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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15968/2011

ACPR/311/2024 du 29.04.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC;DÉLAI;CONDUITE DU PROCÈS;DROIT D'OBTENIR UNE DÉCISION;REFUS DE STATUER;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ;RETARD INJUSTIFIÉ
Normes : CPP.58; Cst.29.al1; CPP.56.alf; CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15968/2011 ACPR/311/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 29 avril 2024

 

Entre

A______ LIMITED, représentée par Me Christian SCHILLY, avocat,
MLL Meyerlustenberger Lachenal Froriep SA, rue du Rhône 65, case postale 3199,
1211 Genève 3,

recourante et requérante,

 

pour déni de justice et en récusation,

 

et


LE MINISTÈRE PUBLIC
de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé,


B
______, Procureure, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, case postale 3565,
1211 Genève 3,

cité.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 16 novembre 2023, A______ LTD recourt pour déni de justice et demande la récusation de la Procureure B______, chargée de la procédure P/15968/2011.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, au constat d'un tel déni, à la récusation de la précitée et à ce qu'il soit imparti au Ministère public un délai de trois mois pour renvoyer les prévenus devant le Tribunal correctionnel "au moyen d'un acte d'accusation approprié reprenant en substance […] les infractions retenues dans ses différentes ordonnances pénales du 23 avril 2023, en requérant des peines appropriées au regard de la gravité des faits reprochés correspondant au moins à celles annoncées dans l'annexe à l'acte d'accusation du Ministère public du 15 décembre 2016".

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le Ministère public a ouvert, en novembre 2011, sur plainte pénale de C______ JSC (anciennement JSC D______ CORP), à E______ [Russie], et sa filiale A______ LTD (anciennement F______ LTD), à G______ [Royaume-Uni], une instruction contre H______, I______ et J______ pour escroquerie (art. 146 CP), blanchiment d'argent (art. 305bis CP) et banqueroute frauduleuse (art. 163 CP).

b. Entre fin 2011 et début 2012, le Ministère public a placé sous séquestre divers avoirs de K______, épouse de H______, dont:

-          des comptes bancaires auprès [des banques] L______ et M______;

-     le produit de la revente d'une villa sise à N______ [GE];

-     les actions nominatives de la SI O______ SA;

-     les loyers nets générés par la location de l'appartement sis à P______ [GE], auquel donnent droit les actions susmentionnées; et

-     des objets figurant à l'inventaire du 26 février 2012.

c. Par jugement du 19 avril 2013, le Tribunal correctionnel a condamné J______, dans le cadre d'une procédure simplifiée disjointe de la présente procédure, pour escroquerie et blanchiment d'argent simple.

La procédure a également été disjointe et la poursuite pénale déléguée aux autorités anglaises, s'agissant de I______, qui a été condamné, le 27 janvier 2017, par le Tribunal criminel de G______ [Royaume-Uni].

d. L'instruction s'est poursuivie, respectivement étendue, à Genève, contre H______, Q______, R______ et K______.

e. Par acte d'accusation du 15 décembre 2016, le Ministère public a renvoyé les prévenus en jugement, devant le Tribunal correctionnel.

f. À la suite de la demande de récusation du Procureur formée par K______, la Chambre de céans a récusé le magistrat (ACPR/65/2017 du 10 février 2017).

g. À réception de l'arrêt, H______ a requis l'annulation des actes de procédure accomplis jusque-là. Par arrêt ACPR/348/2017 du 29 mai 2017, la Chambre de céans a ordonné l'annulation et la répétition des actes de la procédure à compter du 23 août 2016. La cause, pendante devant le Tribunal correctionnel, a dès lors été renvoyée au Ministère public.

h. Le Procureur nouvellement chargé de l'affaire a informé les parties, le 22 septembre 2017, que l'instruction lui paraissait complète et a annoncé qu'une "ordonnance d'accusation" serait rendue contre les prévenus.

i. Par lettre du 24 octobre 2017, H______ a requis qu'une décision soit rendue sur sa contestation de la qualité de lésées des plaignantes.

j. En janvier 2018, B______ a repris l'instruction de la cause.

k. Par lettre du 4 octobre 2018, le Ministère public a imparti un délai au 11 suivant aux plaignantes pour répondre à la contestation de leur qualité de lésées, ce qu'elles ont fait.

l. La Procureure a tenu une audience de comparution des mandataires le 12 octobre 2018, à la suite de laquelle un délai au 1er novembre 2018 a été accordé aux plaignantes pour produire la justification actualisée de leur légitimation, ce qu'elles ont fait.

m. L'audience fixée par le Ministère public au 2 novembre 2018 a été annulée, en raison de l'absence d'accord entre les parties.

n. Le 28 juin 2019, B______ a rendu un avis de prochaine clôture, impartissant aux parties un délai au 31 juillet 2019 pour présenter leurs réquisitions de preuves.

De l'ordonnance de classement du 23 avril 2020

o.a. Par ordonnance du 23 avril 2020, la Procureure a ordonné le classement de la procédure à l'égard de K______ (art. 319 al. 1 let. d CPP) et prononcé la confiscation en faveur de l'État de Genève de ses avoirs séquestrés (supra B.b.). L'analyse des flux financiers et les condamnations d'ores et déjà intervenues démontraient que les avoirs détenus sur les comptes de K______ provenaient des escroqueries dénoncées par A______ LTD. Faute d'avoir pu entendre la prévenue, il existait un empêchement de procéder, qui devait conduire au classement de la procédure ouverte à son encontre. Dans la mesure où l'enquête avait établi que l'ensemble des avoirs séquestrés mentionnés sous let. B.b. ci-dessus représentait le produit d'infractions pénales commises par H______, J______, I______ et Q______, et où les conditions posées par l'art. 70 al. 2 CP n'étaient pas réalisées, il y avait lieu d'ordonner leur confiscation. Au vu de ce résultat, la question de la qualité de parties plaignantes de C______ JSC et A______ LTD pouvait rester ouverte.

o.b. C______ JSC, A______ LTD et K______ ont formé recours contre ladite ordonnance.

o.c. Dans ses observations sur recours, B______ a conclu à l'irrecevabilité des recours des deux premières nommées, faute pour celles-ci de revêtir la qualité de parties plaignantes. Il n'avait en effet pas été possible de déterminer le dommage qu'elles alléguaient avoir subi, dès lors qu'elles n'avaient jamais produit de décompte, mentionnant entre autres, des montants déjà perçus en réparation du préjudice. C______ JSC semblait en outre avoir fait faillite.

o.d. Par arrêt du 16 décembre 2020 (ACPR/913/2020), la Chambre de céans a ordonné la confiscation et la dévolution à l'État de Genève des fonds sur le compte auprès de L______ de K______ – ainsi que du produit de la revente de la villa sise à N______ [GE] –; prononcé, en faveur de l'État, une créance compensatrice à l'encontre de la précitée; ordonné le maintien, en vue de leur exécution, des séquestres portant sur les autres biens mentionnés sous point B.b.; et confirmé l'ordonnance querellée pour le surplus.

La qualité de partie plaignante de C______ JSC – faute d'être directement lésée – a été niée et celle de A______ LTD admise, dans la mesure où elle se déclarait victime de l'escroquerie ayant conduit à son appauvrissement de plus de USD 150 millions. Le fait que le dommage en résultant ait été, par hypothèse, réparé ultérieurement, n'exerçait aucune influence sur ce statut, à ce stade de la procédure.

Au surplus, une restitution, respectivement une allocation au lésé de la créance compensatrice, ne pouvaient se concevoir que pour autant que la partie plaignante subisse encore un dommage. Or, le préjudice résiduel de cette dernière n'était en l'occurrence pas établi – par sa faute – de sorte que le Ministère public avait à bon droit refusé de lui restituer ou lui attribuer les biens séquestrés, et ordonné que les mesures fondées sur les art. 70 ss CP le soient en faveur de l'État.

o.e. Sur recours de A______ LTD, le Tribunal fédéral a, par arrêt 6B_64/2021 du 7 septembre 2022, annulé l'arrêt de la Chambre de céans en tant qu'il a: 1) refusé à la plaignante l'allocation de la créance compensatrice et l'attribution en sa faveur des biens sujets à confiscation; 2) considéré que les fonds séquestrés auprès de la banque M______ ne pouvaient être confisqués.

Il a en substance retenu que la procédure conduisant à statuer sur l'allocation était dominée par la maxime inquisitoire, laquelle imposait à l'autorité d'examiner d'office l'existence de la prétention et la réalisation des conditions auxquelles était soumise l'allocation. Or, en l'espèce, ni le Ministère public ni la Chambre de céans n'avaient instruit le montant exact des sommes que A______ LTD était parvenue à recouvrer, de sorte que la cause devait être renvoyée à la Chambre de céans pour complément d'instruction.

o.f. Les parties ont été invitées par la Chambre de céans à faire part de leurs observations à la suite de cet arrêt, ce qu'elles ont fait entre les 10 novembre et 20 décembre 2022.

A______ LTD a produit deux tableaux listant le solde des dettes de K______ et de H______ en fonction des différents encaissements reçus.

La Procureure a quant à elle estimé que – s'agissant des biens confisqués et de la créance compensatrice –, il "appartiendra à [A______ LTD] de démontrer, justificatifs à l'appui, le montant résiduel de son dommage compte tenu des indemnisations déjà perçues", dès lors que la simple allégation du dommage n'était pas suffisante.

o.g. La Chambre de céans a, par arrêt du 27 février 2023 (ACPR/147/2023):

-     ordonné la restitution à A______ LTD des fonds sur les comptes auprès de L______ et M______, ainsi que du produit de la revente de la villa sise à N______ [GE] ;

-     prononcé à l'encontre de K______ une créance compensatrice, en faveur de A______ LTD; et

-     ordonné le maintien, en vue de son exécution, des séquestres portant sur les autres biens mentionnés sous point B.b. ci-dessus.

Au vu des explications et pièces produites par la recourante, celle-ci avait désormais établi que sa créance résiduelle ne dépassait pas les sommes confisquées et séquestrées dans la présente procédure. Les réticences du Ministère public, sans aucune discussion du contenu des tableaux produits par la recourante et des explications de celle-ci, n'étaient pas de nature à amoindrir leur force probante.

o.h. Par courriers des 5 mai et 8 septembre 2023, A______ LTD a notamment demandé à la Procureure d'obtenir le concours de la SI O______ SA [appartement du P______] pour annuler le certificat en incorporant les actions et en émettre un nouveau, dès lors que K______ et H______ avaient déclaré l'avoir perdu. Il convenait également de collecter auprès de la société de gestion les loyers générés par la location de l'appartement, ainsi que de remettre les objets séquestrés selon l'inventaire du 26 janvier 2012 à l'Office des poursuites, en instruisant celui-ci de les vendre aux enchères publiques et d'en remettre le produit au titulaire de la créance compensatrice.

o.i. Les 19 juin et 27 septembre 2023, le Ministère public a répondu que les demandes formulées dans les courriers précités ne relevaient pas de sa compétence, invitant pour le surplus la plaignante à procéder par la voie de la poursuite.

Des ordonnances pénales du 23 avril 2020

p.a Par ordonnances pénales des 23 avril 2020, R______ et Q______ ont été condamnés à quatre mois de peine privative de liberté avec sursis, ainsi qu'à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, pour banqueroute frauduleuse (art. 163 ch. 1 CP), violation de l'obligation de tenir une comptabilité (art. 166 CP), faux dans les titres (art. 251 ch. 1 CP) et blanchiment d'argent (art. 305bis ch. 1 et 2 CP), respectivement pour infractions aux art. 146 CP et 305bis ch. 1 et 2 CP.

Par ordonnance pénale du même jour, H______ a été reconnu coupable d'escroquerie, de blanchiment aggravé et de faux dans les titres et condamné à une peine privative de liberté de 5 mois avec sursis, ainsi qu'à une peine pécuniaire de 30 jours-amende.

Diverses mesures de confiscation et dévolution à l'État de Genève ont été prononcées à cette occasion, portant entre autres sur les biens de K______ mentionnés supra B.b. Il ressortait en effet de l'instruction que H______ avait transféré des sommes importantes et d'origine criminelle vers des comptes bancaires de son épouse, lesquelles avaient été utilisées, entre autres, pour acheter la villa sise à N______ [GE].

p.b. A______ LTD, les prévenus et K______ ont formé opposition.

p.c. Entre les 16 juin 2021 et 4 avril 2022, la Procureure a tenu une audience – respectivement deux entretiens téléphoniques – avec les conseils de K______, H______, C______ JSC et A______ LTD.

Il ressort du procès-verbal que les mandataires procédaient à des échanges de vues sous les réserves d'usage.

p.d. Par lettres des 14 juillet 2021, 2 novembre 2021 et 29 août 2023, A______ LTD a invité B______ à se déterminer sur les oppositions aux ordonnances pénales.

p.e. Le 27 septembre 2023, la Procureure a répondu que la procédure pénale suivrait sa voie.

C. À l'appui de son acte, A______ LTD reproche au Ministère public d'avoir violé le principe de la célérité et l'art. 6 CEDH. Trois ans et demi après le dépôt des oppositions aux ordonnances pénales, la Procureure n'avait toujours pas statué sur le sort de la procédure, ni entrepris le moindre acte d'instruction et ce, malgré ses demandes répétées. Les faits remontaient à 2011 et les anciens procureurs, chargés de l'affaire, avaient déjà considéré en 2016 – respectivement en 2017 – que l'instruction était terminée. L'attitude du Ministère public était d'autant plus inadmissible qu'il existait un risque grandissant que certains faits dénoncés atteignissent la prescription. Un déni de justice résultait également du fait que ce dernier n'avait pas procédé à la remise des loyers nets de l'appartement sis au P______ et refusait toujours d'initier la procédure de réalisation forcée des actifs séquestrés en vue de l'exécution de la créance compensatrice.

Par ailleurs, les inactions de la Procureure permettaient de douter de son impartialité. Ce d'autant que cette dernière avait, continuellement, cherché à l'"évincer" de la procédure pénale et à compliquer le recouvrement de sa créance compensatrice. En outre, les ordonnances pénales étaient assorties de peines "inhabituellement" légères, au regard de la gravité des infractions retenues.

D. a. Le 21 novembre 2023, la Procureure a convoqué les parties à une audience fixée le 16 janvier 2024 ayant pour objet les "[o]ppositions à l'ordonnance pénale du 23 avril 2020".

b. Par lettre du 28 décembre 2023, A______ LTD a demandé l'annulation de ladite audience dans l'attente de l'issue de sa requête pendante devant la Chambre de céans. À défaut, elle sollicitait des clarifications sur l'objet de la convocation.

Le 10 janvier 2024, la plaignante, constatant que sa demande était restée sans réponse, a reproché à la Procureure de privilégier une fois encore les prévenus.

c. Le 11 suivant, l'audience a été annulée.

E. a. Dans ses observations, la Procureure conclut au rejet du recours. Le grief de déni de justice était infondé, dès lors qu'avant de statuer sur les oppositions aux ordonnances pénales, il lui avait semblé opportun d'attendre l'issue des recours contre l'ordonnance de classement, ceux-ci ayant un impact sur la qualité de partie de la plaignante. Il avait ensuite procédé à l'exécution de l'arrêt de la Chambre de céans du 27 février 2023 et donné suite aux diverses demandes de la recourante. Une audience sur opposition avait enfin été fixée le 16 février 2024, avant d'être annulée sur demande de A______ LTD.

S'agissant de la demande en récusation, la requérante n'exposait pas quel fait précis, survenu à quelle date précise, lui ferait penser qu'elle [la citée] n'avait plus l'impartialité nécessaire. À considérer qu'il s'agissait du courrier du 27 septembre 2023 [supra B.o.i.], la requête, formée le 16 novembre 2023, était tardive. En tout état de cause, les ordonnances pénales rendues à l'endroit des prévenus tenaient compte du temps écoulé depuis la commission des infractions, de la durée excessive de la procédure et des condamnations déjà obtenues dans le cadre des procédures en Angleterre. Enfin, en ce qui concernait les biens séquestrés en vue de l'exécution de la créance compensatrice, le fait de ne pas avoir procédé selon la volonté de la requérante, mais selon la procédure applicable en la matière, ne constituait pas un motif de récusation.

b. Dans sa réplique, A______ LTD persiste dans les termes de son écriture. La magistrate s'opposait systématiquement à la réparation de son dommage dans le but d'obtenir la dévolution à l'État de Genève de la totalité des avoirs séquestrés pénalement et – malgré l'arrêt de la Chambre de céans du 27 février 2023 – tentait toujours de la frustrer de son droit à être indemnisée. Rien n'avait justifié par ailleurs d'attendre l'issue des recours devant le Tribunal fédéral, dès lors que sa qualité de partie plaignante avait été définitivement admise par l'arrêt ACPR/913/2020 du 16 décembre 2020, étant précisé que le reste de la procédure n'avait porté que sur la question de la dévolution des actifs séquestrés. Qui plus est, la citée admettait elle-même dans ses observations la violation du principe de la célérité, dans la mesure où cette dernière motivait la quotité des peines infligées dans les ordonnances pénales du 23 avril 2020 par la durée excessive de la procédure pénale. Enfin, bien qu'interpellée par écrit, la Procureure avait refusé de la renseigner sur l'objet de l'audience du 16 janvier 2024.


 

EN DROIT :

1.             Le recours, formé pour déni de justice et violation du principe de la célérité, soit des griefs invocables en tout temps (art. 396 al. 2 CPP), a été interjeté selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP), par la plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP) qui dispose d'un intérêt juridiquement protégé à recourir (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante dénonce un déni de justice.

2.1.       Une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. lorsqu'elle refuse de statuer sur une requête qui lui a été adressée, soit en l'ignorant purement et simplement, soit en refusant d'entrer en matière, ou encore omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments pour la décision à prendre (ATF 138 V 125 consid. 2.1; ATF 135 I 6 consid. 2.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_868/2016 du 9 juin 2017 consid. 3.1, 5A_578/2010 du 19 novembre 2010 et 5A_279/2010 du 24 juin 2010 consid. 3.3).

2.2.       En l'espèce, la recourante, qui invoque un déni de justice, ne mentionne pas quel(s) acte(s) le Ministère public aurait omis de rendre. Si l'on devait comprendre qu'elle se plaint du refus du Ministère public d'initier la procédure de réalisation forcée des actifs séquestrés, l'autorité lui a répondu que ses demandes concernant l'exécution de la créance compensatrice ne relevaient pas de sa compétence et qu'il convenait de procéder par la voie de la poursuite. Dès lors et quand bien même cette réponse ne la satisfaisait pas, la recourante ne saurait se plaindre d'un déni de justice formel.

3.             La recourante se plaint d'une violation du principe de la célérité.

3.1. Les art. 29 al. 1 Cst. et 5 CPP garantissent à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable; ils consacrent le principe de la célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou celui que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 130 I 312 consid. 5.1). Le caractère approprié de ce délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement, ainsi qu'à celui des autorités compétentes (ATF 135 I 265 consid. 4.4; 130 I 312 consid. 5.1; 143 IV 373 consid. 1.3.1). Des périodes d'activité intense peuvent compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3; 130 I 312 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_640/2012 du 10 mai 2013 consid. 4.1).

Ainsi, seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l'admission de la violation du principe de la célérité. En cas de retard de moindre gravité, des injonctions particulières peuvent être données, comme par exemple la fixation d'un délai maximum pour clore l'instruction (cf. ATF 128 I 149 consid. 2.2). L'on ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure; lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut. Selon la jurisprudence, apparaît comme une carence choquante une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_172/2020 du 28 avril 2020 consid. 5.1).

3.2. En l'espèce, entre le 1er janvier 2018, date de la reprise de l'instruction par la nouvelle Procureure, et le 23 avril 2020, jour du prononcé des ordonnances pénales et de classement, le Ministère public a tenu une audience de comparution, en a fixé une seconde – qui a finalement dû être annulée –, a invité la recourante à se prononcer sur sa qualité de partie plaignante et a finalement rendu un avis de prochaine clôture, impartissant aux parties un délai pour présenter leurs réquisitions de preuves. Dans ces circonstances, force est de constater que l'autorité intimée n'est pas restée inactive dans la conduite de l'instruction durant cette période.

À la suite des oppositions aux ordonnances pénales, le Ministère public n'a tenu, entre les 16 juin 2021 et 4 avril 2022, qu'une audience – respectivement deux entretiens téléphoniques – avec les mandataires des parties, avant de citer les parties, en novembre 2023, à comparaître à une audience sur opposition fixée le 16 janvier 2024, laquelle a été annulée sur demande de la recourante. Selon la Procureure, il était en effet opportun d'attendre l'issue des recours contre l'ordonnance de classement du 23 avril 2020, ceux-ci ayant un impact sur la qualité de partie plaignante de la recourante. Or, comme le soutient à juste titre cette dernière, sa qualité de partie avait été définitivement admise par l'arrêt ACPR/913/2020 du 16 décembre 2020, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'attendre pour ce motif.

Cela étant, diverses mesures de confiscation et dévolution à l'État avaient été prononcées dans les ordonnances pénales des 23 avril 2020, portant entre autres sur les biens séquestrés de l'épouse d'un des prévenus. Or la question de la dévolution à l'État – respectivement de l'allocation au lésé – desdits biens était contestée et n'a été définitivement tranchée que par l'arrêt ACPR/147/2023 du 27 février 2023. À cela s'ajoute que la recourante n'a produit qu'en novembre 2022 devant la Chambre de céans les pièces établissant sa créance résiduelle. Dans ces conditions, le Ministère public devait attendre l'issue du recours sur l'ordonnance de classement en faveur de K______, avant de se déterminer sur les oppositions aux ordonnances pénales du 23 avril 2020. La recourante ne paraît d'ailleurs pas en disconvenir, dans la mesure où elle a soulevé le grief de déni de justice sept mois après l'arrêt de la Chambre de céans du 23 février 2023.

Compte tenu de ce qui précède, on ne saurait retenir un retard injustifié du Ministère public à statuer, ni une violation du principe de la célérité dans le cas d'espèce.

L'autorité précédente est néanmoins invitée à faire diligence pour procéder, dans les meilleurs délais, selon ses intentions annoncées.

4. Partant, le recours sera rejeté sur ce point.

5. La requérante estime que la Procureure chargée de l'affaire doit être récusée.

5.1.1. Partie à la procédure en tant que plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), la requérante a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans, siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ).

5.1.2. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). En matière pénale, est irrecevable pour cause de tardiveté la demande de récusation déposée trois mois, deux mois ou même vingt jours après avoir pris connaissance du motif de récusation. En revanche, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours, soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2).

Lorsque seule l'accumulation de plusieurs incidents fonde l'apparence d'une prévention, il doit être tenu compte, dans l'examen de l'éventuel caractère tardif d'une requête de récusation, du fait que le recourant ne puisse réagir à la hâte et doive, le cas échéant, attendre afin d'éviter le risque que sa requête soit rejetée. Il doit ainsi être possible, en lien avec des circonstances nouvellement découvertes, de faire valoir des faits déjà connus, si seule une appréciation globale permet d'admettre un motif de récusation, bien qu'en considération de chaque incident pris individuellement, la requête n'aurait pas été justifiée. Si plusieurs occurrences fondent seulement ensemble un motif de récusation, celle-ci peut être demandée lorsque, de l'avis de l'intéressé, la dernière de ces occurrences constitue la "goutte d'eau qui fait déborder le vase". Dans un tel cas toutefois, l'examen des événements passés, dans le cadre d'une appréciation globale, n'est admis que pour autant que la dernière occurrence constitue en elle-même un motif de récusation ou à tout le moins un indice en faveur d'une apparence de prévention (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2).

5.1.3. En l'espèce, la requérante reproche à la citée une série de comportements qui, pris isolément ou cumulés, lui font douter de son impartialité. Elle n'expose toutefois pas quels faits précis, survenus à quelle date précise, constitueraient la "goutte d'eau qui fait déborder la vase". À supposer que cela soit le dernier courrier du Ministère public daté du 27 septembre 2023, la demande en récusation, formée le 16 novembre 2023, paraît tardive. Quoi qu'il en soit, la recevabilité de celle-ci, bien que douteuse, peut rester ouverte vu ce qui suit.

En revanche, en tant que la réplique de la requérante se réfère à d'autres faits que ceux figurant dans la demande de récusation, voire à des évènements ultérieurs, elle est irrecevable, la demande de récusation ne pouvant être complétée ou corrigée ultérieurement, notamment pas en ajoutant une motivation ou des griefs (ACPR/644/2018 du 6 novembre 2018 consid. 5). En effet, le droit de réplique, même dans la procédure de récusation, n'a pas vocation à permettre à la partie qui saisit le juge de compléter son acte (ATF 143 II 283 consid. 1.2.3).

5.2. Un magistrat est récusable, selon l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH (ATF 144 I 234 consid. 5.2; 143 IV 69 consid. 3.2).

La récusation n'a pas pour finalité de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure. En effet, il appartient aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre (ATF 143 IV 69 consid. 3.2).

Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention. En revanche, des actes de procédure menés en violation des droits d'une partie peuvent manifester une prévention à l'égard de cette partie (arrêt du Tribunal fédéral 1B_375/2017 du 7 février 2018 consid. 5.3 et 5.4). Il n'y a prévention en raison d'erreurs de procédure que lorsqu'un examen objectif révèle des manquements particulièrement grossiers ou inhabituellement fréquents qui, appréciés dans leur ensemble, constituent une violation grave des devoirs de fonction et se répercutent unilatéralement au détriment de l'une des parties à la procédure (ATF 141 IV 178 consid. 3.3 et 3.5; 138 IV 142 consid. 2.3).

5.4. En l'espèce, un éventuel retard à statuer – non réalisé ici – ne constitue pas un motif de récusation, la partie insatisfaite devant agir par la voie de recours, ce qu'a au demeurant fait la requérante. Il en va de même du refus de la citée d'initier la procédure de réalisation forcée des actifs séquestrés, la procédure de récusation n'ayant pas pour finalité de permettre aux parties de remettre en cause les décisions prises par la direction de la procédure. En tout état de cause, l'exécution de la créance compensatrice, la réalisation des valeurs patrimoniales séquestrées et la distribution des deniers interviennent conformément à la LP et auprès des autorités compétentes en la matière (ATF 142 III 174 consid. 3.1.2). Par ailleurs, on ne voit pas en quoi les observations adressées par la citée à la Chambre de céans dans le cadre du recours interjeté contre l'ordonnance du classement du 23 avril 2020, fonderaient une quelconque apparence de prévention, la Procureure étant autorisée à conclure au rejet de la qualité de partie plaignante et à exposer ses arguments à l'appui. Que sa position n'ait pas été suivie par la Chambre de céans, ne constitue pas un motif de récusation, sous peine de quoi chaque magistrat désavoué par une instance de contrôle serait récusable. Enfin, s'agissant de la critique des sanctions prononcées par la magistrate contre les prévenus dans les ordonnances pénales, il sera relevé que la procédure de récusation n'est pas destinée à ouvrir une voie de droit là où le CPP n'en prévoit pas (art. 382 al. 2 CPP).

6. La demande de récusation sera donc rejetée.

7. La recourante, qui succombe, supportera les frais de la procédure, fixées en totalité à CHF 2'000.- (art. 59 al. 4 et 428 al. 1 CPP, et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Rejette la demande de récusation.

Condamne A______ LIMITED aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/15968/2011

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00