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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/650/2022

ATA/794/2022 du 09.08.2022 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 14.09.2022, rendu le 07.03.2023, IRRECEVABLE, 2C_741/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/650/2022-EXPLOI ATA/794/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 août 2022

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Mark Muller, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI
représenté par Me Gabriel Aubert, avocat

 



EN FAIT

1) A______ SA (ci-après : A______), qui a son siège à B______, a pour but l’exploitation de cafés, restaurants, ainsi que commerces de produits alimentaires. Elle a pour administrateur M. C______. Elle exploite un restaurant à l’enseigne « D______ », avenue E______ ______ à B______.

2) Par ordonnance pénale du 17 février 2020, rendue dans la procédure pénale P/1______/2019, le Ministère public genevois a déclaré M. C______ coupable d’infractions à l’art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), pour avoir, en sa qualité d’administrateur de A______, employé M. F______, ressortissant G______ dépourvu d’autorisation de travailler en Suisse, entre le 1er octobre 2017 et le 31 janvier 2018, ainsi que M. H______, ressortissant I______ objet d’une décision de révocation de son autorisation de séjour et de renvoi de Suisse définitive et exécutoire et ne disposant d’aucune autorisation de travailler malgré une demande de reconsidération pendante. Cette ordonnance pénale n’a pas été contestée et est entrée en force.

3) Par décision du 17 septembre 2020, le Conseiller d’État en charge du département de la sécurité, de l’emploi et de la santé, devenu depuis le département de l’économie et de l’emploi (ci-après : DEE), a exclu A______ des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral, ainsi que de toutes les aides financières cantonales et communales, pour une durée de seize mois, en application de l’art. 13 de la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41).

4) Par arrêt du 9 février 2021, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a partiellement admis le recours formé par A______ et annulé la décision en tant qu’elle excluait cette dernière de toutes aides financières cantonales et communales pour une durée de seize mois, motif pris que la sanction de réduction des aides financières de l’art. 13 al. 1 LTN ne s’appliquait qu’aux subventions déjà accordées (ATA/142/2021 du 9 février 2021).

5) Le 23 juillet 2021, A______ a formé auprès du DEE une demande d’aide financière extraordinaire (« aide pour cas de rigueur »), fondée sur la loi relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus, pour l’année 2021, du 30 avril 2021 (loi 12'938).

6) Par décision du 10 septembre 2021, la Conseillère d’État en charge du DEE a rejeté la demande, au motif que A______ n’avait pas établi qu’elle ne figurait pas sur la liste des entreprises en infraction, comme l’exigeait l’art. 5 let. c de la loi 12'938.

7) Le 22 septembre 2022, A______ s’est étonnée du refus. L’exclusion de toutes aides financières cantonales et communales pour une durée de seize mois qui lui avait été infligée le 17 septembre 2020 avait été annulée. De ce fait, elle pouvait percevoir toute les aides cantonales et communales. Elle avait fait l’objet d’un contrôle de l’office cantonal de l’inspection des relations du travail (ci-après : OCIRT) en 2020, qui avait montré qu’elle respectait la loi et la convention collective de travail (ci-après : CCT). Une attestation lui avait alors été remise par l’OCIRT, qui lui permettait de poursuivre l’exploitation du restaurant. Elle avait pu survivre à la crise Covid au moyen d’un prêt accordé par une banque grâce à la Confédération.

8) Par décision du 24 janvier 2022, la Conseillère d’État en charge du DEE a confirmé le rejet de la demande.

A______ n’avait pas fourni d’attestation Usages, Mesures d’Accompagnement (ci-après : attestation UMA) à l’appui de sa demande, dans le délai prolongé au 19 novembre 2021. Le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) lui avait par ailleurs indiqué que l’arrêt du 17 septembre 2020 n’avait pas annulé la sanction d’exclusion des marchés publics, de sorte que son inscription sur la liste subsistait jusqu’au 8 juin 2022 et faisait obstacle à la délivrance d’une attestation UMA.

9) Par acte remis à la poste le 24 février 2022, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que la procédure soit renvoyée au DEE afin qu’une aide financière extraordinaire lui soit accordée.

Dès le prononcé de l’arrêt du 17 septembre 2020, elle avait été inscrite par l’OCIRT sur la liste des entreprises contre lesquelles ce dernier avait notamment prononcé une exclusion des marchés publics, pour une durée échéant au 8 juin 2022.

Le 12 octobre 2021, le DEE s’était engagé à revenir sur sa décision si elle parvenait à produire une attestation UMA. Cette dernière lui avait toutefois été refusée par l’OCIRT en raison de son inscription sur la liste des entreprises en infraction.

Elle avait tenté de faire constater par le DEE et le PCTN l’incohérence de la situation, mais aucune de ces autorités n’avait accepté de reconnaître l’existence d’un cercle vicieux.

Après que la chambre de céans eut partiellement annulé la décision du 17 septembre 2020, son inscription sur la liste des entreprises en infraction ne pouvait porter que sur son exclusion des marchés publics et non sur une quelconque exclusion des aides financière cantonales ou communales, sauf à enfreindre l’interdiction du formalisme excessif. Il devait être constaté qu’elle remplissait toutes les conditions à l’octroi d’une aide.

Elle était au bénéfice d’un arrêt admettant le droit aux aides financières cantonales. Il avait été reconnu que des aides ne pouvaient lui être refusées pour les faits reprochés dans le cadre de la précédente procédure.

Plus d’une année s’était écoulée entre le départ des employés dépourvus d’autorisation et la décision du 17 septembre 2020. Si le DEE avait agi plus rapidement, son inscription dans la liste aurait déjà été radiée.

Les autorités lui avaient donné confiance en ce qu’elle avait un droit à obtenir des aides financières. La décision du 24 janvier 2022 portait atteinte au principe de la confiance garanti par l’art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

10) Le 29 avril 2022, le DEE a conclu au rejet du recours.

L’arrêt du 9 février 2021 appliquait le droit fédéral. La réglementation fédérale n’était pas exhaustive et les cantons conservaient la compétence de prononcer d’autres mesures en matière de travail au noir. La réglementation genevoise n’était pas contraire au droit fédéral.

11) Le 2 juin 2022, A______ a persisté dans ses conclusions.

La LTN ne laissait d’autonomie aux cantons que pour organiser la mise en place de contrôles des infractions. L’autonomie accordée aux cantons ne pouvait porter sur des sanctions supplémentaires à celles fixées par la LTN. Le cadre répressif fixé par cette dernière était exhaustif et la loi 12'938 contrevenait à l’art. 49 al. 1 Cst.

Il importait peu que l’arrêt du 9 février 2021 ne porte que sur le droit fédéral. Ce qui était déterminant, c’était qu’en annulant une décision qui lui refusait toutes aides financières cantonales, les autorités cantonales avaient implicitement admis qu’elle avait droit à de telles aides financières et avaient en conséquence créé une attente chez elle.

12) Le 3 juin 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision sur réclamation du DEE du 10 septembre 2021 rejetant la demande d’aide financière de la recourante, au motif qu’elle n’avait pas établi qu’elle ne figurait pas sur la liste des entreprises en infraction comme l’exigeait l’art. 5 let. c de la loi 12'938.

3) a. Le 30 avril 2021, le Grand Conseil a adopté la loi 12'938 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci-après : LAFE-2021), qui a abrogé la loi 12’863 du 29 janvier 2021 (aLAFE-2021 ; art. 23), tout en en reprenant le dispositif pour l’essentiel.

La LAFE-2021 a pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l’épidémie de coronavirus pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid-19 du 25 septembre 2020 (loi Covid-19 - RS 818.102), et à l’ordonnance fédérale concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de
Covid-19, du 25 novembre 2020 (ordonnance Covid-19 cas de rigueur 2020 - RS 951.262 ; ci-après : l'ordonnance Covid-19 ; art. 1 al. 1). L’aide financière extraordinaire vise à atténuer les pertes subies par les entreprises dont les activités ont été interdites ou réduites en raison de la nature même de leurs activités, entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021 (art. 1 al. 2). La loi a également pour but de soutenir, par des aides cantonales, certaines entreprises qui ne remplissent pas les critères de l’ordonnance Covid-19 en raison d’une perte du chiffre d’affaires insuffisante et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes, dans les limites prévues aux art. 9 et 10 (indemnisation cantonale ; art. 1 al. 3).

Selon l’art. 9 al. 1, le canton peut octroyer sans participation financière de la Confédération des aides en faveur des entreprises : (a) dont la baisse de chiffre d’affaires enregistrée se situe entre 25 % et 40 % du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019, ou (b) créées depuis mars 2020 ou créées avant mars 2020 mais dont les activités commerciales n’ont débuté qu’après le 1er mars 2020, auquel cas l’indemnisation est calculée sur la base du chiffre d’affaires moyen de l’entreprise pendant les mois durant lesquels elle a pu mener son activité commerciale. L’indemnisation cantonale comble la différence entre l’éventuelle indemnisation calculée selon les critères de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur 2020 et l’indemnité calculée selon les critères de l’al. 1 (art. 9 al. 2). Les critères permettant de déterminer le début de l’activité commerciale sont déterminés par voie réglementaire (art. 9 al. 3). L’indemnité maximale par entreprise et pour la période du 1er janvier 2020 au 30 juin 2021 est déterminée par voie réglementaire, mais elle ne dépasse pas la somme totale de CHF 1'000'000.- et 20 % du chiffre d’affaires comme prévu à l’art. 8a de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur (art. 10 al. 1).

L’art. 5 prévoit que pour bénéficier des aides, les conditions cumulatives suivantes doivent être remplies : (a) l’entreprise exerce une activité commerciale sur le territoire suisse, (b) elle a son siège dans le canton de Genève, (c) elle ne figure pas sur la liste des entreprises en infraction aux art. 45 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05), 9 de la loi fédérale sur les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés en Suisse et sur les mesures d'accompagnement du 8 octobre 1999 (LDét - RS 823.20) ou 13 LTN et elle s’engage à respecter les usages en vigueur applicables dans leur secteur d’activité dans le canton de Genève, (d) son activité respecte les principes du développement durable et (e) le cas échéant, elle maintient son activité de formation d’apprentis.

b. Selon l’art. 13 al. 1 LTN, en cas de condamnation entrée en force d’un employeur pour cause de non-respect important ou répété des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers, l’autorité cantonale compétente exclut l’employeur concerné des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus ; elle peut par ailleurs diminuer de manière appropriée, pour cinq ans au plus, les aides financières qui sont accordées à l’employeur concerné.

c. Le secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) établit une liste des employeurs faisant l’objet d’une décision entrée en force d’exclusion des marchés publics ou de diminution des aides financières. Cette liste est accessible au public (art. 13 LTN). L’OCIRT tient une liste des employeurs faisant l’objet d’une sanction exécutoire pour non-respect du salaire minimum (art. 39N al. 4 LIRT) ou des usages (art. 45 al. 3 LIRT). Il publie chaque semaine une liste des entreprises contre lesquelles il a rendu une décision de refus de délivrance de l'attestation « marchés publics », pris une décision d'exclusion des marchés publics ou prononcé une décision d'interdiction d'offrir leurs services (https://www.ge.ch/conditions-travail-usage/entreprises-infraction). Celle-ci mentionne les motifs de l’inscription (art. 45 LIRT, 9 LDét ou 13 LTN).

d. Selon l’art. 25 al. 1 LIRT, toute entreprise soumise au respect des usages, en vertu d'une disposition légale, réglementaire ou conventionnelle, doit en principe signer auprès de l'OCIRT un engagement de respecter les usages. L'OCIRT délivre à l'entreprise l'attestation correspondante, d'une durée limitée. Selon l’art. 26A LIRT, les entreprises en infraction aux usages font l’objet des sanctions prévues à l’article 45. Selon l’art. 45 al. 1 LIRT, l’OCIRT peut prononcer contre une entreprise qui ne respecte pas les conditions minimales de travail et de prestations sociales en ou sale ou le salaire minimum (a) une décision de refus de délivrance de l’attestation visée à l’art. 25 pour une durée de trois mois à cinq ans, (b) une amende administrative de CHF 60'000.- au plus et (c) l’exclusion de tous marchés publics pour une période de cinq ans au plus.

4) a. En l’espèce, il n’est pas contesté que la recourante a été inscrite jusqu’au 8 juin 2022 sur la liste des entreprises objet de sanctions en application de l’art. 13 LTN, ce qui a conduit l’OCIRT à ne pas lui délivrer l’attestation UMA prévue à l’art. 25 LIRT puis le DEE à ne pas entrer en matière, pour cette raison, sur sa demande d’aide financière en application de l’art. 5 let. c LAFE-2021.

b. La recourante soutient que l’annulation, le 9 février 2021, par la chambre de céans, de la décision du DEE 17 septembre 2020 en tant qu’elle l’excluait de toutes les aides financières cantonales et communales pour une durée de seize mois en application de l’art. 13 LTN la rendait éligible à l’octroi des aides prévues par la LAFE-2021 et que le comportement qui avait alors fondé la sanction ne pouvait lui être opposé pour l’octroi des aides Covid.

Dans l’arrêt ATA/142/2021 précité consid. 11, la chambre de céans a retenu que la sanction de réduction des aides financières de l’art. 13 al. 1 LTN ne s’appliquait qu’aux subventions déjà accordées et ce conformément à une jurisprudence établie (ATA/758/2011 du 13 décembre 2011 consid. 5 ; ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 13 ; ATA/349/2017 du 28 mars 2017 consid. 10). La sanction a ainsi été partiellement annulée faute de base légale dans la disposition de droit fédéral invoquée par l’autorité.

c. Selon la recourante, la LTN traiterait exhaustivement des conséquences du recours au travail au noir, de sorte que le principe de la primauté du droit fédéral exprimé à l’art. 49 Cst. empêcherait les cantons d’introduire d’autres exclusions de l’accès aux aides liées au travail au noir, même indirectes.

Selon l'art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Ce principe de la primauté du droit fédéral fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive. Cependant, même si la législation fédérale est considérée comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale peut subsister dans le même domaine en particulier si elle poursuit un autre but que celui recherché par le droit fédéral. En outre, même si, en raison du caractère exhaustif de la législation fédérale, le canton ne peut plus légiférer dans une matière, il n'est pas toujours privé de toute possibilité d'action. Ce n'est que lorsque la législation fédérale exclut toute réglementation dans un domaine particulier que le canton perd toute compétence pour adopter des dispositions complétives, quand bien même celles-ci ne contrediraient pas le droit fédéral ou seraient même en accord avec celui-ci (ATF 138 I 435 consid. 3.1 ; 137 I 167 consid. 3.4 ; 135 I 106 consid. 2.1 ; 133 I 110 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Il n’est pas contesté que les aides auxquelles prétend la recourante constituent des mesures cantonales fondées sur une réglementation cantonale.

Il ressort du message du Conseil fédéral concernant la LTN du 16 janvier 2002 (FF 2002 3371 s.) que le projet de loi entendait harmoniser et renforcer les contrôles dans les cantons, imposer la mise en réseau de données administratives et le devoir de communication des résultats des contrôles d’employeurs et renforcer les sanctions, notamment par l’aggravation des sanctions pénales prévues dans la législation sociale et le droit des étrangers ainsi que l’introduction de la mesure d’exclusion des procédures d’attribution des marchés publics.

L’intimé relève avec raison que le dispositif proposé ne règle pas exhaustivement la question du travail au noir mais propose différentes mesures visant à compléter la réglementation existante. Le message relève ainsi qu’il existe encore des lacunes considérables en matière de répression, s’expliquant notamment par le manque de ressources, de coordination et de volonté politique ainsi que par la clémence de certaines autorités judiciaires, ajoutant que « le projet fédéral de lutte contre le travail au noir a pour objectif de contribuer à la résolution de certains de ces problèmes [et qu’il] s’agit entre autres de compléter, au niveau fédéral, la réglementation existante, déjà importante » (FF 2002 3377). Plus loin, il rappelle que « L’intervention de l’État dans le cadre du présent projet se traduit par une nouvelle loi (LTN) et quelques modifications des législations en vigueur (LAVS, LAA, LEtr, LACI). Les raisons à l’origine de la nouvelle loi fédérale sont exposées dans le premier chapitre du présent document (ch. 1.2.2.4.1). À ce propos, on peut rappeler que le recours au droit fédéral permet de fixer un standard minimum au niveau cantonal en matière de lutte contre le travail au noir, ce qui contribue l’égalité de traitement entre entreprises situées dans différents cantons et évite des situations de concurrence déloyale » (FF 2002 3430).

Examinant dans le précédent arrêt les débats parlementaires autour de l’introduction de la réduction des aides financière, la chambre de céans a relevé que les discussions en lien avec les aides financières avaient concerné le domaine agricole et les paiements directs et que l’ajout des aides financières à l’art. 13 LTN visait à équilibrer la situation entre les entreprises (de construction) bénéficiant de marchés publics et les branches économiques vivant de subventions (ATA/142/2021 précité consid. 11). Le législateur de 2004 ne pouvait prendre en compte les aides Covid, lesquelles ne se confondent pas avec les subventions à l’agriculture.

La recourante ne peut être suivie lorsqu’elle soutient que l’autonomie laissée aux cantons ne porterait que sur les modalités d’organisation du contrôle des infractions à la LTN. Les éléments qui précèdent indiquent que la LTN a retenu certaines mesures seulement au titre de l’amélioration de la lutte contre le travail au noir et de l’établissement d’un « standard minimum au niveau cantonal ». On ne peut inférer de son texte ou des travaux préparatoires que le législateur fédéral aurait voulu interdire la prise en compte du travail au noir par les cantons dans d’autres dispositifs légaux.

C’est le lieu d’observer qu’en l’espèce, le droit cantonal n’introduit pas une sanction dans la réglementation des aides Covid, mais érige en condition à leur octroi le fait de ne pas être inscrit sur une liste en raison d’une sanction. Le résultat est sans doute similaire pour la recourante, mais aucune sanction fondée sur le droit cantonal n’a formellement été prononcée à son encontre. En matière de conditions au soutien financier fédéral aux cantons, la loi Covid-19 ne mentionne pas la
non-inscription des bénéficiaires dans les liste des entreprises sanctionnées, mais précise que le soutien fédéral est conditionné au respect des exigences minimales de la Confédération (art. 12 al. 1sexies loi Covid-19, entré en vigueur le 20 mars 2021) réservant ainsi aux cantons la possibilité de fixer d’autres exigences.

Enfin, les exigences posées par la LAFE-2021 ne contrarient pas les objectifs de la LTF, mais renforcent au contraire, comme le relève l’intimé, le poids accordé par la législation cantonale à la lutte contre le travail au noir.

Le grief sera écarté.

5) La recourante soutient encore qu’elle aurait compris de bonne foi l’arrêt de 2021 comme lui donnant accès aux aides Covid et que sa confiance aurait été trompée par le DEE sur ce point.

a. À certaines conditions, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_626/2019 du 8 octobre 2020 consid. 3.1 ; 2C_136/2018 du 24 septembre 2018 consid. 3.2). Conformément au principe de la confiance, qui s'applique aux procédures administratives, les décisions, les déclarations et comportements de l'administration doivent recevoir le sens que l'administré pouvait raisonnablement leur attribuer en fonction des circonstances qu'il connaissait ou aurait dû connaître (arrêt du Tribunal fédéral 1P.292/2004 du 29 juillet 2004 consid. 2.1).

b. En l’espèce, la recourante ne peut être suivie. Comme il a été rappelé plus haut, l’annulation partielle de la décision du 17 septembre 2020 portait sur une partie de la sanction et découlait du défaut de base légale dans la disposition de droit fédéral invoquée par l’autorité. Elle ne pouvait être interprétée de bonne foi autrement et en particulier pas comme excluant toute prise en compte par un dispositif cantonal de la sanction qui avait frappé le recourant à l’occasion d’une demande ultérieure d’aide financière.

Le grief sera écarté.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au DEE qui, bien que plaidant par un avocat, dispose d’un service juridique (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/1738/2019 du 3 décembre 2019).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 février 2022 par A______ SA contre le la décision du département de l’économie et de l’emploi du 24 janvier 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mark Muller, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me Gabriel Aubert, avocat du département de l'économie et de l'emploi.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :