Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2134/2022

ATA/768/2022 du 04.08.2022 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2134/2022-FPUBL ATA/768/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 4 août 2022

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Stéphanie Fuld, avocate

contre

CONSEIL D'ÉTAT



Vu, en fait, l'arrêté du 25 mai 2022 du Conseil d’État, déclaré exécutoire nonobstant recours, révoquant, après enquête administrative, Monsieur A______, engagé le 1er août 2014 en qualité de gestionnaire au B______ (ci-après : B______), nommé fonctionnaire le 1er avril 2017 puis chef de secteur le 1er avril 2019, de ses fonctions avec effet immédiat ; il lui était reproché des violations graves de ses devoirs de service s'agissant du suivi du dossier de sept personnes protégées, de la tenue de propos et de comportements discriminatoires, de l'adoption d'une posture autoritaire, méprisante menaçante et manipulatrice avec ses subordonnées, et s'agissant de la formation, de l'accompagnement et de sa disponibilité pour ses subordonnées, de même que de l'organisation de séances bilatérales et de sa disponibilité ;

vu le recours expédié le 27 juin 2022 par M. A______ à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, dont il demande l’annulation, concluant à sa réintégration immédiate dans son poste de chef de secteur au B______ ;

qu’à titre préalable, il a requis la restitution de l’effet suspensif, exposant que l'autorité intimée n'avait pas motivé sa décision de retrait de l'effet suspensif, de tels motifs n'existant pas en l'espèce ; il avait été suspendu provisoirement par arrêté du 21 avril 2021 avec maintien de ses prestations, soit une situation qui pouvait encore durer le temps de la procédure de recours ; le Conseil d'État n'indiquait pas quel serait l'intérêt public ou privé prépondérant à l'immédiateté de l'exécution de la décision ; lui-même avait un intérêt prépondérant à la restitution de l'effet suspensif, puisqu'il était privé avec effet immédiat du paiement de son salaire et qu'il n'avait pas de fortune ; sans salaire, il n'était plus en mesure de payer son loyer mensuel de CHF 1'718.-, ni de subvenir aux besoins de son épouse et de deux de ses trois enfants encore à sa charge ; il avait un intérêt à ne pas tomber à l'assistance ; il était donc exposé à un dommage irréparable ; si, « par pure hypothèse de travail », la révocation devait être confirmée à l'issue de la procédure de recours, l'État pourrait faire valoir une créance à son encontre équivalente au salaire dont il aurait bénéficié dans l'intervalle, de sorte qu'il ne subirait aucun dommage dans le futur ;

qu'il a exposé au fond l'absence de motifs pouvant justifier sa révocation et la violation du principe de proportionnalité dans le choix de la sanction ;

que le département a, le 15 juillet 2022, conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif ; depuis sa nomination comme fonctionnaire le 1er avril 2017, le traitement annuel de M. A______ était de CHF 92'559.- ; depuis sa promotion comme chef de secteur le 1er avril 2018, en classe 18, son traitement annuel brut s'élevait à CHF 110'207.- ; il avait quinze subordonnées sous sa responsabilité ; le Conseil d'État avait par arrêté du 21 avril 2021 validé la libération de son obligation de travailler, sa suspension et l'ouverture d'une enquête administrative ; par ailleurs, il avait été informé par le chef du département le 26 avril 2021 qu'il était, à compter du 1er avril 2021, rétrogradé dans sa fonction précédente, à savoir gestionnaire ;

que contrairement à ce que soutenait M. A______, l'arrêté du Conseil d'État du 25 mai 2022 contenait une motivation justifiant le retrait de l'effet suspensif, à savoir de graves violations aux devoirs de service, aux conséquences profondes et durables, dans le contexte particulier de la mission du B______ de protéger des personnes fragiles, de sorte que ses membres devaient adopter un comportement irréprochable à défaut de quoi, la confiance de l'institution des curatelles était susceptible d'être rompue ; seule la révocation était apte à rétablir la bonne marche du service ainsi que la considération et la confiance dont la fonction publique devait être l'objet ; aucune mesure moins incisive permettait d'atteindre ces objectifs ; la faute de M. A______ était particulièrement grave et avait irrémédiablement rompu le lien de confiance ; son intérêt privé devait à l'évidence céder le pas devant la protection de l'intérêt public à la conservation d’un personnel respectueux des intérêts de son employeur ;

qu'au vu des pièces produites, il y avait une incertitude quant à la capacité de M. A______ à rembourser les traitements perçus en cas de confirmation de la décision querellée ; il n'alléguait pas qu'il aurait entrepris des démarches nécessaires en vue d'obtenir une décision d'assurance-chômage ou qu'il aurait fait valoir en vain ses droits au regard de la loi en matière de chômage du 11 novembre 1983 (LMC - J 2 20) ; partant, il n'avait pas rendu vraisemblable l'existence du risque de subir un dommage financier difficilement réparable que l'admission du recours ne pourrait réparer ;

que dans une réplique du 29 juillet 2022, M. A______ a relevé que, contrairement à ce que soutenait le département, la motivation précitée figurant en page 13 al. 3 à 5 de sa décision concernait exclusivement les arguments sur le fond justifiant à son sens la révocation ; le département ne disait mot sur des motifs particulièrement suffisants, importants ou impérieux qui justifieraient que cette décision s'applique immédiatement, contrairement au régime habituel prévu par l'art. 66 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ; cette absence de motivation s'expliquait par le fait que de tels arguments n'existaient pas en l'espèce ;

qu'en l'absence de fortune et de revenus, il n'était même pas en mesure de pouvoir « conserver » des revenus qu'il ne possédait pas et ne pouvait actuellement subvenir ni à ses besoins, ni à ceux de sa femme et de leurs trois enfants ; cette situation d'urgence primait ainsi sur la soi-disant hypothèse selon laquelle, en cas de restitution de l'effet suspensif et de confirmation de la décision querellée, il pourrait peut-être avoir des difficultés à rembourser les salaires reçus ; contrairement à ce que prétendait le département, l'objet de la restitution de l'effet suspensif n'était pas d'anticiper le jugement définitif, mais de garantir ses revenus dans l'attente du jugement à rendre, ce d'autant plus que vu ses arguments sur le fond, les chances de succès de son recours étaient élevées ; il était impératif que, face à cette situation exceptionnelle et alarmante, qui constituait indéniablement un préjudice irréparable, il soit tenu compte de manière prépondérante de son intérêt privé et de celui de sa famille et partant que l'effet suspensif soit restitué ;

que les parties ont été informées, le 2 août 2022, que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

que la teneur des pièces produites par le recourant sera reprise ci-dessous dans la mesure nécessaire au traitement de la décision ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/795/2021 du 4 août 2021 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020) ;

qu'elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ; que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3) ;

que lors de l'octroi ou du retrait de l'effet suspensif, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que même après avoir ordonné une enquête administrative, l'autorité reste libre de décider de renoncer à la voie disciplinaire et de recourir au prononcé d'un licenciement si elle estime que les faits constatés ne sont pas d'une gravité de nature à justifier un renvoi par le biais de la révocation, mais rendent néanmoins inacceptable une continuation des rapports de service (arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2011 du 19 septembre 2012 consid. 7.2) ;

que l'employeur jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour juger si les manquements d'un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l'administration (arrêt du Tribunal fédéral 8C_15/2019 du 3 août 2020 consid. 7.2 et les arrêts cités) ;

qu'en l'espèce, contrairement à ce que soutient le recourant, il ressort clairement de l'arrêté attaqué les raisons pour lesquelles le Conseil d'État a considéré que la révocation avec effet immédiat et partant le prononcé d'une décision exécutoire nonobstant recours s'imposaient dans le cas d'espèce ; les motifs figurant en page 13 al. 3 à 5 n'avaient pas besoin de faire partie d'un sous-titre particulier dédié à la seule question du caractère exécutoire nonobstant recours de cette décision ; en tout état, c'est bien au moment d'un recours éventuel et d'une demande effet suspensif que l'autorité, ce qui a été le cas en l'espèce, pouvait mettre en balance les éléments en faveur de l'exécution immédiate de sa décision, soit l'intérêt public, versus l'intérêt privé du recourant, en l'espèce à conserver son traitement ;

qu'en l’espèce, l’intérêt financier du recourant à ce que le versement de son salaire soit maintenu pendant la procédure de recours est important ;

qu'il a produit à cet égard un avis de taxation pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2021, dont il ressort un revenu imposable de CHF 108'254.- ; que le recourant n'explique pas le faible écart, nonobstant les diverses charges déductibles, entre son dernier revenu annuel brut de CHF 110'207.-, du 1er janvier au 31 mars 2021, puis de CHF 92'559.- à la suite de sa rétrogradation avec effet au 1er avril 2021, et quels pourraient être les autres revenus du couple, excepté des allocations familiales ; il ne produit qu'un extrait de relevé bancaire concernant un compte dont il est seul titulaire, pour le seul mois de juin 2022 et apte à démontrer le paiement d'un loyer de CHF 1'718.- et la réception d'allocations familiales au montant de CHF 800.- ; si l'avis de taxation produit indique une fortune imposable de CHF 0.-, cela ne signifie pas encore que le couple n'en dispose pas, vu la déduction sociale, au demeurant non connue en l'espèce pour le groupe familial ;

que par la production de ces seules pièces, le recourant ne rend pas vraisemblable qu’en cas de refus de restituer l’effet suspensif, un possible revenu de son épouse, des indemnités de chômage et des économies du couple ne permettraient pas de subvenir aux besoins de la famille pendant la durée de la procédure, face au déficit induit par la fin du versement de son salaire ;

que le recourant ne soutient ni a fortiori n'étaye avoir entrepris des démarches pour faire valoir son droit à des indemnités chômage ; le fait qu'il pourrait être sanctionné en raison des circonstances de la fin des relations de travail ne justifierait pas une éventuelle passivité ;

qu’ainsi, l’existence du risque de subir un dommage financier difficilement réparable que l’admission du recours ne pourrait réparer n’est pas rendue vraisemblable ;

que même s’il fallait admettre que le recourant et son épouse ne disposent pas d’économies – ce qui n’est pas rendu vraisemblable –, l'intérêt public à la préservation des finances de l'entité publique intimée, qui serait alors exposée au risque que le recourant ne rembourse pas les traitements versés en cas de rejet de son recours, est important et prime l’intérêt financier du recourant à percevoir son salaire durant la procédure (ATA/795/2021 précité ; ATA/466/2021 du 28 avril 2021 ; ATA/1043/2020 précité) ;

que par ailleurs, le recourant a reconnu certains comportements reprochés, qu'il justifie par la charge de travail démesurée et constante au sein du B______, dont la situation catastrophique notoire ne saurait lui être imputée, mais fait valoir que ceux-ci n'auraient pas dû faire l’objet d’une révocation avec effet immédiat ;

qu’il est cependant rappelé que l’employeur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix de prononcer une sanction ou le licenciement à la suite de manquements professionnels qu’il estime importants ;

qu’au regard des manquements reprochés au recourant, le choix de l’autorité intimée de procéder à une révocation avec effet immédiat plutôt qu’à une autre sanction n’apparaît, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas d’emblée arbitraire, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont celle-ci dispose en la matière ;

qu’ainsi, au vu de l’absence de préjudice difficilement réparable, du fait que les chances de succès du recours ne paraissent prima facie pas manifestes et de l’intérêt public à l’exécution immédiate de la décision de licenciement, la requête de restitution de l’effet suspensif sera rejetée ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais du présent incident.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête d’effet suspensif ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Stéphanie Fuld, avocate du recourant, ainsi qu'au Conseil d'État.

 

 

Le vice-président :

 

 

 

C. Mascotto

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :