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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2364/2022

ATA/860/2022 du 25.08.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2364/2022-FPUBL ATA/860/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 25 août 2022

sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Robert Assael, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

et

Monsieur B______


 

Attendu, en fait, que ;

1) Madame A______ a été engagée le 1er juillet 2014 en qualité de cheffe d’unité au Service C______ de la Ville de Genève (ci-après : la ville). Le 18 novembre 2015, elle a été nommée au poste de directrice du département D______ (ci-après : D______), avec effet au 1er février 2016.

2) Par décision du 19 janvier 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le conseil administratif de la ville (ci-après : le CA) a prononcé la suspension avec effet immédiat de Mme A______ de son activité de directrice du D______ jusqu’au prononcé d’une éventuelle sanction ou d’un licenciement et l’a informée de ce que le CA avait décidé, dans un premier temps, de mandater un expert externe pour effectuer notamment un état des lieux de la situation au sein de la direction du D______.

La suspension se fondait, entre autres, sur l’attitude qui aurait été adoptée par Mme A______ dans le cadre de ses fonctions et les graves accusations qu’elle aurait proférées à l’encontre de la magistrate en charge du D______, lesquelles étaient entièrement contestées par cette dernière, en lien notamment avec la transmission du virus Covid-19 qui aurait infecté Mme A______ d’un Covid long. Si ces agissements étaient avérés, ils pourraient conduire à une rupture définitive du lien de confiance. De plus, en raison de ses comportement et positionnement, le D______ aurait été confronté à des problèmes de fonctionnement et de communication.

3) Par courrier du 25 janvier 2022, Mme A______ a contesté l’intégralité des griefs formulés à son encontre.

4) Par courrier du 28 janvier 2022, le CA a informé Mme A______ que de « graves difficultés » lui avaient été rapportées et qu’il lui appartenait de prendre des mesures pour préserver, entre autres, le bon fonctionnement du D______ et les membres du personnel travaillant étroitement avec l’intéressée. Mme A______ avait affirmé à la magistrate en charge du D______ avoir contracté le Covid à cause d’une séance en présentiel exigée par cette dernière. Si ces propos devaient être avérés, ils seraient susceptibles de conduire à une rupture définitive du lien de confiance, étant précisé que la situation était « hautement conflictuelle ».

5) Le 31 janvier 2022, Mme A______ a formé recours contre la décision du 19 janvier 2022 par-devant la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative), qui l’a déclaré irrecevable par arrêt du 23 juin 2022 (ATA/652/2022).

6) Le 21 février 2022, M. E______ a rendu son rapport sur la base des auditions de la magistrate, du directeur adjoint du D______, du responsable RH du D______, de deux juristes, d’une assistante personnelle de la magistrate et des chefs de service actuellement et anciennement subordonnés au D______, à l’exception de Mme A______, qui avait refusé d’être entendue.

7) a. Par décision du 2 mars 2022, le CA a ouvert une enquête administrative à l’encontre de Mme A______, qu’il a confiée à Monsieur B______. À titre de mesures provisionnelles, le CA a confirmé la suspension de l’activité de Mme A______ jusqu’au prononcé d’une éventuelle sanction ou d’un licenciement, afin notamment d’assurer le bon déroulement du service, de préserver les collaborateurs au sein de la direction du D______ et de lui permettre d’assurer sa défense. La mesure de suspension serait réévaluée si elle devait se poursuivre au-delà du 19 juillet 2022. Dans cet intervalle, un éventuel solde de vacances et de jours de compensation dus pour cette période devrait être épuisé et le versement d’éventuelles indemnités liées à sa fonction de directrice, notamment par exemple en lien avec les horaires irréguliers, était confirmé et reprendrait le premier jour du mois suivant la fin de la suspension d’activité.

À teneur du rapport du 21 février 2022 établi par M. E______, il apparaissait que Mme A______ rencontrait des difficultés relationnelles multiples envers la magistrate en charge du D______, l’équipe de direction du département ainsi que plusieurs cadres du D______. Sa manière de s’exprimer, laquelle ne serait pas toujours adéquate, ainsi que son comportement engendreraient de la souffrance et auraient pour conséquence une rupture de confiance. À cela s’ajoutait que l’intéressée ne s’impliquerait pas dans l’organisation d’évènements propres à renforcer l’esprit d’équipe et rencontrerait des difficultés à gérer le stress. Ses prestations en tant que directrice seraient, en outre, insuffisantes. De plus, il avait été porté à la connaissance du CA que Mme A______ n’aurait pas eu une attitude adéquate et constructive à l’égard de la magistrate en charge du D______ et aurait proféré de graves accusations à l’encontre de cette dernière. Mme A______ aurait fait preuve d’insubordination et d’une attitude de défi à son endroit. L’intéressée ne se serait pas investie dans le cadre de tâches sensibles et des plaintes auraient été émises par des collaborateurs au sein de la direction du D______. Pour le reste, le CA a confirmé les reproches formulés dans sa décision du 19 janvier 2022.

b. Le recours formé par Mme A______ contre cette décision par-devant la chambre administrative a été déclaré irrecevable par arrêt du 23 août 2022 (ATA/836/2022).

8) Le 7 mars 2022, Mme A______ a sollicité la récusation de M. B______. Cette demande a été rejetée par décision du CA du 18 mars 2022. Le recours formé par l’intéressée contre cette décision par-devant la chambre administrative a été rejeté par arrêt du 3 mai 2022 (ATA/461/2022).

9) Le 10 mai 2022, Mme A______ a à nouveau sollicité la récusation de M. B______. Cette demande a été déclarée irrecevable et, en tout état, infondée par décision du CA du 2 juin 2022. Le recours formé par l’intéressée contre cette décision par-devant la chambre administrative a été rejeté par arrêt du 23 août 2022 (ATA/837/2022).

10) Par courrier du 23 juin 2022, M. B______ a pris acte de la requête de Mme A______ s’agissant de l’accès à la liste des personnes entendues par M. E______ et aux procès-verbaux correspondants, ainsi qu’aux projets de rapport de M. E______ et tous les documents qui lui étaient remis par la ville ainsi que l’échange de toutes les correspondances entre la ville et M. E______, soit l’intégralité de son dossier. Il a répondu que M. E______ s’était engagé auprès des personnes auditionnées à garantir leur confidentialité, précisant que l’enquête administrative dont il avait la charge était distincte de celle de M. E______. Il entendait conduire cette enquête de manière objective et indépendante, le rapport de M. E______ n’étant qu’une pièce produite par la ville.

L’enquêteur a également informé Mme A______ des dates des prochaines audiences et transmis la liste des témoins convoqués.

Le courrier concernait l’organisation de la suite de la procédure, de sorte qu’il n’était pas sujet à recours.

11) Par acte expédié le 7 juillet 2022 à la chambre administrative, Mme A______ a interjeté recours contre le courrier de l’enquêteur du 23 juin 2022, concluant, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, à ce que l’enquêteur soit enjoint d’annuler les audiences fixées les 26 et 29 juillet, 26 août, 1er, 12, 14 et 21 septembre 2022 et de ne pas fixer de nouvelle audience jusqu’à droit connu sur le recours. Au fond, elle a conclu à l’annulation de la « décision querellée » et à ce que l’enquêteur lui transmette la liste des personnes entendues par M. E______, les procès-verbaux correspondants, les notes prises lors des auditions, les projets de rapport, les documents remis à la ville, tous les échanges de correspondances entre celle-ci et M. E______, soit l’intégralité du dossier d’Adequation SA.

Le recours était dirigé contre une décision incidente lui causant un préjudice irréparable.

Le refus de lui remettre les documents sollicités violait son droit d’être entendue, le principe d’égalité des armes et la bonne foi de l’administration. Ces violations ne lui permettaient pas d’interroger les témoins en toute connaissance de cause, contrairement à la ville qui était en possession de ces documents.

12) Le 19 juillet 2022, la chambre administrative a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles formée par Mme A______.

13) Le 27 juillet 2022, M. B______ a conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles.

Les pièces sollicitées par Mme A______ n’étaient pas en sa possession. La question de leur existence pouvait rester ouverte. Le rapport de M. E______ était un simple rapport interne qui ne constituait aucunement l’objet de l’enquête administrative. M. E______ s’était par ailleurs engagé auprès des personnes auditionnées à garantir leur confidentialité de sorte que la ville n’était pas non plus en possession d’une liste nominative des personnes auditionnées.

Le courrier du 23 juin 2022 constituait un simple planning d’audiences, soit une décision incidente, ne créant aucun préjudice irréparable.

Mme A______ a renoncé à intervenir et à faire valoir son point de vue au stade des démarches conduites par M. E______, son grief de violation du droit d’être entendue était insoutenable.

L’enquête administrative devait désormais suivre son cours afin de clarifier sa situation dans le respect de ses droits. Il était dans son intérêt de prendre une part active à la procédure d’enquête plutôt que de multiplier les démarches visant à empêcher son déroulement.

14) Le 12 août 2022, la ville a conclu, préalablement, à l’irrecevabilité du recours et, principalement, au rejet des mesures provisionnelles.

Le courrier de l’enquêteur du 24 juin 2022 n’était pas une décision.

La ville disposait d’un intérêt public prépondérant à ce que l’enquête administrative se poursuive. À sa connaissance, les entretiens effectués par M. E______ n’avaient pas fait l’objet de procès-verbaux et Mme A______ détenait déjà tous les documents pertinents lui permettant de se déterminer au sujet des griefs formulés à son encontre. Elle aurait tout loisir d’entendre les témoins et de les questionner au cours de l’enquête.

15) Par réplique sur mesures provisionnelles, Mme A______ a modifié ses conclusions en ce sens qu’elles ne visaient plus les audiences des 26 et 29 juillet 2022.

C’était sur la base du rapport de M. E______ que l’enquête administrative avait été ouverte. La ville n’avait jamais affirmé ne pas être en possession des documents sollicités, se limitant à s’exprimer au sujet des procès-verbaux. Il y avait bel et bien préjudice irréparable.

16) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur mesures provisionnelles.

Considérant, en droit, que :

1) Les décisions sur mesures provisionnelles sont prises par le président ou le
vice-président de la chambre administrative ou, en cas d’empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 et art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

2) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

3) L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid  5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II
253-420, 265).

5) L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

6) En l'espèce, la recevabilité du recours ne paraît pas, à ce stade de la procédure, acquise compte tenu de l’exigence de la menace d’un préjudice irréparable s’agissant d’un recours contre une décision incidente.

De plus, et toujours dans le cadre de l’examen prima facie qui prévaut à ce stade, les chances de succès du recours au fond n’apparaissent pas si importantes qu’elles justifieraient l’octroi de telles mesures. Ainsi que l’ont relevé l’enquêteur et l’intimée, M. E______ s’était engagé à garantir la confidentialité des personnes auditionnées. À première vue, le rapport du 21 février 2022 constitue la seule pièce transmise à l’intimée en rapport avec les auditions menées par ce dernier. Tant l’intimée que l’enquêteur administratif ont confirmé n’avoir reçu aucun procès-verbal en lien avec ces auditions.

On ne discerne enfin pas l’existence d’un dommage difficile à réparer en cas de refus d’ordonner les mesures provisionnelles. La recourante aura tout loisir d’entendre et questionner les témoins au cours de l’enquête administrative, étant précisé qu’ils pourront, si besoin, être convoqués à plusieurs reprises.

Il s’ensuit que l’octroi des mesures provisionnelles sera refusé.

7) Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la demande de mesures provisionnelles formée par Mme A______ ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Robert Assael, avocat de la recourante, à la Ville de Genève ainsi qu'à Monsieur B______.

Au nom de la chambre administrative :

Le vice-président

 

C. Mascotto

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :