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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2211/2024

JTAPI/597/2025 du 02.06.2025 ( ICCIFD ) , ADMIS

Descripteurs : VENTE D'IMMEUBLE;GAIN EN CAPITAL;ACTIVITÉ LUCRATIVE INDÉPENDANTE
Normes : LIFD.18; LIFD.16.al3; LHID.12.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2211/2024 ICCIFD

JTAPI/597/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 2 juin 2025

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par Mes Nicolas MERLINO et Didier MANGER, avocats, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne la taxation 2021 de Madame A______ et Monsieur B______.

2.             Par acte authentique du 22 janvier 1985, Monsieur C______, père de Monsieur D______ et de son frère, Monsieur B______, a acquis un immeuble locatif de douze logements sis à l’avenue E______ n°1______ à Genève (ci-après : l’immeuble) pour le prix de CHF 770'000.-.

3.             Le _______ 1985, la société F______ SA a été inscrite au Registre du commerce (ci-après : RC) par apport en nature de l’entreprise individuelle G______, H______, selon bilan au 31 décembre 1984. Jusqu’en 2004, M. C______ en a été l’un des administrateurs avec signature individuelle. En 2004, il a été radié du RC.

4.             En 2019, au décès de leur père, le contribuable et son frère (ci-après : les consorts F______) sont devenus propriétaires en mains communes de l’immeuble ; leur quote-part respective de ce bien s’est élevée à 5/8ème et à 3/8ème.

5.             Par acte authentique du 15 avril 2021, les consorts F______ ont vendu l’immeuble à une société tierce pour le prix de CHF 4.1 millions.

6.             Le 22 avril 2021, le notaire ayant instrumenté la vente susmentionnée a rempli la formule de déclaration pour l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers, indiquant que la vente en question relevait du commerce professionnel d’immeubles. Le gain immobilier se montait à CHF 1'172'851.-.

7.             Le 30 août 2021, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), a délivré au notaire une attestation de consignation d’un montant de CHF 404'633.60.

8.             Le 22 décembre 2022, les consorts F______, ainsi que la compagne du I______ sont convenus du partage de la succession du précité, en conformité de ses dispositions testamentaires. Celle-ci prévoyait l’octroi d’un legs de CHF 500'000.- en faveur de la prénommée. En outre, Monsieur D______ était renvoyé à sa réserve et la quotité disponible, attribuée à Monsieur B______.

9.             Étant donné que les contribuables n’ont pas retourné leur déclaration fiscale 2021, l’AFC-GE les a taxés d’office, par bordereaux du 15 mai 2023.

10.         Le 19 juin 2023, les contribuables ont élevé réclamation à l’encontre de ces bordereaux en contestant la qualification commerciale de la vente du 15 avril 2021 effectuée par l’AFC-GE. Ils ont joint leur déclaration fiscale 2021.

11.         Après avoir mené une instruction, l’AFC-GE a admis partiellement la réclamation et a notifié aux prénommés des bordereaux de taxation rectificatifs, en ajoutant un revenu de l’activité indépendante de CHF 1'882'371.-, représentant la part du contribuable au bénéfice de la vente de l’immeuble.

12.         Le 24 octobre 2023, les contribuables ont élevé réclamation à l’encontre des bordereaux du 15 mai précédent.

L’immeuble appartenait à la fortune privée du de cujus, qui l’avait acquis dans le but d’assurer sa subsistance.

13.         Par décisions du 22 mai 2024, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.

Feu le père du contribuable devait être qualifié de professionnel de l’immobilier, étant donné ses connaissances de ce milieu et les ventes qu’il avait réalisées durant de longues périodes. Le bien aliéné faisait partie de sa fortune commerciale eu égard à son lien avec la société F______ SA. Puisque le contribuable avait hérité d’un bien commercial, la vente de cet objet devait être considérée comme professionnelle.

14.         Par acte du 24 juin 2024, les contribuables, sous la plume de leur conseil, ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre des décisions des 22 mai précédent en demandant que la vente du 15 avril 2021 soit qualifiée de privée, le tout sous suite de dépens.

En 2006, le de cujus, chauffagiste de profession, avait acquis sa résidence principale en Valais. Il en avait donné la nue-propriété à sa compagne, tout en s’en réservant l’usufruit jusqu’à son décès. En 2016, il avait fait donation de deux biens immobiliers sis à J______ à Monsieur B______. Feu M. F______ avait acheté l’immeuble alors qu’il avait cessé son activité indépendante. La fonction effective de ce bien, pour ce dernier et ses fils, avait consisté à générer un revenu locatif, lequel avait été imposé au titre de rendement de la fortune privée.

Les douze appartements de l’immeuble avaient été mis en location sans interruption de 1985 jusqu’à la vente de 2021. Le défunt et ses héritiers s’étaient contentés de gérer ce bien par l’intermédiaire d’une régie, sans tenir de comptabilité. Une telle utilisation relevait donc de l’administration de la fortune privée. Puisqu’il convenait d’effectuer l’analyse fiscale au moment de la vente, il devait être fait abstraction des 17 ventes effectuées par feu M. F______ entre 1995 et 2012. Le fait que le I______ ait été considéré comme un commerçant d’immeubles n’empêchait pas que la vente du bien en cause puisse être considérée comme un acte d’administration de la fortune privée. L’appartenance de l’immeuble à la fortune privée du défunt n’avait pas été modifiée par la dévolution successorale. L’AFC-GE avait toujours admis la qualification privée de ce bien par les consorts F______.

Le I______ avait acquis l’immeuble sans intention de le revendre le plus rapidement possible, ni d’exploiter le marché. Il l’avait détenu de 1985 à 2019, soit durant 34 ans. La dernière vente qu’il avait effectuée avait eu lieu en 2012, soit 7 ans avant son décès. Enfin, les derniers travaux de rénovations dataient de 1988, de sorte que ce bien n’avait pas été valorisé en vue de sa revente. Puisque chaque transaction devait être analysée pour elle-même et qu’un commerçant d’immeubles pouvait occasionnellement acquérir un immeuble à titre privé, les 17 ventes réalisées entre 1995 et 2012 ne constituaient pas un indice suffisant pour qualifier la transaction litigieuse de commerciale.

L’immeuble avait été acquis en nom par le de cujus, et non dans le cadre d’une société simple ou d’une copropriété. Le fait que F______ SA ait effectué des prestations sur l’immeuble ne constituait pas un indice d’appartenance à la fortune commerciale. Cette société était uniquement active dans l’installation et la réparation de chauffages et de ventilations. La partie de son but social qui comprenait le secteur de la construction avait été ajouté deux ans après le départ à la retraite du défunt. Il ne pourrait lui être reproché d’avoir été le client de sa propre société.

Le prix d’acquisition de l’immeuble payé en 1985, de même que les travaux de rénovation, effectués en 1988, n’avaient pas été financé au moyen de fonds étrangers, ces derniers l’avaient été grâce aux revenus locatifs. L’immeuble constituait le seul bien immobilier du défunt à sa mort. Enfin, vu le faible montant des rentes AVS et LPP perçues par l’intéressé, qui se montaient à CHF 3'187.50 par mois, les revenus locatifs servaient objectivement à couvrir ses besoins de subsistance, leur conférant un caractère de prévoyance.

15.         Dans sa réponse du 28 octobre 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Il était indéniable que le défunt était un professionnel de l’immobilier étant donné ses connaissances spécifiques dans le domaine et au vu du grand nombre de ventes réalisées. De ce fait, l’immeuble litigieux était présumé appartenir à sa fortune commerciale, qualification dont avait hérité le contribuable.

Il était déterminant que le père du précité avait orchestré 17 ventes jusqu’à son décès. Ces opérations avaient été effectuées en association avec des commerçants notoires. Il entretenait ainsi des liens étroits avec le secteur. Il était en effet administrateur de la société F______ SA. Les 17 transactions en question démontraient le caractère systématique et planifié des opérations entreprise par le précité. Ces indices allaient dans le sens d’une nature commerciale de la vente.

La durée de possession, de trente-six ans, ne plaidait pas forcément en faveur d’une qualification privée, cet élément pouvant simplement signifier que le défunt n’avait pas bénéficié d’une opportunité. Elle n’excluait pas le caractère commercial étant donné les circonstances du cas d’espèce.

Selon les comptes de gestion de l’immeuble des années 2007 à 2014, ainsi que 2016 à 2019, F______ SA était intervenue pour des travaux sur l’immeuble. Ainsi, il existait une relation étroite avec l’activité professionnelle du défunt, ce qui constituait un indice supplémentaire en faveur de la qualification commerciale du bien. Au 31 décembre 2002, l’immeuble, d’une valeur fiscale de CHF 1'211'143.-, était grevé d’une dette hypothécaire de CHF 1'091'376.-. Le recourant prétendait toutefois que le bien n’avait pas été acquis moyen de fonds étrangers et qu’une telle source de financement n’avait pas servi à payer les travaux de rénovation.

Le défunt s’était associé à des professionnels de l’immobilier pour réaliser de nombreuses vente entre 1995 et 2012. En outre, selon la plate-forme de suivi administratif des autorisations de construire, une rénovation des combles de l’immeuble avait eu lieu en 1995 et une rénovation d’un appartement au quatrième étage, en 2019. Ces travaux avaient eu pour effet de valoriser le bien en cause.

Le recourant soutenait que l’immeuble aurait été acquis pour les besoins de la prévoyance du défunt. Cependant, un immeuble commercial pouvait également servir à la prévoyance. Par ailleurs il était difficile d’imputer une telle intention au I______ en 1985.

Enfin, un montant de CHF 404'633.60 avait été consigné en 2021, après que la vente avait été déclarée comme professionnelle.

En annexe étaient produites des pièces soumises au secret fiscal.

16.         Par réplique du 20 janvier 2025, les contribuables ont conclu, préalablement, à ce que l’AFC-GE produise toutes les pièces relatives aux transactions opérées par le I_____ entre 1995 et 2012. Principalement, ils ont demandé que la vente de l’immeuble soit qualifiée de privée, le tout sous suite de dépens.

Pour le surplus, ils ont repris, en les développant, les arguments exposés dans leurs précédentes écritures.

Hormis le bien litigieux, seuls deux immeubles avaient appartenu au défunt, tous deux sis à J______, à la rue de K______ n°2______, respectivement à la rue L______ n°3______.

L’AFC-GE alléguait, se fondant sur des pièces couvertes par le secret fiscal, que le I______ avait procédé à 17 ventes entre 1995 et 2012. Le contenu essentiel de ces documents devait leur être communiqué. En cas de refus, le tribunal ne devait pas en tenir compte.

Dans sa réponse, l’AFC-GE avait accordé une place disproportionnée à l’existence d’immeubles commerciaux détenus précédemment par le de cujus.

Le caractère systématique et planifié devait s’analyser du point de vue de l’immeuble en cause et non pas des autres ventes réalisées par le de cujus. Or, celui-ci n’avait jamais vendu le bien litigieux. Il avait cessé son activité dépendante en 2004 en tant qu’employé et d’administrateur de F______ SA. Depuis lors, il ne disposait plus d’aucun pouvoir décisionnel dans la gestion de cette entreprise. Or, les travaux auxquels l’AFC-GE faisait référence concernait les années 2007 à 2019, soit durant une période durant laquelle il n’avait plus aucun pouvoir de décision.

Il ne pouvait être avancé que F______ SA était intervenue pour effectuer des travaux dans l’immeuble, dès lors que selon les comptes de gestion de l’immeuble, les factures de cette société ne représentaient qu’une faible partie des charges, à savoir 4.05 % en moyenne annuelle entre 2008 et 2021.

Les travaux de rénovation entrepris en 1995, 2015 et 2019, dans trois des douze logements, ne pouvaient avoir augmenté la valeur du bien. Il était très probable que l’augmentation de valeur de ces appartements n’avait pas compensé la perte de valeur des autres logements, qui n’avaient pas été rénovés. Ces rénovations s’inscrivaient dans un but de conservation de la valeur de l’immeuble, voire de limitation de perte de sa valeur.

Le décès de M. C______ rendait impossible la détermination absolue de ses intentions. Cependant, dans un tel cas, la jurisprudence imposait l’application du degré de preuve de la vraisemblance prépondérante.

17.         Dans sa duplique du 26 février 2025, l’AFC-GE a persisté dans les termes et les conclusions de sa réponse.

Elle a communiqué la teneur essentielle des pièces soumises au secret fiscal, en décrivant les 17 ventes effectuées dans le canton de Genève par le I______ entre 1995 et 2007, toutes qualifiées de commerciales hormis celle de son domicile. Figurait également une information relative à une vente commerciale réalisée dans le canton de Vaud.

18.         Par mémoire complémentaire du 14 mars 2025, les recourants ont notamment fait grief à l’autorité intimée de n’avoir produit que des informations lacunaires. La qualification commerciale des opérations réalisées par son père entre 1995 et 2012 n’était pas remise en cause.

19.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Le recourant soutient que la vente de l’immeuble sis à l’avenue E______ n°1______ relève de la gestion de sa fortune privée, si bien que le bénéfice en résultant n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu.

4.             Les art. 16 LIFD et de 17 la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) prévoient que l'impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu'ils soient uniques ou périodiques. Tel est le cas des produits de l’activité lucrative indépendante (art. 18 LIFD ; art. 19 LIPP). En revanche, les gains en capital réalisés lors de l'aliénation d'éléments de la fortune privée ne sont pas imposables (art. 16 al. 3 LIFD et 27 let. j LIPP).

Les cantons doivent toutefois percevoir un impôt sur les gains immobiliers privés. Celui-ci a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d’un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses), (art. 12 al. 1 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 LHID - RS 642.14).

En droit genevois, l’IBGI a pour objet le bénéfice net provenant de l’aliénation d’immeubles ou de parts d’immeubles sis dans le canton, ainsi que certains gains que ces immeubles procurent sans aliénation (art. 80 al. 1 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 - LCP - D 3 05). Les taux d’imposition, prévus par l’art. 84 LCP sont fixés en fonction de la durée de la possession et sont dégressifs ; en particulier, ce taux est nul lorsque le contribuable a été propriétaire de l’immeuble durant vingt-cinq ans ou plus (art. 84 al. 1 let. g LCP dans sa teneur en vigueur en 2021).

5.             Selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_937/2019 du 8 juin 2020 consid. 8.1), la fortune commerciale comprend, aux termes de l'art. 18 al. 2 LIFD, tous les éléments de fortune qui servent, entièrement ou de manière prépondérante, à l'exercice de l'activité lucrative indépendante. Pour déterminer s'il y a lieu d'attribuer un bien à la fortune privée ou commerciale, il convient d'apprécier dans chaque cas l'ensemble des circonstances. L'attribution d'immeubles (ou d'une partie de ceux-ci) à la fortune commerciale ou à la fortune privée du contribuable doit également se faire sur la base de leur fonction technique et économique globale.

6.             Ce qui est déterminant dans le cas de la distinction entre un gain privé en capital (non imposable sur le revenu) et un bénéfice commercial en capital provenant de l'exercice d'une activité lucrative indépendante (imposable sur le revenu), ce sont les circonstances concrètes du cas, telles qu'elles se présentent au moment de l'aliénation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_918/2021 du 18 février 2022 consid. 3.2 et les références).

7.             De jurisprudence constante, la distinction entre un gain privé en capital (non imposable sur le revenu) et un bénéfice commercial en capital provenant de l'exercice d'une activité lucrative indépendante (imposable sur le revenu), dépend des circonstances concrètes du cas. La notion d'activité lucrative indépendante s'interprète largement, de telle sorte que sont seuls considérés comme des gains privés en capital exonérés de l'impôt sur le revenu ceux qui sont obtenus par un particulier de manière fortuite ou dans le cadre de la simple administration de sa fortune privée. En revanche, si l'activité du contribuable excède ce cadre relativement étroit et est orientée dans son ensemble vers l'obtention d'un revenu, l'intéressé est réputé exercer une activité lucrative indépendante dont les bénéfices en capital sont imposables. Une telle qualification peut se justifier, selon les cas, même en l'absence d'une activité reconnaissable pour les tiers et/ou organisée sur le modèle d'une entreprise commerciale, et même si cette activité n'est exercée que de manière accessoire ou temporaire, voire même ponctuelle (arrêt du Tribunal fédéral 9C_81/2023 du 18 septembre 2023 consid. 5.2 et les arrêts cités).

8.             C'est avant tout en lien avec les transactions effectuées par les particuliers sur des immeubles ou sur des titres que la jurisprudence a été amenée à dégager des critères permettant de tracer la limite entre les gains (privés) en capital et les bénéfices (commerciaux) en capital. Elle a notamment considéré que valent comme indices d'une activité lucrative indépendante dépassant la simple administration de la fortune privée les éléments suivants : le caractère systématique et/ou planifié des opérations, la fréquence élevée des transactions, la courte durée de possession des biens avant leur revente, la relation étroite entre l'activité indépendante (accessoire) supposée et la formation et/ou la profession (principale) du contribuable, l'utilisation de connaissances spécialisées, l'engagement de fonds étrangers d'une certaine importance pour financer les opérations, le réinvestissement du bénéfice réalisé ou encore la constitution d'une société de personnes. Chacun de ces indices peut conduire, en concours avec les autres voire même - exceptionnellement - isolément s'il revêt une intensité particulière, à la reconnaissance d'une activité lucrative indépendante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_81/2023 précité consid. 5.2 et les arrêts cités).

9.             En revanche, il n'y a pas d'activité lucrative indépendante ou de commerce professionnel d’immeubles lorsque l'on se contente de gérer sa propre fortune, notamment en louant ses propres biens immobiliers. Le fait que la fortune soit importante, gérée de manière professionnelle et que des comptes commerciaux soient tenus n'y change rien (arrêt du Tribunal fédéral 2C_702/2020 du 21 avril 2022 consid. 2.3).

10.         Dans sa jurisprudence (arrêt 2A.52/2003 du 23 janvier 2004 consid. 2.5 et les réf., traduit in = RDAF 2005 II 109) le Tribunal fédéral a rappelé que la location de grands immeubles d'habitation est considérée comme de l'administration de fortune, même si le bailleur a l'obligation d'entretenir les appartements et de chercher, si besoin est, de nouveaux locataires. La location d'appartements meublés ne constitue pas non plus une activité lucrative indépendante lorsque les travaux effectués dans ce contexte, comme c'est le cas pour les travaux d'entretien, ont principalement pour but de réaliser un revenu grâce à l'objet du bail. La location d'appartements (non meublés) sis dans un immeuble de placement constitue de l'administration de fortune privée tant et aussi longtemps que cette activité se limite à la réalisation de revenus sans avoir de caractère commercial. Le raisonnement est le même pour la location de locaux commerciaux. La location a en revanche un caractère commercial lorsque cette activité dépasse la simple administration de bâtiments. Le Tribunal fédéral a admis également l'administration de fortune privée dans l'hypothèse d'un immeuble comportant une trentaine d'appartements dont le propriétaire s'était limité - sans les astreignances propres à la vente - à gérer les appartements de telle manière qu'il puisse régulièrement réaliser un revenu. Enfin, la location de ses propres immeubles n'est pas exercée en la forme commerciale du seul fait que la fortune à administrer est volumineuse et que le propriétaire tient, pour cette raison, une comptabilité.

11.         Les opérations immobilières d'un contribuable peuvent être d'emblée considérées comme commerciales lorsqu'elles sont en relation avec sa profession. Cette relation est directe lorsque l'opération a pour but de procurer du travail au contribuable ou à son entreprise ou que celui-ci utilise les connaissances qu'il a acquises dans sa profession principale. C'est le cas de personnes qui exercent l'un des métiers du bâtiment, c'est-à-dire des entrepreneurs, des architectes, des gypsiers-peintres, des installateurs de chauffage et autres maîtres d'état, ainsi que celles dont la profession est en rapport direct avec l'exploitation d'immeubles, telle que les gérants d'immeubles. Il est indifférent que l'opération ait effectivement procuré un travail au contribuable ou que celui-ci ait revendu l'immeuble sans transformation (ATA/977/2021 du 21 septembre 2021 consid. 6).

12.         En ce qui concerne les commerçants d’immeubles, il y a lieu de distinguer trois sortes d’immeubles, à savoir ceux destinés à la vente et constituant ainsi des marchandises commerciales (actifs circulants), les immeubles d’exploitation, c’est-à-dire des immobilisations servant directement à l’exploitation, ainsi que les immeubles de placement Alors que l’affectation à la fortune commerciale est évidente pour les actifs circulants et les immeubles d’exploitation, la qualification des immeubles de placement s’avère difficile. Si un immeuble constitue la réserve pour l’exploitation commerciale d’immeubles, il fait partie de la fortune commerciale (arrêt du Tribunal fédéral 2A.667/2006 du 16 février 2007 consid. 3.2 = StR 62, p. 914, 916). Si tel n’est pas le cas, un tel immeuble peut éventuellement être considéré comme faisant partie de la fortune privée du commerçant immobilier (arrêt 2C_866/2016 du 6 juin 2017 consid. 4 ; plusieurs unités d’étage d’un commerçant d’immeubles ont été qualifiées de fortune privée, car les objets ont toujours été déclarés comme fortune privée, conservés pendant une longue période et n’y ont jamais été amortis (arrêt du Tribunal fédéral 2A.667/2006 du 16 février 2007 consid. 3.2 = StR 62, p. 914, 916).

13.         L'appartenance d'un bien à la fortune commerciale ou privée n'est pas modifiée par une dévolution successorale. Les actifs de la fortune commerciale du I______ demeurent commerciaux auprès de ses héritiers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_937/2019 du 8 juin 2020 consid. 8.1).

14.         Selon la jurisprudence, lorsque, par exemple, le contribuable acquiert un immeuble à hauteur de 95 % par des fonds étrangers, le seul fait qu’il ait gardé cet immeuble dix ans en sa possession, soit une durée relativement longue, ne suffit pas à contrebalancer les autres éléments permettant de considérer qu’il a dépassé le cadre de l'administration courante de sa fortune privée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_918/2021 du 18 février 2022 consid. 3.5). Une durée de possession de trente-cinq ans n’est pas non plus suffisante pour exclure le caractère commercial d’une opération immobilière, dans la mesure où le contribuable est actif dans le domaine immobilier et participe au projet en partenariat avec des professionnels de l'immobilier, mais pas pour ses besoins purement privés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_419/2020 du 23 novembre 2020 consid. 5.4.2).

15.         Il convient donc d’admettre être en présence d’une activité lucrative lorsqu’un contribuable acquiert un bien patrimonial non pas seulement aux fins d’investir sa fortune privée ou pour profiter d’une occasion qui s’est présentée fortuitement à lui, mais dans l’intention manifeste de le revendre si possible rapidement avec un bénéfice. Il en va de même lorsqu’il s’efforce, comme un entrepreneur indépendant agissant dans le cadre d’une activité principale ou accessoire, d’utiliser le développement d’un marché pour réaliser un bénéfice. Un autre indice en faveur d’une activité lucrative au sens de la jurisprudence est le fait que le contribuable constitue, pour une transaction immobilière déterminée, une société simple (consortium de construction) avec une personne qui y participe dans l’exercice de sa profession et qui, à ce titre, dirige l’entreprise pour le compte des deux partenaires et d’entente avec lui. Un contribuable qui, dans un tel cas, ne participe qu’avec une mise de fonds à la réalisation du but lucratif commun doit se laisser imputer les activités effectuées à titre professionnel par le directeur des travaux pour le compte de tous les participants, comme s’il s’était agi de sa propre activité lucrative (ATA/983/2015 du 22 septembre 2015 consid. 9d).

16.         Les capacités professionnelles et connaissances spécialisées en matière d'immeubles sont attestées notamment par la formation d'ingénieur civil, mais surtout par l’activité en tant qu'administrateur au sein d’une société ayant pour but notamment la promotion immobilière (arrêt du Tribunal fédéral 2C_918/2021 du 18 février 2022 consid. 3.5). La jurisprudence a également admis que, dans le cadre de l'analyse relative au commerce professionnel d'immeubles, un architecte disposait de capacités professionnelles et de connaissances spécialisées en matière d'immeubles qui pouvaient être mises à profit dans le cadre de la gestion de ceux-ci (ATF 112 Ib 79 consid. 2a).

17.         En l’espèce, le I______ exerçait le métier de chauffagiste. Il disposait dès lors de connaissances dans le domaine de l’immobilier. Entre 1995 et 2007, il a participé à 17 ventes dans le canton de Genève, dont il n’est pas contesté que toutes – hormis celle de son domicile privé – ont été qualifiées de professionnelles. Il a également réalisé une vente commerciale dans le canton de Vaud. Dès lors, il pourrait être considéré comme un professionnel du secteur et ainsi, l’immeuble sis à l’avenue E______ n°1______ serait censé faire partie de sa fortune commerciale. Il s’ensuit également que le caractère commercial de ce bien n’aurait pas été modifié lors de la dévolution successorale. Ainsi, la vente intervenue 15 avril 2021 est présumée présenter un caractère professionnel et non pas privé.

Cela étant, le simple fait que le I______ puisse être qualifié de professionnel de l’immobilier n’exclut pas que, par ailleurs, il puisse disposer d’une fortune immobilière privée.

Pour le de cujus, le bien en cause peut difficilement être considéré comme un immeuble destiné à la vente, puisque l’intéressé a conservé ce bien durant trente-quatre ans. Il ne peut pas davantage être qualifié d’immeuble d’exploitation, étant donné qu’il était entièrement loué et qu’il n’a pas abrité l’entreprise de l’intéressé. Dès lors, il doit être qualifié d’immeuble de placement, susceptible d’appartenir à sa fortune privée.

Ainsi qu’il ressort de l’acte authentique du 22 janvier 1985, le précité a acquis seul la propriété du bien en cause et pour son propre compte. Il ne s’est ainsi pas, au moment de l’acquisition ou ultérieurement, associé avec des professionnels, en vue de procéder à une mise en valeur de l’immeuble et pour le revendre à brève échéance avec un bénéfice. Il n’est pas pertinent qu’il se serait joint à d’autres professionnels de l’immobilier pour réaliser les ventes entre 1995 et 2012 et ce, précisément parce qu’un professionnel de l’immobilier peut également être propriétaire de biens qualifiés de privés. Le fait qu’un propriétaire effectue des travaux d’entretien dans les appartements de son immeuble, en l’occurrence en 1995, 2015 et 2019, ne saurait avoir pour conséquence de le qualifier de professionnel de l’immobilier, ce d’autant que certains travaux sont obligatoires de par la loi.

Le recourant prétend, sans être contredit sur ce point, que son père a mis en location l’immeuble dès son acquisition. L’AFC-GE produit les comptes de gestion 2007 à 2019, indiquant que les documents des années antérieures ne sont plus en sa possession. Or, la simple location de ses propres immeubles, selon la jurisprudence, relève de l’administration de sa fortune privée. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’acquisition de l’immeuble aurait été financée par des fonds étrangers.

Le I______ a acquis le bien en question en 1985 et l’a conservé dans son patrimoine jusqu’à son décès en 2019, soit durant trente-quatre ans. Ses fils l’ont gardé durant deux ans. De l’avis de l’autorité intimée, une telle durée de possession ne plaide pas forcément en faveur d’une qualification privée, cet élément pouvant simplement signifier que le défunt n’a pas bénéficié d’une opportunité. Une telle argumentation peut difficilement être suivie. En effet, le tribunal peine à croire qu’en trente-quatre ans, le de cujus, professionnel de l’immobilier, n’ait jamais rencontré une quelconque occasion de revendre l’immeuble avec un bénéfice, si telle en avait réellement été son intention. Il convient au contraire de retenir que la longue durée de possession dénote que l’intéressé n’a pas acquis le bien en question en vue de le revendre à bref délai avec un gain, mais au contraire d’effectuer un placement. Cette circonstance constitue un indice en faveur de l’appartenance de l’immeuble à sa fortune privée.

L’AFC-GE soutient, en se fondant sur les comptes de gestion de l’immeuble des années 2007 à 2014, ainsi que 2016 à 2019 que F______ SA est intervenue pour des travaux sur l’immeuble. Dès lors, il existe un lien étroit avec l’activité professionnelle du I______, ce qui constitue un indice en faveur de la qualification commerciale du bien. À nouveau, l’autorité intimée ne peut être suivie. En effet, depuis 2004, le I______ n’exerçait plus aucune fonction dans cette entreprise, puisqu’il a été radié du RC. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il aurait conservé des intérêts dans cette société. Ses deux fils n’ont jamais été inscrit au RC et aucune des parties ne prétend qu’ils auraient exercé une activité pour cette entreprise. Dès lors, il n’est pas possible de retenir que le I______ a acquis l’immeuble en vue de procurer du travail à F______ SA.

Enfin, aucun indice ou pièce du dossier ne permet de remettre en doute que l’intention du recourant, en réalisant la vente, était uniquement celle de répondre à son obligation résultant de la convention du 22 décembre 2022, soit de verser à la compagne du de cujus, la somme de CHF 500'000.-, dont il était codébiteur.

Au vu de ce qui précède, les éléments plaidant pour une qualification de l’appartenance de l’immeuble à la fortune privée du I______– qui a perduré au décès de celui-ci – l’emportent sur ceux tendant à inclure ce bien dans la fortune commerciale du précité. Il s’ensuit que la vente du 15 avril 2021 revêt un caractère privé et n’est pas soumise à l’impôt ordinaire sur le revenu.

Aucun IBGI n’est dû sur la vente question, étant donné qu’il s’est écoulé plus de vingt-cinq ans entre l’acquisition de l’immeuble par le I______ et sa revente par ses héritiers (art. 84 al. 1 let. g LCP ; JTAPI/389/2019 du 29 avril 2019 consid. 6).

Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis.

18.         Vue l’issue du litige, la conclusion des recourants tendant à la transmission des pièces portant sur les ventes opérées par le de cujus, devient sans objet.

19.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui obtiennent gain de cause, sont dispensés du paiement d’un émolument. L’avance de frais de CHF 700.-, versée à la suite du dépôt du recours, leur est restituée.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'200.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 24 juin 2024 par Madame A______ et Monsieur B______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 22 mai 2024 ;

2.             l'admet ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelles décisions de taxation dans le sens des considérants ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution aux recourants de l’avance de frais de CHF 700.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1'200.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Kristina DE LUCIA, présidente, Jean-Marie HAINAUT et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Kristina DE LUCIA

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier