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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2686/2022

ATA/978/2022 du 30.09.2022 sur JTAPI/936/2022 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2686/2022-MC ATA/978/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 septembre 2022

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Dina Bazarbachi, avocate

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 septembre 2022 (JTAPI/936/2022)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1973 et originaire d'Algérie, est entré en Suisse le 15 décembre 2012 et a déposé une demande d'asile le 8 avril 2013, sur laquelle le Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après : SEM) n'est pas entré en matière et, simultanément, a prononcé son renvoi de Suisse, le 14 août 2013. Cette décision est entrée en force le 23 août 2013.

2) La prise en charge de M. A______ et l'exécution de son renvoi ont été confiées au canton du Valais. L'intéressé ayant disparu le 18 septembre 2014, son renvoi n'a pas été exécuté par les autorités valaisannes.

3) L'extrait du casier judiciaire suisse de M. A______ fait état de huit condamnations, toutes prononcées par les instances pénales genevoises entre le 28 janvier 2014 et le 27 juillet 2021 pour des infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI – RS 142.20) et des contraventions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121). Ledit extrait fait aussi mention de trois enquêtes pénales genevoises en cours, dont une pour vol et recel.

4) Par jugement du Tribunal d'application des peines et des mesures du 8 décembre 2021, la libération conditionnelle de l'intéressé a été refusée.

Le pronostic était « fort défavorable », au vu des nombreux antécédents, et de l’échec de la précédente libération conditionnelle. Les peines subies n’avaient pas dissuadé l’intéressé de récidiver. Aucun projet concret n’était allégué pour la sortie de la prison, si ce n’était de rester en Suisse, de sorte qu’il se retrouverait dans la même situation personnelle – sans logement, sans travail, sans titre de séjour – que celle l’ayant mené à ses dernières condamnations. Le risque qu’il commette à nouveau des infractions paraissait élevé, étant précisé qu’il ne se limitait pas à des infractions à la LEI.

5) Le 16 août 2022, à la demande de la CECAL, une patrouille de police est intervenue au Sentier des Falaises, à Genève, car une femme avait signalé qu'une promeneuse avait subi des attouchements de la part d'un individu. Arrivés sur place, les policiers ont entendu la victime qui leur a expliqué que M. A______ avait touché sa poitrine et qu'il s'était frotté contre elle tout en l'enlaçant, son sexe en érection. Elle connaissait l’intéressé de vue car elle occupait auparavant un emploi dans le domaine social. Elle a déposé plainte pénale pour les faits en question.

6) Entendu par la police, M. A______ a nié s'être comporté de la sorte avec la victime. Il a reconnu les infractions à la LEI. Il était arrivé en Suisse en 2008, vivait dans des abris ou dans la rue, était démuni de moyens d'existence et n'avait aucun lien particulier avec le canton de Genève.

7) M. A______ a été mis à disposition du Ministère public sur ordre du commissaire de police pour des infractions à la LEI et pour désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel conformément à l'art. 198 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

8) Le 17 août 2022, le Ministère public a condamné M. A______ par ordonnance pénale pour les faits ayant conduit à son arrestation, puis il l'a remis aux services de police.

9) Le 17 août 2022 à 14h03, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

M. A______ faisait l’objet d’une décision de renvoi, était démuni de tout document d’identité, n’avait rien entrepris pour quitter la Suisse, faisait l’objet d’une procédure pénale pendante pour vol et recel. La durée de la mesure prenait en compte le fait qu’il était susceptible de reproduire ses agissements coupables dans le canton de Genève.

10) Par acte du 25 août 2022, M. A______ a formé opposition contre cette décision devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

11) Lors de l'audience, qui s’est tenue le 9 septembre 2022 devant le TAPI, M. A______ a déclaré qu'il ne comprenait pas pour quelle raison une mesure d’interdiction avait été prise à son encontre. Il contestait les faits pour lesquels il avait été condamné par ordonnance pénale du 17 août 2022, à laquelle il avait fait opposition. Il n'avait pas d'autorisation de séjourner à Genève, mais y vivait depuis quinze ans et y avait un suivi médical et chirurgical. Il consultait un psychiatre au centre médico-chirurgical Vermont-Grand-Pré. Il avait un rendez-vous en septembre et son précédent rendez-vous remontait au 22 juillet 2022, comme l'attestait le document qu'il a montré lors de l'audience. Il avait subi une opération chirurgicale au bras droit en 2012. En raison de douleurs, il avait eu un contrôle en 2015. Il n'avait plus vu de médecin à ce sujet depuis lors. Il logeait dans des foyers (Richemont, Franck-Thomas, Armée du Salut). Il ne percevait pas d'aide financière mais gagnait de temps en temps un peu d'argent en faisant des déménagements ou du ménage. Informé par la juge qu’il avait été attribué au canton du Valais après le rejet de sa demande d’asile, il a répondu qu'il n'avait rien à faire là-bas. Il a conclu à l'annulation de la mesure d'interdiction territoriale.

La représentante du commissaire de police a produit une pièce indiquant que M. A______ avait été détenu dans le canton du Valais durant cinq mois du 7 avril au 18 septembre 2014. Elle a conclu au rejet de l'opposition.

12) Par jugement du 12 septembre 2022, le TAPI a confirmé l’interdiction prononcée le 17 août 2022 de pénétrer dans le canton de Genève pendant une durée de douze mois.

L’absence de titre de séjour et les nombreuses condamnations du recourant justifiaient cette mesure, l’intéressé dépendant au demeurant du canton du Valais. Il pouvait dans ce canton bénéficier de l’aide d’urgence nécessaire, y compris un suivi psychiatrique.

13) Par acte déposé le 23 septembre 2022 au greffe universel du Pouvoir judiciaire, M. A______ a recouru contre ce jugement, dont il a demandé l’annulation ainsi que celle de la décision du 17 août 2022.

Lors de l’audience qui s’était tenue le 19 septembre 2022 devant le Ministère public, la plaignante avait tenu des propos décousus et loufoques. Il n’existait plus de soupçon d’infraction. Le TAPI ne pouvait ainsi retenir que le recourant représentait une menace pour l’ordre et la sécurité publics. En outre, ni le TAPI ni le commissaire de police n’expliquaient pour quel motif une interdiction de pénétrer inférieure à douze mois serait insuffisante dans la poursuite du but recherché.

14) Le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

Le recourant faisait l’objet d’une décision de renvoi, de huit condamnations pénales et d’une procédure pour vol et recel qui était en cours.

15) Dans le délai de réplique, le recourant a relevé que les faits dénoncés le 16 août 2022 avaient donné lieu à la mesure querellée. Il était contraire au principe de la bonne foi d’invoquer désormais des procédures anciennes.

16) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 23 septembre 2022 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3) Est litigieuse l’interdiction de pénétrer le territoire cantonal pendant douze mois.

a. À teneur dudit art. 10 LaLEtr, la chambre de céans est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.).

b. Au terme de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et que des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou qu'il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire (let. b). L’assignation à un territoire ou l’interdiction de pénétrer un territoire peut également être prononcée lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

c. Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 et les arrêts cités).

d. La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6 et les références citées).

e. L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

f. La chambre administrative a confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois d’ un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, plusieurs fois condamné pour infractions à la LStup, objet de décisions de renvoi et traité sans succès pour une dépendance aux stupéfiants (ATA/411/2022 du 14 avril 2022).

Elle a également confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton pour une durée de dix-huit mois prononcée contre un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et la LStup, qui avait longtemps caché sa véritable identité et était revenu en Suisse malgré un renvoi (ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

4) En l'espèce, le principe d’une mesure d’interdiction de périmètre est fondé au vu de l’absence de titre de séjour du recourant, de la décision de renvoi prononcée à son encontre et de ses nombreuses condamnations pénales.

Les condamnations répétées du recourant pour contraventions à la LStup indiquent qu'il est consommateur de stupéfiants. Il ne soutient pas avoir cessé cette consommation. Il n’explique pas non plus qu’il envisagerait ou aurait entrepris des démarches pour quitter la Suisse. Il y a ainsi lieu de retenir qu'il présente une menace concrète pour la sécurité et l'ordre publics, notamment au regard du risque de nouvelles infractions à la LStup. Il est encore précisé que contrairement à ce qu’il soutient, le commissaire de police n’a pas fondé la décision d’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève sur les seuls faits ayant donné lieu à la récente procédure pénale, dont l’instruction va prochainement être clôturée.

Le recourant est sans ressources, célibataire et sans logement. L’exécution de son renvoi a été confiée au canton du Valais, dans lequel il a d’ailleurs subi une détention administrative en 2014. Ce canton étant chargé de son renvoi, le recourant pourra, comme l’a à juste titre relevé le TAPI, bénéficier de l’aide urgente accordée aux requérants d’asile déboutés et, en cas de besoin, des soins médicaux nécessaires.

Compte tenu de ces éléments, la délimitation de la mesure à l’ensemble du canton de Genève, avec lequel le recourant n’a aucune attache, respecte le principe de la proportionnalité.

La durée de la mesure ne prête pas le flanc à la critique. Celle-ci se justifie au regard des éléments à prendre en considération, à savoir le nombre d'infractions commises par l'intimé, le fait que plusieurs d'entre elles sont en lien avec le trafic de stupéfiants, que l'intéressé est sans emploi, ne dispose d'aucun titre de séjour, fait l'objet d’une décision de renvoi et présente des antécédents judiciaires en Suisse. Au vu de ces circonstances, la durée de douze mois paraît apte et suffisante pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le canton de Genève du risque de nouvelles commissions d’infractions sur le territoire cantonal par le recourant. Enfin, il convient de relever que l’interdiction de périmètre ne comporte qu’une atteinte à la liberté personnelle relativement légère.

Partant, le recours sera rejeté et la décision du commissaire de police confirmée.

5) La procédure étant gratuite, aucun émolument de procédure ne sera prélevé (art. 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure, ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 septembre 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 septembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dina Bazarbachi, avocate du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :