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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2694/2022

ATA/982/2022 du 03.10.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2694/2022-FPUBL ATA/982/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 3 octobre 2022

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Pascal Junod, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



Vu, en fait, l’arrêté du Conseil d’État du 22 juin 2022 prononçant la révocation de Madame A______ avec effet au 30 septembre 2022, comprenant la libération de son obligation de travailler dès réception, décision déclarée exécutoire nonobstant recours ;

qu’il en ressort en substance que celle-ci avait été engagée par le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) le 1er janvier 2006, en qualité de remplaçante, puis en tant que chargée d’enseignement de mathématiques dès le 1er septembre 2008. Elle avait été nommée fonctionnaire le 1er septembre 2011, en tant que maîtresse d’enseignement général dans l’enseignement secondaire, à un taux d’activité de 80 %. Elle avait été affectée au collège B______ (cycle d’orientation ; ci-après : CO) depuis le 1er septembre 2017. En sus de sa fonction d’enseignante, elle était coprésidente du groupe de mathématiques au CO dès cette même date ;

qu’elle s’était vu notifier un blâme le 6 juillet 2020 en raison de la présence sur son compte Facebook de certaines publications reconnues comme incompatibles avec les devoirs et obligations découlant de son statut d’enseignante. Elle avait par la suite mis en ligne de nouvelles vidéos dans lesquelles elle avait notamment évoqué la procédure administrative dont elle avait fait l’objet en amont de cette sanction, mais également la procédure en cours, ou encore faisant état de son rapprochement avec Monsieur C______ et les idées antisémites de ce dernier. Durant l’année scolaire 2018 – 2019, elle avait tenu en classe des propos dissuasifs portant notamment sur la vaccination contre le papillomavirus alors que le DIP menait campagne pour la promotion dudit vaccin. En lien avec la crise de Covid-19, elle avait diffusé une interview dans laquelle Monsieur D______ avait tenu notamment des propos sur un nouvel ordre mondial et fait une analogie entre les mesures sanitaires et des « mesures terroristes », les comparant à la période nazie, exposant aussi que les résultats de la votation fédérale du 28 novembre 2021 sur la loi Covid-19 avaient été manipulés ;

qu’elle avait agi ainsi avant et après avoir été convoquée en entretien de service, qui s’était finalement tenu par la voie écrite le 29 janvier 2021, de même que l’arrêté du Conseil d’État du 19 mai 2021, ouvrant une enquête administrative à son encontre et prononçant sa suspension provisoire avec maintien de son traitement ;

qu’en regard des différentes situations en question, il était considéré qu’elle avait adopté à de nombreuses reprises, en dépit de la précédente sanction, des comportements, quand bien même ils étaient pour grande majorité intervenus hors du cadre scolaire, nuisant gravement à plusieurs de ses devoirs de fonction, comportement ayant irrémédiablement mis à néant le rapport de confiance devant exister entre l’État et ses fonctionnaires ;

vu le recours expédié le 24 août 2022 par Mme A______ à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté du 22 juin 2022 précité, concluant principalement à sa nullité, subsidiairement à ce qu’il soit annulé ;

qu’à titre préalable, elle a notamment requis la restitution de l’effet suspensif, sans une quelconque motivation ;

qu'elle a exposé au fond qu’on ne pouvait retenir une violation, a fortiori grave, de ses devoirs d’exemplarité, de fidélité et de réserve en raison des comportements qui lui étaient reprochés, lesquels étaient intervenus en dehors du cadre scolaire et ne résultaient pas d’interactions avec les élèves. Ni ces derniers, ni leurs parents n’avaient eu connaissance des vidéos en cause. Elle n’avait fait l’objet d’aucune poursuite pénale pas plus qu’elle n’avait eu de comportements sexuels inappropriés. Les accusations d’antisémitisme étaient infondées et avaient été lancées par une association politique controversée. Ses publications n’avaient pas pour but de choquer les descendants des victimes de la Shoah, excluant ainsi toute intention discriminatoire, ce qu’avait in fine retenu le rapport d’enquête, mais que la décision querellée ignorait totalement. Elle n’avait dans ses vidéos, en lien avec l’enquête administrative en cours, jamais évoqué l’identité des témoins, ni la teneur des témoignages produits, des éléments de la procédure ayant en revanche été communiqués à la presse sans qu’elle n’en soit l’auteur, ce qui révélait de graves dysfonctionnements au sein du DIP et dans tous les cas une violation du devoir de fonction. Lorsque l’on restreignait des libertés individuelles par des mesures urgentes, comme dans le cadre de la votation du 28 novembre 2021, on devait s’attendre à une critique d’autant plus grande. Elle savait que Monsieur E______ n’était pas vacciné et avait dû s’expliquer face à cette polémique, alors même qu’il se devait d’avoir une conduite exemplaire. Elle n’était pas responsable des propos que pouvaient tenir les personnes interrogées, ce qui s’appliquait à M. D______. Sa hiérarchie était au courant de ses interventions en classe et il était donc malvenu de fonder a posteriori une révocation des rapports travail sur des faits connus et tolérés par celle-ci ;

que dans ces circonstances, la révocation constituait une mesure trop incisive et violait de manière crasse sa liberté d’expression, de même que les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, référence étant faite à la réintégration d’une enseignante ayant pratiqué le salut nazi en classe et d’un enseignant ayant fait consommer de l’alcool à ses élèves avant de les accompagner dans sa propre chambre lors d’un voyage scolaire ;

que le Conseil d’État a, le 12 septembre 2022, conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif, relevant que Mme A______ n’invoquait aucun préjudice ou dommage irréparable, qu’il soit d’ordre psychologique ou économique. Ses chances d’obtenir gain de cause sur le fond devaient être considérées comme faibles. L’intérêt public à la préservation de la confiance des citoyens vis-à-vis de l’administration de manière générale et plus particulièrement des parents d’élèves envers le DIP primait sur l’intérêt de Mme A______ à exercer sa profession durant la procédure de recours ;

que Mme A______ n’a pas fait usage de son droit à la réplique dans le délai imparti à cet effet au 26 septembre 2022 ;

que les parties ont été informées, le 30 septembre 2022, que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/795/2021 du 4 août 2021 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020) ;

qu'elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ; que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3) ;

que lors de l'octroi ou du retrait de l'effet suspensif, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que même après avoir ordonné une enquête administrative, l'autorité reste libre de décider de renoncer à la voie disciplinaire et de recourir au prononcé d'un licenciement si elle estime que les faits constatés ne sont pas d'une gravité de nature à justifier un renvoi par le biais de la révocation, mais rendent néanmoins inacceptable une continuation des rapports de service (arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2011 du 19 septembre 2012 consid. 7.2) ;

que l'employeur jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour juger si les manquements d'un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l'administration (arrêt du Tribunal fédéral 8C_15/2019 du 3 août 2020 consid. 7.2 et les arrêts cités) ;

qu'en l'espèce, l’intérêt financier de la recourante à ce que le versement de son salaire soit maintenu, à compter du 1er octobre 2022, pendant la procédure de recours, pourrait a priori être important, étant toutefois relevé qu’elle n’a nullement motivé ni étayé sa demande d’octroi d’effet suspensif ;

qu'elle n’a ainsi pas rendu vraisemblable qu’en cas de refus de restituer l’effet suspensif, un possible revenu réalisé par un éventuel autre membre de son foyer, des indemnités de chômage ou des économies ne permettraient pas de lui permettre de subvenir à ses besoins pendant la durée de la procédure, face au déficit induit par la fin du versement de son salaire ;

que la recourante ne soutient ni a fortiori n’étaye avoir entrepris des démarches pour faire valoir son droit à des indemnités chômage ; le fait qu'elle pourrait être sanctionnée en raison des circonstances de la fin des relations de travail ne justifierait pas une éventuelle passivité ;

qu’ainsi, l’existence du risque de subir un dommage financier difficilement réparable que l’admission du recours ne pourrait réparer n’est pas rendue vraisemblable ;

que même s’il fallait admettre que la recourante ne dispose pas d’économies – ce qui n’est pas rendu vraisemblable –, l'intérêt public à la préservation des finances de l'entité publique intimée, qui serait alors exposée au risque que la recourante ne rembourse pas les traitements versés en cas de rejet de son recours, est important et prime l’intérêt financier de la recourante à percevoir son salaire durant la procédure (ATA/795/2021 précité ; ATA/466/2021 du 28 avril 2021 ; ATA/1043/2020 précité) ;

qu’il est rappelé que l’employeur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix de prononcer une sanction ou le licenciement à la suite de manquements professionnels qu’il estime importants ;

qu’au regard des manquements reprochés à la recourante, que cette dernière conteste, le choix de l’autorité intimée de procéder à une révocation avec effet au 30 septembre 2022 n’apparaît, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas d’emblée arbitraire, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont celle-ci dispose en la matière ;

qu’ainsi, au vu de l’absence de préjudice difficilement réparable, du fait que les chances de succès du recours ne paraissent prima facie pas manifestes et de l’intérêt public à l’exécution immédiate de la décision de révocation, la requête de restitution de l’effet suspensif sera rejetée ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais du présent incident.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête d’effet suspensif ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Pascal Junod, avocat de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'État.

 

 

Le vice-président :

 

 

 

C. Mascotto

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :