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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2119/2024

ATA/946/2024 du 19.08.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2119/2024-PRISON ATA/946/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 août 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon depuis le 3 février 2024 en détention provisoire.

b. Le 25 mai 2024, il a été sanctionné de trois jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu, trouble à l’ordre de l’établissement et possession d’objets prohibés. A______ a contesté cette décision. Le recours est pendant auprès de la chambre administrative de la Cour de justice.

c. Selon le rapport d’incident du 31 mai 2024, lors de la fouille à 10h40 à la suite de son retour des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), une lettre manuscrite pliée était dissimulée dans une poche de son jeans. Ce courrier a été adressé au Ministère public, seul compétent pour l’ouvrir. Compte tenu de cette découverte, la fouille de la cellule de l’intéressé a été ordonnée.

d. Selon le rapport d’incident du 1er juin 2024, la fouille de A______ lors de la descente à la promenade le lendemain à 8h00 avait révélé la présence de huit paquets de cigarettes, du sucre et du café, l’intéressé n’ayant déposé que deux paquets lors de son passage au magnétomètre. Le précité avait expliqué qu’il voulait faire des échanges lors de la promenade. Les agents de détention lui avaient laissé deux paquets de cigarettes, ce qui correspondait au nombre autorisé. La fouille de la cellule, avait révélé deux linges en trop, huit sacs qui avaient été détruits et une cache à téléphone vide, trouvée sous la latte qui tenait la tringle à rideau. Les 56 médicaments également trouvés avaient été remis au service médical qui était chargé de la distribution des médicaments à A______. Les papiers trouvés avaient été remis au gardien-chef adjoint. Le « pacson » trouvé, dont A______ avait dit qu’il était le sien, contenait 1.74 gr de poudre blanche. À la suite de cette dernière découverte, le transfert en cellule forte avait été ordonné.

Le même jour, à 16h30, A______ avait pu se déterminer sur ces faits, qu’il avait reconnus.

e. À 16h35, une sanction de deux jours de cellule forte lui a été notifiée pour trouble à l’ordre de l’établissement. L’intéressé a refusé de signer la notification de la sanction.

f. La poudre blanche a été saisie et remise à la brigade des stupéfiants.

B. a. Par acte expédié le 18 juin 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision. Le sachet de bicarbonate trouvé dans sa cellule ne lui appartenait pas. Au besoin, il se tenait à disposition pour une audience.

Était joint un courrier manuscrit de sa part, destiné à un prénommé B______, lui demandant de préparer un recours pour lui. Le bicarbonate ne lui appartenait pas ; un autre détenu l’avait laissé dans la cellule. Celui-ci s’appelait C______. Le recourant a également produit un courrier manuscrit d’un autre détenu indiquant qu’il était dans la même cellule que le recourant, aussi avec un autre détenu qui s’appelait D______. Ce dernier avait demandé du bicarbonate et avait demandé au recourant de la mettre dans une enveloppe qui appartenait à lui-même.

b. La direction de la prison a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique, le recourant a maintenu sa version. Il avait été en possession de quatre et non de huit paquets de cigarettes. La pochette de téléphone ne lui appartenait pas. Les médicaments lui avaient été donnés par le service médical.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il pourrait en être tenu compte en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 2 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2).

Le recours est donc recevable.

3.             Le recourant indique se tenir à disposition pour être auditionné.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 132 II 485 consid. 3.2). Ce droit n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement ni celui de faire entendre des témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 En l’espèce, le recourant a eu l’occasion de faire valoir son point de vue tout au long de la procédure devant la chambre de céans. Il a, en outre, pu produire toutes les pièces qu’il estimait utiles. Il n’explique pas en quoi son audition permettrait d’apporter des éléments autres que ses allégations.

Pour le surplus, la chambre de céans dispose d’un dossier complet lui permettant de trancher le litige en connaissance des éléments pertinents. Il n’y a donc pas lieu de procéder à l’audition du recourant.

4.             Le recourant conteste les faits reprochés ainsi que le bien-fondé de la sanction.

4.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

4.2 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.2 ; ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019).

4.3 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus de détenir d’autres objets que ceux qui leur sont remis (art. 45 let. e RRIP) et, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

4.4 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, les sanctions peuvent être a) la suppression de visite pour 15 jours au plus, b) la suppression des promenades collectives, c) la suppression des activités sportives, d) la suppression d’achat pour 15 jours au plus, e) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour 15 jours au plus, f) la privation de travail ou encore g) le placement en cellule forte pour 10 jours au plus.

4.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/439/2024 précité consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

4.6 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 précité consid. 4f et les références citées).

4.7 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/439/2024 précité consid. 3.8 ; ATA/284/2020 précité consid. 4f et les références citées).

5.             Il convient d’examiner ci-après le bien-fondé de la sanction contestée à l’aune des principes qui viennent d’être énoncés.

5.1 En l’espèce, il ressort des rapports d’incident que lors de sa fouille en revenant des HUG, le recourant dissimulait une lettre dans une de ses poches. Le recourant ne le conteste pas. Lors du passage au magnétomètre, alors qu’il se rendait à la promenade le lendemain, le recourant a déposé deux paquets de cigarettes. Toutefois, la fouille qui a suivi a mis au jour, sous plusieurs couches de vêtements, huit paquets de cigarettes, du sucre et du café. Le recourant conteste à cet égard uniquement le nombre de paquets faisant valoir qu’il en dissimulait quatre et non huit. Cette question peut demeurer indécise dès lors que, dans les deux cas, le recourant transportait plus de paquets de cigarettes que le nombre autorisé de deux, ce qu’il ne conteste pas. Il ne remet pas non plus en cause le fait qu’il n’était pas censé dissimuler sur lui du sucre et du café pour se rendre à la promenade. Par ailleurs, il ne conteste pas non plus que 56 médicaments – dont des tranquillisants, des neuroleptiques et des antidépresseurs – avaient été trouvés dans sa cellule. Son allégation selon laquelle ces médicaments lui avaient été remis par le service médical pour sa propre consommation n’est pas crédible, au regard de l’importante quantité stockée dans sa cellule.

Enfin, il ressort du rapport d’incident que le recourant a déclaré que le « pacson » contenant de la poudre blanche lui appartenait. Dans son recours, il conteste avoir été le propriétaire de ce « pacson ». Les explications données dans sa lettre manuscrite annexée à son recours sont confuses et celles du détenu ayant partagé sa cellule tendent à confirmer que le détenu prénommé D______ avait mis une substance blanche dans une enveloppe appartenant au recourant. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter du constat fait dans le rapport d’incident selon lequel le recourant détenait un « pacson » de poudre blanche.

5.2 En dissimulant des objets lors de contrôles et en détenant des objets non autorisés, le recourant est contrevenu à ses devoirs de se conformer aux règles de la prison (art. 42 RRIP), notamment aux art. 45 let. e et h RRIP, qui interdisent aux détenus de détenir d’autres objets que ceux qui leur sont remis et de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement. Le prononcé d’une sanction est donc justifié.

La détention d’objets prohibés constitue une violation grave du RRIP. L’intérêt public à éviter qu’un trafic d’objets et de médicaments, voire de stupéfiants se développe dans le milieu carcéral est en effet important. La prise de certains médicaments hors toute surveillance médicale est, de surcroît, susceptible de mettre la santé des personnes concernées en danger. En arrêtant la sanction à deux jours de cellule forte, l’autorité intimée a dûment tenu compte de la gravité de la faute du recourant. La sanction est aussi de nature à l’inciter à respecter, à l’avenir, les consignes et le RRIP, en s’abstenant de dissimuler et de détenir des objets prohibés. Tant le choix de la sanction que sa quotité étaient aptes, nécessaires et proportionnés au sens étroit pour garantir la sécurité et la tranquillité de l'établissement.

La sanction querellée ne viole donc pas la loi ni ne consacre un abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée.

Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

6.             Vu la nature du litige, il n’y a pas lieu à perception d’un émolument. Le recourant succombant, il ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 juin 2024 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 1er juin 2024 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :