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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2351/2022

ATA/921/2022 du 13.09.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2351/2022-FPUBL ATA/921/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 13 septembre 2022

sur effet suspensif

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE


Attendu, en fait, que :

1) Monsieur A______, né le ______ 1962, a été engagé le 1er février 1987 en qualité de maître suppléant d’enseignement général ou technique dans l’enseignement secondaire. Fonctionnaire dès le 1er septembre 1995, il a été ensuite été nommé en qualité de doyen le 1er septembre 2008 puis le 1er février 2011 à la direction générale de l’office ______. Le 4 juillet 2016, il a été promu en qualité de directeur d’établissement secondaire I au collège des B______ (ci-après : le CO), auprès de la direction générale de l’enseignement obligatoire.

2) Par courrier du 28 avril 2021, le département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) a convoqué M. A______ à un entretien de service dans le but de l’entendre au sujet d’une situation délétère au sein du conseil de direction du CO, en lien avec des propos et attitudes inadéquats de sa part, des dénigrements et des pressions qu’il aurait exercées, en sus d’une problématique d’alcool, relevés par plusieurs membres du CO.

S’ils étaient avérés, ces faits étaient susceptibles de conduire à une résiliation des rapports de service et une saisine du Groupe de confiance et du service de santé était envisageable, ainsi qu’une libération de l’obligation de travailler.

3) M. A______ a contesté les faits reprochés tant par oral, lors de l’entretien de service qui s’est déroulé le 30 juin 2021, que par écrit du 2 août 2021.

4) Par courrier du 16 septembre 2021, la Conseillère d’État en charge du DIP a sollicité l’ouverture d’une investigation au sens de l’art. 20 al. 1 du règlement relatif à la protection de la personnalité à l'Etat de Genève du 12 décembre 2012 (RPPers - B 5 05.10) par le Groupe de confiance, aux fins de déterminer s’il y avait eu atteinte à la personnalité, voire harcèlement de l’un ou l’autre des membres du personnel du DIP qui avaient été entendus préalablement.

5) Le Groupe de confiance a rendu son rapport le 9 mai 2022, aux termes duquel il a constaté l’existence d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat hostile imposé par M. A______ à l’encontre de Monsieur C______.

6) Par décision du 7 juillet 2022, la Conseillère d’État en charge du DIP a constaté l’existence d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat hostile imposé par M. A______ à l’encontre de M. C______, la décision étant déclarée exécutoire nonobstant recours, et a invité le Conseil d’État à examiner la question d’une éventuelle libération de l’obligation de travailler de M. A______. Elle se prononcerait ensuite sur la suite de la procédure administrative intentée préalablement.

Le Groupe de confiance ne s’était pas servi des observations du plaignant, que M. A______ se plaignait ne pas avoir reçues, pour fonder les conclusions de son rapport. Il s’était référé à la jurisprudence fédérale en lien avec l’apport de la preuve, la preuve par indices dans les cas où une preuve directe ne peut pas ou plus être apportée et sur le haut degré de vraisemblance, ainsi que la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) commandant de reconnaitre l’existence d’un acte de harcèlement sexuel sur la base d’un faisceau d’indices sérieux et convergents.

Il avait également examiné la question de la prise en compte comme moyen de preuve des déclarations des témoins qui n’avaient pas directement assisté aux faits mais auxquels la victime s’était confiée, en rappelant que le Tribunal fédéral l’admettait.

Après analyse de l’état de fait sous l’angle du harcèlement psychologique et de l’atteinte à la personnalité puis sous celui du harcèlement sexuel, il a conclu à l’existence de ce dernier sous la forme d’un climat de travail hostile, sur la base d’un faisceau d’indices sérieux et convergents.

Il avait été convaincu de l’existence de faits qui s’étaient déroulés à des périodes différentes et avec des personnes différentes, les similitudes relevées ne permettant pas de conclure que les personnes s’étaient accordées entre elles contre M. A______. Les témoignages ne paraissaient pas coordonnés, mais pour certains même nuancés, et de nombreuses allégations avaient été écartées, d’autres – apparues en cours de procédure – retenues.

L’analyse avait été effectuée par des spécialistes de la question et ne prêtait pas flanc à la critique.

7) Par acte du 15 juillet 2022, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation et au constat de l’inexistence de tout « harcèlement sexuel » de sa part. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué, dès réception du recours, puis après échange d’écritures.

La restitution de l’effet suspensif devait lui être accordée, d’une part, parce que le prononcé exécutoire nonobstant recours n’était pas motivé et, d’autre part, parce qu’aucun intérêt public ou privé n’était susceptible d’être servi par l’exécutoire de la décision, au demeurant constatatoire. Il disposait au contraire d’un intérêt à ce que le bien-fondé de l’existence d’un cas de harcèlement – qu’il contestait – soit tranché au fond, sans que l’intégralité de la procédure subséquente ne soit poursuivie sans fondement, sauf à ce que l’ensemble des actes entrepris entre temps par le Conseil d’État doivent être annulés en cas d’admission de son recours au fond. Il n’était, par ailleurs, pas concevable de traiter les trois procédures – constatation d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat hostile, suspension provisoire par le Conseil d’État et sanction administrative – sauf à permettre une procédure hors débat contradictoire, en violation du droit à la réplique et sans accès préalable au juge. Pour le surplus, la condition de l’urgence faisait défaut compte tenu du temps écoulé depuis l’annonce des premiers faits litigieux, l’établissement se portant bien avec des conditions de travail saines et satisfaisantes depuis le départ du plaignant.

8) La restitution de l’effet suspensif a été refusée par décisions sur mesures superprovisionnelles des 15, 20 et 25 juillet 2022.

9) Par courrier du 10 août 2022, M. A______ a maintenu sa requête, exposant et documentant avoir été libéré provisoirement de son obligation de travailler par la secrétaire générale du DIP, jusqu’à détermination du Conseil d’État à ce propos.

10) Le 15 août 2022, le DIP a conclu au rejet de la demande en restitution de l’effet suspensif.

La décision du 7 juillet 2022, fondée sur l’art. 125 de la loi sur l’instruction publique (LIP – C1 10) et sur l’art. 30 du règlement relatif à la protection de la personnalité à l'Etat de Genève du 12 décembre 2012 (RPPers - B 5 05.10), permettait la poursuite de la procédure administrative intentée préalablement, dans le respect des obligations de l’administration de ses obligations, la rentrée scolaire étant fixée au 22 août 2022.

Restituer l’effet suspensif au recours reviendrait à accorder au recourant ses conclusions au fond et à empêcher la poursuite de la procédure alors que l’intérêt public commandait d’agir face à un constat de harcèlement sexuel et aux mesures envisagées de libération de l’obligation de travailler, un changement d’affectation et/ou une sanction disciplinaire, avant une prescription des faits.

Une restitution de l’effet suspensif ferait perdurer une situation insatisfaisante, ne permettant pas à l’État de respecter ses incombances en matière de protection de la personnalité.

L’intérêt privé du recourant devait céder le pas à l’intérêt public à la protection de la personnalité de ses collaborateurs et à pouvoir rendre une décision avant que le délai de prescription ne soit échu. L’intérêt public à l’exécution immédiate de la décision l’emportait donc sur celui du recourant à obtenir l’effet suspensif.

11) M. A______ a répliqué le 26 août 2022 et persisté dans ses conclusions.

12) Le 7 septembre 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Le recours est interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par le vice-président, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

3) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, p. 265).

L’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; du 18 septembre 2018).

5) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

6) Selon l’art. 16 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, d’une sanction disciplinaire voire la résiliation des rapports de service, selon les art. 21ss LPAC.

7) Le recourant sollicite la restitution de l’effet suspensif à son recours contre la décision de constatation de l’existence d’un harcèlement sexuel sous la forme d’un climat de travail hostile imposé par lui-même à l’encontre de M. C______ et invitant le Conseil d’État à examiner la question d’une éventuelle libération de son obligation de travailler. Il considère qu’il n’existe aucun intérêt public à l’exécution immédiate de la décision, le plaignant ne travaillant plus dans l’établissement et le temps s’étant écoulé depuis la première annonce des faits, mais qu’au contraire le bien-fondé de l’existence d’un cas de harcèlement sexuel devait être tranché au fond avant que la procédure subséquente ne soit poursuivie, sauf à ce que l’ensemble des actes soient annulés en cas d’admission au fond du recours, et en application du principe de la coordination des procédures.

Conformément à la jurisprudence précitée, la question n’est pas de savoir si l’exécution immédiate de la décision est justifiée par l’urgence, mais de déterminer si les raisons pour l’exécuter immédiatement sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution.

En l’occurrence, l’intérêt public apparaît important, tant au regard de la poursuite de la procédure disciplinaire avant que la prescription des faits de la cause n’intervienne qu’à celui de la protection de la personnalité de ses collaborateurs, étant rappelé que le plaignant n’a pas quitté son poste, mais est en arrêt maladie depuis mars 2021, à la suite de l’énonciation des faits.

Le recourant se prévaut d’une atteinte au principe de coordination des procédures, résultant d’un traitement séparé des trois procédures le concernant et qui se fonderait sur le constat initial d’une atteinte à la personnalité, sans débat contradictoire, en violation de son droit à la réplique et d’accès préalable au juge, si l’effet suspensif n’était pas restitué.

Outre qu’il ne démontre pas prima facie l’atteinte à ses droits procéduraux, dès lors qu’il a pu s’exprimer avant le prononcé de la décision dont est recours et que son droit à l’accès au juge est respecté par le biais de la présente procédure, admettre la restitution de l’effet suspensif reviendrait à figer la procédure disciplinaire jusqu’à l’examen des griefs contre le bien-fondé de la constatation d’un cas de harcèlement sexuel, ce qui irait à l’encontre de la ratio legis de la LPAC et de la pratique de la chambre de céans (ATA/1033/2020 du 13 octobre 2020 consid. 8 et 9 ; ATA/818/2020 du 27 août 2020).

Il n’existe ainsi aucun intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision.

Au vu de ce qui précède, la restitution de l’effet suspensif sera refusée.

8) Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours de Monsieur A______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 7 juillet 2022 ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Romain Jordan, avocat du recourant ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

 

La présidente :

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :