Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/521/2025 du 12.05.2025 ( FPUBL ) , REFUSE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/182/2025-FPUBL ATA/521/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Décision du 12 mai 2025 sur effet suspensif
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dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Aliénor WINIGER, avocate
contre
DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé
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Attendu, en fait, que :
1. A______ a été engagé dès le 1er juin 2022, pour une durée de douze mois, en tant que B______ auxiliaire auprès de C______ (ci-après : C______), lequel fait partie du département des institutions et du numérique (ci-après : DIN).
2. Son engagement de douze mois comme auxiliaire a été renouvelé à deux reprises, soit jusqu'au 31 mai 2025.
3. A______ a été en congé paternité entre le 13 et le 27 mai 2024, puis en vacances du 28 mai au 26 juin 2024. À partir du 27 juin 2024, il a produit des certificats médicaux attestant d'une incapacité de travail complète.
4. Le 11 juillet 2024, la hiérarchie de A______ et la responsable des ressources humaines (ci-après : RRH) de l'C______ ont envoyé une demande d'investigation de médecine-conseil au service de prévention et de santé (ci-après : SPST) afin de se prononcer sur la réalité de l'incapacité de travail annoncée.
5. À l'issue du processus, le médecin-conseil a, le 15 octobre 2024 et après avoir requis un second avis conforme, rendu un avis médical selon lequel l'incapacité de travail de A______ à partir du 27 juin 2024 n'était pas fondée.
6. Le 1er novembre 2024, A______ s'est adressé au Groupe de confiance, demandant son intervention afin d'initier un processus de médiation avec son supérieur direct. Il a fait état d'une surcharge de travail importante depuis de nombreux mois, engendrant un état d'anxiété.
7. Par courrier du 8 novembre 2024, le directeur général de l'C______ s'est référé à cet avis médical. L'État envisageait de demander la restitution des indemnités perçues indûment du 27 juin au 3 novembre 2024, soit CHF 20'827.25. A______ était également mis en demeure de revenir au travail dès le 15 novembre 2024, faute de quoi la résiliation des rapports de service serait envisagée.
8. Le 14 novembre 2024, A______ s'est déterminé. Il a contesté le bien‑fondé des conclusions du médecin-conseil. L'évaluation de celui-ci n'avait pas été faite dans les règles de l'art ; en particulier, le médecin-conseil n'avait pas pris contact avec son médecin traitant, ni sollicité de rapport de ce dernier. Sa santé s'était dégradée et il avait entamé un suivi psychiatrique. Sa hiérarchie lui avait imposé une importante surcharge de travail qui était à l'origine de ses problèmes de santé. Son médecin traitant et son psychiatre estimaient que des mesures devaient être prises pour préserver sa santé au travail avant d'envisager un retour à son poste.
9. Par décision du 3 décembre 2024 déclarée exécutoire nonobstant recours, le directeur général de l'C______ a, notamment, constaté que A______ n'avait pas droit à des indemnités pour incapacité de travail entre le 27 juin et le 3 novembre 2024, a ordonné au précité de restituer la somme de CHF 20'827.25 avec éventuels intérêts à 5% dès le 1er janvier 2025, a supprimé son traitement à partir du 4 novembre 2024 et jusqu'à sa reprise du travail.
L'avis médical du médecin-conseil n'avait pas à être motivé plus avant en raison du secret médical, étant précisé que cet avis avait été rendu après consultation du patient, étude du formulaire médical rempli par son médecin traitant et consultation d'un second médecin-conseil. La somme de CHF 20'827.25 avait donc été reçue indûment et devait être restituée. À défaut de paiement avant le 31 décembre 2024, un intérêt moratoire de 5% l'an serait dû. L'état de Genève entendait exciper de compensation entre sa créance précitée et le traitement de son employé.
L'C______ avait envoyé une seconde demande au SPST pour se déterminer sur l'incapacité de travail postérieure au 3 novembre 2024. Si cette incapacité était reconnue par le médecin-conseil, les indemnités y afférentes seraient versées à l'employé.
10. Par acte posté le 20 janvier 2025, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à l'octroi (recte : la restitution) de l'effet suspensif au recours, à ce qu'il soit procédé à une tentative de conciliation des parties et à leur audition ainsi qu'à celle de témoins, principalement à l'annulation de la décision attaquée, au versement de son traitement dès le 4 novembre 2024 avec intérêts à 5% l'an dès la fin de chaque mois concerné et à l'octroi d'une indemnité de procédure.
Il ne percevait plus de traitement depuis le 4 novembre 2024, alors qu'il se trouvait en pleine incapacité de travail, en suivi psychiatrique et sous traitement médicamenteux. Comme il s'agissait du seul revenu de la famille qu'il composait avec son épouse et son fils de sept mois, il avait dû demander l'aide de D______(ci-après : D______).
En l'absence de restitution de l'effet suspensif, l'C______ pourrait introduire des poursuites à son encontre, ce qui représentait un préjudice difficilement réparable pour une personne déjà atteinte dans sa santé, notamment au vu des conséquences dans les rapports avec des tiers. La demande de restitution de l'effet suspensif visait donc à éviter que l'État ne puisse exécuter sa décision s'agissant du remboursement des indemnités alors que la procédure était pendante devant la chambre administrative.
Sur le fond, la jurisprudence retenait qu'un avis du médecin-conseil de l'État sous forme de croix n'avait pas de valeur probante accrue. Les avis médicaux de son médecin traitant et de son psychiatre étaient quant à eux détaillés et confirmaient que son incapacité de travail pendant la période litigieuse était justifiée. L'avis d'un médecin‑conseil ne valait que pour l'avenir, et l'avis rendu ne mentionnait nullement que l'incapacité de travail était injustifiée à partir du mois de juin 2024. La décision attaquée était ainsi contraire au droit.
11. Le 2 avril 2025, A______ a communiqué à la chambre administrative un avis médical du 4 mars 2025 et un courrier de son employeur du 28 mars 2025.
Dans le premier, un médecin du SPST reconnaissait qu'il était incapable de travailler, tant actuellement que dans les 4 à 6 semaines à venir. Une reprise d'activité partielle et progressive devait être envisagée et serait sujette à certaines limitations fonctionnelles temporaires. Une annonce à l'AI était préconisée. Cet avis coïncidait avec ceux de son médecin traitant et de son psychiatre dans leurs certificats médicaux récents.
Sur cette base, son employeur lui avait écrit le 28 mars 2025 pour lui indiquer qu'il renonçait à supprimer son droit au traitement à partir du 4 novembre 2024, ce qui rendait son recours d'autant plus fondé.
12. Le 17 avril 2025, le DIN, soit pour lui l'office du personnel de l'État (ci-après : OPE), a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.
Le recourant ne démontrait pas que la décision de restitution ou la compensation des créances lui créerait un préjudice irréparable. Il expliquait lui-même avoir reçu des prestations de D______ permettant à tout le moins de subvenir à ses besoins essentiels. Il ne prouvait nullement qu'il assumait seul les charges du ménage, n'ayant produit aucune pièce à ce sujet. Il ne démontrait pas non plus que des poursuites avaient été engagées à son encontre ou seraient imminentes ; il était en effet prévu de procéder au premier chef par le biais d'une compensation, laquelle ne s'opérerait que sur la partie du traitement excédant son minimum vital. Dès lors, l'exécution de la décision serait en partie favorable au recourant, qui n'en subirait pas de préjudice.
En cas de restitution de l'effet suspensif suivie d'un rejet du recours, il n'était pas certain que le recourant puisse rembourser la somme litigieuse, tandis qu'en cas d'exécution nonobstant recours suivie d'une admission du recours, l'État pourrait verser la somme due au recourant sans difficultés. La préservation des finances de l'État devait ainsi primer, tout comme en matière de résiliation des rapports de service. Enfin, les chances de succès du recours n'étaient pas suffisantes pour restituer l'effet suspensif.
13. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.
Considérant, en droit, que :
1. Le recours apparaît prima facie recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).
2. Les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d’empêchement de celles‑ci, par un ou une juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).
3. Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).
4. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1375/2024 du 26 novembre 2024 consid. 4 ; ATA/885/2024 du 25 juillet 2024).
Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II
253-420, p. 265).
L’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405; ATA/941/2018 du 18 septembre 2018).
5. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).
6. Le principe général de la répétition de l'indu - selon lequel les versements qui ont été faits en exécution d'une obligation privée de cause valable, ou fondés sur une cause qui ne s'est pas réalisée ou qui a cessé d'exister, doivent être restitués si la loi ne le prévoit pas autrement ̶ était codifié à l'art. 62 al. 2 CO pour le droit privé et valait aussi dans le cadre du droit public (ATF 141 II 447 consid. 8.5; 135 II 274 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_532/2022 du 17 mai 2023 consid. 3.2).
7. En l'espèce, la demande de restitution de l'effet suspensif porte désormais exclusivement sur l'obligation de restituer les indemnités pour incapacité de travail relatives à la période entre le 27 juin et le 3 novembre 2024. L'intimé, qui a renoncé à supprimer le droit au traitement du recourant à partir du 4 novembre 2024, entend procéder par compensation. Par ailleurs, le recourant n'a pas prouvé être le seul au sein de son ménage à exercer une activité lucrative et a indiqué qu'il s'était adressé à D______, qui l'aidait financièrement, sans soutenir qu'il lui serait désormais impossible de faire face à ses charges incompressibles.
En outre, selon la jurisprudence constante en matière de résiliation des rapports de service, laquelle peut en l'espèce trouver application par analogie, l'intérêt public à la préservation des finances de l’État est important et prime l’intérêt financier du recourant à percevoir son traitement durant la procédure (ATA/514/2025 du 7 mai 2025 ; ATA/439/2025 du 16 avril 2025). Ainsi, en cas d'admission du recours, le recourant pourrait sans difficulté se voir verser les sommes dues par l'État, tandis qu'en cas de restitution de l'effet suspensif suivie d'un rejet du recours, il ne pourrait probablement pas s'acquitter de la somme litigieuse.
Enfin, et sans préjudice de l’examen au fond, les chances de succès du recours ne paraissent pas à ce point manifestes qu’elles justifieraient à elles seules la restitution de l’effet suspensif. En effet, la question de la réalité de l'incapacité de travail du recourant pendant la période litigieuse doit faire l'objet d'une instruction.
Au vu de ce qui précède, la requête de restitution dudit effet sera rejetée.
8. Il sera statué sur les frais de la présente décision avec la décision sur le fond.
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;
réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;
- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;
communique la présente décision à Me Aliénor WINIGER, avocate du recourant ainsi qu'au département des institutions et du numérique.
| Le président :
C. MASCOTTO |
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Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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