prétendre à une indemnité pour ses frais d'avocat par application analogique des art. 429 ss CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_370/2018 du 10 décembre 2018 consid. 3.1).

Selon l'art. 433 al. 2 CPP, la partie plaignante adresse à l'autorité pénale ses prétentions, qu'elle doit chiffrer et justifier.

Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013 consid 3.1 et 3.2).

8.2. En l'espèce, seule A______ sollicite des dépens, qu'elle a chiffrés à CHF 1'459.35 (4h30 au tarif de CHF 200.- l'heure pour la rédaction du recours, auxquelles s'ajoutent CHF 450.- de "frais forfaitaires 50%" et la TVA), selon la note d'honoraires produite.

Eu égard au recours de six pages (page de garde et conclusions comprises, dont deux pages de discussion juridique faiblement topique) et à un très bref courrier, le montant d'honoraires réclamé apparaît excessif et sera ramené à 3h30 au tarif demandé, soit CHF 756,70, TVA à 8,1% comprise.

Il n'y a pas lieu d'y ajouter l'indemnité de CHF 450.- à titre de "frais forfaitaires 50%" réclamée, tel forfait ne se justifiant pas en instance de recours (cf. ACPR/762/2018 du 14 décembre 2018).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Joint les recours.

Les admet en tant que requêtes en récusation.

Annule l'ordonnance et mandat d'expertise médicale du 15 janvier 2024, et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Laisse les frais de l'instance à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 756,70, TVA à 8.1% incluse.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et B______, soit pour eux leur conseil, à G______, soit pour elle son conseil, à la Dre I______, au Prof. E______ et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).