Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1134/2025 du 14.10.2025 ( PROF ) , IRRECEVABLE
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/409/2025-PROF ATA/1134/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 14 octobre 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Arnaud MOUTINOT, avocat
contre
CHAMBRE DES ARCHITECTES ET DES INGÉNIEURS intimée
A. a. A______ exerce la profession d’architecte à Genève, où il est domicilié.
b. Par décision du 1er septembre 2015, il a obtenu, en tant que mandataire, une autorisation de construire portant n° DD 1______ pour le compte du propriétaire de la parcelle n° 2______ de la commune de Perly-Certoux.
c. Cette autorisation de construire a été modifiée le 20 janvier 2022.
d. B______ (ci-après : B______), soit pour elle son administrateur C______, est chargée de la mise en œuvre de l’autorisation de construire.
e. Le 14 juin 2024, A______ a adressé un signalement à l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC). Il concluait à ce que l’OAC constate le non-respect de l’autorisation de construire, qui devait mener à un arrêt du chantier et à une remise en conformité de l’immeuble. Le chantier « ne respectait plus les réquisits de l’autorisation de construire », dès lors que toutes les fenêtres étaient alignées alors que l’autorisation de construire prévoyait des décalages de 30 cm à 70 cm, tracés sur les plans d’autorisation.
B. a. Le 22 octobre 2024, A______ a déposé une plainte à la chambre des architectes et des ingénieurs (ci-après : CAI) à l’encontre de C______, ce dernier ayant violé ses devoirs de mandataire professionnellement qualifié en ne respectant pas l’autorisation de construire délivrée. Il requérait, à titre de mesures d’instruction, l’audition de la gestionnaire du dossier au sein du service des monuments et des sites ainsi que l’apport du dossier du chantier auprès de cette même autorité. L’alignement des fenêtres avait été modifié et les volets en métal à battants avaient été commandés, ce qui était incompatible avec la pose du bardage prévue dans l’autorisation de construire. Le mandat de C______ avait pour objet la mise en œuvre des travaux, « non pas la modification complète des façades ».
b. Lors de sa séance du 21 novembre 2024, la CAI a décidé de ne pas entrer en matière sur cette plainte.
c. Elle en a informé A______ par courrier du 28 novembre 2024. Elle a précisé que la plainte était toutefois transmise à l’inspection de la construction et des chantiers, pour information et suite utile.
C. a. Par acte du 14 janvier 2025, A______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre le courrier précité, concluant préalablement à ce que soit ordonné l’apport du dossier de l’autorité intimée. Il concluait principalement à l’annulation de la décision attaquée et, cela fait, à ce qu’il soit ordonné à la CAI d’entrer en matière sur la plainte. L’intimée avait rendu une décision de non-entrée en matière sans « consacr[er] une ligne de la décision attaquée à expliquer les motifs de celle-ci ». Or, le droit d’être entendu comportait une obligation de motiver les décisions prises par l’administration. Son droit d’être entendu avait donc été violé.
b. Par jugement du 5 janvier (recte : février) 2025, le TAPI a déclaré le recours irrecevable pour raison de compétence.
c. Le 6 février 2025, le TAPI a transmis le recours de A______ à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).
d. Le 3 mars 2025, la CAI a conclu à l’irrecevabilité du recours, faute d’objet et de qualité pour recourir.
L’envoi du 28 novembre 2024 était une simple information dans le but d’aviser le recourant, en sa qualité de dénonciateur, que sa démarche n’avait pas été prise en considération, et non une décision formelle au sens de l’art. 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10). Dès lors, le recours n’avait pas d’objet.
En outre, le recourant se trouvant dans la position du dénonciateur, la qualité pour recourir devait lui être déniée, puisqu’il n’avait pas un intérêt propre et digne de protection à demander le prononcé d’une sanction disciplinaire pour d’éventuelles violations des obligations professionnelles de l’architecte. La procédure de surveillance disciplinaire des architectes n’avait du reste pas pour but la défense des intérêts privés du recourant, mais d’assurer l’exercice correct de la profession d’architecte.
e. Le 13 mars 2025, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 28 mars 2025 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.
f. Par réplique du 28 mars 2025, le recourant a noté que l’intimée n’expliquait toujours pas les motifs de fond pour lesquels elle n’avait pas donné suite à la plainte. Il disposait d’un intérêt digne de protection à l’admission de la plainte, dans la mesure où il était l’architecte initial du projet et que c’était sur la base de ses propres plans que l’autorisation de construire avait été délivrée. Il en était toujours le titulaire. L’œuvre litigieuse présentant une particularité au niveau du bardage du bâtiment notamment, elle était protégée par le droit d’auteur. Le recours devait dès lors être déclaré recevable, puisque la plainte tendait à éviter une altération de son œuvre portant atteinte à sa personnalité.
g. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. Le recours a été interjeté en temps utile et transmis à la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c LPA).
2. La chambre de céans examine d’office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATA/986/2025 du 9 septembre 2025 consid. 1 ; ATA/485/2025 du 29 avril 2025 consid. 2).
2.1 Selon l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir non seulement les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a), mais aussi toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (let. b).
2.2 La jurisprudence a précisé que les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/91/2023 du 31 janvier 2023 consid. 3b). L'intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (ATA/986/2025 précité consid. 1.2).
2.3 L'intérêt digne de protection consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait à la partie recourante en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait. Il implique que la partie recourante soit touchée de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés. L'intérêt invoqué, qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération avec l'objet de la contestation (ATF 143 III 578 consid. 3.2.2.2 ; 137 II 40 consid. 2.3).
3. La loi sur l’exercice des professions d’architecte et d’ingénieur du 17 décembre 1982 (LPAI - L 5 40) a pour objet de réglementer l'exercice indépendant de la profession d'architecte ou d'ingénieur civil ou de professions apparentées sur le territoire du canton de Genève. L'exercice de cette profession est restreint, pour les travaux dont l'exécution est soumise à autorisation en vertu de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), aux mandataires professionnellement qualifiés reconnus par l’État (art. 1 LPAI).
3.1 La CAI a pour mission de conseiller l’autorité compétente, de veiller au respect des devoirs professionnels et de réprimer les infractions à la présente loi (art. 11 al. 1 LPAI).
Selon l’art. 13 al. 1 LPAI, la CAI peut prononcer un avertissement (let. a), infliger une amende d’un montant maximum de 5'000 francs (let. b) et ordonner la radiation provisoire du tableau pour une durée maximum de 2 ans (let. c).
La CAI se saisit d’office, sur plainte ou dénonciation, de toute question concernant l’activité professionnelle d’un mandataire ou d’une personne morale, bureau ou entreprise qui bénéficie, dans le cadre de son activité, de l’inscription d’un mandataire au tableau (art. 14 al. 1 LPAI).
3.2 Il ressort des travaux préparatoires de la LPAI que la ratio legis de celle-ci était d'atteindre, par des restrictions appropriées au libre exercice de cette activité économique, un ou plusieurs buts d'intérêt public prépondérant à l'intérêt privé, opposé, des particuliers. Il peut s'agir d'assurer aux mandants, à l'instar des capacités professionnelles exigées des mandataires dans le domaine médical ou juridique, des prestations d'une certaine qualité nécessitée par la nature ou l'importance des intérêts du mandant. Il peut s'agir aussi de l'intérêt social de la communauté dans son ensemble, aux titres de la sécurité, de la santé, de l'esthétique et de la protection de l'environnement, à ce que les constructions ne comportent pas de risques pour le public, ni ne déparent l'aspect général des lieux. Il peut s'agir notamment de l'intérêt des autorités compétentes à ce que leurs interlocuteurs, lors de la présentation et de l'instruction de dossiers de demandes d'autorisations de construire, ou lors de l'exécution des travaux, soient des personnes qualifiées, contribuant ainsi, d'une manière générale, à une meilleure application de la loi (ATA/987/2024 du 20 août 2024 consid. 5.3 ; MGC 1982/IV p. 5204).
Il s'ensuit que les manquements professionnels de l'architecte concernés par la LPAI peuvent aussi être trouvés dans les relations qu'entretient ce dernier avec les autorités administratives, ou dans l'exécution scrupuleuse des injonctions qu'elles formulent et, d'une manière générale, dans le respect des règles juridiques du droit de la construction justifiant l'existence même du tableau des architectes habilités (arrêt du Tribunal fédéral 2C_268/2010 du 18 juin 2010 consid. 6.1 ; ATA/966/2024 du 20 août 2024 consid. 5).
3.3 Les sanctions disciplinaires sont définies comme des mesures répressives dont l'autorité administrative dispose à l'égard des personnes qui commettent une faute et se trouvent dans un rapport de droit spécial avec l'État. Elles ne visent pas, au premier chef, à punir ceux qui en font l'objet, mais visent à les amener à adopter à l'avenir un comportement conforme aux exigences de la profession et à rétablir le fonctionnement correct de celle-ci. Toutefois, elles ont aussi pour fonction, à titre secondaire, de réprimer les violations des devoirs professionnels (arrêts du Tribunal fédéral 1C_500/2012 du 7 décembre 2012 consid. 3.3 ; 2P.105/2005 du 7 décembre 2005 consid. 3 ; ATA/161/2014 du 18 mars 2014 consid. 4d ; ATA/118/2013 du 26 février 2013 consid. 5e ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3e éd., 2011, p. 143).
4. La dénonciation est une procédure non contentieuse par laquelle n'importe quel administré peut attirer l'attention d'une autorité hiérarchiquement supérieure sur une situation de fait ou de droit qui justifierait à son avis une intervention de l'État dans l'intérêt public. La dénonciation est possible dans toute matière où l'autorité pourrait intervenir d'office. En principe, l'administré n'a aucun droit à ce que sa dénonciation soit suivie d'effets, car l'autorité saisie peut, après un examen sommaire, décider de la classer sans suite ; le dénonciateur n'a en principe pas de droit à ce que l'autorité prenne une décision au sujet de sa dénonciation (ATF 135 II 145 consid. 6.1 ; ATA/986/2025 précité consid. 2.1 ; ATA/485/2025 précité consid. 2.2).
4.1 Celui qui introduit une procédure disciplinaire ne possède aucun droit à une décision, de sorte que, s'il n'y est pas donné suite, il n'est pas atteint dans ses intérêts personnels. Par conséquent, le refus de donner suite à une dénonciation ne peut faire l'objet d'aucun recours, puisque le dénonciateur n'agit dans ce cadre que comme auxiliaire de l'autorité en déclenchant la procédure (ATF 135 II 145 consid. 6.1 ; ATA/986/2025 précité consid. 2.2).
4.2 Dans les procédures disciplinaires engagées contre des personnes exerçant une profession réglementée, le dénonciateur ou le plaignant n’est donc pas partie à la procédure (ATA/986/2025 précité consid. 2.2 ; ATA/485/2025 précité consid. 2.2).
4.3 Le dénonciateur n’a aucun droit de partie : il n’a pas le droit d’être entendu, ni de consulter le dossier, ni d’obtenir des mesures d’instruction. Selon une partie de la doctrine, l’autorité devrait, d’une manière générale, au moins l’aviser qu’elle prend sa démarche en considération ou non (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op cit., p. 618).
4.4 En l'espèce, la cause a pour objet la décision refusant d’entrer en matière sur la dénonciation du recourant dirigée contre un architecte.
Conformément à la jurisprudence précitée, la qualité pour recourir doit être déniée au recourant en tant que dénonciateur, dès lors qu'il n'a pas un intérêt propre et digne de protection à demander le prononcé d'une sanction disciplinaire pour d'éventuelles violations des obligations professionnelles, la procédure de surveillance disciplinaire des architectes n'ayant pas pour but la défense des intérêts privés du recourant, mais d'assurer l'exercice correct de la profession d’architecte. Au surplus, la législation y relative ne confère au dénonciateur aucun droit spécifique, si bien que les principes généraux exposés ci-dessus trouvent pleinement application.
Le recourant, en qualité de dénonciateur, n'étant pas directement atteint par la décision de non-entrée en matière prise par la CAI, il ne peut faire valoir aucun intérêt digne de protection particulier lui accordant la qualité pour recourir contre celle-ci. Son argumentation en lien avec la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992 (LDA - RS 231.1), formulée au stade de la réplique, ne saurait remettre en question ce constat, puisque le fait d’obtenir le prononcé d’une sanction disciplinaire n’aurait aucun effet sur ses droits à cet égard.
Ainsi, au vu de ce qui précède, le recours est irrecevable.
5. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
déclare irrecevable le recours interjeté le 14 janvier 2025 par A______ contre la décision de la chambre des architectes et des ingénieurs du 28 novembre 2024 ;
met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Arnaud MOUTINOT, avocat du recourant, ainsi qu'à la chambre des architectes et des ingénieurs.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière-juriste :
M. MICHEL
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| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
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| la greffière :
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