Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/828/2025 du 29.10.2025 ( LAA )
En droit
| rÉpublique et |
| 1.1canton de genÈve |
| POUVOIR JUDICIAIRE
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| A/3519/2025 ATAS/828/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
| Arrêt incident du 29 octobre 2025 Chambre 6 | ||
En la cause
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A______ Représentée par Me Thierry STICHER, avocat
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recourante |
contre
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ALLIANZ SUISSE SOCIÉTÉ D'ASSURANCES SA Représentée par Me Sara A. GIARDINA, avocate
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intimée |
A. a. A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1969, exerçait comme aide-soignante auprès de la FONDATION B______(ci‑après : l’employeur) depuis le 1er mars 2008 et était assurée à ce titre contre les risques accidents auprès de l’ALLIANZ SUISSE SOCIÉTÉ D’ASSURANCES SA (ci‑après : l’assurance).
b. Le 5 juillet 2021, l’employeur a déclaré un accident à l’assurance, survenu le 28 juin 2021, en mentionnant que l’assurée s’était blessée à l’épaule alors qu’elle effectuait un transfert d’une résidente, du lit au fauteuil, et avait consulté un médecin le 30 juin 2021, vu l’accentuation des douleurs.
B. a. Par décision du 13 septembre 2021, l’assurance a nié l’existence d’un accident et d’une lésion corporelle assimilée à un accident, de sorte qu’aucune prestation n’était due. Cette décision a été confirmée sur opposition le 17 novembre 2022.
b. Le 13 décembre 2022, l’assurée, représentée par un avocat, a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice à l’encontre de la décision précitée, en concluant à son annulation et à la prise en charge par l’assurance des prestations ; préalablement, elle a requis une expertise judiciaire.
c. Par arrêt du 19 juin 2023 (ATAS/468/2023), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice a admis partiellement le recours interjeté par l’assurée, représentée par un avocat, à l’encontre de la décision de l’assurance du 27 novembre 2022, l’a annulée et a renvoyé la cause à celle-ci, dans le sens des considérants. L’assurance devait examiner le droit aux prestations de l’assurée, avec mise en œuvre d’une expertise administrative dans le cas où elle entendait nier l’existence d’un lien de causalité entre l’accident et les lésions de l’assurée.
d. À la demande de l’assurance et d’entente avec l’assurée, le Professeur C______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, a été mandaté pour effectuer une expertise orthopédique.
e. Le 20 août 2024, le Prof. C______ a rendu son rapport d’expertise.
f. Le 13 février 2025, le Prof. C______ a rendu un complément d’expertise, à la demande de l’assurance.
g. Le 25 juillet 2025, l’assurance a informé l’assurée que l’expertise du Prof. C______ ne lui permettait pas de se déterminer et qu’une seconde expertise orthopédique était proposée qui serait confiée au docteur D______ ou au CEMEDEX.
h. Le 20 août 2025, l’assurée s’est opposée à l’ordonnance d’une nouvelle expertise, en considérant que celle du Prof. C______ était probante. Subsidiairement, elle demandait que l’expertise soit confiée au docteur E______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur et chirurgie de l’épaule et du coude.
i. Par décision incidente du 10 septembre 2025, l’assurance a confié une expertise au Dr D______. L’effet suspensif à un éventuel recours était retiré.
C. a. Le 6 octobre 2025, l’assurée a recouru auprès de la chambre de céans à l’encontre de la décision précitée, en concluant, préalablement, à la restitution de l’effet suspensif au recours, principalement, à l’annulation de la décision litigieuse et à ce qu’il soit dit que l’assurance doit rendre une décision sur son droit aux prestations, dans un délai de 30 jours, subsidiairement, à ce qu’il soit dit que la désignation d’un expert devra faire l’objet d’un choix consensuel des parties et au renvoi de la cause à l’assurance dans ce sens.
b. Le 22 octobre 2025, l’assurance a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif au recours.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.
1.3 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est prima facie recevable (art. 56 et 60 de la LPGA ; art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [(LPA - E 5 10)].
2.
2.1 Depuis le 1er janvier 2021, les art. 49 al. 5 et 52 al. 4 LPGA prévoient que l’assureur peut, dans sa décision ou dans sa décision sur opposition, priver toute opposition ou tout recours de l’effet suspensif, même si cette décision porte sur une prestation en espèces. Les décisions et les décisions sur opposition ordonnant la restitution de prestations versées indûment sont exceptées.
Selon le message du Conseil fédéral du 2 mars 2018 concernant la modification de la LPGA (FF 2018 1597), l’art. 49 al. 5 LPGA correspond à l’ancien art. 97 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10), en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, qui s’appliquait par analogie à l’assurance-invalidité et aux prestations complémentaires (cf. art. 66 LAI et 27 de la loi fédérale sur les prestations complémentaires du 6 octobre 2006 [LPC – RS 831.30] dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020), et selon la jurisprudence, également par analogie à l’assurance-chômage et à l’assurance-maladie. Il était alors possible, par une application étendue de l’art. 55 al. 2 de la loi du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA - RS 107.021) en relation avec l’art. 55 al. 1 LPGA, de priver de l’effet suspensif tout recours éventuel contre une décision qui ne portait pas sur une prestation en espèces. De plus, conformément à la jurisprudence et à la majorité de la doctrine, mais contrairement à la lettre de la loi, seule une décision qui engageait son destinataire à une prestation en espèces était considérée comme une décision portant sur une prestation en espèces. Par conséquent, les décisions d’octroi de prestations des assurances sociales ne constituaient pas des décisions portant sur une prestation en espèces au sens de la PA. Si une prestation en espèces (durable ou non) était interrompue ou réduite, l’effet suspensif pouvait donc être retiré. Le Conseil fédéral a estimé que pour prévenir tout flou juridique dans ce domaine – puisqu’il est courant, dans les assurances sociales, de qualifier de prestations en espèces des prestations comme les rentes, les indemnités journalières, l’allocation pour impotent, etc. (cf. à ce sujet la définition des prestations en espèces à l’art. 15 LPGA) –, il était nécessaire d’élaborer une base légale claire pour toutes les assurances sociales soumises à la LPGA. La nouvelle réglementation assure ainsi la sécurité juridique et elle est essentielle, notamment en lien avec la règle relative à la suspension des prestations à titre provisionnel prévue par le nouvel art. 52a LPGA, entré en vigueur le 1er janvier 2021. La pratique fondée sur l’ATF 130 V 407, qui n’autorise pas le retrait de l’effet suspensif en cas de créances en restitution de prestations indûment perçues, n’est en revanche pas modifiée en vertu de cette harmonisation de la LPGA (cf. art. 49 al. 5 2e phrase LPGA).
Les dispositions de la PA continuent à s’appliquer pour les questions liées à l’effet suspensif qui ne sont pas réglées par l’art. 49 al. 5 LPGA (cf. art. 55 al. 1 LPGA). Le juge saisi du recours peut restituer l'effet suspensif à un recours auquel l’autorité inférieure l’avait retiré ; la demande de restitution de l’effet suspensif étant traitée sans délai, conformément à l'art. 55 al. 3 PA.
2.2 Selon la jurisprudence, le retrait de l’effet suspensif est le fruit d’une pesée des intérêts qui s’inscrit dans l’examen général du principe de la proportionnalité, lequel exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 142 I 76 consid. 3.5.1 et la référence).
La possibilité de retirer ou de restituer l'effet suspensif au recours n'est pas subordonnée à la condition qu'il existe, dans le cas particulier, des circonstances tout à fait exceptionnelles qui justifient cette mesure. Il incombe bien plutôt à l'autorité appelée à statuer d'examiner si les motifs qui parlent en faveur de l'exécution immédiate de la décision l'emportent sur ceux qui peuvent être invoqués à l'appui de la solution contraire. L'autorité dispose sur ce point d'une certaine liberté d'appréciation. En général, elle se fondera sur l'état de fait tel qu'il résulte du dossier, sans effectuer de longues investigations supplémentaires. En procédant à la pesée des intérêts en présence, les prévisions sur l'issue du litige au fond peuvent également être prises en considération ; il faut cependant qu'elles ne fassent aucun doute (ATF 124 V 82 consid. 6a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_885/2014 du 17 avril 2015 consid. 4.2).
L'intérêt de la personne assurée à pouvoir continuer à bénéficier des prestations qu'elle percevait jusqu'alors n'est pas d'une importance décisive, tant qu'il n'y a pas lieu d'admettre que, selon toute vraisemblance, elle l'emportera dans la cause principale. Ne saurait à cet égard constituer un élément déterminant la situation matérielle difficile dans laquelle se trouve la personne assurée depuis la diminution ou la suppression des prestations. En pareilles circonstances, l'intérêt de l'administration apparaît généralement prépondérant, puisque dans l'hypothèse où l'effet suspensif serait accordé et le recours serait finalement rejeté, l'intérêt de l'administration à ne pas verser des prestations paraît l'emporter sur celui de la personne assurée; il serait effectivement à craindre qu'une éventuelle procédure en restitution des prestations versées à tort ne se révèle infructueuse (ATF 119 V 503 consid. 4 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_207/2014 du 1er mai 2014 consid. 5.3 et les références). La jurisprudence a également précisé que le retrait de l'effet suspensif prononcé dans le cadre d'une décision de diminution ou de suppression de rente à la suite d'une procédure de révision couvrait également la période courant jusqu'à ce qu'une nouvelle décision soit rendue après le renvoi de la cause par le tribunal cantonal des assurances pour instruction complémentaire, pour autant que la procédure de révision n'a pas été initiée de façon abusive (ATF 129 V 370 consid. 4 ; voir également arrêts du Tribunal fédéral 9C_846/2018 du 29 novembre 2019 consid. 7.1 et 9C_207/2014 du 1er mai 2014 consid. 5.3).
3. En l’occurrence, l’intimée a déclaré la décision litigieuse exécutoire nonobstant recours. Elle relève, dans son écriture du 22 octobre 2025, que la recourante n’allègue ni ne prouve aucun intérêt à la restitution de l’effet suspensif, que le retrait de l’effet suspensif a pour vocation d’accélérer la procédure et qu’il est dans l’intérêt des deux parties d’obtenir une nouvelle expertise rapidement, tant la première est discutable.
Quant à la recourante, elle fait valoir que la réalisation d’une nouvelle expertise retardera la procédure et revient à obtenir, en faveur de l’intimée, un second avis contraire au droit.
3.1 Conformément à la jurisprudence précitée, il incombe à l’assurance d’examiner si les motifs qui parlent en faveur de l’exécution immédiate de la réalisation d’une expertise auprès du Dr D______ l’emportent sur les arguments de la recourante.
À cet égard, l’intimée se contente de relever qu’il est dans l’intérêt des deux parties d’obtenir rapidement une nouvelle expertise.
Or, cet argument n’est pas convaincant dès lors que la recourante conteste le principe même d’une nouvelle expertise, en estimant que celle du Prof. C______ est probante et sollicite qu’une décision concernant les prestations d’assurance soit rendue rapidement. Subsidiairement, elle conteste aussi la désignation du Dr D______ et sollicite que ce soit le Dr E______ qui réalise l’expertise orthopédique.
Ainsi, l’intérêt évoqué par l’intimée à obtenir une nouvelle expertise rapidement, alors que la question d’une seconde option non autorisée se pose, de surcroît réalisée par un expert qui est contesté par la recourante, ne saurait l’emporter sur l’intérêt de la recourante à ce que, préalablement, la question du principe même de l’expertise et du choix de l’expert soit tranchée.
3.2 Au demeurant, il convient de restituer l’effet suspensif au recours et de réserver le fond.
4. En conséquence, la restitution de l’effet suspensif au recours est admise et le fond est réservé.
Une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée à la recourante qui obtient, sur incident, gain de cause (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).
Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant selon l’art. 21 al. 2 LPA-GE
1. Restitue l’effet suspensif au recours.
2. Alloue à la recourante une indemnité de CHF 500.- à charge de l’intimée.
3. Réserve la suite de la procédure.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) aux conditions de l’art. 93 al. 1 LTF ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
| La greffière
Adriana MALANGA |
| La présidente
Valérie MONTANI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le