Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2907/2024

ATA/695/2025 du 24.06.2025 ( PATIEN ) , REJETE

Descripteurs : SANTÉ;PROFESSION SANITAIRE;MÉDECIN;PATIENT;DÉTENU;DROIT DU PATIENT;SECRET PROFESSIONNEL;SAUVEGARDE DU SECRET;MOTIVATION DE LA DÉCISION;COMPÉTENCE;SPHÈRE PRIVÉE;PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ;RESPECT DE LA VIE PRIVÉE;DROIT FONDAMENTAL;ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL;PROPORTIONNALITÉ;PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : Cst..29.al2; LPA.10; CP.321; LS.86.al1; Cst..13; CEDH.8; LS.86.al2; LS.86.al3; Cst..36; LS.12.al1; LS.12.al6; LS.12.al7; LS.27A; LS.27B; LS.27C; LS.73; CP.59; LS.12; LEP-VD.2.al1.letc; LEP-VD.8
Résumé : Recours d'un détenu contre des décisions de levée partielle du secret professionnel de trois médecins souhaitant transmettre à l'office d'exécution des peines un rapport de suivi médico-psychologique le concernant. Pas de violation du droit d'être entendu du recourant sous l'angle de la motivation des décisions attaquées. La commission est compétente pour statuer sur la demande de levée du secret professionnel des médecins du recourant dans la mesure où ils exercent leur activité dans le canton de Genève. Il est important pour l’autorité chargée du suivi de la mesure pénale ordonnée de connaître l’évolution, en bien ou en mal, de l’état de santé du recourant en rapport avec le trouble mental dont il souffre et l’évolution de son attitude vis-à-vis de tout traitement proposé ou prescrit. Compte tenu des troubles dont le recourant souffre et les risques de dégradation de son état, lequel pourrait dépasser les capacités de l'établissement pénitentiaire d'y répondre de manière optimale, il existe un intérêt public à ce que les médecins puissent transmettre les informations à l'office en question. Cet intérêt prime le droit du recourant au respect du secret médical et à la protection de sa sphère privée. Respect du principe de la proportionnalité. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2907/2024-PATIEN ATA/695/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 juin 2025

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL

et

B______

et

C______

et

D______ intimés



EN FAIT

A. a. A______, né le ______1951, est incarcéré à l'établissement pénitentiaire de Curabilis depuis le 20 novembre 2023, en exécution d'une mesure thérapeutique institutionnelle.

b. Les docteurs B______, médecin interne, C______, psychiatre-psychothérapeute FMH, médecin adjoint chef de service et D______, chef de clinique font partie du suivi des mesures institutionnelles des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).

B. a. Le 6 août 2024, les Drs B______, C______et D______ont adressé une demande de levée du secret professionnel à la commission du secret professionnel (ci-après : la commission).

A______ refusait de délier du secret médical ses médecins, les empêchant de transmettre un rapport médico-psychologique de suivi à l'office d'exécution des peines, ainsi qu'à la direction de Curabilis, concernant sa prise en charge.

Une progression de la mesure était impossible sans la possibilité de communiquer avec les autorités, au risque que la mesure soit un échec avec un maintien en détention prolongé.

Ils sollicitaient la levée du secret professionnel afin d'adresser un rapport médico‑psychologique daté du même jour concernant A______ aux autorités.

Selon ce document, destiné à l'office d'exécution des peines du canton de Vaud, l'intéressé était en exécution d'une mesure pénale à laquelle il avait été condamné à la suite d'un délit grave qui avait eu lieu en septembre 2016, commis dans le contexte d'une décompensation de son trouble mental chronique. Sa position de refus de soins banalisait les risques par rapport à sa santé psychique. Une dégradation de son état était possible et pourrait dépasser les capacités de Curabilis d'y répondre de manière optimale. Un traitement médicamenteux devrait être administré sous contrainte et les médecins sollicitaient l'autorisation pour ce faire. Une décision de traitement sous contrainte accompagnée par une autorisation d'effectuer les examens médicaux nécessaires sous contrainte en cas de maintien de l'opposition était sollicitée.

b. Le 8 août 2024, la commission a informé A______ de cette demande et a transmis le projet en question.

Il pouvait se déterminer par écrit d'ici au 28 août 2024 et consulter le dossier.

c. Le 18 août 2024, A______ a informé la commission qu'il s'opposait à la levée du secret professionnel.

Le canton de Genève ne disposait pas de base légale pour statuer. L'autonomie et la souveraineté vaudoise étaient violées.

Le Dr D______avait donné sa démission et travaillait désormais dans le privé. Il n'avait donc plus à intervenir dans le domaine des mesures institutionnelles.

Il ne souhaitait pas consulter le dossier.

Le projet du 6 août 2024 était donc irrecevable et un émolument devait être mis à la charge du D______.

d. Le 25 août 2024, A______ a une nouvelle fois écrit à la commission, persistant dans ses conclusions.

Reprenant ses arguments précédents, il a ajouté que le secret médical ne pouvait être levé que dans des circonstances rares, en situation d'urgence ou en cas de péril en la demeure, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Il devait être indemnisé à hauteur de CHF 20.- pour ses frais.

Ce courrier a été reçu par la commission le 29 août 2024.

e. Par décisions séparées du 29 août 2024, la commission a levé partiellement le secret professionnel des Drs B______, C______et D______.

Elle autorisait les médecins précités à transmettre à l'office d'exécution des peines de Penthalaz, le rapport de suivi médico-psychologique, daté du 6 août 2024, concernant A______.

La transmission de renseignements le concernant était nécessaire à cet office pour le bon déroulement de l'application de la sanction qui comprenait la prise en charge thérapeutique de l'intéressé. Dès lors, la levée du secret professionnel l'emportait sur la protection de la sphère privée de A______.

En revanche, la levée du secret professionnel des docteurs était refusée vis-à-vis de la direction de Curabilis. En effet, il appartenait à l'office d'exécution des peines de Penthalaz, en tant que destinataire dudit rapport, de décider de sa transmission à la direction de Curabilis s'il l'estimait nécessaire.

La motivation des trois décisions était identique.

f. Le 12 septembre 2024, la commission a répondu à A______ que son courrier reçu le 29 août 2024 ne remplissait pas les conditions d'une demande en reconsidération.

C. a. Par acte daté du 8 septembre 2024, mais mis à la poste le 10 septembre suivant, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) contre les trois décisions précitées, concluant à leur « irrecevabilité », à leur nullité et à une indemnisation de CHF 30.- pour ses frais de défense.

À titre de mesure superprovisionnelle, il demandait à pouvoir exposer sa cause à E______, spécialiste et membre de la commission éthique des HUG.

Les décisions étaient trop sommairement motivées et prises sans instruction.

Il a repris son grief relatif à l'incompétence du canton de Genève pour statuer et à l'absence d'intérêt public à la levée du secret professionnel.

Le Dr D______travaillait uniquement dans un cabinet privé, si bien qu'il était dans une situation de conflits d'intérêts.

Il revenait également sur des points non pertinents pour l'issue du litige (choix du type d'expertise, preuves à décharge détruites, salaire au sein de l'établissement pénitentiaire de Curabilis).

b. Le 23 septembre 2024, la commission a conclu au rejet du recours.

La commission était compétente pour statuer sur les demandes de levée du secret médical des Drs B______, C______et D______ dans la mesure où ils exerçaient leur activité médicale dans le canton de Genève et y étaient rattachés, indépendamment d'une décision de médication sous contrainte ou une urgence.

c. Les trois médecins ne se sont pas déterminés dans le délai octroyé pour ce faire.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier du 22 octobre 2024.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 12 al. 5 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 - LS - K 1 03).

2.             À titre de mesure superprovisionnelle – qu'il faut interpréter comme étant une demande d'instruction – le recourant sollicite l'audition de E______.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1), ni celui d’obtenir l’audition de témoins.

2.2 En l'espèce, l’audition du témoin est requise pour que le recourant puisse lui exposer sa cause et obtenir son avis dans la mesure où il n'a pas la totalité de son dossier pénal et qu'il n'a pas connaissance des textes de loi.

Or, outre le fait que le recourant aurait pu solliciter l'assistance juridique (art. 10 LPA) et la nomination d'un conseil juridique – pour autant que les conditions soient réalisées (règlement sur l'assistance juridique et l'indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale du 28 juillet 2010 - RAJ - 2 05.04) –, son acte de recours montre en toute hypothèse qu'il dispose de certaines notions juridiques et qu'il a su formuler des griefs qui méritent d'être examinés. En outre, il ne ressort pas du dossier et de l'objet du litige – limité à la décision attaquée – que le dossier pénal du recourant serait pertinent pour traiter la question de la levée partielle du secret professionnel. Enfin, les éléments qui figurent d’ores et déjà au dossier permettent à la chambre administrative de statuer en toute connaissance de cause sur la problématique et les griefs soulevés.

Il ne sera donc pas donné suite à la demande du recourant.

3.             Le recourant estime que les décisions rendues par la commission ne sont pas motivées et ont été prononcées sans instruction.

3.1 La jurisprudence déduit du droit d’être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 148 III 30 consid. 3.1 ; 142 II 154 consid. 4.2). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 II 154 consid. 4.2). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 148 III 30 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_548/2021 du 24 février 2023 consid. 5.2).

3.2 En l'espèce, le 6 août 2024, la commission a reçu de la part des médecins une demande de levée du secret professionnel visant le recourant. Cette demande est motivée par le fait qu'une progression de la mesure est impossible sans la possibilité de communiquer avec les autorités. La demande était accompagnée du rapport de suivi médico-psychologique de l'intéressé. Le recourant a été invité, le 8 août 2024, à se déterminer sur cette demande, ce qu'il a fait le 18 août 2024. Compte tenu de la chronologie du dossier telle que rappelée ici, force est de constater que le dossier a bien été instruit par la commission, étant rappelé que l'autorité est en droit de renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

De plus, les décisions entreprises exposent les motifs sur lesquels l’autorité intimée s’est fondée pour lever partiellement le secret professionnel des médecins du recourant. Il en ressort en particulier que la transmission de renseignements concernant le recourant est nécessaire pour le bon déroulement de l'application de la sanction qui comprend la prise en charge thérapeutique de l'intéressé. Cette motivation, certes succincte, suffit pour apprécier correctement la portée des décisions entreprises et les attaquer en connaissance de cause, ce que le recourant a d’ailleurs fait. La question de savoir si ce raisonnement est conforme au droit sera examiné ci-après.

Le grief tiré de la violation de son droit d’être entendu sera donc rejeté.

4.             Le litige porte sur la conformité au droit de l'accord de la commission de lever partiellement le secret professionnel des Drs B______, C______ et D______ à l'égard du recourant.

4.1 Selon l'art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les médecins qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci seront, sur plainte, punis d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (ch. 1) ; la révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2) ; demeurent réservées les dispositions de la législation fédérale et cantonale statuant une obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (ch. 3).

Le secret médical couvre tout fait non déjà rendu public, communiqué par le patient à des fins de diagnostic ou de traitement, mais aussi des faits ressortissants à la sphère privée de ce dernier révélés au médecin en tant que confident et soutien psychologique (ATA/675/2024 du 4 juin 2024 consid. 4.1 et l'arrêt cité ; ATA/1051/2023 du 26 septembre 2023 consid. 6.1). Le devoir de garder le secret n'est pas limité dans le temps. Il subsiste au-delà du rapport contractuel, que celui‑ci ait pris fin par son exécution, sa résiliation ou sa révocation, la mort du mandant ou toute autre cause (ATF 117 Ia 349 consid. bb ; 114 III 107 consid. 3a ; 112 Ib 607 ; 87 IV 107 consid. 2).

4.2 En droit genevois, l'obligation de respecter le secret professionnel est rappelée à l'art. 86 al. 1 LS. Elle est le corollaire du droit de toute personne à la protection de sa sphère privée, garanti par les art. 13 Cst. et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

Aux termes de l'art. 86 LS, une personne tenue au secret professionnel peut en être déliée par le patient ou, s'il existe de justes motifs, par l'autorité supérieure de levée du secret professionnel (al. 2) ; sont réservées les dispositions légales concernant l'obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (al. 3).

Le droit de délier le professionnel de son secret est strictement personnel. Le consentement doit ainsi provenir de la personne intéressée au maintien du secret dans la mesure où elle est capable de discernement. Si elle est incapable de discernement, son représentant légal peut consentir à la levée dans la mesure où il est le maître du secret, sauf en ce qui concerne des faits de la sphère intime (Benoît CHAPPUIS in Alain MACALUSO/Nicolas QUELOZ/Laurent MOREILLON/Robert ROTH [éd.], Commentaire romand du code pénal II, 2017, n. 141 ad. art. 321 CP). La levée du secret médical par l'autorité est subsidiaire au consentement du patient et entre en considération uniquement lorsque ce consentement ne peut être obtenu (ATF 148 II 465 consid. 8.7.4 ; 147 I 354 consid. 3.3.2).

4.3 Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le respect du caractère confidentiel des informations de santé est capital non seulement pour protéger la vie privée des patients (art. 13 Cst. ; art. 8 CEDH), mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général. La législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation des données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme à l'art. 8 CEDH, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, le devoir de discrétion est unanimement reconnu et farouchement défendu (ACEDH Z. M.S. c/Suède du 27 août 1997, cité in Dominique MANAÏ, Droits du patient face à la biomédecine, 2013, p. 138 s. ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1049/2019 du 1er mai 2020 consid. 3.3 ; 2C_37/2018 du 15 août 2018 consid. 6.2.3).

Comme tout droit découlant d'une liberté, le droit à la protection du secret médical peut, conformément à l'art. 36 Cst., être restreint moyennant l'existence d'une base légale (al. 1), la justification par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et le respect du principe de la proportionnalité, par rapport au but visé (al. 3).

La base légale pouvant fonder la restriction est, en cette matière, constituée par l'art. 321 ch. 2 CP et par l'art. 86 al. 2 LS. L'autorité supérieure au sens de ces deux dispositions est, conformément à l'art. 12 al. 1 LS, la commission, qui, bien que rattachée administrativement au département chargé de la santé (ci-après : le département) (art. 12 al. 6 LS), exerce en toute indépendance les compétences que la LS lui confère (art. 12 al. 7 LS).

4.4 L'art. 321 ch. 2 CP ne mentionne pas les critères selon lesquels l'autorisation doit être accordée ou refusée. Il convient de procéder à une pesée des intérêts et des biens juridiques en présence, la levée du secret ne devant être accordée que si elle est nécessaire pour sauvegarder des intérêts privés ou publics prépondérants. Seul un intérêt public ou privé nettement supérieur peut la justifier. Dans le cadre de la pesée des intérêts, il faut notamment tenir compte du fait que le secret professionnel est un bien juridique majeur. L'intérêt à la recherche de la vérité matérielle n'est pas en soi un intérêt prépondérant. C'est l'autorité compétente qui détermine dans quelle mesure et à qui les renseignements doivent être donnés. La levée du secret ne doit en principe être autorisée que dans la mesure où elle est nécessaire dans le cas concret, compte tenu de la sphère secrète du maître du secret (arrêts du Tribunal fédéral 2C_683/2022 du 4 janvier 2024 consid. 6.2.1 ; 2C_1049/2019 précité consid. 3.4 ; 2C_37/2018 précité consid. 6.4.2).

4.5 Selon la doctrine, les activités des médecins vis-à-vis de leurs patients paraissent plus circonscrites que celles des avocats de sorte que, sauf situation exceptionnelle, toutes les activités qu’ils exercent pour leurs patients entrent dans le cadre de leur profession. Il devrait également en aller ainsi lorsque le médecin intervient auprès de patients dont la situation particulière les prive de leur liberté, telles les personnes détenues. Le médecin leur est également redevable du secret professionnel, dans la mesure où ce dernier ne saurait s’appréhender différemment en milieu carcéral qu’en milieu libre. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe recommande de garantir et d’observer le secret médical avec la même rigueur que dans la population générale. Cela dit, le secret médical en milieu carcéral soulève de nombreuses questions liées à la nature particulière de la détention et aux intérêts opposés : l’obligation de se taire garantie au patient détenu, le besoin de savoir du personnel pénitentiaire, voire le devoir de restituer des informations confidentielles. En effet, le milieu carcéral impose parfois que certaines informations couvertes par le secret professionnel soient divulguées. On peut par exemple penser aux informations sanitaires qui doivent être échangées entre le personnel de santé et le personnel de sécurité, voire celles concernant la dangerosité d’un détenu. Le double régime juridique de l’obligation de confidentialité auquel est en principe soumis le médecin exerçant en milieu carcéral – à savoir le secret de fonction et le secret professionnel – participe également à la difficulté de délimiter l’étendue du secret médical en milieu pénitentiaire. La doctrine majoritaire soumet le médecin exerçant en milieu carcéral au secret professionnel pour toutes les informations relatives au patient détenu et à sa santé, et au secret de fonction pour toutes les informations relatives à l’institution et à son fonctionnement. Le médecin ne pourra donc pas révéler d’informations médicales au personnel pénitentiaire ni d’ailleurs à l’avocat du détenu – alors même que ces derniers pourraient avoir un intérêt à connaître l’état de santé du détenu –, sans avoir été valablement libéré de son secret professionnel ou sans se prévaloir de faits justificatifs généraux comme l’état de nécessité (Benoît CHAPPUIS in Alain MACALUSO/Nicolas QUELOZ/Laurent MOREILLON/Robert ROTH [éd.], Commentaire romand du code pénal II, 2017, n. 62 et ss ad art. 321 CP).

4.6 Selon l'art. 27A LS, les médecins, les psychologues et tout autre intervenant thérapeutique agissant au profit d’une personne détenue avant jugement, soumise à une mesure de substitution à la détention ou exécutant une peine ou une mesure, d’une part, le département, ses services, et ses établissements de détention avant jugement et ses établissements d’exécution des peines et mesures, d’autre part, se tiennent réciproquement et spontanément informés de tout élément nécessaire à l’accomplissement de leurs missions respectives (al. 1). Le secret professionnel et la saisine de la commission instituée par l’art. 12 LS sont réservés (al. 2).

L'art. 27B LS prévoit que les médecins, les psychologues et tout autre intervenant thérapeutique qui ont connaissance de faits de nature à faire craindre pour la sécurité d’une personne détenue avant jugement, soumise à une mesure de substitution à la détention ou exécutant une peine ou une mesure, la sécurité de l’établissement, du personnel, des intervenants et des codétenus ou la sécurité de la collectivité, ont la possibilité de s’affranchir du secret professionnel pour informer sans délai le département, ses services, ou ses établissements de détention avant jugement ou ses établissements d’exécution des peines et mesures, pour autant que le danger soit imminent et impossible à détourner autrement d’une part, et que les intérêts sauvegardés par une telle information l’emportent sur l’intérêt au maintien du secret professionnel d’autre part (art. 17 CP) (al. 1). Une saisine préalable de la commission instituée par l’art. 12 LS n’a pas lieu (al. 2).

Sur requête spécifique et motivée des autorités judiciaires compétentes, du département ou de tout expert mandaté par ces autorités, les médecins, les psychologues et tout autre intervenant thérapeutique agissant au profit d’une personne détenue avant jugement, soumise à une mesure de substitution à la détention ou exécutant une peine ou une mesure leur communiquent tout fait pertinent de nature à influencer la détention avant jugement, la mesure de substitution à la détention, la peine ou la mesure en cours, permettant d’évaluer le caractère dangereux d’une personne condamnée à une peine ou à une mesure, ou de se prononcer sur un éventuel allègement dans l’exécution de celle-ci (art. 27C al. 1 LS). Lorsqu’une information requise par ces autorités est couverte par le secret professionnel, la personne détenue ou exécutant une peine ou une mesure est consultée et doit préalablement donner son accord à sa transmission. En cas de refus, les médecins, les psychologues et tout autre intervenant thérapeutique agissant au profit d’une personne détenue avant jugement, soumise à une mesure de substitution à la détention ou exécutant une peine ou une mesure saisissent la commission instituée par l’art. 12 LS (art. 27C al. 2 LS).

4.7 Il ressort de l'art. 86 al. 2 LS qu'une décision de levée du secret professionnel doit, en l'absence d'accord du patient, se justifier par l'existence de « justes motifs ». Les intérêts du patient ne peuvent pas constituer un « juste motif » de levée du secret, si ce dernier n'a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant. La notion de justes motifs se réfère donc uniquement à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque hétéro‑agressif, ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause, conformément à l’art. 36 Cst. (ATA/675/2024 précité consid. 4.3 et les arrêts cités). Les considérations qui précèdent valent cependant seulement pour le patient capable de discernement (ATA/231/2016 du 15 mars 2016 consid. 11a).

L’obligation de respecter le secret médical ne protège donc pas uniquement la santé de l’individu mais tient également compte de la santé de la collectivité. Ainsi, ce dernier élément reste un paramètre essentiel et traduit la pesée des intérêts qui intervient entre secret médical et intérêt collectif dans certains domaines où la santé publique peut être mise en danger (ATA/1051/2023 précité consid. 6.3 ; ATA/202/2018 du 6 mars 2018). Dès lors, le respect du secret médical trouve ses limites dans les principes généraux du droit administratif, notamment celui de la proportionnalité (ATA/510/2020 du 26 mai 2020 consid. 3c ; ATA/717/2014 du 9 septembre 2014 consid. 10c).

4.8 Il convient dès lors de procéder, conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), à une pesée entre l’intérêt au maintien du secret médical et l’intérêt plaidant à sa levée, celui-ci se confondant avec l’examen de la condition de l’existence d’un intérêt public (ou d’un droit fondamental d’autrui à protéger) posée à l’art. 36 al. 2 Cst. Ces intérêts peuvent être publics ou privés, conformément à la jurisprudence fédérale susmentionnée.

4.9 Dans un arrêt de 2015, la chambre de céans a eu à connaître du cas d'un chef de clinique en psychiatrie du service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires (Champ-Dollon) ayant été levé de son secret professionnel par la commission afin de remettre en consultation le dossier médical du détenu à une doctoresse chargée de procéder à une expertise de dangerosité sur ledit détenu. Elle l’avait également autorisé, cas échéant, à répondre aux questions de la doctoresse en indiquant les éléments pertinents de la prise en charge médicale du détenu, tels qu’il les avait décrits à la commission. Était concerné un détenu condamné à une peine de réclusion et soumis à un traitement psychiatrique (ATA/202/2015 du 24 février 2015).

La chambre de céans a retenu que, vu les doutes existant sur la dangerosité du détenu, il existait un intérêt public à ce qu’une expertise de dangerosité soit effectuée sur sa personne avant l’échéance de sa peine. Cet intérêt primait le droit de ce détenu au respect du secret médical et à la protection de sa sphère privée. Le principe de la proportionnalité était respecté (ATA/202/2015 précité consid. 7).

4.10 Dans un autre arrêt de 2015, la chambre de céans s'est penchée sur le cas d'un chef de clinique au sein de l'unité de mesures de Curabilis ayant obtenu la levée de son secret professionnel à l'égard d'un détenu afin de transmettre au service de l’application des peines et mesures (ci‑après : SAPEM) les renseignements pertinents de la prise en charge médicale du détenu. Il s'agissait d'un détenu soumis à une mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l’art. 59 CP (ATA/290/2015 du 24 mars 2015 dont le recours au Tribunal fédéral a été déclaré irrecevable [2C_381/2015 du 7 mai 2015]).

Vu les troubles dont le détenu souffrait, notamment son anosognosie, il existait un intérêt public à ce que le médecin de Curabilis qui suivait le détenu puisse transmettre les informations qu’il requerrait de donner au SAPEM tout au long du placement de l’intéressé. En effet, il importait pour l’autorité chargée du suivi de la mesure pénale ordonnée ou pour la direction de l’établissement dans lequel l'intéressé était détenu, de connaître l’évolution, en bien ou en mal, de l’état de santé du recourant en rapport avec le contrôle de son hétéro-agressivité et l’évolution de son attitude vis-à-vis de tout traitement médicamenteux prescrit. Cet intérêt primait le droit de ce détenu au respect du secret médical et à la protection de sa sphère privée. Le principe de la proportionnalité était respecté (ATA/290/2015 précité consid. 7).

5.             En l'espèce, contrairement à ce que soutient le recourant, la commission est compétente pour statuer sur la demande de levée du secret professionnel des médecins du recourant, lesquels exercent leur activité dans le canton de Genève au bénéfice d'une autorisation de pratiquer (art. 27A, 12 et 73 et ss LS).

En outre, selon les éléments du dossier, le recourant est en exécution d'une mesure pénale à laquelle il a été condamné (art. 59 CP). Une telle mesure s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures (art. 59 al. 2 CP). Il importe à cette fin pour l’autorité chargée du suivi de la mesure pénale ordonnée, soit en l'espèce l'office d'exécution des peines du canton de Vaud (art. 2 al. 1 let. c et 8 de la loi sur l'exécution des condamnations pénales du 4 juillet 2006 - LEP - 340.01), de connaître l’évolution, en bien ou en mal, de l’état de santé du recourant en rapport avec le trouble mental dont il souffre et l’évolution de son attitude vis-à-vis de tout traitement proposé ou prescrit. Compte tenu des troubles dont le recourant souffre et les risques de dégradation de son état, lequel pourrait dépasser les capacités de Curabilis d'y répondre de manière optimale, il existe un intérêt public à ce que les médecins qui le suivent puissent transmettre les informations qu’ils requièrent de donner à l'office en question. Cet intérêt prime le droit du recourant au respect du secret médical et à la protection de sa sphère privée.

Du point de vue du principe de la proportionnalité, cette mesure est apte et nécessaire pour atteindre le but visé, aucune mesure moins restrictive n’entrant en ligne de compte, étant rappelé que la commission a limité les informations qui pouvaient être transmises et surtout les destinataires desdites informations. Elle a en conséquence procédé à une analyse fine de la situation et a restreint dans la mesure nécessaire la levée du secret.

Ni les médecins, ni le détenu n’allèguent à cet égard qu’un traitement médical ou psychologique en cours serait compromis. Le Dr D______ne travaillerait d'ailleurs plus qu'en cabinet privé, étant relevé que la chambre de céans ne voit pas en quoi cela serait constitutif d'une situation de conflits d'intérêts. Le recourant ne l'explique d'ailleurs pas. Il n’existe pas d’autres éléments dans le dossier qui laisseraient penser que la levée du secret porterait une atteinte disproportionnée aux droits du recourant.

La décision respecte ainsi le principe de la proportionnalité.

Le recours sera donc rejeté et la décision attaquée confirmée.

6.             Nonobstant l’issue du litige, vu la situation du recourant, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 septembre 2024 par A______ contre les décisions de la commission du secret professionnel du 29 août 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à B______, à C______ et à D______, ainsi qu'à la commission du secret professionnel.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :