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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/815/2024

ATA/789/2024 du 27.06.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/815/2024-PRISON ATA/789/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 juin 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre


ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE FERMÉ CURABILIS intimé



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1987, est incarcérée depuis le 2 juin 2020 dans l’établissement fermé Curabilis (ci-après : Curabilis) en exécution d’une mesure institutionnelle en milieu fermé.

b. Depuis son incarcération, elle a fait l’objet de 32 sanctions disciplinaires, en majorité pour comportement inadéquat ou insubordination et/ou incivilités à l’encontre du personnel. Les sanctions infligées ont été un avertissement, des amendes, des suppressions du lieu de vie et du multimédia, d’espaces de détente, de la libre circulation sur la coursive d’étages, et des placements en cellule forte. Elles ont parfois fait l’objet de sursis.

B. a. Par décision du 2 mars 2024, A______ a été sanctionnée de trois jours d’arrêts disciplinaires, sans sursis et d’un jour d’arrêt disciplinaire avec sursis de deux mois pour insubordination et/ou incivilités à l’encontre du personnel ainsi que menaces et/ou atteinte à l’intégrité corporelle ou à l’honneur.

Il lui était reproché un refus d’obtempérer, des gestes provocants, des insultes et une menace physique et verbale. L’intéressée avait été entendue oralement le 2 mars 2024 à 18h00 et un procès-verbal d’audition établi le jour-même. La sanction lui avait été notifiée à 20h30, ce qu’elle avait refusé de signer. La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

b. Il ressort du rapport établi par un agent de détention le 2 mars 2024, que deux agents, accompagnés de deux infirmiers, s’étaient rendus, à 16h24, au 3e étage voir A______ qui criait dans sa cellule. Un infirmier lui avait demandé, à plusieurs reprises, à travers le portillon, de baisser le volume de sa radio. La détenue l’avait ignoré, avait tourné en rond dans sa cellule et avait fini par baisser le son après une nouvelle injonction. Lorsqu’un agent l’avait prévenue que si elle mettait à nouveau le volume de sa radio à fond, l’électricité serait coupée dans la cellule, elle avait tiré la langue. Il lui avait expliqué qu’une telle réponse n’était pas mature. Elle s’était alors avancée rapidement près de la porte et avait dit : « tu vas voir si elle mature la poire ». À 16h25, à la suite d’une décision du sous-chef, en concertation avec le service médical, la détenue avait été « descendue en mesures conservatoires en 4.01 ». Au moment où le personnel de la prison avait refermé la porte de la cellule 4.01, à 16h35, A______ leur avait fait un doigt d’honneur. Le médecin de garde avait été appelé en vue d’un entretien avec l’intéressée. Il avait conclu que la détenue n’était pas en décompensation aiguë.

c. Il ressort du procès-verbal d’audition du 2 mars 2024, que A______ a soutenu avoir été évaluée non compensée et donc ne pas devoir être sanctionnée. À la remarque de l’agent qu’elle avait au contraire été évaluée compensée et que cela le confortait dans l’idée qu’elle se dédouanait de son comportement sous couverture de son état de santé, A______ n’avait plus répondu. À la fermeture, elle l’avait traité de « connard ». Elle a refusé de signer le procès-verbal d’audition.

C. a. Par acte du 7 mars 2024, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction du 2 mars 2024.

Elle était dans une démarche de reprise de traitement et de soins en général depuis trois semaines. Elle avait vu la commission de dangerosité le 28 février 2024 à la demande du service d’application des peines et mesures. Elle était dans le désarroi de subir une nouvelle sanction. Elle n’avait pas voulu baisser le volume de la musique s’agissant d’une après-midi et non de la nuit. Elle n’avait insulté personne mais avait fait un jeu de mots avec la poire. Cela s’était toutefois mal passé. Elle se rendait compte à quel point elle devait être vigilante sur le choix de ses mots, surtout dans l’établissement où elle se trouvait. Elle souhaitait s’en sortir et commencer « enfin à faire une conduite ». La chambre administrative devait « considérer [s]a requête ».

b. L’établissement a conclu au rejet du recours.

c. La recourante n’ayant pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante conteste la sanction.

2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2,
3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

2.2 La personne détenue a l’obligation de respecter les dispositions du règlement de l’établissement de Curabilis du 19 mars 2014 (RCurabilis - F 1 50.15), les directives du directeur général de l’office cantonal de la détention, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire ainsi que les instructions du personnel médico‑soignant (art. 67 RCurabilis).

2.3 La personne détenue doit observer une attitude correcte à l’égard des différents personnels, des autres personnes détenues et des tiers (art. 68 RCurabilis).

2.4 À teneur de l’art. 69 al. 1 RCurabilis, sont en particulier interdits l’insubordination et les incivilités à l’encontre du personnel de Curabilis (let. b), les menaces dirigées contre les différents personnels de Curabilis (…) et les atteintes portées (…) à leur honneur (let. c) et d’une façon générale, le fait d’adopter un comportement contraire au but de Curabilis (let. n).

2.5 Si une personne détenue enfreint le RCurabilis, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l’état de santé de la personne détenue au moment de l’infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s’exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 3 RCurabilis).

2.6 Selon l’art. 70 al. 4 RCurabilis, les sanctions sont l’avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b.), l’amende jusqu’à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts pour une durée maximale de dix jours (let. d). Ces sanctions peuvent être cumulées (art. 70 al. 5 RCurabilis). L’exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (art. 70 al. 6 RCurabilis).

2.7 Le directeur de Curabilis et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer les sanctions (art. 71 al. 1 RCurabilis). Le directeur de Curabilis peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l’art. 70
al. 4 RCurabilis à d’autres membres du personnel gradé de l’établissement, les modalités de la délégation étant prévues dans une directive interne (art. 71
al. 2 RCurabilis). La chambre administrative a jugé qu’une sanction prise par un agent pénitentiaire ayant le grade de sous-chef auquel le directeur de Curabilis avait délégué la tâche de statuer était valablement prononcée par une autorité compétente (
ATA/1598/2019 du 29 octobre 2019 consid. 2d et la référence citée).

2.8 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé ‑, de nécessité - qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATA/284/2020 précité consid. 4d et la référence citée).

2.9 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).

2.10 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s’en écarter (ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/36/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018).

2.11 En l’espèce, il ressort de la décision de sanction du 2 mars 2024 que la détenue aurait refusé d’obtempérer, eu des gestes provocants, proféré des insultes et une menace physique et verbale.

La recourante ne conteste pas avoir refusé d’obtempérer immédiatement quant au volume de sa radio au motif qu’elle l’écoutait pendant l’après-midi. Elle ne renie pas avoir indiqué : « tu vas voir si elle est mature la poire » mais précise avoir voulu faire un jeu de mots. Une partie des faits sont en conséquence reconnus.

Si elle n’indique pas si elle a tiré la langue, elle ne le conteste pas non plus. De même, elle n’évoque pas le doigt d’honneur qui lui est reproché lors de son transfert dans la cellule 4.01. Il ne ressort en conséquence ni du dossier ni des déclarations de la recourante un élément qui permettrait de s’écarter de la description des faits tels que relatés dans le rapport d’incident. Ceux‑ci sont constitutifs d’un refus d’obtempérer pour le volume de la radio et d’une insulte pour avoir tiré la langue et fait un doigt d’honneur. La question de savoir si « tu vas voir si elle est mature la poire » constitue une menace, quand bien même cela apparait douteux, souffrira de rester indécise, les éléments constitutifs d’une violation des art. 69 let. b et c RCurabilis, invoqués dans la décision, étant réalisés.

Il s’ensuit que le principe d’une sanction pour les faits du 2 mars 2024 est fondé.

2.12 Reste à déterminer si la sanction disciplinaire infligée est conforme au principe de la proportionnalité.

Elle consiste en trois jours d’arrêts disciplinaires sans sursis et un jour avec sursis de deux mois. La recourante ne remet en cause ni le choix de la sanction ni sa quotité. La sanction est en effet apte et nécessaire pour garantir le respect de l’ordre au sein d’un établissement pénitentiaire notamment le respect du personnel. La recourante a de nombreux antécédents principalement pour insubordination et/ou incivilités à l’encontre du personnel, ainsi que pour comportement inadéquat. Elle a fait l’objet de diverses sanctions allant de l’amende au placement en cellule forte. La dernière, le 18 janvier 2024, a consisté en un placement de deux jours en cellule forte pour insubordination et/ou incivilités à l’encontre du personnel. L’autorité a en conséquence fait le choix d’une sanction cohérente avec les sanctions précédentes, notamment avec la dernière. La quotité de la sanction est nuancée, en limitant la durée à trois jours sans sursis, alors que le maximum est de dix, et en prononçant un sursis pour un jour. Le principe de la proportionnalité est en conséquence respecté.

Le recours sera dès lors rejeté.

3.             Au vu de la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87
al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 mars 2024 par A______ contre la décision de l’établissement pénitentiaire fermé Curabilis du 2 mars 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu’à l’établissement pénitentiaire fermé Curabilis.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :