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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/998/2023

ATA/668/2024 du 04.06.2024 sur JTAPI/1229/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/998/2023-PE ATA/668/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 juin 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______, agissant en son nom et celui de son épouse, B______,
et leurs enfants mineurs C______, D______ et E______ recourants

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 novembre 2023 (JTAPI/1229/2023)


EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : le requérant), ressortissant kosovar né le ______ 1985, déclare être arrivé en Suisse en 2009.

b. Il a épousé B______, ressortissante kosovare née le ______ 1996, le 12 mars 2014. De cette union sont issus trois enfants : C______, né le ______ 2015, D______, née le ______ 2018 et E______, née le ______ 2022.

c. B______ a rejoint son époux à Genève en 2014.

d. Le requérant a sollicité des visas de retour pour le Kosovo les 17 août 2018, 15 novembre 2018, 3 janvier 2019, 7 mars 2019, 13 décembre 2019, 2 mars 2020, 3 mars 2021, 26 mai 2021 et 15 juin 2022. Son épouse a sollicité des visas de retour les 13 août 2018, 28 février 2020, 3 mars 2021, 1er octobre 2021, 3 mars 2022.

B. a. Par courrier du 23 octobre 2017 adressé à l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) et accompagné du formulaire M ad hoc, le requérant a requis une autorisation de séjour en Suisse pour lui-même, ainsi que pour son épouse et leur premier enfant. Il était arrivé en Suisse le 9 mai 2009 et son épouse le 13 décembre 2014. Ils avaient vécu de manière ininterrompue en Suisse depuis leur arrivée. Il y exerçait une activité lucrative et tous ses amis et son cercle social se trouvaient désormais également dans ce pays. En tant que carreleur spécialisé, il était devenu un élément indispensable pour la pérennité de la société F______ SA. Il invoquait les dispositions légales relatives au cas individuel d'extrême gravité.

À l'appui de sa requête, il a produit de nombreux documents, dont ceux qui se rapportent à la plus ancienne période de sa présence en Suisse, soit :

-        une attestation non datée signée par G______, H______ et I______, indiquant connaître le requérant depuis plusieurs années et faisant état des qualités de ce dernier ;

-        des fiches de salaire délivrées par la société J______ SA pour la période de mai et juin 2007, ainsi que pour le mois de septembre 2008 ;

-        des fiches de salaire délivrées par la société K______ Sàrl pour les mois de juillet à septembre 2009 ;

-        des fiches de salaire délivrées par la société L______ SA pour les mois d'avril à juin et août à décembre 2012 ;

-        une attestation de salaire délivrée par la société L______ SA pour l'année 2012, s'agissant de la période d'avril à décembre de cette année et faisant état d'un revenu brut total de CHF 46'434.40 ;

-        des fiches de salaire de janvier, février, août, septembre et octobre 2013 délivrées par la société L______ SA ;

-        une attestation de salaire délivrée par la société L______ SA pour l'année 2013, s'agissant de la période de janvier à décembre de cette année et faisant état d'un revenu brut total de CHF 66'226.35 ;

-        une demande de rectification de l'imposition à la source 2013 qu'il a adressée à l'administration fiscale cantonale le 21 février 2014 et l'accusé de réception de cette autorité en date du 11 mars 2014 ;

-        des fiches de salaire de janvier, février, avril, mai, juin, juillet et septembre 2014 délivrées par la société L______ SA, ainsi qu'un courrier de licenciement de cette société en date du 3 mars 2014, lui annonçant la fin des rapports de travail au 31 octobre de la même année ;

-        des fiches de salaire de la société F______ SA pour la période de mars à juin 2015, avec mention du paiement des vacances et du 13ème salaire pour la période de mars à juin 2015 ;

-        une lettre de licenciement de la société M______ à Meyrin, datée du 17 août 2015 ;

-        un contrat de travail de durée indéterminée conclu le 13 octobre 2015 avec la société N______ SA ;

-        une attestation délivrée le 23 janvier 2016 par la Fondation O______ sur l'état de son compte de libre passage au 31 décembre 2015, faisant état d'un total de CHF 7'232.22 ;

-        deux contrats de travail avec la société F______ SA pour la période du 7 juin au 31 juillet 2016, puis du 19 septembre au 16 décembre 2016, ainsi que les fiches de salaire y afférentes ;

-        un certificat de salaire délivré par la société F______ SA pour l'année 2016, s'agissant de la période du 7 juin au 16 décembre 2016 ;

-        une attestation délivrée le 31 juillet 2017 par les Transports publics genevois (ci-après : TPG), faisant état de l'achat d'un abonnement mensuel du 23 septembre au 22 octobre 2010, du 28 mai au 27 juin 2011, du 13 septembre au 15 décembre 2011, du 19 août au 18 septembre 2013, du 15 mars au 14 avril 2014, du 21 décembre 2014 au 20 janvier 2015, du 2 mars au 1er avril 2015, du 18 avril au 28 juillet 2015, du 11 janvier au 27 juillet 2016, du 5 septembre au 21 décembre 2016, du 16 janvier au 20 mars 2017, puis de l'achat d'un abonnement annuel pour la période du 19 avril 2017 au 18 avril 2018, lequel lui a cependant été remboursé peu après ;

-        un extrait du compte individuel AVS délivré le 9 octobre 2017, faisant état de cotisations pour la période d'avril à décembre 2012, de janvier à décembre 2013, de janvier à septembre 2014, de mars à août 2015, puis de juin à décembre 2016.

Il a également produit de nombreuses pièces faisant état de sa présence à Genève en 2017, ainsi que des attestations de connaissances de la langue française niveau A2, un extrait de son casier judiciaire vierge et les documents attestant de l'absence de poursuites ou d'actes de défaut de biens, ainsi que l'absence d'aide sociale apportée par l'Hospice général.

b. L’OCPM a dénoncé le requérant auprès du Ministère public du canton de Genève (ci-après : MP), s'agissant de soupçons sur l'authenticité des documents supposés émaner des sociétés J______ SA et K______ Sàrl. En effet, les charges sociales prélevées par ces sociétés n'apparaissaient pas sur son extrait individuel AVS et le taux de cotisation appliqué par la société K______ Sàrl était erroné.

Entendu par la police le 14 août 2020, le requérant a déclaré qu'il était arrivé en Suisse pour la première fois en 2007 et qu'il avait travaillé sur plusieurs chantiers de manière occasionnelle jusqu'à fin 2008, avant de retourner au Kosovo puis de revenir en Suisse en mai 2009, sans jamais retourner au Kosovo depuis lors. Il avait payé une connaissance pour déposer la demande de régularisation, mais il lui avait en revanche fourni lui-même tous les documents qui l'accompagnaient. Son attention étant attirée sur le fait que les fiches de salaire de la société K______ Sàrl semblaient falsifiées, le requérant a admis qu'il avait appelé ses anciens patrons pour qu'ils lui établissent ces documents. Cependant, il avait agi ainsi car il avait vraiment travaillé en Suisse à cette période. Il a également admis qu'il s'était adressé à la société J______ SA afin qu'elle lui délivre des fiches de salaire en vue de la constitution de son dossier auprès de l'OCPM et qu'il avait rencontré un ouvrier de cette entreprise qui lui avait remis ces documents. Il ignorait en revanche qu'il s'agissait de fausses fiches de salaire, car il avait vraiment travaillé pour cette entreprise.

Il ressort du rapport d'arrestation établi par la police genevoise le 15 août 2020, que le requérant, dans sa demande de régularisation, affirmait être arrivé en Suisse en 2009, tout en produisant des documents relatifs aux années 2007 et 2008. Les fiches de salaire de la société K______ Sàrl contenaient des taux de cotisation faux et une fausse adresse. Les fiches de salaire émanant de la société J______ SA montraient des cotisations manquantes. Enfin, trois lettres établies au nom de la société L______ SA contenaient des fautes d'orthographe au sujet du nom et de l'adresse du requérant.

Par ordonnance pénale du 15 août 2020, le MP a reconnu le requérant coupable notamment de faux dans les titres au sens de l'art. 251 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et d'infraction à l'art. 118 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

c. Par décision du 10 février 2023, après lui avoir donné l'occasion d'exercer son droit d'être entendu, l'OCPM a refusé de préaviser favorablement le dossier du requérant et de sa famille auprès du secrétariat d'État aux migrations
(ci-après : SEM) et a prononcé leur renvoi de Suisse.

Il avait produit des documents falsifiés dans le but d'induire l'autorité en erreur afin d'obtenir frauduleusement une autorisation de séjour, de sorte qu'il ne répondait pas aux critères de l’« Opération Papyrus ». Sous l'angle des dispositions légales relatives au cas individuel d'extrême gravité, il n'avait pas démontré une très longue durée de son séjour en Suisse, ni aucun élément permettant de déroger à cette exigence. Il n'avait pas démontré une intégration socioculturelle particulièrement remarquable. En outre, il n'avait pas démontré qu'une réintégration dans son pays d'origine aurait de graves conséquences sur sa situation personnelle, indépendamment des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place. S'agissant de la prise en compte de l'intérêt supérieur des enfants, ils étaient actuellement âgés de 7 ans, 4 ans et 5 mois. Vu leur âge, leur réintégration dans leur pays d'origine ne devrait pas leur poser des problèmes insurmontables.

C. a. Par acte du 17 mars 2023, le requérant, agissant pour lui-même, son épouse et leurs enfants, a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant principalement à son annulation.

Il considérait avoir produit des preuves solides de son séjour pour les années 2010 à 2023, notamment sous la forme de son extrait AVS, de ses achats d'abonnements TPG, ainsi que de ses fiches de salaire auprès des sociétés J______ SA et K______ Sàrl. Par ailleurs, ni lui-même, ni son épouse n'avaient jamais bénéficié de l'aide de l'Hospice général et il ne faisait l'objet d'aucune dette ou actes de défaut de biens. Il était inséré professionnellement et percevait un salaire mensuel brut de plus de CHF 5'500.-. Son épouse et lui-même parlaient parfaitement le français et s'impliquaient pleinement dans la scolarité de leurs enfants C______ et D______. Il avait certes été condamné pour faux dans les titres et comportements frauduleux à l'égard des autorités, mais il avait dû abandonner la procédure pénale, n'ayant pas les moyens de continuer à rémunérer son précédent conseil. En réalité, aucune instruction n'avait jamais été effectuée auprès de ses anciens employeurs et, outre qu'il sollicitait l'audition de ces derniers, il envisageait de déposer une demande de révision auprès de l'autorité compétente.

Il découlait de son dossier qu'il remplissait tous les critères liés à l’« Opération Papyrus ».

b. Par fiche d'accompagnement du 31 juillet 2023, l'OCPM a informé le TAPI du fait que l’épouse du requérant et leurs enfants étaient retournés au Kosovo. Cette information était accompagnée d'un rapport établi le 10 juillet 2023 par l'office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières à la douane de Genève-Aéroport, dont il découle que B______ a expliqué qu'elle retournait au Kosovo suite à la décision négative des autorités suisses et que son mari partirait dans les prochains jours, lorsqu'il aurait trouvé un billet d'avion moins cher. Il s'agissait d'un départ définitif.

c. Par courrier du 11 septembre 2023, le requérant et son épouse ont indiqué au TAPI que leur départ dans leur pays d'origine n'était pas définitif.

d. Par jugement du 6 novembre 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Sous l'angle des critères stricts de l’« Opération Papyrus », la condition de la durée d'un séjour minimal de dix ans pour des personnes seules ou de cinq ans pour une famille n'était pas réalisée. Aucune preuve n’avait été fournie sur le fait que son séjour en Suisse, durant les années 2009 à 2011 inclusivement, aurait eu lieu de manière continue et ininterrompue. Son extrait de compte individuel AVS permettait de démontrer une présence continue d'avril 2012 à septembre 2014, mais qui était à nouveau interrompue d'octobre 2014 à février 2015 inclusivement, sans que l'attestation des TPG ne démontre clairement la continuité du séjour durant cette dernière période. Quant à la présence de sa famille en Suisse, constituée à partir de la naissance de son premier enfant en décembre 2015, elle était d'une durée inférieure à deux ans au moment du dépôt de la demande de régularisation.

Ils ne remplissaient pas non plus les conditions strictes du cas de rigueur. Le requérant semblait certes vivre en Suisse depuis environ onze ans. Cette période avait toutefois débuté alors qu'il était âgé de 27 ans, ce qui signifiait qu'il avait vécu dans son pays plus des deux tiers de sa durée de vie actuelle, ainsi qu'une période essentielle au développement de la personnalité et des attaches socioculturelles. Quant à son épouse, elle était arrivée en Suisse à l'âge de 18 ans et elle n'y avait vécu que durant huit ans, ce qui ne représentait pas une période particulièrement longue. Elle-même avait vécu dans son pays d'origine toute son enfance et son adolescence et ne l'avait quitté qu'au début de sa vie d'adulte. Quant à leurs enfants, ils avaient certes toujours vécu en Suisse, mais n’étaient respectivement âgés actuellement que de 8 ans, 5 ans et 1 an et étaient encore très jeunes.

Le requérant n'avait pas fait état d'une réussite professionnelle remarquable. Il ne pouvait pas non plus se prévaloir d’une intégration sociale réussie : il ne fournissait qu'une seule lettre de soutien, mais aucun autre élément indiquant un engagement particulier dans le tissu culturel ou associatif genevois. Il n’invoquait pas non plus de liens particulièrement étroits qu’il aurait tissés avec la Suisse.

Il en allait de même de l'intégration de son épouse, qui, au-delà du fait qu'elle n'occupait apparemment aucun emploi rémunéré, semblait correcte sur le plan social mais ne revêtait aucun aspect particulier.

Enfin, s'agissant des enfants, ils avaient entamé depuis peu de temps le début de leur scolarité et les quelques activités qu'ils pouvaient déployer en dehors du cadre scolaire ne témoignaient pas non plus une intégration sociale telle qu'un renvoi dans leur pays d'origine constituerait pour eux un véritable déracinement.

D. a. Par acte du 13 décembre 2023, le requérant, agissant pour lui-même, son épouse et leurs enfants, a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à qu’il soit ordonné à l’OCPM de délivrer des autorisations de séjour en leur faveur. 

Étant en situation irrégulière, il lui était difficile d’établir son séjour en Suisse. Il était toutefois parvenu à produire des éléments pour toutes les années à partir de 2010. Il avait toujours travaillé durant son séjour. Il s’était acquitté de ses dettes et n’avait jamais recouru à l’aide sociale. Toute sa famille parlait le français. Son épouse avait démontré son séjour depuis 2014 et ses enfants avaient toujours vécu à Genève. Pour des raisons familiales, son épouse avait dû se rendre au Kosovo et devait revenir en Suisse en début d’année prochaine. C______ et D______ avaient entamé leur scolarité en Suisse. Il avait certes été condamné pour diverses infractions mais avait toujours contesté avoir produit des faux documents.

b. Le 12 janvier 2024, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

c. Le recourant n’a pas répliqué, si bien que la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit du jugement confirmant la décision de l'OCPM de refuser de transmettre au SEM le dossier des recourants avec un préavis favorable, et prononçant leur renvoi de Suisse.

2.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEI et de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, avant le 1er janvier 2019 sont régies par l’ancien droit.

2.2 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur au moment des faits, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).

2.3 La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances du cas particulier et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

Dans l’examen d’un cas de rigueur concernant le renvoi d’une famille, il importe de prendre en considération la situation globale de celle-ci. Dans certaines circonstances, le renvoi d’enfants peut engendrer un déracinement susceptible de constituer un cas personnel d’extrême gravité. D’une manière générale, lorsqu’un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d’origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n’est alors pas si profonde et irréversible qu’un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (ATA/365/2024 du 12 mars 2024 consid. 2.5 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral [TAF] F-1700/2022 du 10 janvier 2024 consid. 7.5). Avec la scolarisation, l’intégration au milieu suisse s’accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l’âge de l’enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l’état d’avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d’exploiter, dans le pays d’origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l’école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L’adolescence, une période comprise entre 12 et 16 ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_75/2011 du 6 avril 2011 consid. 3.4 ; ATA/203/2018 du 6 mars 2018 consid. 9a). Sous l’angle du cas de rigueur, il est considéré que cette pratique différenciée réalise la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, telle qu’elle est prescrite par l’art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107 ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3 et 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; ATA/434/2020 du 31 avril 2020 consid. 10).

Aux termes de l'art. 96 al. 1 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son intégration.

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

2.4 L'« Opération Papyrus » développée par le canton de Genève a visé à régulariser la situation des personnes non ressortissantes de l’UE/AELE bien intégrées et répondant à différents critères, à savoir, selon le livret intitulé « Régulariser mon statut de séjour dans le cadre de Papyrus » disponible sous https://www.ge.ch/regulariser-mon-statut-sejour-cadre-papyrus/criteres-respecter), avoir un emploi ; être indépendant financièrement ; ne pas avoir de dettes ; avoir séjourné à Genève de manière continue sans papiers pendant cinq ans minimum (pour les familles avec enfants scolarisés) ou dix ans minimum pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; faire preuve d'une intégration réussie ; absence de condamnation pénale (autre que séjour illégal).

L'« Opération Papyrus » n'emporte aucune dérogation aux dispositions légales applicables à la reconnaissance de raisons personnelles majeures justifiant la poursuite du séjour en Suisse (art. 30 al. 1 let. b LEI), pas plus qu'à celles relatives à la reconnaissance d'un cas individuel d'extrême gravité (art. 31 al. 1 OASA), dont les critères peuvent entrer en ligne de compte pour l'examen desdites raisons personnelles majeures (ATA/584/2017 du 23 mai 2017 consid. 4c).

Ces conditions devaient être remplies au moment du dépôt de la demande d’autorisation de séjour (ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 8b).

2.5 En l’espèce, le recourant ne remplit pas la condition de l’absence de condamnation pénale exigée dans le cadre de l’« Opération Papyrus », étant précisé que la condamnation pour faux dans les titres ne relève pas d’une infraction à la LEI. Quant à son épouse, arrivée en Suisse en 2014, son séjour n’atteignait pas les cinq ans requis pour prétendre à l’obtention d’un titre pour les membres de la famille au moment du dépôt de leur demande d’autorisation de séjour le 23 octobre 2017. Elle ne remplit donc pas non plus les conditions pour bénéficier de l’« Opération Papyrus ». 

Sous l’angle du cas de rigueur, le recourant peut certes se prévaloir d’un séjour de longue durée. Les pièces au dossier, en particulier l’attestation d’achats d’abonnements des TPG et son extrait de compte individuel AVS, permettent de retenir une présence continue du recourant depuis, tout au plus, avril 2012. L’intégralité de ce séjour s’est toutefois déroulée dans l’illégalité, voire, depuis sa demande de régularisation, au bénéfice d’une simple tolérance. Or, conformément à la jurisprudence précitée, la durée d'un séjour illégal, ainsi qu'un séjour précaire, ne doivent normalement pas être pris en considération, ou seulement dans une mesure très restreinte. Il y a donc lieu d'examiner si des critères d'évaluation autres que la seule durée du séjour en Suisse seraient de nature à faire admettre qu'un départ de ce pays placerait l'intéressé dans une situation excessivement rigoureuse.

Tel n’est toutefois pas le cas en l’occurrence. Le recourant n’établit pas qu’il aurait réalisé une intégration professionnelle exceptionnelle. Il a certes travaillé, n’a pas recouru à l’aide sociale et ne fait l’objet d’aucune poursuite ou actes de défaut de biens. Il ne soutient toutefois pas avoir acquis en Suisse des connaissances si spécifiques qu’il ne pourrait les mettre en œuvre ailleurs. Il n’établit pas non plus s’être investi dans la vie associative, culturelle ou sportive de la Suisse. La lettre de soutien produite au dossier ne permet pas de mettre en évidence une intégration exceptionnelle, étant rappelé qu'il est normal qu'une personne ayant effectué un séjour prolongé dans un pays tiers s'y soit créé des attaches et se soit familiarisée avec le mode de vie de ce pays. Il a certes démontré qu’il disposait d’un niveau de français A2. Or, lors de son audition devant la police le 14 août 2020, un interprète a cependant été nécessaire, alors même qu’il est retenu qu’il était en Suisse depuis 2012. Enfin, il a fait l’objet d’une condamnation pénale, pour avoir cherché à tromper l’OCPM. Cet élément trahit un mépris certain pour l’ordre juridique suisse qui exclut à lui seul une intégration, a fortiori exceptionnelle, et partant la réalisation d’un cas de rigueur. Dans la mesure où ladite condamnation est définitive, le recourant n’ayant pas formé opposition à l’ordonnance pénale, c’est en vain qu’il cherche à contester le caractère frauduleux de son comportement, étant d’ailleurs précisé qu’il ressort de l’ordonnance pénale qu’il avait partiellement reconnu les faits reprochés.

Pour le reste, il apparaît avoir gardé des liens étroits avec le Kosovo, vu ses nombreuses demandes de visa pour ce pays depuis 2018. Il y a passé son enfance, son adolescence, soit la période essentielle pour la formation de sa personnalité, ainsi que les premières années de sa vie d’adulte. Il maîtrise la langue et les codes culturels du pays. S’il se heurtera sans doute à des difficultés, il ne soutient pas que sa réintégration sera impossible et il pourra compter sur l’appui de sa famille et tirer profit des connaissances professionnelles et linguistiques acquises lors de son séjour en Suisse.

Il en va a fortiori de même pour son épouse, qui, au vu du dossier, n’a jamais exercé d’activité lucrative en Suisse. Elle a certes démontré qu’elle disposait d’un niveau de français A2, mais n’a pas établi s’être investie dans la vie associative, culturelle ou sportive de la Suisse. Elle n’allègue pas non plus s’être créé des attaches particulières en Suisse. Les éléments au dossier, en particulier les nombreuses demandes de visa et la fiche d’accompagnement du 31 juillet 2023, laissent au contraire penser qu’elle a conservé l’essentiel de ses attaches au Kosovo, pays qu’elle a quitté alors qu’elle n’avait que 18 ans.

S’agissant des enfants, tous nés en Suisse et désormais âgés de 8, 6 et bientôt 2 ans, ils ne sont pas encore entrés dans l’adolescence, période déterminante pour la formation de la personnalité. Compte tenu de son âge, C______ a sans doute créé à Genève un cercle d’amis et ses liens sociaux. Il est ainsi indéniable que sa réintégration requerra de sa part un important effort. Cependant, sa situation ne saurait être examinée pour elle seule, mais doit être appréciée au regard de l’ensemble des circonstances l’entourant. Il faut, en particulier, tenir compte du fait qu’en cas de retour au Kosovo, C______ sera accompagné de ses parents et de ses sœurs. Sa famille nucléaire sera ainsi à ses côtés, étant relevé qu’au vu de son âge, l’attachement à celle-ci demeure encore important. Il est par ailleurs en bonne santé. Dans ces conditions, sa réintégration n’apparaît pas gravement compromise. Quant à D______ et E______, également en bonne santé, elles restent encore attachées dans une large mesure à leur pays d'origine, par le biais de leurs parents. Leur processus d’intégration au milieu socioculturel en Suisse n’est ainsi pas à ce point profond et irréversible qu'un retour au Kosovo constituerait un déracinement complet. Elles pourraient, comme C______, compter sur l’aide de leur famille nucléaire pour s’adapter à leur nouveau mode de vie, la langue du pays ne devant au surplus pas leur être étrangère.

Dans ces circonstances, il n’apparaît pas que les difficultés auxquelles les recourants devront faire face en cas de retour au Kosovo seraient pour eux plus graves que pour la moyenne des étrangers, en particulier des ressortissants kosovars retournant dans leur pays. Les recourants ne présentent donc pas une situation de détresse personnelle au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI. Il ne se justifie en conséquence pas de déroger aux conditions d'admission en Suisse en leur faveur, au vu de la jurisprudence très stricte en la matière.

C’est partant à juste titre que tant l’autorité intimée, qui n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation, que le TAPI, ont retenu que les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour n’étaient pas remplies.

3.             Il convient encore d’examiner si le renvoi prononcé par l’OCPM est fondé.

3.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation. Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).

3.2 En l'espèce, dès lors qu'il a, à juste titre, refusé l’octroi d’une autorisation de séjour en faveur des recourants, l'intimé devait prononcer leur renvoi. Les recourants n’invoquent aucun élément permettant de retenir que leur renvoi ne serait pas possible, licite ou ne pourrait raisonnablement être exigé ; de tels éléments ne ressortent pas non plus du dossier.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l'issue du recours, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 décembre 2023 par A______, agissant en son nom et celui de son épouse, B______, et leurs enfants mineurs C______, D______ et E______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 novembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de A______ et B______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ et B______, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MARMY

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.