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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3701/2022

ATA/229/2023 du 08.03.2023 ( EXPLOI ) , ACCORDE

Recours TF déposé le 11.04.2023, rendu le 26.06.2023, IRRECEVABLE, 2C_206/2023
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3701/2022-EXPLOI ATA/229/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 8 mars 2023

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Sarah Halperin Goldstein et Me Lionel Halperin, avocats

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI



Vu le recours interjeté le 9 novembre 2022 devant la chambre administrative de la Cour de justice par A______ contre la décision de l’office cantonal de l'emploi (ci-après : OCE) du 4 novembre 2022 l’assujettissant à la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services du 6 octobre 1989 (LSE - RS 823.11) dans le cadre de son activité de mise à disposition de livreurs sur la plateforme dite « B______ » et lui interdisant toute activité jusqu’à l’obtention de l’autorisation de pratiquer la location de services ; que A______ a conclu, principalement, à l’annulation de cette décision et au constat qu’elle n’était pas assujettie à la LSE ;

que A______, créée le 20 août 2020, a pour but statutaire, notamment, des prestations de conseil et services logistiques et la location de services ; qu’elle précise cependant qu’elle n’a pas pour volonté de pratiquer cette dernière ; qu’elle a environ 400 employés, essentiellement des coursiers à vélo, tous au bénéfice d’un contrat de travail, qui respecte le salaire minimum genevois et la convention collective de travail des coursiers à vélo (ci-après : CCT coursiers) ; que son activité principale consiste en la livraison de repas ;

qu’elle expose avoir conclu un contrat de licence avec C______. afin d’utiliser l’application « B______ » pour la mise en relation avec les consommateurs et restaurateurs, la gestion des commandes et livraisons ainsi que les transactions financières ; qu’elle reverse ainsi une commission à C______. ; qu’elle engage seule les employés, certains étant nommés « team leaders » ou « operations manager », discute de leur souhaits (emploi à plein temps, temps partiel, emploi principal ou secondaire), établit leur planning, vérifie la qualité du travail, fait le suivi des absences, des annulations et refus de commandes ; qu’en cas de plainte relative à un livreur, A______ le convoque, peut lui proposer une formation ou encore prononcer un avertissement ; qu’elle gère les promotions et fins de rapports de travail ; que ni C______. ni les restaurateurs n’ont de pouvoir d’instruction sur ses employés ;

que si l’OCE l’avait interpellée en septembre 2020 pour qu’elle explique son activité, de nombreux mois s’étaient écoulés après les réponses qu’elle avait fournies et, entre août 2021 et juillet 2022, l’OCE avait estimé qu’il n’y avait pas d’urgence à statuer aussi longtemps que le Tribunal fédéral ne s’était pas prononcé sur d’autres questions relatives à C______. ; que le 13 juillet 2022, il lui avait demandé des renseignements complémentaires, qu’elle avait donnés le 27 juillet 2022 ; qu’après trois mois de silence, l’OCE lui avait, par courrier du 20 octobre 2022, fait part du fait qu’il maintenait sa position, qu’il lui fixait un délai au 31 octobre 2022 pour toute observation complémentaire et que, passé ce délai, il rendrait une décision qui pourrait être assortie de l’effet suspensif ; qu’il l’avait ainsi surprise en déclarant la décision rendue quelques jours plus tard exécutoire nonobstant recours ;

que la recourante ne mettait pas des employés à disposition de C______. ; que ses employés étaient entièrement soumis à ses instructions et qu’il n’y avait aucun contact entre ses employés et la société précitée ; que, d’ailleurs, l’OCE divergeait du Secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) sur la question de savoir si la recourante était soumise à la LSE ;

que, sur effet suspensif, il convenait de relever, outre les chances de succès du recours, qu’il n’y avait pas d’urgence ni d’intérêt prépondérant légitime à rendre la décision immédiatement exécutoire, ce que démontrait d’ailleurs le temps qu’avait mis l’OCE à statuer ; que l’OCE avait indiqué le 20 octobre 2022 que sa décision pourrait être assortie de l’effet suspensif ; que le maintien du caractère exécutoire de la décision mettait en péril les 400 emplois, était susceptible de porter une atteinte à la réputation commerciale de la recourante, tant du côté des employés que des clients, de nature à entraîner la faillite de celle-ci ; que le syndicat des employés s’inquiétait également de cette situation ; qu’enfin, le Tribunal fédéral avait écarté l’application de la LSE à l’activité de livraison de repas, étant relevé que la chambre administrative avait, en 2019, restitué l’effet suspensif dans le cadre du recours de D______ contre sa soumission à la LSE ; que la décision querellée avait été déclarée, sans motivation, exécutoire nonobstant recours ; que l’OCE avait refusé, sans motivation également, de reconsidérer cet aspect de sa décision ;

que, par courriel du 9 novembre 2022 adressé à l’OCE, le syndicat E______ a indiqué que le caractère exécutoire nonobstant recours de la décision l’ « inquiét[ait] en [sa] qualité de représentant des employés », qu’il lui apparaissait « essentiel » que l’employeur puisse poursuivre son activité jusqu’au moment où les tribunaux auraient tranché si l’activité en question relevait de la LSE ou non, de manière à « éviter de mettre en danger de nombreux emplois » ;

que par décision du 10 novembre 2022, la chambre administrative a admis, à titre superprovisionnel, la restitution de l’effet suspensif ;

que l’OCE s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif ; le dossier avait été mis en suspens en raison de la crise sanitaire, les requêtes en réduction de l’horaire de travail et le soutien à l’économie genevoise ayant été traités de manière prioritaire ; qu’il avait requis en janvier 2021 l’avis du SECO, qui avait conclu que la mise à disposition par A______ à C______. de chauffeurs qui se chargeaient du transport de personnes ou de marchandises relevait de la location de services ;

que des échanges avaient ensuite eu lieu entre les parties, ainsi qu’une réunion le 15 juillet 2021, à la suite de laquelle la société avait encore fourni des pièces et explications complémentaires ; qu’après avoir pris langue avec le SECO, l’OCE avait indiqué à la recourante qu’il convenait d’attendre l’issue d’une procédure pendante devant le Tribunal fédéral en lien avec l’activité d’H______ ; qu’à la suite de cet arrêt, un complément d’informations et de pièces avait été requis, le dernier ayant été produit le 2 août 2022 ; que le 20 octobre 2022, l’OCE avait informé A______ que le dossier était complet et que la société pouvait faire valoir ses arguments jusqu’au 31 octobre 2022, une décision étant ensuite rendue, qui pourrait être assortie de l’effet suspensif ; que le 25 octobre 2022, l’OCE, donnant suite à la demande de A______, lui avait transmis son dossier, mais refusé de prolonger le délai ; que faisant valoir que le délai de six jours était trop bref pour se déterminer, l’OCE avait accordé une prolongation au 3 novembre 2022 ; qu’à la suite des observations de A______, l’OCE avait rendu la décision querellée le 4 novembre 2022 ;

que l’OCE a indiqué qu’il était habituel de déclarer ce type de décisions exécutoires nonobstant recours ; que se référant à un arrêt de 2015, il a relevé qu’accorder l’effet suspensif venait à accorder ce qui était requis au fond, ce qui n’était pas admissible ; qu’il ne paraissait pas évident que l’activité ne relève pas de la location de services ; que la recourante avait été créée en août 2020 ; qu’un mois après sa création, l’OCE l’avait interpellée afin qu’elle décrive ses activités, pour déterminer si elles relevaient de la location de services ; qu’elle avait été informée en mai 2021 que tel était le cas ; qu’alors qu’elle était assistée de deux mandataires, dont l’un était spécialisé en droit du travail, elle n’avait pas requis d’autorisation LSE ; qu’en continuant néanmoins à développer son activité, elle avait mis l’autorité devant le fait accompli ; que l’éventuel préjudice que la décision querellée lui causerait lui était donc entièrement imputable ;

que la société pratiquant la location de services devait fournir des garanties pour les prétentions salariales de employés, de sorte qu’il était normal que la décision de soumission à la LSE soit déclarée immédiatement exécutoire ; que le but de la loi était la protection des employés, le bailleur de services étant ainsi soumis aux conventions collectives de travail, à l’obligation de conclure une assurance d’indemnité en cas de maladie ; que vu la forte croissance d’activité dans le domaine de la livraison de repas, les livreurs étaient à même de retrouver rapidement un emploi ; que les chances de succès du recours étaient extrêmement faibles, au vu des motifs de la décision querellée ; que le terme « pourrait » utilisé dans le courrier du 20 octobre 2022 relatif à l’octroi de l’effet suspensif évoquait une possibilité et ne donnait pas de garantie à cet égard ;

que dans sa réplique sur effet suspensif, la recourante a retracé les échanges avec l’OCE, relevant les longues périodes d’inactivité de celui-ci dans ce dossier et l’urgence subite survenue en octobre 2022 à statuer ; qu’en cas de maintien du caractère exécutoire de la décision, elle serait contrainte d’arrêter son activité et d’entamer tout le processus non seulement de demande d’autorisation, mais aussi de modification de l’ensemble des contrats conclus avec ses employés, avant même qu’il soit statué sur la question de son assujettissement à la LSE ; qu’il n’était pas manifeste que tel soit le cas, l’OCE lui ayant encore demandé des informations en juillet 2022 afin de pouvoir se déterminer à cet égard ; que le modèle de A______ n’avait pas encore été examiné par le Tribunal fédéral, ce dernier ayant uniquement écarté la location de services par B______ par les restaurateurs ; que A______ respectait les conventions collectives de travail et avait conclu une assurance d’indemnité en cas de maladie équivalente à celle exigée par la CCT location de services ; qu’un bureau d’accueil et de rencontre était à disposition de E______ ; que l’arrêt auquel l’OCE se référait se rapportait à une centrale de taxis, situation non comparable à la sienne ; que la présente espèce se rapprochait de celle d’B______ où la chambre administrative avait retenu que l’intérêt public à l’exécution immédiate de la décision d’assujettissement ne primait pas celui de la recourante à ce que la décision ne déploie ses effets qu’une fois la question de l’assujettissement tranchée ;

que la recourante a complété son recours dans le délai de recours ; qu’elle a indiqué employer 400 livreurs et sept employés administratifs ; que le contrat de licence avec C______. ne comportait pas de clause d’exclusivité ; que toutefois, la plateforme B______ demeurait la plus performante ; qu’elle a repris les arguments déjà exposés, donnant plus d’explications sur sa relation avec les employés, les outils de contrôle des présences et de qualité, la fin des contrats de travail et l’absence totale d’intervention dans ceux-ci de la part des restaurateurs ou de C______. ; que s’agissant de la restitution de l’effet suspensif, il n’était pas manifeste qu’elle soit soumise à la LSE, d’ailleurs l’OCE n’en était pas convaincu comme cela ressortait de ses échanges avec le SECO ; qu’il n’y avait aucune urgence de l’assujettir à la LSE ; qu’elle se retrouverait en demeure de verser l’ensemble des salaires pendant la période de résiliation de contrats de travail sans réaliser de revenus, ce qui était susceptible de mettre sa situation financière en péril, notamment le paiement des salaires ; que ses employés, souvent sans formation, se retrouveraient la plupart sans emploi ; leur syndicat avait également fait part de son inquiétude à cet égard ; que les repas pouvaient être commandés via la plateforme B______ ou directement auprès de A______ ; que c’était toujours cette dernière qui affectait les livreurs aux différentes commandes ; que la société collaborait avec un centre de cuisine regroupant sept restaurants ne préparant que des livraisons à domicile ; que les commandes y relatives étaient directement adressées à elle ;

que depuis septembre 2022 était envisagé, en concertation avec E______, un nouveau contrat avec les employés leur garantissant une durée d’affectation minimale de 3h30 hebdomadaires et un contrat avec un planning fixe pour ceux souhaitant assurer plus de 10 heures hebdomadaires de travail ; qu’en octobre 2022, elle avait rencontré chaque collaborateur pour discuter de ses souhaits et envisager des contrats y correspondant au mieux ; qu’elle recevait les livreurs dans ses locaux pour les aider dans les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer dans leur travail, donner des formations et s’assurer de leur satisfaction ; que les plannings de travail étaient établis par A______ ; qu’elle disposait de sa propre application « A______ », une application de gestion de ses livreurs, à laquelle C______. n’avait pas accès ; que cette application contenait les plannings, les « shifts en extra » proposé pour remplacer un livreur, déposer une demande d’absence ou annoncer une maladie ; que les livreurs utilisaient leur vélo et leur téléphone portable ; que A______ disposait d’un atelier de réparation, mettait à disposition des vélos pour les livreurs en cas de nécessité, des produits de désinfection et de nettoyage et avait un café réservé aux employés ; que le sac de livraison était mis à disposition par l’employeur ; que le salaire comportait un montant à titre de remboursement des frais d’utilisation du matériel ; que le salaire était versé en fonction du planning, sans égard au temps de livraison ; qu’une prime de performance, dépendante du taux d’acceptation des commandes, la rapidité d’exécution était versée à la discrétion de A______ ; que celle-ci établissait les décomptes de salaire mensuels ; qu’afin que les employés puissent vérifier l’exactitude de leur fiche, celle-ci indiquait par quel biais les commandes avaient été effectuées ; qu’ainsi, si la plateforme B______ avait été utilisée, la fiche indique « salaire horaire : H______ », si la commande avait été directement placée chez un partenaire A______, elle indiquait le nom de celui-ci, p. ex. : « salaire horaire : I______ », étant précisé que cela ne signifiait nullement que le salaire serait fixé par H______ ou la I______ ;

qu’en tout temps, un « Team leader » de A______ était présent pour répondre aux questions des employés et se déplaçait en cas de problème ; que l’équipe opérationnelle qui surveillait les « shifts » était présente jusqu’à 21h30 dans les locaux et répondait au téléphone et courriels des employés ; qu’en cas de plainte relative à un employé, A______ le convoquait pour en discuter et pouvait proposer une formation complémentaire si cela pouvait améliorer la situation, pouvait lui signifier un avertissement ou dans les cas graves un licenciement ; que A______ répondait des dommages causés par les livreurs à des tiers (accidents avec des piétons, véhicules, dommages causés aux restaurateurs, aux propriétaires d’immeubles etc.) ; qu’une fois la relation de travail terminée, A______ instruisait le gérant de la plateforme B______ de désactiver le profil du livreur ; pendant les heures de planning, les employés avaient l’obligation d’accepter les livraisons ;

qu’elle a exposé les conditions régissant la licence octroyée par C______. pour l’utilisation de la plateforme B______ ; qu’il avait y environ 70'000 factures générées pour le compte de A______ par mois ; que l’utilisation de la plateforme était ainsi nécessaire au bon fonctionnement de la société ; que la commission versée à C______. était sans influence sur le salaire des coursiers ;

qu’au fond, l’OCE n’avait pas fait part, durant la phase d’instruction, des motifs justifiant la soumission à la LSE, de sorte que la recourante avait été privée de la possibilité d’apporter des éléments de preuve complémentaires et s’exprimer en connaissance de cause ;

que, dans une duplique spontanée sur effet suspensif, l’OCE a relevé que la recourante aurait, avant de commencer son activité, dû se renseigner si celle-ci était soumise à autorisation ; que l’OCE avait rendu la même décision concernant d’autres sociétés actives dans le domaine de la livraison de repas, qu’elles avaient également été déclarées immédiatement exécutoires ; que la recourante avait supprimé sur son site Internet la référence à ses activités dans d’autres pays, preuve du fait qu’elle cherchait à cacher qu’elle était une société internationale à l’abri du risque de faillite ; qu’elle avait créé, en juin 2022, une succursale dans le canton de Vaud et une nouvelle société, F______ ; que dans l’arrêt cité par la recourante dans lequel l’effet suspensif avait été restitué, l’assujettissement à la LSE n’était pas manifeste, ce qui n’était pas le cas en l’espèce ; que l’application de la LSE permettait de protéger les travailleurs, notamment de procéder à des contrôles et d’infliger des sanctions au bailleur de services ; que la menace de perte d’emplois en cas d’exécution immédiate de la décision était atténuée par les dispositions de la CCT en cas de perte d’emplois ;

que réagissant à cette écriture, la recourante a relevé que les modifications sur son site faisaient suite à la faillite des sociétés au même nom agissant en Espagne ; qu’elle n’était active plus qu’en Suisse, avec son siège à Genève et une succursale à Lausanne ; que la mise en œuvre des dispositions de la CCT contre le congé présupposait que la société ait des revenus, ce qui ne serait plus le cas si elle cessait ses activités ;

que par courrier du 17 janvier 2023, la recourante a fait parvenir à la chambre administrative un courrier de E______ confirmant qu’elle respectait la CCT ; que le syndicat avait effectué une comparaison entre les conditions de travail selon cette CCT et celle applicable aux coursiers travaillant en location de services, à savoir la convention collective de travail pour l’hôtellerie-restauration (ci-après : CCNT) ; que la CCT était une convention de branche, répondant spécifiquement aux besoins des coursiers ;

que l’OCE a relevé que de toute manière la CCNT était applicable ; que la CCT conclue en l’espèce dérogeait sur plusieurs points à la CCNT, notamment : 1) l’accord pouvait être résilié en cas de non-respect de celui-ci, 2) il ne prévoyait pas la possibilité pour la commission paritaire d’en contrôler l’application, 3) les droits de regard octroyés au syndicat étaient succincts et 4) celui-ci s’engageait à soutenir le modèle de travail de la recourante ; que la soumission à la CCNT impliquait la soumission au contrôle de l’OCE, de la commission paritaire suisse de la location de services et des commissions régionales, imposait une obligation de renseigner ; que l’égalité de traitement entre les sociétés qui utilisaient les applications dites « H______ » justifiait que l’ensemble des employeurs soient traités de la même manière ; que d’ailleurs, dans un arrêt récent (ATA/10/2023), la chambre administrative avait estimé que l’intérêt public au respect de la loi l’emportait sur l’intérêt privé de la recourante ;

que l’OCE a répondu sur le fond le 18 janvier 2023, reprenant de manière détaillée son analyse des relations contractuelles conclues entre la recourante, la plateforme B______, les restaurateurs et les coursiers ;

que, dans un courrier du 19 janvier 2023 adressé par E______ à la chambre administrative, celui-ci a fait part des inquiétudes des employés, qui craignaient « subir le même sort que les collègues [d’une autre société] », à savoir la perte de leur emploi si l’effet suspensif était refusé ;

que, réagissant à ce courrier, l’OCE a relevé que la protection sociale accordée par la soumission à la LSE était plus large ; que si l’effet suspensif était accordé, la recourante échapperait aux règles et contrôles prévus par cette loi ; qu’une solution différente dans la présente espèce de celle retenue dans l’arrêt précité violerait le principe de l’égalité de traitement ;

que, par écriture spontanée, intervenue cinq jours après que les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif, la recourante a, notamment, fait valoir que l’analogie faite dans l’arrêt précité avec la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) était boiteuse, la décision présentement querellée imposant une obligation de faire, alors que celles relatives à la LRDBHD se rapportaient au refus d’octroyer une autorisation d’exploiter un établissement public ; que le nombre d’emplois en jeu était en l’occurrence particulièrement élevé ;

que la recourante a répliqué sur le fond dans le délai imparti à cet effet ;

que, le 27 février 2023 s’est tenue devant la chambre administrative une audience de comparution personnelle des parties et d’audition d’un témoin ; que la représentante de la recourante a fourni des explications relatives au déroulement concret des activités de la société et des coursiers et de la relation entre ces derniers et elle ;qu’elle versait chaque mois CHF 700'000.- de salaire brut et avait environ des revenus mensuels brut de CHF 1'000'000.- , ce qui ne dégageait pas toujours un bénéfice ;

que le représentant de E______, entendu à titre de témoin, a exposé qu’une des avancées du syndicat était que le temps d’attente des coursiers était désormais rémunéré ; que A______ avait été la première à supprimer les « contrats-flex », qui ne rémunéraient pas les temps d'attente ; qu’à la suite de leurs négociations, la société garantissait des heures de travail à ses employés, ce qui garantissait aux employés un salaire fixe mensuel ; qu’à la suite de la décision concernant G______, beaucoup d'employés y compris ceux qui n’étaient pas syndiqués avaient fait part de leurs craintes de perdre leur emploi ; que pour ceux qui exerçaient leur activité 25 heures ou 30 heures par semaine, cela pouvait constituer leur seule source de revenus ; qu’il doutait que le marché du travail local puisse absorber les 400 livreurs de A______ si celle-ci cessait son activité ; que le marché dans ce domaine était saturé ; qu’il lui paraissait curieux de vouloir appliquer la CCNT, alors que l’activité de livraison était soumise à la loi sur la poste dès lors qu’elle constituait une prestation logistique ;

que lors de l’audience, la question de la fourniture de sûretés, au sens de l’art. 21 LPA, a été évoquée, la recourante se disant disposée à en fournir à hauteur de CHF 100'000.-, l’autorité intimée souhaitant un délai pour se déterminer à cet égard ;

que par courrier du 3 mars 2023, l’OCE s’est opposé au prononcé de mesures provisionnelles moyennement le versement de sûretés, au motif que cette manière de faire violait l’égalité de traitement entre les administrés, les mesures requises ayant été rejetées dans l’arrêt précité concernant G______, d’une part, et d’autres sociétés ayant choisi de se soumettre aux décisions similaires rendues en la matière, d’autre part ; que si la fourniture de sûretés était admise, cela créerait un précédent laissant la LSE sans portée ; que la fourniture de sûretés ne serait pas de nature à garantir que la recourante, si la décision querellée était confirmée, déposerait un dossier en vue d’obtenir l’autorisation LSE ou cesserait son activité ;

que, sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par une juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 de la LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que, par ailleurs, l'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles, en exigeant au besoin des sûretés ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018) ;

qu'elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités) ;

qu’ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, ibidem) ;

que dans l’ATA/10/2023 du 10 janvier 2023, la chambre administrative a statué sur la requête de restitution d’effet suspensif et mesures provisionnelles d’une société, créée en avril 2022, employant 32 personnes à la livraison de repas, non rémunérées pendant les heures de permanence, utilisant pour ce faire la plateforme B______, société également assujettie par décision de l’OCE à la LSE et interdite de pratiquer toute activité tant qu’elle n’avait pas l’autorisation LSE ; que la chambre a retenu que celle-ci avait rendu vraisemblable qu’en cas de refus de restitution de l’effet suspensif, faute d’entrées d’argent, elle devrait licencier des livreurs ; que l’intérêt public manifeste au respect de la loi se trouvait en opposition avec celui de la préservation de l’emploi ; que la qualification de l’activité de la recourante et sa soumission à la LSE était une question complexe ; que les chances de succès du recours n’apparaissaient pas évidentes ; que la situation s’apparentait à celle relative aux décisions prises en application de la LRDBHD, lors desquelles les mesures provisionnelles étaient refusées, leur admission revenant à admettre à titre préjudiciel que les conditions de l'autorisation étaient satisfaites, quand bien même l’autorisation requise était refusée ; que les intérêts de l’État au respect sans délai de la LSE devaient ainsi l’emporter sur celui de la recourante à poursuivre son activité le temps de la procédure ; que les mesures provisionnelles, censées être l’exception ne pouvaient non plus être accordées ;

que le principe de la bonne foi consacré aux art. 9 et 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale et leur commande de s'abstenir, dans leurs relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1) ; que le principe de la confiance implique ainsi que les décisions, les déclarations et comportements de l'administration doivent être compris dans le sens que son destinataire pouvait et devait leur attribuer selon les règles de la bonne foi, compte tenu de l'ensemble des circonstances qu'il connaissait ou aurait dû connaître (ATF 135 III 410 consid. 3.2) ; que l'interprétation objectivée selon le principe de la confiance sera celle d'une personne loyale et raisonnable (ATF 116 II 431 consid. 3a) ;

que lors de l'octroi ou du retrait de l'effet suspensif, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

qu’en l’espèce, il convient en premier lieu de relever qu’en tant que la décision querellée assujettit la recourante à la LSE dans son activité de livraison de repas en utilisant la plateforme B______ et lui interdit de pratiquer toute activité dans ce domaine tant qu’elle ne dispose pas d’une autorisation LSE, la décision comporte deux volets intimement liés ; qu’ainsi, la restitution de l’effet suspensif ou l’octroi de mesures provisionnelles ne saurait être admis ou rejeté sur un point seulement ;

qu’à cet égard, il est observé, comme la chambre de céans l’a dit dans l’ATA/10/2023, que la question juridique de fond, à savoir si l’activité telle que pratiquée par la recourante et ses livreurs ressortit à la LSE ou non, est complexe et nécessite une instruction plus approfondie ; que la réponse à cette question n’est pas évidente ;

que l’intérêt public à l’exécution immédiate des décisions rendues par l’État est manifeste ;

que, comme relevé dans l’arrêt précité, cet intérêt doit être mis en balance avec les intérêts privés en jeu ;

qu’à cet égard, l’intérêt privé de la recourante à pouvoir poursuivre son activité, pendant la durée de la procédure, est d’ordre purement financier ;

que l’intérêt des employés à conserver leur emploi est également d’ordre financier pour ceux-ci ;

qu’à la différence de l’arrêt cité ci-dessus, le nombre d’employés concernés en l’espèce est important ; qu’en outre – ce qui n’était pas non plus le cas dans la cause précitée –, le syndicat actif, notamment, dans le domaine du service de livraison de repas s’est fait l’écho de l’inquiétude exprimée par les employés face à la décision déclarée exécutoire nonobstant recours, leur sort étant susceptible de basculer pendant la durée de la procédure ; que les modalités du contrat de travail semblent différer sur certains points d’avec celles prévalant dans le cas précité, notamment dans la gestion des plannings et l’organisation et la rémunération du temps d’attente ; qu’enfin, contrairement à la société précitée, créée récemment, la recourante est active depuis plus de deux ans et demi ;

que le fait que la décision ait été déclarée immédiatement exécutoire implique la cessation immédiate de l’activité telle que pratiquée jusque-là par la recourante ; qu’au vu de la masse salariale versée chaque mois par la recourante, il est vraisemblable qu’elle devra licencier ses livreurs si la présente requête était rejetée ;

qu’en cas d’admission du recours, les employés seraient susceptibles à nouveau de se retrouver employés de la recourante ;

qu’il existe ainsi un intérêt public et privé à éviter d’exposer un grand nombre de travailleurs à des revirements de situation importants, étant précisé que l’échange d’écritures est terminé et que l’instruction de la procédure en est à l’administration des preuves ;

qu’à cela s’ajoute que l’attitude de l’autorité intimée a créé une attente légitime de la recourante que la décision ne serait pas déclarée exécutoire nonobstant recours ; qu’en effet, après une instruction de près de deux ans, l’OCE a indiqué le 20 octobre 2022, après un échange ayant eu lieu en juillet 2022, qu’il maintenait sa position, qu’il fixait à la recourante un délai au 31 octobre 2022 pour toute observation complémentaire et que, passé ce délai, il rendrait une décision qui pourrait être assortie de l’effet suspensif ;

qu’au vu de ces indications, la recourante pouvait, de bonne foi, partir de l’idée que la décision rendue quelques jours plus tard ne serait pas déclarée exécutoire nonobstant recours ;

qu’au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il se justifie de faire droit à la requête et de restituer l’effet suspensif au recours ;

qu’il n’y a pas lieu de subordonner cette décision au versement de sûretés, rien ne permettant de retenir que la recourante ne se conformera pas à l’arrêt à venir si elle devait succomber ;

qu’il est encore relevé que, contrairement à ce que fait valoir l’intimé, la présente décision ne consacre pas d’inégalité de traitement avec d’autres sociétés pratiquant la livraison de repas s’étant vu notifier une décision d’assujettissement à la LSE et qui ne l’auraient pas contestée, dès lors qu’elles ne se trouvent pas dans la même situation qu’un administré ayant recouru contre la décision et que rien n’indique que les conditions de travail seraient identiques ; qu’il en va de même s’agissant de la société concernée par l’ATA/10/2023, dont il vient d’être exposé en quoi sa situation différait de celle de la recourante ;

qu’en conclusion, la requête de restitution d’effet suspensif sera admise ;

qu’il sera statué sur les frais de la présente décision avec l’arrêt au fond.

 

 

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

restitue l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Mes Sarah Halperin Goldstein et Lionel Halperin, avocats de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'emploi.

 

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :