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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3773/2021

ATA/832/2022 du 23.08.2022 sur DITAI/277/2022 ( AMENAG ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 29.09.2022, rendu le 16.01.2023, REJETE, 1C_525/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3773/2021-AMENAG ATA/832/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 août 2022

 

dans la cause

 

COMMUNE A______
représentée par Me Mattia Deberti, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OCEV

et

B______
représentée par Me Jean-Jacques Martin, avocat

________

Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 7 juin 2022 (DITAI/277/2022)



EN FAIT

1) B______ (ci-après : B______) a été inscrite au registre du commerce le 2 mars 1957 et a pour but la production de sables, le recyclage, le transport et la vente de sables et de graviers ainsi que toutes opérations s'y rattachant. Son siège est à F______.

2) Dans un récent arrêt (ATF 146 I 129), le Tribunal fédéral a résumé comme suit sa situation :

B______ a été autorisée, en 1983 et 1986, à exploiter des gravières, avec des échéances de remblayage et de remise en culture en 1994, sur les parcelles nos 85, 86 et 87 du registre foncier de la commune genevoise d'A______, (ci-après : la commune) sises en zone agricole. En juillet 1993, en réponse à une demande de B______ de prolonger les autorisations d'exploiter précitées, les services compétents de l'administration cantonale ont indiqué que de nouveaux délais seraient fixés ultérieurement, d'entente avec les autorités communales. Ces dernières se sont opposées à la délivrance à la société précitée d'une autorisation de conserver ses installations de recyclage et de récupération à long terme, non compatibles avec la zone agricole. L'autorisation que le département cantonal compétent a néanmoins délivrée le 15 janvier 1996 à B______de réorganiser ses installations et de construire une installation fixe de recyclage, de concassage et de lavage ainsi qu'un radier a été annulée par décision du 3 septembre 1996 de la commission cantonale de recours en matière de constructions. Cette décision a été confirmée le 5 août 1997 par le Tribunal administratif du canton de Genève, dont l'arrêt est devenu définitif après que le recours formé à son encontre auprès du Tribunal fédéral a été rejeté le 13 février 1998 (cause 1A.242/1997). La poursuite de l'exploitation de B______ sur les parcelles précitées a depuis lors été tolérée.

Une première procédure de modification des limites de zones, entamée en juin 1998, aux fins notamment de mettre les parcelles précitées en zones industrielle et artisanale, a été abandonnée en avril 2001, compte tenu d'un préavis défavorable de la commune et de la perspective alors envisagée de déplacer l'exploitation de B______ sur le territoire de la commune de C______, dans le cadre d'un déclassement d'importantes surfaces de terrain. B______ n'a pas déménagé dans la zone industrielle ______, créée en juin 2007 dans la commune de C______.

Le 13 novembre 2012, à la suite du renvoi au Conseil d'État du canton de Genève par le Grand Conseil, d'une motion demandant que la situation de B______ soit régularisée, le Conseil municipal de la commune a décidé de refuser tout nouveau projet de déclassement en zone industrielle des parcelles précitées et de demander au Conseil d'État de prendre toutes les mesures utiles pour faire déménager B______ dans une zone industrielle. En avril 2013, le Conseil d'État a néanmoins fait part à la commune de sa volonté de déclasser les parcelles considérées, de façon à les affecter aux seules activités de recyclage de matériaux minéraux. Le gouvernement cantonal a confirmé cette position, en janvier 2015, pour régulariser la situation de B______.

Par décision du 4 juin 2015, le département cantonal compétent a refusé de donner suite à une demande de la commune tendant à ce que soit constaté que les activités de B______ sur les trois parcelles précitées étaient illégales et visant à ce que leur suspension immédiate soit prononcée et qu'obligation soit faite à cette société d'évacuer ses installations et de remettre lesdites parcelles en état. Par jugement du 26 mai 2016, le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après : TAPI) a admis le recours que la commune a interjeté contre cette décision et a renvoyé le dossier à l'administration compétente pour nouvelle décision. Sur recours de B______ et du département cantonal compétent, la chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la chambre administrative) a annulé ce jugement, par arrêt du 26 juin 2018.

La commune a déposé contre cet arrêt un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, dont l’instruction a été suspendue le 7 février 2019 jusqu’à droit connu sur le référendum évoqué ci-après (cause 1C_423/2018).

3) Le 2 novembre 2018, le Grand Conseil a adopté la loi 11'976 modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune (ci-après : PL 11’976) par la création d'une zone industrielle et artisanale affectée à des activités de recyclage de matériaux minéraux au lieu-dit « Sous-Forestal » sur les parcelles nos 85, 86 et 87 et a rejeté, dans la mesure de leur recevabilité, les oppositions formées à ladite modification.

4) Lors des votations du 29 novembre 2020, faisant suite au référendum s'opposant à la loi PL 11’976, le peuple genevois a refusé de déclasser ces terrains agricoles en zone industrielle et artisanale.

5) Suite à cette votation, une première réunion entre la fondation pour les terrains industriels de Genève (ci-après : FTI) et B______ a eu lieu le 23 février 2021, dans le but de trouver une solution de relocalisation de cette dernière.

6) a. Par courrier du 6 mai 2021, le service de l'environnement et des risques majeurs rattaché à l'office cantonal de l'environnement (ci-après : OCEV) du département du territoire (ci-après : le département ou le DT) a informé B______ qu'il entendait rendre une décision de cessation des activités et de remise en état des terrains pour un retour à l'agriculture au 31 décembre 2023. À cet effet une séance était prévue le 17 mai 2021.

b. Lors de cette séance, les modalités et le planning de la cessation des activités de recyclage, de l'évacuation des stocks, du démantèlement des installations et de la remise en état des terrains pour un retour à l'agriculture ont été discutés avec les représentants de B______, leur précisant qu'un courrier leur serait notifié afin qu'ils puissent faire valoir leur position.

7) Après avoir invité B______ à faire valoir formellement son droit d'être entendue par écrit, ce que celle-ci a fait le 9 juillet 2021, l’OCEV a rendu une décision le 1er octobre 2021 et, dans son dispositif :

«  1. Ordonne la cessation des activités de B______ sur les terrains indiqués par la carte géographique annexée à la présente décision, selon le planning suivant :

a.       31 décembre 2021 : interdiction de reprise de nouveaux déchets ;

b.      31 décembre 2022 : fin du traitement des matériaux bruts présents sur site ;

c.       31 juillet 2023 : fin de l'évacuation des matériaux recyclés présents sur site et du démantèlement des installations ;

d.      31 décembre 2023 : fin de la phase de reconstitution des sols conformément à la carte géographique annexée à la présente décision ;

e.       31 décembre 2026 : fin de la phase transitoire de remise en culture et restitution des terrains à l'agriculture.

2. Indique que la reconstitution des sols et la remise transitoire en culture doivent être réalisés selon les dispositions de la « Directive ASGB pour la remise en état des sites Directive pour une manipulation appropriée des sols » (2021) de l'Association Suisse de l'industrie des Graviers et du Béton.

3. Précise que la reconstitution de sols agricoles doit mesurer au minimum 110 cm d'épaisseur après tassement naturel, pour respecter les exigences posées à un sol à vocation agricole et des surfaces d'assolement. Les caractéristiques de la reconstitution doivent être attestées.

4. Dit que les travaux de remise en état doivent faire l'objet d'un suivi pédologique par un spécialiste de la protection des sols reconnu par le canton.

5. Demande la transmission des documents suivants :

a.       Programme des travaux intégrant les éléments usuels de la protection des sols selon le document "Protection des sols sur les chantiers : Contenu minimal d'un concept de gestions des sols", pour le 31 décembre 2022 ;

b.      Un procès-verbal de reconstruction du sol ainsi qu'un rapport d'étude pédologique sera remis suite à la remise en état des sols pour le 31 décembre 2023 ;

c.       Un procès-verbal de restitution finale du sol après la phase transitoire de remise en culture ainsi qu'un rapport d'étude pédologique lors de la fin de la phase de remise en culture transitoire à savoir le 31 décembre 2026.

6. Constate qu'aucune indemnité n'est due par l'État à « B______ ».

Les délai et voie de recours étaient indiqués.

8) Par acte du 2 novembre 2021, B______ a recouru auprès du TAPI contre cette décision, concluant à son annulation, à ce qu'il soit dit que l'État de Genève avait l'obligation de trouver une parcelle de remplacement conforme à son activité de recyclage et d'une taille équivalente et qu'en attente de cette solution aucune mesure de remise en état ne pouvait être prise à son encontre. Subsidiairement, un délai de dix ans devait lui être accordé pour mettre fin à son activité sur le site du « Sous-Forestal » et remettre les parcelles conformes à l'agriculture.

9) L'OCEV a conclu au rejet du recours.

10) Par décision du 25 janvier 2022 (DITAI/38/2022), le TAPI, après que les parties ont pu s’exprimer, a admis la « demande d’intervention » de la commune.

11) Celle-ci a conclu, principalement, au rejet du recours et, préalablement, au retrait de l'effet suspensif au recours.

Il pouvait être constaté d'emblée que ce dernier était voué à l'échec. Il était entièrement fondé sur l'existence d'une prétendue autorisation délivrée par le service cantonal de géologie le 21 juillet 1993 permettant à la recourante de maintenir ses activités de recyclage des déchets sine die. Or, tant le TAPI que la chambre administrative, qui s'étaient déjà saisis de la question dans une précédente procédure, avaient relevé qu'il s'agissait d'un simple courrier et non d'une décision, si bien que les seules autorisations dont pouvait se prévaloir la recourante étaient celles qui lui avaient été délivrées les 15 décembre 1983 et 29 juillet 1986, depuis longtemps périmées.

Par ailleurs, les arguments exposés dans son recours étaient rigoureusement identiques à ceux exposés au service de géologie, sols et déchets (ci-après : GESDEC) dans son courrier du 9 juillet 2021 et qu'il avait précisément réfutés dans la décision querellée. Ayant renoncé à critiquer l'argumentation du GESDEC, elle démontrait qu'elle n'avait plus d'autres arguments. Son recours était dès lors uniquement destiné à lui permettre de gagner du temps en poursuivant ses activités illicites durant la procédure.

L'intérêt public était d'autant plus bafoué par le recours que, dans la votation populaire du 29 novembre 2020, le souverain avait clairement refusé de pérenniser l'exploitation illicite de la recourante. Cette dernière ne saurait par ailleurs faire valoir un intérêt à l'amortissement et la rentabilisation de ses installations puisqu'elles avaient été entretenues, rénovées et agrandies alors qu'elle savait pertinemment qu'elle n'était au bénéfice d'aucune autorisation. Enfin, le Tribunal fédéral avait rappelé à maintes reprises l'importance de l'intérêt public au maintien de l'affectation de la zone agricole, qui s'opposait à la présence de toute construction illégale. Il existait donc un intérêt public majeur à l'exécution de la décision querellée, auquel ne s'opposait aucun intérêt privé digne d'être pris en considération. Ses intérêts et ceux de ses habitants, qui se trouvaient confrontés depuis des décennies aux nuisances découlant de l'exploitation de l'installation de recyclage illicite, étaient par ailleurs gravement lésés. Les nuisances (bruits, poussières) étaient d'autant plus sérieuses que, faute d'exploiter son installation de recyclage en étant au bénéfice d'une d'autorisation, le respect des prescriptions en matière d'immissions ne lui avait pas été imposé. Les deux conditions posées par la loi pour le retrait de l'effet suspensif étaient partant remplies.

12) Le département s'en est rapporté à justice s'agissant de la demande de retrait de l'effet suspensif.

13) B______ s'y est opposée, relevant que seules des raisons exceptionnelles, non réalisées en l'espèce, permettaient de déroger au principe posé par l'art. 66 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) selon lequel le recours administratif avait un effet suspensif.

14) Par courrier du 8 avril 2022, B______ a transmis au TAPI copie de l’ordonnance du 6 avril 2022 du Tribunal fédéral, suspendant la procédure 1C_423/2018 jusqu'à droit jugé dans la présente procédure.

15) a. Lors de l'audience du 19 mai 2022 devant le TAPI, Monsieur D______, directeur général de la FTI, entendu en qualité de témoin, a déclaré être personnellement en contact avec B______ depuis janvier 2021. Ils avaient eu plusieurs contacts et réunions afin de trouver des terrains pour reloger son activité. Il n’y avait pas de possibilité de relocalisation à la zone industrielle
(ci-après : ZI) du Bois de Bay, qui était pleine. Les terrains de la FTI étant en général attribués au bénéfice de droits de superficie de plusieurs décennies, il était difficile de proposer rapidement des terrains, pour des urgences. La FTI avait identifié un périmètre qui pourrait permettre le relogement d'une partie de l'activité de B______. Si tout allait bien, une mise en exploitation pourrait être envisagée fin 2024. Il n’avait toutefois aucune certitude à ce sujet.

b. Les représentants de B______ ont confirmé que cette dernière était partie prenante du projet en cours d'élaboration avec la FTI. S’il aboutissait, elle ne s'y opposerait pas. À ce stade, ils maintenaient leur recours et leurs conclusions et s’engageaient à tenir régulièrement le TAPI informé des avancées du projet. Contrairement à la situation prévalant au moment du dépôt du recours, les choses avaient aujourd'hui évolué. B______ était motrice du projet de relocalisation, avec l'ensemble des services concernés du département. Ils envisageaient de réduire l’activité de la société sur le site d'A______, puis la cesser, selon l'agenda fixé par le GESDEC dans sa décision, dès l'obtention de l'autorisation d'exploiter et la construction des installations sur le nouveau site, après obtention de l'autorisation de construire.

Réduire l’activité de la société n’avait pas de sens. Cela signifierait la fin de l’entreprise et ferait fi de l'objectif final de relocalisation. Les délais retenus par le GESDEC correspondaient à la réalité. L'activité de B______ était étroitement liée à l'activité de transport de l'entreprise E______. Pour ces deux activités, ils avaient une quarantaine d'employés. Le processus en vue de l'obtention des autorisations d'exploiter et de construire était déjà largement engagé.

c. Le représentant de la commune a maintenu ses conclusions et sa demande de retrait de l'effet suspensif. Les camions continuant d'affluer sur le site, elle invitait le TAPI à statuer rapidement.

d. Le représentant du département s’est opposé au retrait de l'effet suspensif à ce stade, souhaitant voir le projet aboutir. Il s’engageait à tenir le TAPI informé de son avancée.

16) Par décision du 7 juin 2022, le TAPI a rejeté la demande de retrait de l’effet suspensif au recours. L’intérêt privé et public au maintien de l’activité de la recourante devait primer sur l’intérêt de la commune à l’exécution immédiate de la décision entreprise, dès lors qu’elle n’invoquait pas de préjudices imminents, que la situation concernée était tolérée depuis de très nombreuses années et qu’un projet était en cours aux fins de relocaliser les activités de la recourante.

17) Par acte du 20 juin 2022, la commune a interjeté recours devant la chambre administrative contre cette décision. Elle a conclu à son annulation et au retrait de l’effet suspensif au recours.

Chaque jour qui passait, B______ poursuivait ses activités illicites au mépris des intérêts des habitants de la commune qui vivaient à proximité, ainsi qu’à proximité des voies d’accès, et qui subissaient quotidiennement des nuisances de bruit et de poussière dues au passage des camions. Les installations de la société, dans leur état actuel, n’avaient jamais fait l’objet d’une autorisation de construire, les installations d’origine ayant été remplacées. Aucun contrôle n’avait été effectué sous l’angle de la conformité de ses installations aux normes en vigueur, ou au respect des valeurs limites d’émission posées par le droit fédéral. La décision avait enfin fixé un calendrier pour la cessation des activités de B______. Le dommage que subiraient la commune et les habitants du voisinage en cas de maintien de l’effet suspensif serait important.

La procédure pouvait durer plusieurs années, mettant à néant le calendrier fixé si son entrée en vigueur était différée. Le maintien de l’effet suspensif aurait ainsi pour effet de rendre inapplicable la décision attaquée, ce qui coïncidait avec les conclusions au fond prises par B______ qui sollicitait l’annulation de ladite décision.

B______ persistait à prétendre que son activité se fondait sur une autorisation délivrée en 1993. L’argumentation était contraire aux décisions de justice déjà rendues. Elle n’avait plus d’arguments à faire valoir contre la décision lui ordonnant une cession (sic) graduelle de ses activités. Son recours était dilatoire.

C’était à tort que le TAPI avait développé une argumentation en matière de construction. Il s’agissait de la poursuite d’une activité contraire au droit. Il n’était dès lors pas question de maintenir l’état de fait prévalant avant le litige conformément à ce qui se pratiquait en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Le projet de relogement de B______ne présentait aucune garantie de faisabilité. En particulier, aucun délai ferme n’avait été précisé. Entre 2001 et 2008 déjà, un projet de relocalisation avait échoué, pour des raisons économiques. C’était à tort que le TAPI avait réduit l’intérêt public s’opposant à l’effet suspensif aux nuisances occasionnées par les activités de B______. Il en allait également de l’intérêt à la préservation de la zone agricole, principe cardinal du droit de l’aménagement du territoire. Le souverain genevois avait par ailleurs montré que la soi-disant « importance publique » des activités de B______ ne justifiait pas son maintien en pleine zone agricole. La question se posait de savoir si le scrutin populaire laissait une marge d’appréciation dans la présente cause. La décision querellée n’était qu’une mesure d’exécution de la votation.

18) Le département s’en est rapporté à justice. Il avait été consulté et participait à la procédure de relocalisation de B______. Il souhaitait voir celle-ci aboutir à brève échéance, sans pour autant remettre en question sur le fond sa décision du 1er octobre 2021.

19) B______ a conclu au rejet du recours. La commune n’avait qu’un rôle de dénonciatrice. Elle n’avait pas le droit d’exiger de l’autorité une mesure ou une sanction contre un éventuel perturbateur. Certes, l’art. 35 al. 3 de la loi sur les gravières et exploitations assimilées (LGEA - L 3 10) reconnaissait un droit de recours des communes. Il ne faisait toutefois pas la distinction entre autorisation et sanction. Il n’était au demeurant pas une lex specialis par rapport aux principes généraux. Or, l’affaire relevait de l’aménagement du territoire. Les parties cherchaient à trouver une solution permettant la continuation de l’activité de recyclage.

Le caractère d’intérêt public de B______ avait été reconnu notamment par la chambre de céans dans son arrêt du 26 juin 2018. Son activité, d’importance cantonale, cesserait d’exister subitement, d’un jour à l’autre, si l’effet suspensif au recours était levé et qu’elle n’ait pas trouvé dans l’intervalle un site de remplacement. Son intérêt privé s’y opposait étant rappelé qu’elle employait environ quarante personnes.

L’arrêt de la chambre de céans avait relativisé les « graves nuisances » dont souffriraient les habitants. La commune ne faisait valoir aucun élément nouveau à l’encontre de cette appréciation.

La décision respectait le principe de la proportionnalité, eu égard notamment à la tolérance dont les autorités avaient fait preuve pendant trente ans et aux promesses qui lui avaient été faites tout au long de ces années, tant par les autorités cantonales que communales. Un retrait de l’effet suspensif au recours viderait ce dernier de son contenu de manière anticipée.

20) Dans sa réplique, la commune a contesté avoir un statut de dénonciatrice. La décision querellée était l’aboutissement d’une procédure initiée le 1er avril 2015 lorsqu’elle avait demandé au département de constater que le maintien des installations et activités de B______ sur trois parcelles sises sur son territoire était illicite, à l’instar de la tolérance de l’État à l’égard de cette situation. Elle avait été partie dans la procédure dès le début. L’art. 35 al. 2 LGEA donnait à la commune du lieu de situation de la Gravière ou de l’exploitation assimilée, la qualité pour recourir contre les décisions prises en application de cette loi. Il était indiscutable qu’elle avait toujours été considérée comme partie, et non comme simple dénonciatrice.

B______ n’apportait aucun élément nouveau. Contrairement à ce qu’elle soutenait, ses activités n’étaient pas licites sous prétexte qu’elles étaient tolérées par les autorités. Ces activités n’étaient pas « d’intérêt public majeur », ce que le peuple avait relevé en refusant de déclasser le périmètre concerné. La commission d’aménagement du canton chargée d’étudier le projet de modification des limites de zones avait évoqué dans son rapport des « lacunes actuelles de l’entreprise en matière de protection de l’environnement et les mesures d’amélioration à prendre (mesures de protection et de compensation dans les différents domaines de l’environnement, notamment le bruit, l’air, les eaux et le paysage) ». Cela démontrait la réalité des nuisances.

B______ admettait dans son recours que celui-ci servait à gagner du temps dès lors qu’inéluctablement elle devrait reloger ses activités. L’intérêt public au respect de l’affectation de la zone agricole primait les intérêts économiques de la société, impliquant que la demande de levée de l’effet suspensif soit admise.

21) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) a. La chambre administrative est l’autorité de recours contre les jugements et décisions du TAPI (art. 132 al. 1 et 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. La décision du TAPI du 7 juin 2022 de rejeter la requête de la commune en retrait de l’effet suspensif au recours interjeté par la société contre la décision de l’OCEV du 1er octobre 2021 est une décision incidente.

Le délai de recours contre une telle décision est de dix jours
(art. 62 al. 1 let. B LPA).

Suite à l’admission de sa « demande d’intervention » par décision du TAPI du 25 janvier 2022, vu l’absence de recours contre cette décision, et au vu de l’art. 35 LGEA, la commune a qualité pour recourir (art. 60 al. 1 let. a et b LPA).

2) a. Le recours contre une décision incidente n’est ouvert que si ladite décision, à supposer qu’elle soit exécutée, cause un préjudice irréparable à son destinataire. Il est également ouvert si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

L’art. 57 let. c LPA a la même teneur que l’art. 93 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée, comme un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure (ATF 135 II 30 ; 134 II 137). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1). Un dommage économique ou de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 142 III 798 consid. 2.2 ; 141 III 80 consid. 1.2 ; 133 III 629 consid. 2.3.1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 3c et les références citées).

L'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, de telles mesures ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4).

Elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

b. En l’espèce, l’admission du recours ne mettrait pas fin au litige, lequel porte, à teneur des conclusions prises par B______, principalement sur l’obligation de l’État de mettre une parcelle de remplacement conforme à son activité de recyclage et d’une taille équivalente à disposition, aucune mesure de remise en état ne pouvant être exigée dans l’intervalle, et subsidiairement sur l’obtention d’un délai de dix ans. La seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA n’est ainsi pas réalisée.

Un retrait de l’effet suspensif au recours aurait pour effet, en l’état, que les échéances du calendrier prévu par le département, notamment les premières, doivent être respectées, soit l’interdiction de reprise de nouveaux déchets (échéance au 31 décembre 2021) et, prochainement, la fin du traitement des matériaux bruts présents sur le site (échéance au 31 décembre 2022). Si, certes, la poursuite des activités de B______ entraîne des nuisances, sous forme de trafic, de bruit, de poussières notamment, la commune ne démontre toutefois pas le caractère irréparable de l’éventuel dommage par rapport à la situation qui prévaudrait en cas de retrait de l’effet suspensif.

Le TAPI a par ailleurs démontré sa volonté de traiter rapidement et de façon approfondie le dossier au vu notamment de l’audience d’enquêtes du 19 mai 2022, au cours de laquelle la réalité de l’avancement des démarches entreprises par l’État et B______ a été examinée. Il a par ailleurs invité, dans sa décision du 7 juin 2022, B______ à tout mettre en œuvre en vue de finaliser le projet de relocalisation de son activité dans les meilleurs délais. Enfin, si la procédure au fond devait aboutir au rejet du recours, le calendrier litigieux serait confirmé, ce que la société ne peut ignorer.

Le recours sera en conséquence déclaré irrecevable.

3) Vu l'issue du recours, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la commune, qui succombe et ne défend pas sa propre décision (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 400.- sera allouée à B______, à la charge de la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 20 juin 2022 par la commune d’A______ contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 7 juin 2022  ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de la commune d’A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 400.- à B______, à la charge de la commune d’A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mattia Deberti, avocat de la recourante, à Me Jean-Jacques Martin, avocat de B______, au département du territoire-ocev ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme McGregor, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :