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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1283/2024

ATA/1481/2024 du 17.12.2024 ( TAXIS ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1283/2024-TAXIS ATA/1481/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 décembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Guy ZWAHLEN, avocat

contre

DIRECTION DE LA POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, né en 1986, est titulaire d’une carte de chauffeur de taxi délivrée par le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir, devenu depuis lors la direction de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci‑après : PCTN) en novembre 2020.

b. Le 12 octobre 2023, A______ a déposé auprès de la PCTN une requête en délivrance d’une autorisation d’usage accru du domaine public (ci‑après : AUADP). Il y était indiqué qu’il avait précédemment loué une AUADP du 31 août 2022 au 31 octobre 2023.

Le courrier d’accompagnement expliquait que la situation exceptionnelle dans laquelle il se trouvait devait être prise en compte, dès lors qu’il n’avait pu exercer sa profession qu’à la fin de l’été 2022 en raison d’une infection au COVID-19, contractée entre fin 2020 et début 2021, qui s’était soldée par un « COVID long ». Il s’agissait d’un cas de rigueur devant permettre de déroger à la date « butoir » arrêtée au 28 janvier 2022 pour les cas dits « normaux ».

Il a notamment annexé à sa requête :

- un certificat médical relatif à une consultation du 7 octobre 2022 selon lequel il avait été infecté par le COVID-19 entre fin 2020 et début 2021. Les tests effectués ultérieurement étaient restés positifs jusqu’à la levée des restrictions ;

- un certificat médical du 12 octobre 2023, selon lequel il ne présentait plus de symptômes liés au COVID-19.

- un contrat « de location pour exploitant indépendant de taxi de service public d’un véhicule équipé Taxi dans le canton de Genève » conclu le 31 août 2022 avec l’entreprise B______ portant sur le véhicule immatriculée GE 1______.

c. Le 15 novembre 2023, la PCTN a informé A______ de son intention de rejeter sa requête et lui a accordé un délai pour se déterminer.

Il avait déposé sa demande en application de l’art. 46 al. 13 de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 28 janvier 2022 (LTVTC - H 1 31) en octobre 2023 en indiquant avoir loué l’AUADP lié aux plaques d’immatriculation GE 1______ le 31 août 2022. Au vu de son dossier, il semblait qu’il n’était pas l’utilisateur effectif d’une AUADP à la date requise, soit le 28 janvier 2022, si bien qu’il ne remplissait d’emblée pas les conditions d’octroi de l’autorisation sollicitée.

d. Le 22 novembre 2023, A______ a persisté dans sa demande, qui consistait en une dérogation en raison d’une situation de rigueur consécutive au « COVID long » qui l’avait frappé. Il ne convenait ainsi pas d’appliquer strictement l’art. 46 al. 13 LTVTC, mais de déroger à la date « butoir » du 28 janvier 2022, le fait qu’il n’ait pu obtenir une AUADP et une plaque qu’après ladite date ne lui étant pas imputable.

e. Par décision du 18 mars 2024, la PCTN a rejeté la requête de A______ en délivrance d’une AUADP en application du régime transitoire.

Il n’avait pas démontré avoir été l’utilisateur effectif d’une AUADP le 28 janvier 2022, soit lors de l’adoption de la LTVTC, celle qu’il avait louée l’ayant été en dehors de la période transitoire. Sa requête ne remplissait ainsi pas les exigences requises, étant précisé que la loi ne permettait pas de prendre en compte des motifs justificatifs à la non-location d’une AUADP à la date requise, malgré un « COVID long ». Par ailleurs, le droit transitoire tenait déjà compte des circonstances particulières liées à l’épidémie de COVID-19, et, s’il avait voulu déroger à l’exigence d’avoir utilisé de manière effective d’une AUADP au moment de l’adoption de la loi en raison de la crise sanitaire, le législateur l’aurait précisé, ce qui n’était pas le cas.

B. a. Par acte posté le 17 avril 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à la délivrance d’une AUADP ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité de procédure.

La PCTN n’avait pas analysé sa situation spécifique, qui différait des autres cas de rigueur. Il aurait ainsi dû appliquer au droit transitoire l’art. 13 al. 9 let. d LTVTC, lequel considérait qu’une AUADP faisait l’objet d’un usage effectif malgré l’incapacité provisoire attestée médicalement de son titulaire. La PCTN ne pouvait en particulier appliquer à la lettre l’art. 46 al. 13 LTVTC, puisqu’il n’en remplissait pas les conditions en raison d’un cas de force majeure, qui ne lui était pas imputable, à savoir une incapacité d’exercer sa profession en raison d’une maladie. Sous l’angle de la proportionnalité, il n’existait aucun intérêt public prépondérant consistant à priver un chauffeur au bénéfice d’une AUADP au simple motif qu’il n’en avait pas eu un usage effectif à la date fixée par les dispositions transitoires. Le but d’intérêt public consistant à éviter qu’à l’avenir des AUADP soient remises à bail pouvait aussi être atteint par l’octroi direct de l’AUADP à celui qui en avait bénéficié par le passé. Cet intérêt public ne pouvait de toute manière pas prévaloir sur son intérêt privé de pouvoir continuer à exercer sa profession pour en tirer un revenu. À cela s’ajoutait que certains titulaires d’AUADP continuaient à louer celles-ci sous la forme de contrats de travail fictifs.

La décision n’était pas conforme à la garantie de la liberté économique, ainsi qu’à l’égalité de traitement entre concurrents, dès lors que certains chauffeurs de taxi avaient reçu deux AUADP alors que d’autres, comme lui, n’en avaient toujours pas. L’art. 46 al. 13 LTVTC violait également le principe de la non-rétroactivité improprement dite des lois, ainsi que le principe de la sécurité et de la prévisibilité du droit et le principe de la bonne foi. En effet, il était au bénéfice d’une AUADP depuis le 22 août 2022, soit avant l’entrée en vigueur de la LTVTC, laquelle lui avait fait perdre ladite AUADP en raison d’une interdiction nouvelle qui portait atteinte à sa situation juridique et à ses droits acquis. Une telle rétroactivité improprement dite ne répondait à aucun intérêt public, puisque le but était déjà atteint par l’interdiction même de la mise à disposition d’une AUADP, de sorte qu’il n’était pas nécessaire, en plus, de faire rétroagir l’impératif d’usage effectif au jour de l’adoption de la loi plutôt qu’au jour de son entrée en vigueur.

Il proposait d’être entendu sur ces différents points.

b. Le 7 juin 2024, la PCTN a conclu au rejet du recours.

L’art. 46 al. 13 LTVTC ne comportait aucune lacune proprement dite. L’art. 13 al. 9 let. d LTVTC avait pour but de favoriser la rotation des AUADP lorsqu’elles n’étaient pas utilisées, alors que l’art. 46 al. 13 LTVTC était une disposition transitoire, qui se référait au seul passage entre l’ancienne et la nouvelle loi et délimitait les bénéficiaires du régime transitoire. Ces dispositions ne poursuivant pas les mêmes buts, l’art. 13 al. 9 let. d LTVTC ne pouvait être appliqué à A______, lequel n’avait jamais été titulaire d’une AUADP et ne pouvait se voir appliquer cette disposition par analogie.

La décision n’emportait pas de violation de la liberté économique. L’instauration d’un régime transitoire lors de l’adoption de la LTVTC avait pour but de permettre aux personnes ayant bénéficié de l’ancien droit et subissant des sacrifices trop importants du fait de la nouvelle réglementation d’atténuer le passage à la nouvelle loi. La condition d’avoir été un utilisateur effectif d’une AUADP au 28 janvier 2022 permettait de circonscrire le cercle des personnes visées par le droit transitoire, condition jugée soutenable au regard du but poursuivi par la nouvelle réglementation. L’art. 46 al. 13 LTVTC tenait ainsi compte de l’intérêt privé des administrés qui exerçaient l’activité de chauffeur professionnel de taxi en janvier 2022 de continuer leur activité après l’entrée en vigueur de la LTVTC, tout en respectant les principes de la légalité, de l’égalité de traitement et de la sécurité du droit.

La décision litigieuse n’était pas contraire au principe d’égalité de traitement, qui était assuré par l’art. 46 al. 13 LTVTC.

Le principe de la non-rétroactivité improprement dite était également respecté, puisque la requête en délivrance d’une AUADP en application du régime transitoire avait été déposée le 12 octobre 2023, soit après l’entrée en vigueur de la LTVTC le 1er novembre 2022. A______ ne pouvait pas non plus se prévaloir d’un droit acquis au motif qu’il aurait loué des plaques d’immatriculation sous l’ancien régime légal.

c. Le 18 juillet 2024, A______ a persisté dans son recours, reprenant ses précédents arguments.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Il ressort des écritures du recourant qu’il sollicite son audition.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1). Ce droit n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à leur appréciation anticipée s’il acquiert la certitude qu’elles ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1). En outre, il n’implique pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’espèce, le recourant a valablement exercé son droit d’être entendu avant le prononcé de la décision querellée et a pu également exposer son point de vue et ses arguments, y compris produire les pièces qu’il jugeait utile, dans son recours et sa réplique. En particulier, il n’explique pas quels éléments utiles autres que ceux déjà exposés permettraient d’apporter à la solution du litige. Il ne sera dès lors pas donné suite à sa demande d’audition.

3.             Le litige porte sur le bien-fondé du refus de délivrer au recourant une AUADP en application du régime transitoire prévu par l’art. 46 al. 13 LTVTC.

3.1 La LTVTC, en vigueur depuis le 1er novembre 2022, résulte du projet de loi (ci‑après : PL) 12'649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur, déposé par le Conseil d’État devant le Grand Conseil le 26 février 2020. Ce projet a été renvoyé à la commission parlementaire des transports qui a rendu deux rapports, respectivement le 16 août 2021 (ci-après : Rapport A) et le 11 janvier 2022 (ci-après : Rapport B).

Dans sa présentation du projet de loi, le département a exposé qu’en raison du numerus clausus des AUADP, le délai d’attente pour leur obtention pouvait atteindre plusieurs années, ce qui augmentait leur valeur économique et permettait à leurs titulaires de gagner de l’argent en vivant de la rente résultant de la location de leurs plaques pour un loyer dépassant parfois plus de dix fois le montant de la taxe annuelle. De nombreux chauffeurs voulant exercer la profession de chauffeur de taxi étaient ainsi contraints de louer une AUADP, ce qui les rendait dépendants et économiquement vulnérables. Il était apparu que 53 personnes détenaient 150 AUADP, dont une personne qui en avait dix. En l’absence d’outils permettant de contrôler les prix, le PL prévoyait de supprimer la cession des plaques, en recourant à leur location ou au bail à ferme. Ainsi, selon le PL, le détenteur d’une AUADP pouvait soit l’utiliser lui-même, soit engager un chauffeur pour l’utiliser – qui devenait contractuellement son employé –, soit céder définitivement l’AUADP.

La commission parlementaire a voulu supprimer la location des plaques, qui conférait une rente de situation aux titulaires d’une AUADP, lesquels les louaient à un prix abusif. Le bail à ferme permettait la réalisation de marges excessives par rapport à l’outil de travail proposé, en tirant profit d’un avantage octroyé par l’État pour le monnayer. Il convenait de supprimer cette possibilité, une indemnisation étant introduite dans les dispositions transitoires en faveur des personnes rendant leur AUADP.

À l’issue de la séance du 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la LTVTC (loi 12'649), publiée le 4 février 2022 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) fixant le délai référendaire au 16 mars 2022. Vu l’expiration de ce dernier, le Conseil d’État a, par arrêté du 23 mars 2022 publié dans la FAO du 25 mars 2022, promulgué la LTVTC pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication dudit arrêté, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État. Le 19 octobre 2022, le Conseil d’État a annoncé que la LTVTC et son règlement d’application entreraient en vigueur le 1er novembre 2022.

3.2 L’art. 46 al. 13 LTVTC dispose, sous l’intitulé « attribution des autorisations restituées ou caduques », que le département peut attribuer l’AUADP à la personne physique ou morale qui en était l’utilisateur effectif au moment du dépôt de la LTVTC, s’il en est toujours l’utilisateur au moment de l’adoption de la LTVTC, en fait la requête et réalise les conditions de délivrance visées à l’art. 13 al. 5 LTVTC.

Les personnes réalisant les conditions de l’art. 46 al. 13 de la loi peuvent requérir la titularité d’une AUADP. La requête doit être déposée dans le délai transitoire mentionné à l’al. 11 du présent article ; l’art. 5 du présent règlement est applicable pour le surplus (art. 57 al. 12 du règlement d’exécution de la LTVTC du 21 juin 2017 - RTVTC - H 1 31 01). L’art. 57 al. 11 RTVTC prévoit que le service peut, pendant le délai transitoire des douze mois visé à l’art. 46 al. 8 LTVTC, délivrer jusqu’à 200 AUADP supplémentaires aux utilisatrices effectifs au sens de l’art. 46 al. 13 LTVTC.

Dans un arrêt du 24 mars 2023 (ACST/15/2023), la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) a jugé que l’art. 46 al. 13 LTVTC était une disposition légale transitoire, adoptée pour permettre aux chauffeurs de taxis exerçant leur profession à travers la location de plaques ou d’un bail à ferme de continuer leur activité, malgré l’abolition de ces pratiques par l’entrée en vigueur de la LTVTC, et de leur attribuer, pour autant que les conditions légales soient remplies, une AUADP (consid. 5.3.4). Dans ce contexte, le Conseil d’État avait indiqué que l’augmentation transitoire du nombre d’AUADP pendant un an (art. 57 al. 11 RTVTC) permettait d’atténuer les effets du passage au régime de l’interdiction de location des autorisations. En outre, la chambre constitutionnelle a rappelé que l’AUADP octroyée aux taxis ne conférait généralement pas de droits acquis, à moins de garanties spécifiquement obtenues concernant la poursuite de l’activité de location de plaques, ce qui n’était pas le cas dans les affaires dont elle était saisie (ACST/26/2022 et ACST/27/2022 du 22 décembre 2022).

3.3 Se penchant sur la condition d’être utilisateur effectif de l’AUADP au moment du dépôt de la LTVTC, la chambre de céans a jugé que celle-ci n’était pas décisive, mais qu’était en revanche déterminant le fait d’être utilisateur effectif au moment de l’adoption de la loi le 28 janvier 2022 (ATA/1327/2024 du 12 novembre 2024 consid. 3.3 ; ATA/886/2023 du 22 août 2023 consid. 6.6 ; ATA/779/2023 du 18 juillet 2023 consid. 5.6.2).

Dans un arrêt du 4 juin 2024 (2C_690/2023), le Tribunal fédéral a confirmé la compatibilité de l’art. 46 al. 13 LTVTC avec les principes de non-rétroactivité des lois et de proportionnalité en lien avec la liberté économique.

Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a eu l’occasion de relever que la situation des chauffeurs de taxis liée à la crise sanitaire ne permettait pas de déroger à l’application de l’art. 46 al. 13 LTVTC. À rigueur de texte, cette disposition ne prévoyait pas la possibilité d’invoquer des motifs d’empêchement à la location d’une AUADP. Il ressortait des travaux parlementaires que l’idée du régime transitoire était de prévoir un passage en douceur pour les personnes subissant des sacrifices trop importants du fait de la nouvelle réglementation. Or, les chauffeurs de taxi qui n’étaient pas locataires d’une AUADP au moment de l’adoption de la loi ne se trouvaient pas dans la situation dans laquelle leur relation par rapport au bailleur devait être clarifiée et ils ne couraient pas le risque de perdre leur outil de travail en raison de la restitution par leur bailleur de l’AUADP (ATA/1115/2024 du 24 septembre 2024 consid. 3.3 ; ATA/1051/2024 du 3 septembre 2024 consid. 3.6 s ; ATA/1013/2024 du 27 août 2024 consid. 2.3 ; ATA/918/2024 du 6 août 2024 consid. 2.10 ; ATA/878/2024 du 23 juillet 2024 consid. 3.9 ; ATA/879/2024 du 23 juillet 2024 consid. 2.9 ; ATA/821/2024 du 9 juillet 2024 consid. 3.9).

Ces considérations ont conduit la chambre administrative à retenir qu’un chauffeur de taxi qui, sans être locataire à ce moment d’une AUADP, avait été absent de Suisse de janvier à mars 2022 n’était pas, durant cette période, l’utilisateur effectif des plaques louées au sens de l’art. 46 al. 13 LTVTC ; peu importaient les motifs pour lesquels il s’était rendu à l’étranger (ATA/687/2023 du 27 juin 2023 consid. 3.9). Elle a abouti à la même conclusion dans le cas d’un chauffeur de taxi dont le contrat de location d’une AUADP avait pris fin depuis plusieurs mois en raison d’un accident et qui se trouvait toujours en incapacité de travail à la date d’adoption de la LTVTC (ATA/814/2024 du 9 juillet 2024 consid. 2.6).

3.4 Selon un principe général de droit intertemporel, les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 140 V 41 consid. 6.3.1). Liée aux principes de sécurité et de prévisibilité du droit (art. 5 al. 1 Cst.), l’interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), ainsi que de l’interdiction de l’arbitraire et de la protection de la bonne foi (9 Cst.). L’interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l’application d’une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1), car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause (ATF 144 I 81 consid. 4.2). Il n’y a pas de rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend réglementer un état de chose qui, bien qu’ayant pris naissance dans le passé, se prolonge au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit ; cette rétroactivité (improprement dite) est en principe admise, sous réserve du respect des droits acquis (ATF 148 V 162 consid. 3.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1).

3.5 En l’espèce, la requête formée par le recourant auprès de l’autorité intimée en vue de l’obtention d’une AUADP, qui constitue le fait juridiquement déterminant, date du 12 octobre 2023, soit après l’entrée en vigueur, le 1er novembre 2022, de la LTVTC. Ladite requête doit donc s’examiner au regard de la nouvelle réglementation, conformément au principe général du droit intemporel rappelé par ci-dessus. La cause ne soulève ainsi pas de question sous l’angle de rétroactivité, y compris improprement dite, des lois. Au demeurant, étant donné qu’une AUADP ne confère pas de droit acquis, une éventuelle rétroactivité improprement dite de la loi serait en tout état de cause admissible (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2023 précité consid. 5.2).

Le recourant admet qu’il n’a pas été l’utilisateur effectif d’une AUADP le 28 janvier 2022, date de l’adoption de la LTVTC. Il fait toutefois valoir qu’en raison d’une infection au COVID-19, il était dans l’incapacité d’exercer sa profession, raison pour laquelle il n’avait pu louer une AUADP qu’à partir d’août 2022. Cette situation « exceptionnelle » constituerait un cas de rigueur qui justifierait une dérogation au régime transitoire, en ce sens que la condition d’avoir été l’utilisateur effectif au moment de l’adoption de la loi ne devrait pas s’appliquer à son cas, le cas échéant que seule la date d’entrée en vigueur de la LTVTC serait déterminante.

La chambre administrative a toutefois déjà retenu, dans sa jurisprudence, que l’art. 46 al. 13 LTVTC ne prévoyait pas la possibilité d’invoquer des motifs d’empêchement à la location d’une AUADP au moment de l’adoption de la loi, le 28 janvier 2022. Si le législateur avait voulu déroger au régime transitoire, plus particulièrement à l’exigence d’avoir été l’utilisateur effectif d’une AUADP au moment déterminant, il l’aurait clairement indiqué. Ainsi que l’a relevé l’autorité intimée, l’art. 46 al. 13 LTVTC a été élaboré durant la période de la crise sanitaire, si bien que les conséquences économiques de cette situation sur les chauffeurs de taxis ne pouvaient être ignorées par le législateur. Par ailleurs, comme l’a jugé récemment le Tribunal fédéral, il n’apparaît pas contraire au principe de la bonne foi de circonscrire le cercle des bénéficiaires d’un régime transitoire prévoyant un accès privilégié à la titularité des autorisations aux chauffeurs qui ont recouru à la location de celles-ci jusqu’au moment de l’adoption de la LTVTC, car ces chauffeurs ne pouvaient pas, avant ce moment-là, s’attendre à l’interdiction d’une telle pratique. En revanche, dès l’adoption de la loi, les chauffeurs devaient s’attendre aux modifications juridiques intervenues, même s’ils ne savaient pas de manière définitive quand une telle suppression entrerait en vigueur. Le régime permet ainsi d’éviter des abus consistant à devenir locataire d’une AUADP avant l’entrée en vigueur de la loi, dans le seul but de pouvoir bénéficier de l’application de l’art. 46 al. 13 LTVTC et de court-circuiter l’ordre prévu dans la liste d’attente de ces autorisations.

Or, dans le cas présent, le recourant a loué une AUADP le 31 août 2022, soit à une période où il devait s’attendre à l’interdiction d’une telle pratique. Contrairement aux chauffeurs de taxi qui étaient utilisateurs effectifs au moment de l’adoption de la loi, le recourant connaissait le risque qu’il prenait de perdre son outil de travail en raison de la restitution par son bailleur de l’AUADP. En tant qu’elle distingue ces situations, la loi échappe à toute critique. En outre, conformément à ce qui précède, il ne peut pas invoquer son « COVID long » comme étant un cas de rigueur (ATA/814/2024 précité consid. 2.6).

Il s’ensuit que, faute d’avoir été titulaire d’une AUADP au moment déterminant du 28 janvier 2022 – date au demeurant confirmée par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2023 précité consid. 6) –, le recourant ne peut bénéficier du régime transitoire instauré par l’art. 46 al. 13 LTVTC, conformément à la jurisprudence de la chambre de céans, dont il n’y a pas lieu de s’écarter (ATA/1327/2024 précité consid. 3.6 et les références citées).

4.             Invoquant les art. 27 et 36 al. 3 Cst., le recourant se plaint d’une violation du principe de la proportionnalité en lien avec la liberté économique. Selon lui, il n’existerait aucun intérêt public prépondérant à le priver du bénéfice d’une AUADP indispensable pour l’exercice de sa profession, sont intérêt privé à pouvoir continuer d’exercer celle-ci devant primer

4.1 Selon l’art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1) ; elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). L’activité de chauffeur de taxi indépendant ou salarié est protégée par l’art. 27 Cst., même si l’exercice de cette activité implique un usage accru du domaine public (ATF 150 I 120 consid. 4.1.1). De jurisprudence constante, la collectivité publique est toutefois habilitée à réglementer un tel usage accru du domaine public par les taxis (arrêt 2C_394/2020 du 20 novembre 2020 consid. 7.2 et les arrêts cités). Les restrictions à l’exercice de la profession de chauffeur de taxi qui portent ainsi atteinte à la liberté économique doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et respecter le principe de proportionnalité, qui exige qu’une mesure soit apte à produire les résultats escomptés (aptitude), que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (nécessité), et interdit toute limitation des droits individuels allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (proportionnalité au sens étroit ; art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 150 I 120 consid. 4.1.1 ; 149 I 191 consid. 6 et 7.2).

4.2 En l’espèce, l’art. 46 al. 13 LTVTC ne restreint pas la liberté économique du recourant, puisqu’une telle restriction résulte uniquement de l’art. 13 al. 3 et 9 LTVTC, qui consacre le caractère strictement personnel et intransmissible des autorisations d’usage accru du domaine public, ce qui revient à en interdire la location à des tiers, disposition qu’il ne critique pas.

Le fait que l’art. 46 al. 13 LTVTC prévoie la possibilité – et non pas le droit, contrairement à ce que soutient le recourant – de se voir attribuer en priorité une autorisation personnelle pour les chauffeurs qui en louaient une à leur titulaire au moment de l’adoption de la loi, condition qu’il ne remplit pas, ne signifie pas que cette disposition consacre, comme il le prétend, une violation de sa liberté économique. En effet, comme mentionné ci-dessus, la jurisprudence admet que le droit cantonal, en l’occurrence la LTVTC, puisse limiter l’utilisation du domaine public par les chauffeurs de taxi en soumettant celle-ci à autorisation. Or, le recourant reste libre d’obtenir une AUADP aux conditions prévues par la loi, en déposant une demande d’inscription sur une liste d’attente à cet effet. C’est également en vain que l’intéressé se plaint d’une atteinte à son « droit acquis » à une AUADP puisque, comme déjà évoqué, il n’existe pas de droit acquis au maintien d’une telle autorisation. Enfin, bien qu’il mentionne dans son recours une violation du principe d’égalité de traitement entre concurrents, le recourant n’expose pas concrètement en quoi ce principe serait violé dans son cas, se limitant à évoquer de manière non étayée d’autres situations, notamment des chauffeurs de taxi qui disposeraient de plusieurs AUADP. Il n’indique toutefois pas de cas similaire au sien, à savoir qu’une AUADP aurait été octroyée par l’autorité intimée à un chauffeur postérieurement à l’adoption de la LTVTC, en application des dispositions transitoires de cette loi.

Il convient en outre de rappeler qu’il n’existe pas de droit au maintien d’une législation en vigueur jusqu’alors et qu’un régime transitoire doit seulement permettre aux administrés de s’adapter à la nouvelle réglementation, et non de profiter le plus longtemps possible de l’ancien régime, plus favorable (ATF 149 I 291 consid. 5.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C/690/2023 précité consid. 7.3).

Entièrement mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 avril 2024 par A______ contre la décision de la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 18 mars 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guy ZWAHLEN, avocat du recourant, ainsi qu’à la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :