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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3054/2022

ATA/1049/2022 du 18.10.2022 sur JTAPI/1006/2022 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3054/2022-MC ATA/1049/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 octobre 2022

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Dominique Bavarel, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 septembre 2022 (JTAPI/1006/2022)


EN FAIT

1) Le 3 février 2008, Monsieur A______, né le ______ 1982, a déposé une demande d’asile en Suisse, après avoir prétendu être originaire du Tchad, demande qui a été rejetée par l’autorité fédérale migratoire compétente, désormais dénommée le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM), par décision du 16 mars 2010. Le renvoi de l’intéressé dans son pays d’origine a également été ordonné.

2) Le SEM a confié la prise en charge de M. A______ et l’exécution de sa décision au canton de Genève.

3) M. A______ a également fait l’objet d’une interdiction d’entrée en Suisse prononcée par le SEM le 13 septembre 2011, valable jusqu’au 12 septembre 2021, notifiée le 26 avril 2016.

4) Le 5 août 2010, les autorités administratives genevoises ont requis le soutien du SEM en vue de l’identification de M. A______.

5) Le 25 janvier 2021, l’intéressé a été appréhendé par les services de police genevois, dans le cadre du démantèlement d’un trafic de cocaïne.

6) Prévenu d'infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; trafic de cocaïne) et à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), il a été mis à disposition du Ministère public sur ordre du commissaire de police, puis maintenu en détention provisoire dans l'attente de son jugement.

7) Par jugement du 31 mai 2022, le Tribunal correctionnel a déclaré M. A______ coupable de crime contre la LStup, d'infraction à l'art. 115 al. 1 let. a et b LEI, de faux dans les certificats étrangers (art. 252 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0 - cum 255 CP) et de blanchiment d'argent aggravé (art. 305bis ch. 1 et ch. 2 let. c CP) et l’a condamné à une peine privative de liberté de trente-six mois, sous déduction de quatre cent nonante et un jours de détention avant jugement (dont cent-douze jours en exécution anticipée de peine ; art. 40 CP), la peine privative de liberté ayant été prononcée sans sursis à raison de seize mois. Le Tribunal correctionnel a également ordonné l’expulsion de Suisse de l’intéressé pour une durée de cinq ans, en application de l’art. 66a al. 1 CP et le signalement de l'expulsion dans le système d'information Schengen (SIS ; art. 20 de l'ordonnance N-SIS; RS 362.0).

8) Le même jour, M. A______ a été libéré par les autorités pénales et remis entre les mains des services de police en vue de son refoulement.

9) Selon une communication du SEM du 31 mai 2022 aux autorités genevoises, à ce stade, « selon l’analyse de provenance effectuée par Lingua le 27 janvier 2022, l'intéressé parle un anglais francophone d'Afrique de l'Ouest respectivement un anglais gambien avec des expressions françaises.

« Afin de poursuivre le processus d’identification de M. A______, il était donc prévu pour les auditions centralisées suivantes :

« - l'audition Mali, qui aura lieu du 5 au 7 juillet 2022

« - l'audition Gambie, prévue en août 2022

« - l'audition Sénégal, qui devrait avoir lieu en l'automne 2022 (septembre ou octobre) ».

10) Le 31 mai 2022, à 18h45, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de six mois, en application de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 (en lien avec l'art. 75 al. 1 let. g et h LEI) et ch. 3 et 4 LEI.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi dans son pays d'origine car il souhaitait rester en Europe. Il refusait par ailleurs de se soumettre au test Covid-19 mais était vacciné.

11) Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le même jour.

12) Également le 31 mai 2022, une demande de réadmission en Italie a été effectuée par le SEM, mais celle-ci a été refusée car il s’est avéré que le document d’identité que l’intéressé possédait ne permettait pas une réadmission sur le territoire italien.

13) À l’audience du 2 juin 2022 par devant le TAPI, M. A______ a confirmé son refus de retourner dans son pays d'origine, à savoir le Tchad. Il y était en effet né mais avait grandi en Lybie, avant de rejoindre l’Europe. Il avait déposé une demande d'asile au Luxembourg et ses papiers se trouvaient dans le foyer dans lequel il avait logé, le Don-Bosco, à Luxembourg-Ville. Il avait donné ses empreintes digitales, de sorte que les autorités suisses devraient être en mesure de contrôler le dépôt de sa demande d’asile. Il avait déjà été entendu par une délégation tchadienne en janvier 2022. Il avait également été conduit à Berne en février 2022 où il avait été entendu par une autre délégation dont il n'avait pas pu déterminer l'origine. Il n'était malheureusement pas en mesure de produire un document qui prouvait sa nationalité tchadienne.

La représentante du commissaire de police a expliqué que les démarches en vue de l'identification de M. A______ avaient été initiées plusieurs mois auparavant, comme cela ressortait du dossier. Une procédure Lingua avait été mise en œuvre à la fin de l’année 2021 et le test Lingua réalisé le 27 janvier 2022. À ce stade, M. A______ devait être auditionné par diverses délégations africaines, dont les dates de venue dépendaient des pays en question. Aucune délégation du Sénégal n'était venue en Suisse depuis trois ans et la date initialement annoncée en juin 2022 avait été reportée au mois d'octobre de cette année. Les délégations du Mali et de Gambie ne venaient pas forcément chaque année en Suisse. Il résultait de la consultation des bases de données que M. A______ ne figurait pas dans celle d'EuroDac, les recherches s’effectuant sur la base des empreintes digitales. Dès lors, il ne semblait pas qu'une procédure Dublin soit en cours dans un pays européen. Elle n'était pas en mesure d'indiquer exactement pourquoi les autorités du Tchad n'avaient pas été interpellées par le SEM, qui en sa qualité d'instance compétente en la matière, avait décidé de le présenter aux autorités maliennes, gambiennes et sénégalaises sur la base des éléments en sa possession. Des démarches en vue d'une réadmission en Italie avaient également été entreprises le 31 mai 2022, dès lors que M. A______ détenait une « carta d'identita » apparemment délivrée par ce pays. Elle a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de six mois.

M. A______ s'en est rapporté à justice sur le principe de la légalité de la détention administrative, mais a conclu à la limitation de sa durée à quatre mois, ce qui respectait mieux le principe de proportionnalité.

14) Par jugement du 3 juin 2022, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention pris à l’encontre de M. A______ – les conditions légales étant remplies – mais pour une durée réduite à quatre mois, soit jusqu’au 30 septembre 2022 inclus (JTAPI/594/2022).

L’intéressé avait été condamné pour crime, était dépourvu de tout document d’identité, n’avait entrepris aucune démarche pour en obtenir et ne collaborait aucunement à son identification, ce qui obligeait les autorités à le présenter à différentes délégations étrangères. Le choix de le présenter à une délégation du Mali, puis de la Gambie et du Sénégal, ne prêtait pas flanc à la critique car cela permettrait à tout le moins d’exclure ces nationalités si tant est qu’il collaborait un minimum. Ayant répété son opposition catégorique à son renvoi de Suisse, il existait un risque tout à fait concret qu’il disparaisse dans la clandestinité au moment où il devrait être présenté devant une délégation étrangère. Le principe de la proportionnalité était également respecté au regard de l’ensemble des circonstances, notamment sa récente condamnation pénale et la menace qu’il présentait pour l’ordre et la sécurité publiques.

Le dossier ne contenait aucun justificatif des démarches entreprises depuis la mise en œuvre de l'analyse linguistique. L'autorité cantonale se référait à un courriel d’un collaborateur du SEM pour soutenir que M. A______ figurait sur la liste des prochaines auditions maliennes, gambiennes et sénégalaises, dont les dates n’étaient pas fixées à l'exception de celle devant la délégation du Mali du 5 au 7 juillet 2022. Aucune pièce n’était toutefois produite permettant de retenir que ces démarches allaient être entreprises afin d'établir la nationalité et l'identité de l’intéressé. Compte tenu du temps prévu avant l'audition par une délégation du Sénégal, soit entre quatre à six mois, et nonobstant le comportement de l'intéressé, une détention administrative de six mois ne pouvait être avalisée, sauf à vider les dispositions sur le contrôle de celle-ci de toute substance en admettant que les autorités en charge de l’exécution du renvoi pussent se montrer minimalistes dans la démonstration qu’elles ne demeuraient pas passives vis-à-vis des autorités étrangères compétentes (ATA/440/2016 du 26 mai 2016). Une prolongation de la détention administrative demeurait possible si la démonstration des démarches en cours ou entreprises depuis la mise en détention était apportée à satisfaction de droit.

15) Par requête motivée du 20 septembre 2022, l’OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois, afin de poursuivre le processus de son identification, celui-ci devant être présenté aux prochaines auditions centralisées avec le Sénégal, à la mi-octobre, ainsi qu’avec la Gambie, avant la fin de l’année 2022.

Cette mesure constituait l’unique moyen pour mener à terme le rapatriement de l’intéressé à destination de son pays d’origine et la durée ne violait par ailleurs pas le principe de proportionnalité eu égard au comportement adopté jusqu’ici par celui-ci.

16) À l’audience du 28 septembre 2022, M. A______ a exposé qu’il n’avait pas été présenté devant une délégation des autorités maliennes. Il n’avait aucune famille au Tchad. Toutes les démarches qu’il avait entreprises étaient en lien avec sa demande d’asile déposée au Luxembourg. Il avait habité dans différentes villes au Luxembourg et il y avait des amis. Il n'avait reçu en retour son téléphone portable, qui lui avait été confisqué, que dix jours auparavant et allait contacter les foyers dans lesquels il avait résidé au Luxembourg afin qu’ils lui transmettent les informations en leur possession concernant sa demande d’asile. Il ne savait pas pourquoi les autorités tchadiennes ne l'avaient pas reconnu comme étant un de leurs ressortissants.

La représentante de l’OCPM a déposé des pièces complémentaires et indiqué qu'elle ne savait pas si M. A______ avait été présenté à une délégation du Mali en juillet 2022. Concernant une audition par les autorités gambiennes, elle n’avait pas été organisée en août 2022 et aurait lieu d’ici la fin de l’année 2022. L’audition par une délégation des autorités sénégalaises aurait lieu le 12 octobre 2022 comme cela ressortait des pièces produites. Elle a confirmé que M. A______ ne ressortait pas des données Eurodac. Elle a conclu à l’admission de la demande de prolongation de détention administrative déposée le 20 septembre 2022 par l’OCPM pour une durée de quatre mois.

Le conseil de l’intéressé a conclu à la réduction de la durée de la prolongation à un mois.

17. Par jugement du 28 septembre 2022, le TAPI a prolongé la détention administrative de l’intéressé pour une durée de douze semaines, soit jusqu’au 22 décembre 2022 inclus.

La légalité de la détention avait déjà été examinée et admise par le TAPI par jugement du 3 juin 2022, sans aucun changement des circonstances pertinentes depuis lors.

L’intéressé avait fait l’objet d’une analyse de provenance Lingua et avait été inscrit pour des auditions centralisées devant une délégation du Sénégal, le 12 octobre 2022, et de la Gambie, d’ici la fin de l’année. L’annulation de l’audition par les autorités maliennes n’avait pas d’incidence directe sur le déroulement des démarches entreprises, qui étaient multiples, puisque l’identité de l’intéressé n’était toujours pas reconnue et que les autorités suisses étaient tributaires de la venue des représentants de ces États et ne pouvaient entamer d’autres démarches. Leur devoir de diligence et de célérité était donc respecté.

La durée maximale légale n’était de loin pas atteinte puisque l’intéressé était détenu administrativement depuis le 31 mai 2022.

L’assurance de son départ de Suisse répondait toujours à un intérêt public certain et toute autre mesure moins incisive que la détention administrative serait vaine pour assurer sa présence au moment où il devrait monter dans l’avion devant le reconduire dans son pays d’origine. Il n’avait au demeurant entrepris aucune démarche de son côté afin de démontrer avoir effectivement déposé une demande d’asile au Luxembourg ou que sa nationalité était bien tchadienne. Il ne saurait être remis sans autre en liberté pour quitter la Suisse en choisissant lui-même son lieu de destination, la police devant pouvoir s’assurer de l’effectivité de l’exécution de son refoulement par l’OCPM.

Au regard des démarches restant à entreprendre, tant du côté des autorités que de l’intéressé, une demande de prolongation de quatre mois était disproportionnée et devait être réduite à douze semaines, soit jusqu’au 22 décembre 2022, durée permettant la concrétisation de certaines d’entre elles et un contrôle de la diligence avec laquelle elles seraient menées dans le cadre d’une nouvelle demande de prolongation.

18. Par acte déposé le 10 octobre 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant, préalablement, à ce qu’il soit ordonné à l’autorité intimée de produire tous les documents, à savoir tout le dossier relatif aux démarches entreprises pour exécuter son renvoi depuis le 25 janvier 2021 et lui octroyer ensuite un bref délai pour répliquer. Principalement, il a conclu à l’annulation du jugement du 28 septembre 2022, au rejet de la demande de prolongation de détention administrative et à sa mise en liberté immédiate.

Il a rappelé que, selon un message électronique rédigé par un collaborateur du SEM, il avait été entendu le 16 décembre 2021 à Genève par une délégation de l’ambassade du Tchad et qu’il n’avait pas été reconnu ressortissant tchadien, son accent français n’étant ni tchadien ni nigérien mais plutôt originaire du Sénégal, du Mali ou de la Guinée. Aucun document n’avait été produit au sujet de l’analyse Lingua du 27 janvier 2022, selon laquelle il parlait un français d’Afrique de l’Ouest. Aucun document n’avait non plus été produit au sujet des auditions centralisées par les autorités du Mali en juillet 2022, de la Gambie en août 2022, et du Sénégal à l’automne 2022. Il n’était pas d’accord de retourner dans son pays d’origine ou en Afrique mais l’était en revanche pour se rendre au Luxembourg.

Il a fait valoir une violation du principe de célérité, exposant qu’aucune information n’avait été apportée sur les démarches entreprises à la suite de son interpellation le 25 janvier 2021 jusqu’au 16 décembre 2021, date de son audition par les autorités du Sénégal, en vue de son identification. Aucune information n’avait non plus été transmise au sujet de l’analyse lingua 2022 et la collaboratrice de l’OCPM avait indiqué le 27 septembre 2022 qu’elle ignorait s’il avait été présenté à la délégation du Mali en juillet 2022. Il était donc nécessaire d’ordonner la production du dossier complet, du SEM, de l’OCPM et du commissaire de police en lien avec les démarches entreprises en vue de son renvoi de Suisse. La seule démarche concrète connue était une audition par une délégation du Sénégal le 12 octobre 2022 sans qu’une date de résultat ne soit communiquée, et la date de l’audition par les autorités gambiennes restait imprécise. Il était privé de liberté depuis le 25 janvier 2021, alors que les démarches des autorités afin de procéder à son identification étaient manifestement insuffisantes et que la transmission d’informations par l’autorité intimée au sujet de ces démarches était lacunaire.

La décision violait également le principe de proportionnalité dès lors qu’il entreprenait des démarches au sujet de sa demande d’asile au Luxembourg, démarches qui auraient été facilitées si une assignation à territoire avait été prononcée par l’autorité au lieu de solliciter une prolongation de la détention. Il avait coopéré aux démarches entreprises pour procéder à son identification, à savoir son audition par les autorités tchadiennes et le test Lingua. Les démarches entreprises par l’autorité allaient durer encore de nombreux mois, puisqu’elles étaient tributaires de la venue des délégations étrangères. Si une assignation à territoire avait été prononcée, il aurait pu solliciter l’aide d’urgence, bénéficier d’une aide essentiellement en nature et ainsi poursuivre ses démarches en vue d’un départ de Suisse en lien avec celles entreprises par l’autorité. Il aurait également pu être astreint à se présenter régulièrement à elle pour s’assurer de sa présence et de l’avancée des démarches entreprises, ce d’autant que la sanction pénale dont il faisait l’objet avait été prononcée avec un sursis partiel.

19. Le 12 octobre 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Le retard apporté à la mise en œuvre de l’expulsion de Suisse du recourant reposait exclusivement sur son comportement d’obstruction et sur les modifications des dates de déplacement en Suisse des délégations étrangères dans le cadre des auditions centralisées que le SEM tentait d’organiser. Le recourant était démuni de toute pièce de légitimation et de documents de voyage, n’avait toujours pas entrepris la moindre démarche auprès des autorités de son pays d’origine pour obtenir un document de voyage et rentrer dans sa patrie, et tentait de faire porter par les autorités helvétiques la responsabilité de son inaction. Les autorités suisses, dont le SEM, intervenaient régulièrement auprès de leurs homologues étrangères pour obtenir le laissez-passer indispensable à l’exécution de l’expulsion du recourant. Ce dernier, qui s’était initialement déclaré ressortissant du Tchad, n’avait jamais fourni le moindre élément concret dans ce sens et avait constamment exprimé son refus de quitter le territoire européen. Les autorités helvétiques effectuaient tout ce qu’elles pouvaient pour le faire identifier par son pays d’origine mais demeuraient tributaires de leurs homologues étrangères. Les auditions centralisées avaient ainsi été reportées par la délégation sénégalaise à une date ultérieure, celle par la Gambie à l’automne 2022 et celle par le Mali à la fin novembre/début décembre 2022. Le recourant aurait retrouvé la liberté de longue date s’il n’avait pas adopté un comportement d’opposition. Il demeurait ainsi le seul et unique responsable de la durée de sa détention, à laquelle il pouvait rapidement mettre un terme.

20. Dans sa réplique du 14 octobre 2022, le recourant a exposé être né au Tchad, puis avoir quitté ce pays pour le Niger avec sa mère, ensuite vers la Lybie avec son oncle. Après avoir transité par la Sardaigne, il avait déposé une demande d’asile au Luxembourg en 2002 puis en Suisse en 2008. Il avait coopéré avec les autorités helvétiques pour procéder à son identification, notamment à son audition par la représentation du Tchad le 16 décembre 2021 et à une analyse Lingua le 27 janvier 2022. Les autorités faisaient tout pour compliquer ses démarches pour favoriser son départ de Suisse, en le plaçant en détention administrative à Zurich de juin à septembre 2022. Les pièces portées à la procédure par l’autorité intimée ne démontraient pas l’exactitude des démarches qu’elle aurait entreprises, ce qui violait son droit d’être entendu, et il pouvait légitimement douter que les auditions annoncées allaient effectivement avoir lieu. L’autorité intimée n’expliquait pas non plus les démarches qu’elle aurait entreprises du 25 janvier au mois de décembre 2021, ce qui démontrait une violation importante de son devoir de diligence.

21. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 10 octobre 2022 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

En outre, à teneur dudit art. 10 LaLEtr, elle est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l'étranger (al. 3 1ère phr.).

3) a. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 précité consid. 4.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1).

b. À teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, qui renvoie à l'art. 75 al. 1 let. h LEI, après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment si celle-ci a été condamnée pour crime, par quoi il faut entendre une infraction passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans (art. 10 al. 2 CP ; ATA/220/2018 du 8 mars 2018 consid. 4a ; ATA/997/2016 du 23 novembre 2016 consid. 4a ; ATA/295/2011 du 12 mai 2011 consid. 4). Selon la jurisprudence de la chambre administrative, pour qu'une personne puisse être mise en détention sur la base de cette disposition, elle doit avoir été condamnée par une juridiction pénale de première instance, sans qu'il soit nécessaire que le jugement soit définitif (ATA/127/2015 du 3 février 2015 consid. 6).

Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI).

c. En l'espèce, les conditions d'une mise en détention administrative du recourant sont remplies, vu notamment sa condamnation pénale pour violation grave de la LStup et blanchiment d’argent aggravé – soit pour des crimes – et son expulsion pénale prononcée pour une durée de cinq ans.

Par ailleurs, sa mise en détention a été prononcée le 31 mai 2022, si bien que l'ordre de mise en détention attaqué respecte également l'art. 79 al. 1 LEI.

4) Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 et 36 Cst. et art. 80 et 96 LEI ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées). Elle doit non seulement apparaître proportionnée dans sa durée, envisagée dans son ensemble (ATF 145 II 313 consid. 3.5 ; 140 II 409 consid. 2.1 ; 135 II 105 consid. 2.2.1), mais il convient également d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si elle constitue une mesure appropriée et nécessaire en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi ou d'une expulsion (art. 5 par. 1 let. f CEDH ; ATF 143 I 147 consid. 3.1 ; 142 I 135 consid. 4.1 ; 134 I 92 consid. 2.3 , 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.4 ; 2C_263/2019 du 27 juin 2019 consid. 4.1 ; 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi ou de l'expulsion de la personne concernée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées ; cf. aussi ATF 130 II 425 consid. 5.2).

5) Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEI ; « principe de célérité ou de diligence »). Il s'agit d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt du Tribunal fédéral 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; ATA/611/2021 du 8 juin 2021 consid. 5a).

Selon la jurisprudence, le principe de célérité est violé si les autorités compétentes n'entreprennent aucune démarche en vue de l'exécution du renvoi ou de l'expulsion pendant une durée supérieure à deux mois et que leur inactivité ne repose pas en première ligne sur le comportement des autorités étrangères ou de la personne concernée elle-même (ATF 139 I 206 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1132/2018 du 21 janvier 2019 consid. 3.3 ; 2C_1106/2018 du 4 janvier 2019 consid. 3.3.2).

6) L'adage nemo auditur suam (propriam) turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de sa propre faute) concrétise le principe constitutionnel de la bonne foi et vaut également en droit public (arrêt du Tribunal fédéral 2C_17/2008 du 16 mai 2008 consid. 6.2 ; ATA/169/2020 du 11 février 2020 consid. 7b).

7) Le recourant se plaint d'une violation des principes de célérité et de proportionnalité.

Or, il ressort de la procédure que les autorités suisses ont entrepris et mené sans relâche des démarches en vue d'établir l'origine du recourant afin de pouvoir exécuter la décision d'expulsion pénale. À cet égard, il n’y a pas lieu de revenir sur les démarches des autorités en 2021, dès lors qu’il était sous le régime de la détention provisoire dans l’attente de son jugement, étant toutefois relevé que des démarches avaient déjà été initiées durant cette période. Cela étant, dans le cadre des démarches d’expulsion pénale, les autorités suisses, après l'exclusion d'une possible origine tchadienne, ont voulu étendre la recherche de nationalité aux origines maliennes, gambiennes et sénégalaise, au vu de ce qui était ressorti du test Lingua effectué par le recourant en fin d’année 2021. Les recherches perdurent, également en raison des renseignements insuffisants donnés par le recourant, qui n'a au demeurant entrepris jusqu'à présent aucune démarche en vue d'obtenir des documents d'identité du ou des pays dont il se prétend originaire.

En outre, il n’amène aucun élément qui démontrerait qu’il aurait pris contact avec les foyers au Luxembourg où il aurait logé et laissé des documents pertinents pour illustrer son statut administratif dans ce pays, même après avoir récupéré son téléphone portable. Son argument selon lequel une assignation à territoire lui aurait permis de solliciter l’aide d’urgence et d’entamer des démarches pour quitter la Suisse est téméraire. En faisant preuve d’un minimum de collaboration, le recourant aurait déjà pu les entamer, avec le soutien des autorités suisses.

Dans ces conditions, c'est de manière légitime que les autorités de migration ont exploré et continuent à explorer d'autres pistes en cherchant à le présenter aux autorités maliennes et gambiennes, des auditions centralisées ayant toutefois été reportées au courant de l’automne 2022, et par les autorités sénégalaises à fixer le plus rapidement possible puisque l’audition prévue pour le 12 octobre 2022 avait été annulée par ces dernières à la dernière minute, sans que les autorités suisses n’aient de prise à leur propos. Rien ne permet de douter des affirmations du SEM résultant de son courrier électronique du 12 octobre 2022, de sorte que le droit d’être entendu du recourant n’a pas été violé.

C’est de manière abusive que le recourant invoque le principe de célérité, puisque sa collaboration est insuffisante et occasionne la perte de temps liée à la recherche de sa véritable origine, une origine tchadienne ayant été exclue, et c’est en se prévalant de sa propre faute qu’il demande sa mise en liberté. Il ne saurait davantage prendre argument de sa volonté de quitter la Suisse par lui-même, ne disposant en l’état d’aucun titre de séjour démontré pour aucun des pays limitrophes de la Suisse, ni même en l’état pour le Luxembourg.

Enfin, tant la durée que la mise en détention administrative du recourant respectent encore le principe de la proportionnalité. L'intérêt public à l'exécution de son renvoi est ainsi prépondérant au regard de ses condamnations et de la durée d'expulsion du territoire, ce qui exclut toute libération fondée sur des motifs d'opportunité. Aucune autre mesure n'est au demeurant à même de garantir sa présence en cas de renvoi, au vu de sa volonté affichée mais toute théorique de regagner le Luxembourg, ses violations de la décision de renvoi et d’interdiction d’entrée en Suisse prononcées précédemment à son encontre, ainsi que son absence d'attaches et de source licite de revenus en Suisse.

Au vu de ce qui précède, le recours est entièrement mal fondé et doit être rejeté.

8) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03) et compte tenu de son issue, il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 octobre 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 septembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dominique Bavarel, avocat du recourant, à l’office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance au secrétariat d'État aux migrations, ainsi qu'à l’établissement Favra, pour information.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Mascotto, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :