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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/23028/2021

ACPR/18/2023 du 10.01.2023 sur OCL/1022/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;DIFFAMATION;MENACE(DROIT PÉNAL);CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION
Normes : CPP.319; CP.177; CP.180; CP.181; Cst.29

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23028/2021 ACPR/18/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 10 janvier 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me I______, avocate, ______,

recourante,

contre l'ordonnance de classement partiel rendue le 8 août 2022 par le Ministère public,

et

B______, domicilié ______, comparant par Me Stéphane REY, avocat, rue Michel-Chauvet 3, case postale 477, 1211 Genève 12,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 18 août 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 août 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a ordonné le classement partiel de la procédure à l'égard de B______ s'agissant des infractions de contrainte et d'injure.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance, au renvoi de la procédure "au Tribunal de police pour injures, contraintes et menaces", à ce qu'il soit dit que le Ministère public a commis un déni de justice en n'examinant pas les relations sexuelles non consenties dénoncées et à enjoindre cette autorité de "traiter ces infractions". Elle sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire "pour la suite de la procédure" et subsidiairement, pour la procédure de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 12 avril 2019, A______, née le ______ 1973, d'origine et de langue ukrainienne, s'est mariée à B______, né le ______ 1949.

C______ et D______ sont les enfants – majeurs – de B______, nés d'une précédente union.

b. Le 30 octobre 2021, A______ a déposé plainte contre son mari.

En 2018, elle avait quitté l'Italie pour venir vivre avec B______ à Genève. Au mois de juin 2019, alors qu'ils s'étaient mariés dans l'intervalle, ce dernier avait changé de comportement, devenant agressif et rabaissant. En octobre 2021, elle avait fait appel à la police, effrayée par la colère de son époux et craignant d'être battue; il n'avait toutefois pas levé la main sur elle le jour en question. Après cet évènement, il avait continué à exercer une pression psychique à son égard et ne cessait pas de la traiter de "prostituée", de "moins que rien" et de "merde". B______ l'obligeait à entretenir des relations sexuelles alors que depuis la détérioration de leur relation, elle ne souhaitait plus faire l'amour avec lui; dès qu'il commençait à la toucher, elle le repoussait et il finissait par "la laisser tranquille". Il l'empêchait également de trouver du travail, refusant qu'elle soit autonome au motif qu'elle devait s'occuper de lui et exerçant une emprise sur ses faits et gestes, au point de lui interdire de prendre contact avec sa fille, nommée E______, âgée de 26 ans et restée en Ukraine. Elle n'avait pas non plus accès à leurs comptes bancaires et elle suspectait B______ d'avoir intercepté son courrier pour l'empêcher de recevoir la carte de débit qu'elle avait commandée en vue de percevoir les prestations du chômage. En général, il lui donnait entre CHF 10.- et CHF 20.- pour ses achats personnels. Cette situation était très pesante mais elle n'osait pas entreprendre des démarches pour divorcer, de crainte de perdre son permis de séjour. Elle avait fait appel à l'association F______ [aide aux victimes de violences conjugales].

c. Entendu par la police le 11 novembre 2021, B______ a contesté l'intégralité des faits reprochés.

Après le mariage, A______ était devenue "rebelle et orgueilleuse". Il avait alors constaté que celle-ci l'avait épousé dans le seul but de venir en Suisse. Elle n'avait d'ailleurs jamais appris le français, ce qui empêchait toute communication entre les deux. Depuis le mois d'avril 2021, elle sortait sans jamais dire où elle allait. Il souhaitait se séparer mais elle refusait pour ne pas perdre ses papiers. Le 6 octobre 2021, A______ avait appelé la police simplement car il n'avait pas voulu passer l'aspirateur. Il ne l'avait jamais injuriée, n'exerçait aucune pression sur elle et ne l'avait jamais forcée à avoir des relations sexuelles. Concernant l'argent, il payait tout car elle n'en gagnait pas et ne cherchait pas à s'intégrer, malgré qu'il l'eût inscrite dans une école pour apprendre le français. Il avait cessé de lui donner de l'argent car elle se moquait de lui et il devait, de plus, s'acquitter de toutes les factures.

d. Le 16 novembre 2021, C______ a expliqué à la police que son père était une personne "colérique et raciste". À l'époque, elle l'avait questionné à propos de son mariage avec A______ mais son père lui avait répondu "Occupe-toi de tes affaires, je sais ce que je fais, tu préfères que je reste seul?". À la suite de quoi, elle n'était pas venue à la cérémonie alors que son père lui avait demandé d'être témoin. Peu de temps après le mariage, voyant souvent A______ seule à la maison, elle lui avait proposé de s'inscrire à l'Office cantonal de l'emploi pour bénéficier de soutien, notamment dans sa recherche d'emploi. B______ s'y était opposé, expliquant que si A______ trouvait un travail, il ne pourrait plus bénéficier de certaines aides sociales. Son père refusait également que sa femme apprenne le français et gérait l'argent au sein du couple, ne donnant que le minimum à son épouse, qui devait encore insister. B______ exerçait bien une pression psychologique sur A______; il l'empêchait de parler et l'insultait, lui disant notamment "ta gueule" ou la traitant de "grosse". Elle avait vu une fois A______ attacher les chaussures de son père, comme une "esclave". Ayant été également "victime de pressions psychologiques" de la part de B______, elle comprenait et aidait A______, l'accompagnant notamment auprès de diverses associations. Après la visite chez F______, sa belle-mère avait retrouvé le courage de sortir seule.

e. Le 15 décembre 2021, le Ministère public a ouvert une instruction contre B______ pour contrainte (art. 181 CP) et injure (art. 177 CP), lui reprochant d'avoir, exercé des violences psychologiques sur son épouse A______, en l'empêchant notamment de s'intégrer à Genève, de trouver un emploi, de contacter sa fille, en la rabaissant sans cesse, en la contraignant financièrement, dans le but d'avoir une emprise totale sur elle et de l'avoir traitée de "merde" et de "prostituée".

f. Le 15 décembre 2021, le Ministère public a tenu une audience de confrontation.

B______ a contesté les charges. À la maison, A______ avait "la belle vie". Elle faisait de la gymnastique et se promenait mais refusait de faire le ménage. C______, avec qui il avait toujours eu de bons rapports, avait été "influencée" par A______ depuis le mois d'avril 2021.

A______ a confirmé ses déclarations. Les tensions dans sa relation avec B______ avaient débuté en septembre 2021. Par la suite, elle avait créé des liens avec C______, qui était sa seule amie. Durant ses journées, elle préparait à manger puis sortait car il lui était impossible de rester à la maison. En outre, elle faisait le ménage et parfois, elle et son mari se promenaient ensemble. Tout cela la dérangeait car elle voulait trouver un travail mais son niveau de français était insuffisant. Elle avait quitté le domicile conjugal depuis deux jours. Elle ne voulait pas divorcer car elle bénéficiait d'un permis B par regroupement familial. Elle avait demandé à B______ de pouvoir apprendre le français et trouver du travail pour pouvoir partir mais celui-ci avait refusé. En plus des injures dénoncées à la police, son mari lui disait encore "va fa in culo" ou encore "ferme ta gueule". Il lui disait qu'après le divorce, son permis B lui serait retiré et qu'elle devrait rentrer dans son "pauvre pays". Une fois, il l'avait poussée hors de la maison et elle avait eu un bleu. Du fait qu'il lui disait tout le temps que les gens allaient se moquer, elle avait une "sorte de phobie" de parler en français. B______ l'avait contrainte à avoir des relations sexuelles, même s'il ne lui mettait pas "le couteau sous la gorge". Il la forçait en disant que le viagra "coûtait cher". Durant les relations sexuelles, il lui était arrivé d'avoir mal et elle lui demandait alors de s'arrêter. Parfois, il le faisait, parfois non. B______ l'empêchait d'avoir des contacts avec sa famille ou même des tiers.

g. Le 15 février 2021, C______ a écrit au Ministère public pour l'informer que son père, ayant eu connaissance de sa convocation en qualité de témoin, lui avait dit "Tu es une traitresse, tu m'as trahi à la police et au procureur. Tu verras". En outre, son frère D______ lui avait envoyé un message le 9 précédent pour lui parler "d'une chose importante". Au téléphone, ce dernier avait voulu savoir pourquoi elle allait témoigner avant de lui déclarer "Je vais tout faire pour tout foutre en l'air. Il faut que cette histoire finisse. Je ferai tout pour le défendre même si je sais que papa ne dit pas la vérité. S'il le faut tout le monde sera mêlé".

h. Lors de l'audience du 3 mars 2021, C______ a expliqué que B______ avait écrit à l'Hospice général pour dire qu'il était malade et que A______, malgré sa capacité à travailler, devait rester à la maison pour s'occuper de lui; cherchant de la sorte à continuer de bénéficier des prestations qu'il percevait. Elle avait été témoin de violences verbales de son père envers sa belle-mère, le premier disant à la seconde par exemple "va fa in culo" ou encore "ta gueule". Sauf avec elle, A______ n'avait aucun autre contact à Genève, même lorsqu'elle avait commencé les cours de français. Dès le début de la relation, il y avait eu "des choses bizarres". Connaissant les antécédents de son père, elle avait demandé à A______ comment elle allait; cette dernière s'était mise à pleurer. Elle avait alors averti son père d'arrêter ses attitudes, mais il lui avait affirmé que A______ mentait et qu'elle était "arrogante"; elle lui avait répondu qu'elle savait "qui il était". Elle ne connaissait pas la fille de A______ mais savait que B______ avait coupé internet au début de la relation car il ne comprenait pas les discussions entre les deux. Il avait également lu un message de son père à E______ où il disait des "choses méchantes" sur A______. Avant les tensions, elle venait voir son père et sa belle-mère environ une fois par mois.

À l'issue de cette audience, le Ministère public a avisé les parties de la prochaine clôture de l'instruction.

i. Le 21 mars 2022, A______ a déposé plainte contre B______ pour violation de secrets privés (art. 179 CP).

Son assistante sociale, G______, s'était rendue au domicile conjugal pour récupérer des affaires. Sur place, B______ lui avait remis des courriers adressés à son nom mais ouverts.

j. Le 25 mai 2022, le Ministère public a d'abord entendu D______.

Il voyait son père et son épouse une fois par semaine et n'avait jamais été témoin de violences verbales ou de comportements inappropriés. Selon lui, A______ avait commencé des cours de français en août 2020 et ne donnait pas l'impression d'être enfermée. Au début, C______ n'était pas d'accord avec le mariage mais par la suite, elle avait "entrainé" son père et sa belle-mère dans sa religion (témoin de Jehova). Lorsque B______ avait cherché à s'en distancer, les tensions avec C______ avaient commencé. Il trouvait que le dépôt d'une plainte était excessif.

G______ a expliqué s'être rendue, le 24 janvier 2022, à l'ancien domicile de A______ pour récupérer des affaires de cette dernière. Sur place, B______ lui avait remis des enveloppes destinées à son épouse, l'une venait de l'avocat de cette dernière et l'autre de son médecin, les deux ayant été ouvertes.

B______ a contesté avoir ouvert ces enveloppes.

k. Des pièces versées au dossier, il ressort notamment que:

- A______ a consulté l'Unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence (ci-après: UIMPV) le 9 septembre 2021, où elle a allégué subir des violences conjugales récurrentes de types psychologique et financière;

- au mois de novembre 2021, elle s'est inscrite à des cours de français pour débutants dispensés par le Service d'action citoyenne de la commune de H______.

l. Le 8 août 2022, soit concomitamment au prononcé de l'ordonnance querellée, le Ministère public a reconnu B______ coupable de violation de secrets privés.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que les déclarations de A______ ne faisaient pas ressortir de propos menaçants à proprement parler de la part de B______, mais plutôt un climat de peur et de contrôle, notamment quant à l'interdiction de travailler, d'apprendre le français, de sortir librement, ainsi que de restrictions financières, le tout dans un contexte empreint de violences verbales et de propos dénigrants. Cela étant, B______ contestait les faits et même si C______ corroborait la version de A______, elle était en conflit avec son père et ne s'était rendue qu'à deux ou trois reprises chez ce dernier. À l'inverse, D______ voyait le couple A______/B______ une fois par semaine et n'avait pas fait état d'une relation d'emprise ni de comportement agressif de son père envers A______. Au surplus, cette dernière disposait d'un téléphone portable et préférait sortir plutôt que rester au domicile conjugal et l'avait d'ailleurs quitté au mois de décembre 2021. Pour apprendre le français, elle avait pu solliciter l'aide de la commune de H______. En outre, elle refusait de divorcer par peur de perdre son titre de séjour. Enfin, elle n'avait pas fait état d'éventuelles atteintes physiques et psychologiques graves en lien avec le comportement allégué de son époux.

D. a. Dans son recours, A______ soutient la réalisation des infractions de contrainte et de menaces. B______ cherchait à l'effrayer et la contrôler, au point qu'elle lui attribuait le pouvoir de la renvoyer en Ukraine. En raison du comportement de son époux, elle avait dû quitter le domicile conjugal en urgence le 13 décembre 2021. Les consultations auprès de l'association F______ ou de l'UIMPV constituaient des indices supplémentaires des contraintes et des menaces subies. Le Ministère public avait, en outre, abusé de son pouvoir d'appréciation en accordant une prépondérance aux déclarations de D______ sur celles de C______. L'existence d'un conflit entre cette dernière et son père ne suffisait pas à écarter son témoignage. En revanche, D______ avait annoncé à sa sœur son intention de "tout foutre en l'air", même en sachant que son père mentait, ce qui permettait de douter de ses dires. Enfin, aucune des deux décisions rendues le 8 août 2022, dont l'ordonnance querellée, ne mentionnaient les rapports sexuels non consentis qu'elle aurait dénoncés.

À l'appui de son recours, elle produit des pièces nouvelles parmi lesquelles:

- une attestation du 11 août 2022 de l'association F______, selon laquelle elle bénéficie d'un suivi depuis le 28 septembre 2021;

- une attestation de suivi ambulatoire du 16 août 2022 de l'UIMPV pour une prise en charge depuis le 9 novembre 2021, en raison d'un "état de stress et d'anxiété";

- un message de D______ reçu le 9 février 2022, lui demandant de pouvoir discuter "d'une chose importante";

- une lettre manuscrite de B______ du 14 février 2022 adressée à sa fille, partiellement caviardée, où il conjure celle-ci de ne pas témoigner le 3 mars suivant;

- une attestation d'aide financière du 16 août 2022 délivrée par l'Hospice général.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et persiste dans l'argumentation de son ordonnance.

c. Dans ses observations, B______ conteste les explications de A______ et la force probante du témoignage de C______.

d.A______ a répliqué.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites à l’appui de cet acte sont également recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             Dans un grief formel qu'il convient d'examiner en premier, la recourante invoque un "déni de justice", reprochant au Ministère public de n'avoir pas traité, dans l'ordonnance querellée, les infractions dénoncées contre son intégrité sexuelle.

2.1.       Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et afin que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. L'autorité doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 p. 46; 142 I 135 consid. 2.1 p. 145).

La motivation peut également être implicite et résulter des différents considérants de la décision. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 p. 565).

Tel n’est toutefois pas le cas en matière de classement implicite, l’absence de décision formelle constituant une atteinte grave aux droits procéduraux des parties, singulièrement à celui d'obtenir un acte motivé. Une telle violation ne peut être guérie dans la procédure de recours stricto sensu; la pratique de la Chambre de céans veut, en pareilles circonstances, que la cause soit renvoyée à l’instance précédente pour qu’elle rende une ordonnance (ACPR/824/2022 du 23 novembre 2022 consid. 4.3.2; ACPR/261/2022 du 21 avril 2022 consid. 4.4 in finecf. également arrêts du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8 et 6B_84/2020 du 22 juin 2020 consid. 2.1.2).

2.2.       En l'espèce, la recourante a allégué, lors du dépôt de sa plainte, subir des contraintes sexuelles et le prévenu a été interrogé par la police à ce sujet. L'instruction ouverte ensuite a porté sur les chefs de contrainte et injure uniquement mais le Ministère public a néanmoins interrogé la recourante sur ses accusations de rapports intimes non consentis, incorporant de la sorte ces faits à l'enquête.

Or, on n'en trouve aucune mention dans la décision déférée, ni dans l'ordonnance pénale prononcée le même jour. Le Ministère public a, en conséquence, ordonné un classement implicite. Ce faisant, il a violé le droit d'être entendu de la recourante, violation que ses observations devant la juridiction de céans sont impropres à réparer.

Partant, le recours se révère fondé sur ce point. La cause sera renvoyée au Ministère public pour qu'il rende une décision formelle concernant les éventuelles infractions à l'intégrité sexuelle de la recourante.

3.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir classé les autres faits dénoncés.

3.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant la mise en accusation n'est établi (let. a) ou si les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 et les références citées). Face à des versions contradictoires des parties, il peut être exceptionnellement renoncé à une mise en accusation lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre version comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêts du Tribunal fédéral 6B_174/2019 du 21 février 2019 consid. 2.2 et les références citées).

3.2.1. Se rend coupable d'injure, au sens de l'art. 177 al. 1 CP, celui qui aura, par la parole, l'écriture, l'image, le geste ou par des voies de fait, attaqué autrui dans son honneur.

3.2.2. Se rend coupable de contrainte selon l'art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, ne pas faire ou à laisser faire un acte.

Au-delà de l'usage de la violence ou de la menace d'un dommage sérieux, il peut également y avoir contrainte lorsque l'auteur entrave sa victime "de quelque autre manière" dans sa liberté d'action. Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N'importe quelle pression de peu d'importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d'un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action. Il s'agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440).

3.2.3. Se rend coupable de menaces celui qui, par une menace grave, alarme ou effraie une personne. L'infraction est poursuivie sur plainte (art. 180 CP).

3.3. En l'espèce, le Ministère public estime que le contexte conflictuel entre le prévenu et sa fille et les visites sporadiques de cette dernière justifiaient de privilégier les déclarations de D______ par rapport à celles de sa sœur. Dans cette mesure, il retient comme non établie la relation d'emprise et les comportements agressifs du prévenu envers la recourante.

À teneur des éléments du dossier, cette appréciation ne peut être suivie.

Premièrement, même si les querelles entre le père et sa fille ne sont vraisemblablement pas récentes, ils entretenaient pour autant des liens familiaux, de l'aveu même du prévenu. La relation semble s'être détériorée, selon les dires de C______, à partir du moment où elle a désapprouvé le comportement de son père envers la recourante. L'intéressé, quant à lui, a déclaré que sa fille avait été "influencée" par la recourante. En résumé, le contexte conflictuel retenu par le Ministère public paraît, en réalité, avoir succédé aux reproches de la fille envers son père en lien avec les faits dénoncés, si bien qu'il ne saurait servir de motif pour discréditer les déclarations de C______.

Deuxièmement, la prénommée a allégué avoir reçu un appel de son frère où celui-ci lui aurait déclaré son intention de tout "foutre en l'air" afin de défendre leur père envers et contre tout. Elle a également reçu une lettre du prévenu la priant de ne pas venir témoigner par-devant le Ministère public. Ces éléments, certes sans pertinence directe pour l'examen des faits dénoncés, laissent néanmoins apparaître une forme de solidarité envers le patriarche de la famille qui commande de prendre avec circonspection les déclarations de D______ notamment.

Par conséquent, il ne se justifie pas de favoriser l'un des témoignages par rapport à l'autre ni, pour cette raison, de considérer comme non établies les accusations de la recourante.

Or, à teneur de celles-ci, le prévenu aurait instauré un climat de peur et de contrôle à la maison, par le biais d'attitudes verbalement agressives et rabaissantes, d'un blocage d'internet ou encore d'une mainmise sur les dépenses courantes du couple. Il aurait, en outre, empêché durant un certain temps la recourante de prendre des cours de français, voire plus généralement de travailler. Enfin, il aurait qualifié celle-ci de "prostituée" notamment, ou lui aurait encore dit "van fan culo".

Même si les déclarations de la recourante sont, quelque peu, décousues, voire contradictoires, il ne peut – en l'état – être écarté que durant un certain temps, elle se serait sentie obligée de respecter les prétendues interdictions du prévenu, par crainte de celui-ci ou par désarroi, faute d'alternative. Quant aux insultes susmentionnées, elles seraient vraisemblablement attentatoires à son honneur.

En résumé, ces comportements seraient, s'ils étaient avérés et sous réserve d'autres éléments inconnus, susceptibles d'être constitutifs de contrainte, respectivement d'injures. Il existe ainsi une prévention pénale suffisante pour s'opposer au classement de la procédure.

Fondé, le recours doit également être admis sur ces aspects.

Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour complément d'instruction, étant précisé qu'il n'appartient pas à la Chambre de céans, comme le conclut à tort la recourante, de renvoyer la cause au Tribunal de police directement.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             La recourante sollicite l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite pour "la suite de la procédure" et pour le recours.

5.1. À défaut de décision préalable, la Chambre de céans n'est pas compétente pour attribuer l'assistance judiciaire applicable aux démarches par-devant le Ministère public, lui-seul pouvant le faire (art. 133 al. 1 CPP).

5.2. À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

L'assistance judiciaire gratuite en faveur de la partie plaignante est limitée à un but précis, à savoir de permettre à cette partie de faire valoir ses prétentions civiles. À cela s'ajoute que la partie plaignante doit être indigente et sa cause ne doit pas être dénuée de toute chance de succès.

Selon les critères déduits de l'art. 29 al. 3 Cst. par la jurisprudence au sujet de la condition de la nécessité de la désignation d'un conseil juridique au lésé, il est considéré, en règle générale, que la procédure pénale ne nécessite que des connaissances juridiques modestes pour la sauvegarde des droits du lésé. Il s'agit essentiellement d'annoncer ses éventuelles prétentions en réparation de son dommage et de son tort moral ainsi que de participer aux auditions du prévenu, des témoins éventuels et de poser, cas échéant, des questions complémentaires. Un citoyen moyen devrait ainsi être en mesure de défendre lui-même ses intérêts de lésé dans une enquête pénale (ATF 123 I 145 consid. 2b/bb, repris dans le Message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1160; ATF 116 Ia 459 consid. 4e; arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2015 du 22 avril 2016 consid. 2.3).

Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que la partie plaignante ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. Il faut tenir compte notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause tant en fait qu'en droit, mais aussi des circonstances personnelles du demandeur, notamment son âge, sa situation sociale, sa formation, son état de santé, sa connaissance de la langue (arrêts du Tribunal fédéral 1B_450/2015 du 22 avril 2016 consid. 2.3 ; 6B_122/2013 du 11 juillet 2013 consid. 4.1.2 ; 1B_26/2013 du 28 mai 2013 consid. 2.3 et 1B_45/2012 du 8 juin 2012 consid. 4.5).

5.3. En l'espèce, la recourante a produit une attestation d'assistance financière de l'Hospice général et ne semble pas disposer d'un revenu mensuel.

Son indigence peut dès lors être admise.

En outre, ses prétentions civiles – bien que non encore formellement déposées – n'apparaissent pas vouées à l'échec, au vu de l'issue du recours.

La nécessité d'un conseil juridique gratuit sera admise pour la procédure de recours, compte tenu notamment du niveau de français de la recourante et notions juridiques discutées.

Ainsi, l'assistance juridique gratuite lui sera accordée pour la procédure de recours et Me I______, actuel conseil de la recourante, désignée en cette qualité.

6. Le conseil de la recourante requiert une indemnisation à hauteur de CHF 1'050.-, sans toutefois fournir un état de frais pour justifier ce montant.

De surcroît, compte tenu du recours de six pages (page de garde et conclusions incluses) et de la réplique, dont les développements utiles à la cause tiennent sur six lignes, l'indemnité réclamée paraît excessive. Elle sera ainsi ramenée à CHF 538.50, correspondant à deux heures trente d'activité, au tarif horaire de CHF 200.- pour une cheffe d'étude (art. 16 al. 1 let. c RAJ), TVA à 7.7% incluse.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de classement rendue le 8 août 2022 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il se prononce sur les actes de contrainte sexuelle dénoncés et qu'il poursuive l'instruction pour le surplus.

Met A______ au bénéfice de l'assistance juridique pour la procédure de recours et désigne Me I______ en qualité de conseil juridique gratuit.

Alloue à Me I______, à la charge de l'État, pour l'activité déployée en seconde instance, une indemnité de CHF 538.50 (TVA de 7.7% incluse).

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______ et B______, soit pour eux leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).