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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1773/2022

ATA/729/2022 du 12.07.2022 sur DITAI/286/2022 ( LCI ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1773/2022-LCI ATA/729/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 juillet 2022

3ème section

 

dans la cause

 

COMMUNE DE A______
représentée par Me François Bellanger, avocat

contre

B______ SÀRL
représentée par Monsieur Bruno Mégevand, avocat

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC

Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 10 juin 2022 (DITAI/286/2022)



 


EN FAIT

1) La société B______ Sàrl (ci-après : B______) exploite, à l'enseigne « C______ » (ci-après : « C______ »), un établissement saisonnier installé durant la période estivale sur la parcelle n° 2'258 de la commune de A______, ______ à ______, quai de ______, propriété de l'État de Genève.

2) Le 28 février 2022, B______ a déposé auprès du département du territoire
(ci-après : DT) une demande d'autorisation de construire enregistrée sous le n° DD 1______ et portant sur « l'installation provisoire d'un café-restaurant et terrasses » sur la parcelle précitée pour une durée de cinq mois.

3) Le 9 mai 2022, le DT a délivré l'autorisation sollicitée.

Étaient accordées les dérogations aux art. 15 al. 3 let. b de la loi sur les eaux du 5 juillet 1961 (LEaux-GE - L 2 05), 41c al. 1 let. c de l'ordonnance sur la protection des eaux du 28 octobre 1998 (OEaux - RS 814.201) et 13 de loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac - L 4 10) suivant notamment les préavis favorables de l'office cantonal de l'eau (ci-après : OCEau), de l'office cantonal de l'agriculture et de la nature (ci-après : OCAN), de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) et du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA), ce dernier ayant notamment conditionné son préavis à l'interdiction de la sonorisation de l'établissement. Les préavis faisaient partie intégrante de l’autorisation et les conditions y figurant devaient être strictement respectées.

4) Le 31 mai 2022, la commune de A______ (ci-après : la commune) a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance
(ci-après : TAPI), concluant principalement à son annulation. Sur mesures superprovisionnelles ainsi que provisionnelles, l'arrêt immédiat du chantier relatif à l'autorisation de construire devait être ordonné, il devait être interdit à B______ de poursuivre le chantier jusqu'à droit connu sur le recours et d'exploiter la partie de l'établissement en lien avec l’autorisation de construire jusqu'à droit connu sur le recours, le tout sous la menace des peines prévues à l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

B______ avait déjà commencé voire réalisé entièrement les travaux. L'établissement annonçait d'ailleurs sur son site internet l’ouverture de sa terrasse dès le 1er juin 2022. L'autorisation délivrée impliquait de nombreuses dérogations et l'exploitation de l'établissement provoquerait d'importantes nuisances notamment sonores pour le voisinage et l'espace public de la commune comme cela s'était déjà produit à d'innombrables reprises les années précédentes. La demande d'autorisation s'inscrivait dans le cadre d'un long litige entre la commune et B______, dont l'exploitation provoquait chaque année des nuisances importantes pour le voisinage, avec notamment pour conséquence le prononcé d’une amende.

En réalisant les travaux avant que le délai de recours ne soit échu afin d'ouvrir son établissement le 1er juin 2022, B______ tentait de vider de son sens toute la procédure de recours en passant en force, causant ainsi un préjudice irréparable à la commune et à l'ordre juridique.

Le projet se situait partiellement en zone inconstructible et portait atteinte aux rives du lac, impliquait de nombreuses nuisances, notamment sonores, et les nombreuses dérogations des services des préavis étaient insuffisantes pour y remédier.

5) Le 1er juin 2022, le TAPI a, sur mesures superprovisionnelles, ordonné à B______ de procéder à l'arrêt immédiat des travaux entrepris découlant de l'autorisation de construire et lui a interdit de poursuivre le chantier et d'exploiter la partie de l'établissement en lien avec cette autorisation de construire jusqu'à droit connu sur le recours, sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP.

6) Le 8 juin 2022, la commune a complété son argumentation sur le fond.

Les préavis rendus lors de l'instruction de la demande d'autorisation de construire litigieuse étaient incomplets, alors qu'ils accordaient de nombreuses dérogations, et certaines dispositions étaient violées de manière crasse, à savoir l'art. 15 LEaux-GE, l'art. 13 LPRLac, les normes fédérales sur le bruit, l'art. 24 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30), l'art. 9 de l'Ordonnance du DFI sur l'hygiène dans les activités liées aux denrées alimentaires (OHyg - RS 817.024.1), les art. 6, 11 et 12 du règlement concernant l'accessibilité des constructions et installations diverses du 29 janvier 2020 (RACI - L 5 05.06) ainsi que l'art. 14 loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Les mesures superprovisionnelles devaient être confirmées à titre provisionnel. En dépit de l'interdiction d'installations sonores selon le préavis du SABRA du 30 mars 2022, de l'absence d'autorisation du service de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) et de l'absence d'autorisation de la commune d'exploiter la terrasse, l'établissement avait ouvert ses portes le 1er juin 2022 et avait accueilli des animations musicales de danse.

7) Le 9 juin 2022, B______ a conclu à l’irrecevabilité de la demande de mesures provisionnelles. L'ordonnance de mesures superprovisionnelles du 1er juin 2022 devait être immédiatement rétractée.

L'établissement était exploité depuis 2013, sans que la commune ne recoure contre les précédentes autorisations de construire. L'exploitation de l'établissement avait été autorisé par le PCTN et la commune en avait fait de même en 2021. Le renouvellement pour 2022 était en cours avant la saisine du TAPI. Les éventuelles questions liées à une autorisation d'exploiter étaient exorbitantes à un litige du droit de la construction.

Toutes les questions relatives à la gestion de l'établissement public échappaient à la cognition du TAPI, faute de compétence en la matière (art. 66 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 - LRDBHD - I 2 22), et aucune mesure provisionnelle en lien avec l'exploitation d'un établissement public ne pouvait être prononcée. Le seul objet du litige était la validité de l'autorisation de construire, toute autre demande, en particulier sur l'interdiction d'exploiter les installations, étant exorbitante au litige. Le TAPI n'était pas saisi d'un recours en lien avec d'éventuelles mesures au sens des art. 129 et 130 LCI, qui relevaient de la compétence exclusive du département.

La mesure provisionnelle sollicitée par la commune n'avait en outre pas pour but de maintenir un état de fait mais de le modifier. L'établissement était en effet exploité chaque été sans discontinuité depuis 2013. Elle était contraire au principe de la proportionnalité. La construction litigieuse était une construction provisoire, autorisée annuellement de longue date, permettant l'emploi de plus de cinquante personnes. L'interdiction d'exploiter causait à l’établissement un dommage financier très important, estimé à plus de CHF 600'000.-. Elle plaçait B______ dans une situation économique précaire risquant d'entraîner sa faillite et le licenciement de son personnel. B______ était également victime d'un dégât d'image important en raison de la fermeture brutale de l'établissement et elle risquait de perdre sa clientèle. Il existait un intérêt privé important à la poursuite de l'exploitation de l'établissement. Les questions relatives aux nuisances mises en avant par la commune dans son recours étaient de la compétence exclusive des autorités cantonales. Les services spécialisés, dont le SABRA en charge de la question des nuisances, avaient tous rendu des préavis positifs. L'autorisation provisoire querellée avait été accordée après un examen minutieux par le DT et sur la base des préavis – tous positifs sauf celui de la commune. La protection de l'intérêt public n'exigeait aucune intervention immédiate, les autorités compétentes n'ayant constaté aucune infraction justifiant une telle intervention, laquelle relevait de leur seule compétence. Il était disproportionné de condamner définitivement un établissement public dans une procédure du droit de la construction sur simples mesures provisionnelles.

8) Le 10 juin 2022, le DT a indiqué s'en rapporter à justice quant à la requête de mesures provisionnelles.

9) Par décision DITAI/286/2022 du 10 juin 2022, le TAPI a rejeté la requête de mesures provisionnelles et ordonné à B______ de respecter les conditions prévues par les préavis faisant partie intégrante de l’autorisation de construire DD 1______, sous la menace des peines prévues à l’art. 292 CP.

Sur mesures provisionnelles, il était compétent pour interdire en urgence l’exploitation d’un établissement tant qu’il s’agissait d’une mesure conservatoire visant à préserver l’objet du litige. Le prononcé de l’interdiction d’exploiter la partie de l’établissement en lien avec l’autorisation de construire trouvait son fondement à l’art. 129 LCI et se différenciait de l’autorisation d’exploiter dont l’octroi ressortissait à la commune ou au PCTN sur la base d’autres normes de droit public telles la LRDBHD. L’autorisation querellée portait sur l’installation provisoire d’un café-restaurant avec terrasses et était notamment soumise aux prescriptions de droit fédéral contre le bruit, soit des normes relevant du droit de la construction. Le SABRA avait conditionné son préavis à l’interdiction de la sonorisation de l’établissement et la commune invoquait les nuisances sonores provoquées par l’exploitation de la terrasse.

L’admission de la conclusion de la commune, visant à ce qu’il soit fait interdiction à B______ d’exploiter l’établissement jusqu’à droit connu sur le recours, priverait de tout objet l’autorisation saisonnière de construire, compte tenu du temps nécessaire à l’instruction au fond. Elle causerait un préjudice difficilement réparable à
celle-là, qui avait investi des montants importants pour l’exploitation du site durant l’été et pour son personnel, qui serait licencié. Il existait un intérêt public indéniable à ce que la population genevoise puisse bénéficier durant l’été 2022 d’un
café-restaurant au bord du lac, de tels établissements étant très rares à Genève.

La commune ne rendait nullement vraisemblable que l’autorisation querellée créerait des nuisances sonores graves pour le voisinage, en particulier pour les maisons d’habitation sur le coteau de A______, éloignées de 250 m au moins et séparées de la parcelle par un axe routier bruyant, ou pour les utilisateurs de ce dernier, ni que les valeurs limites d’immission (ci-après : VLI) seraient dépassées. Le SABRA avait conditionné l’autorisation à l’absence de musique. Tous les préavis sauf celui de la commune étaient positifs et le dossier ne permettait pas de considérer que les installations litigieuses auraient des effets durables sur l’environnement, le paysage ou l’aménagement du territoire ou causeraient des inconvénients graves ou durables au sens de l’art. 14 LCI.

Le défaut d’autorisation d’exploiter du PCTN ou de la commune était exorbitant au litige et étranger au droit des constructions.

L’intérêt public au maintien de la situation jusqu’à droit connu au fond ne semblait pas prima facie primer sur les intérêts privés de B______ à poursuivre l’exploitation et public à l’existence d’un café-restaurant au bord du lac.

La commune avait établi que de la musique était diffusée du 1er juin 2022 à la fermeture sur mesures superprovisionnelles le 3 juin 2022. Il était donc rappelé à B______ de respecter le préavis du SABRA faisant partie intégrante de l’autorisation.

Les travaux étant terminés, les conclusions de la commune au prononcé de l’arrêt immédiat des travaux étaient devenues sans objet.

10) Par acte remis au greffe le 20 juin 2022, la commune a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à ce que (1) le recours soit déclaré recevable, (2) l’effet suspensif du recours soit constaté, (3) qu’il soit constaté que ni B______ ni son administrateur ne disposaient d’autorisation de la commune d’exploiter la terrasse, (4) qu’il soit dit que l’usage anticipé de l’autorisation de construire malgré l’effet suspensif du recours ne valait pas autorisation d’exploiter l’établissement au sens de la LRDBHD, (5) à l’annulation de la décision attaquée et (6) à ce qu’il soit interdit à B______ d’exploiter la partie de l’établissement en lien avec l’autorisation de construire jusqu’à droit connu sur le recours pendant devant le TAPI.

Tous les préavis positifs avaient été rendus sous conditions ou moyennant dérogations. Le préavis du SABRA excluait toute diffusion de musique dans les parties non fermées. B______ avait réalisé les travaux alors que le recours était pendant. Elle avait reçu la décision sur mesures superprovisionnelles le 1er juin 2022 mais avait encore diffusé de la musique et toléré que sa clientèle danse jusqu’à ce que la police intervienne le 3 juin 2022. Depuis 2015, la commune s’était plainte à de nombreuses reprises de violations des prescriptions légales et de nuisances sonores. L’établissement était régulièrement privatisé. Les soirées avec musique et même avec des DJ avaient continué. La délégation de la gestion de la partie du site occupée par l’établissement avait fait l’objet de critiques de la Cour des comptes. Les autorisations délivrées par le PCTN ne portaient que sur des terrasses. La commune n’avait pas encore délivré d’autorisation.

Les faits avaient été constatés de manière inexacte. Le TAPI avait mentionné les animations de danse mais pas les DJ.

Le conséquences financières pour B______ n’étaient pas déterminantes. Il lui appartenait de déposer sa demande d’autorisation plus tôt que trois mois avant l’ouverture prévue. Elle avait conduit les travaux sans attendre l’issue du recours et mis les autorités devant le fait accompli. La décision attaquée avait entériné une fraude à la loi et violait le principe d’égalité de traitement entre administrés. Le TAPI avait perdu de vue que c’était la situation de fait et de droit avant le litige qui devait être maintenue.

L’intérêt public, retenu par le TAPI, à l’ouverture d’un restaurant au bord du lac l’été devait céder devant l’intérêt public au respect de l’ordre juridique et à la possibilité du contrôle juridictionnel des décisions des autorités étatiques. Genève Plage disposait par ailleurs déjà d’un restaurant. On pouvait déduire de la fréquentation de mille personnes par jour et de la perte probable de CHF 120'000.- par jour annoncées par B______ que chaque client dépensait en moyenne CHF 120.- par soirée, soit un montant important que la majorité de la population genevoise n’était pas en mesure de dépenser. Le caractère sélectif de l’établissement et les nombreuses privatisations ne pouvaient prévaloir sur les intérêts publics au respect de la loi, de l’environnement et de la sécurité.

Le TAPI avait erré en considérant que les nuisances sonores n’avaient pas été démontrées. B______ et son animateur avaient violé à de multiples reprises les injonctions qui leur avaient été faites et confirmaient par leur comportement actuel qu’ils n’entendaient pas respecter les conditions de l’autorisation de construire. Aucune mesure moins incisive que l’interdiction d’exploiter la partie touchée par les travaux ne permettrait de préserver les droits de la commune ou de rendre le recours sans objet.

Le préavis du SABRA, qui ne contenait aucune indication s’agissant du respect des normes en matière de bruit, ne pouvait être considéré comme suffisant. L’étude acoustique produite à l’appui de la première demande d’autorisation datait de 2014 et n’était pas à jour compte tenu de la typologie des lieux, du nombre et de l’emplacement des haut-parleurs. Depuis 2016, le périmètre de protection des rives du lac prévoyait un degré de sensibilité du bruit (ci-après : DS) III à proximité du projet. L’exploitation avait lieu de 18h00 à 02h00 du matin, de sorte que la présence d’un axe routier retenue par le TAPI était sans pertinence.

L’argument des préavis positifs retenu par le TAPI n’était pas pertinent. Ceux-ci n’étaient guère motivés, guère convaincants et contenaient des incohérences. Une décision fondée sur des préavis positifs devait quoi qu’il en soit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel avant la mise en œuvre voire l’achèvement des travaux.

Le TAPI aurait dû examiner si des motifs suffisants justifiaient de s’écarter du principe selon lequel l’état de fait avant le litige devait être maintenu, ce qu’il n’avait pas fait. Sa décision revenait à priver le recours de tout objet, B______ étant en mesure d’exploiter la terrasse tout l’été. Admettre les mesures provisoires empêcherait B______ d’exploiter la construction.

Il ressort des pièces produites par la commune qu’elle a infligé le 2 février 2022 à B______ une amende de CHF 10'000.- en raison de violations, les 29 juillet et 13 août 2021, de l’interdiction de diffuser de la musique assortissant l’autorisation d’exploitation d’une terrasse délivrée le 20 juillet 2021.

11) Le 21 juin 2022, le DT s’en est rapporté à justice.

12) Le 27 juin 2022, B______ a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Elle exploitait le café-restaurant depuis dix ans. Elle disposait tant d’une structure fermée que de terrasses adjacentes. La demande de renouvellement de l’autorisation portant sur les terrasses était retenue sans raison par la commune, qui s’acharnait sans motifs sur elle, utilisant des procédures de droit des constructions pour obtenir sa fermeture.

La décision attaquée était incidente et ne causait aucun préjudice irréparable à la commune, l’autorisation de construire étant limitée dans le temps et prendrait fin en octobre 2022. Lors des travaux, la commune pouvait demander au DT d’ordonner leur arrêt immédiat.

Les conclusions constatatoires de la commune étaient irrecevables, faute pour celle-ci de disposer d’un intérêt juridique en droit des constructions à leur admission.

La conclusion en interdiction d’exploiter l’établissement était irrecevable car elle dépassait l’objet du litige, le TAPI était uniquement saisi d’un recours contre l’autorisation de construire un café-restaurant provisoire avec terrasse, et la conclusion au fond devant le TAPI visant uniquement l’annulation de l’autorisation. Les mesures des art. 129 et 130 LCI relevaient de la compétence exclusive du DT. Le fait que ces mesures pouvaient être ordonnées par le DT ne rendait pas la demande en mesures provisionnelles recevable.

L’établissement était exploité depuis dix ans et la mesure provisionnelle demandée n’avait pas pour but de maintenir l’état de fait existant mais de le modifier. La commune avait accordé l’autorisation d’exploiter la terrasse en 2021. La mesure demandée était au surplus disproportionnée, vu le dommage qu’elle entraînerait pour elle, estimé à plus de CHF 600'000.-. Il ne pouvait être mis fin à une activité économique, même uniquement tolérée, par le prononcé de mesures provisionnelles.

13) Le 30 juin 2022, la commune a persisté dans ses conclusions.

B______ avait bénéficié d’une procédure exceptionnellement rapide de la part du DT, avait achevé les travaux en trois semaines sans attendre l’entrée en force de l’autorisation et exploitait une terrasse illégalement, sans disposer de l’autorisation du PCTN fondée sur la LRDBHD, ce qui privait la commune de ses droits de recourante si son recours était déclaré irrecevable. B______ violait l’effet suspensif du recours, ce qui créait un préjudice juridique majeur. La commune n’avait pas à intervenir auprès du DT mais pouvait demander dans son recours l’arrêt immédiat des travaux. La demande de mesures provisionnelles réitérée devant la chambre administrative entrait dans le cadre du recours et visait à faire rétablir la situation de fait et de droit et à remettre la commune dans la situation qui prévaudrait si l’effet suspensif au recours et ses droits avaient été respectés. Le projet de l’intimée avait évolué en dix ans et celle-ci ne pouvait se prévaloir d’une situation établie.

14) Le 1er juillet 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Les décisions du TAPI peuvent faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative (art. 132 al. 1 et 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

En l’espèce, la décision du TAPI est une décision incidente, rejetant une demande de mesures provisionnelles, qui ne représente qu’une étape vers la décision finale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2017 du 13 mars 2017 consid. 1 ; ATA/613/2017 du 30 mai 2017).

Le délai de recours s’agissant d’une décision incidente est de dix jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente.

2) L’objet du recours est le bien-fondé du refus par le TAPI d’ordonner sur mesures provisionnelles l’arrêt du chantier et l’interdiction d’exploiter la partie de l’établissement en lien avec l’autorisation de construire.

Seules les conclusions (5) en annulation de la décision et (6) en interdiction d’exploiter la partie de l’établissement en lien avec l’autorisation de construire entrent dans le cadre du litige.

Exorbitantes au litige et subsidiaires par leur nature, les conclusions (2) en constatation de l’effet suspensif du recours, (3) en constatation que ni B______ ni son administrateur ne disposent d’autorisation de la commune d’exploiter la terrasse et (4) qu’il soit dit que l’usage anticipé de l’autorisation de construire malgré l’effet suspensif du recours ne vaut pas autorisation d’exploiter l’établissement au sens de la LRDBHD, sont irrecevables.

3) a. Le recours contre une décision incidente n’est ouvert que si ladite décision, à supposer qu’elle soit exécutée, cause un préjudice irréparable à son destinataire. Il est également ouvert si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

b. En l’espèce, la recourante expose vouloir par ses conclusions sur mesures provisionnelles faire rétablir la situation de fait et de droit qui prévaudrait si l’effet suspensif au recours avait été respecté par l’intimée.

Or, les travaux ont été accomplis. La conclusion au prononcé de l’arrêt du chantier formée devant le TAPI a ainsi perdu son objet. La chambre de céans ne possède par ailleurs pas la compétence d’ordonner la remise en état ou la démolition, et celles-ci ne sont pas l’objet du litige, comme il sera vu plus loin.

Seule demeure donc la conclusion en interdiction d’exploiter.

L’admission du recours et le prononcé de l’interdiction d’exploiter ne mettraient pas fin au litige, qui porte, à teneur des conclusions prises au fond par la recourante, sur l’annulation de l’autorisation de construire, et fait l’objet d’une instruction devant le TAPI.

La seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA n’est ainsi pas réalisée en l’espèce.

4) Reste à examiner si la décision litigieuse est susceptible de causer un préjudice irréparable à la recourante.

a. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée, comme un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure
(ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ; 127 II 132 consid. 2a ; ATA/1187/2015 du 3 novembre 2015 consid. 2c). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid.  2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que
l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 3c et les références citées).

b. L'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, de telles mesures ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4).

Elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

c. En l’espèce, la procédure pendante devant le TAPI porte sur la validité de l’autorisation de construire n° DD 1______ délivrée par le DT et portant sur « l'installation provisoire d'un café-restaurant et terrasses » pour une durée de cinq mois.

Il a été dit que les travaux visés ont été accomplis par l’intimée avant que l’autorisation ne soit entrée en force. L’interruption du chantier ne pouvant plus être l’objet de la procédure sur mesures provisionnelles, le rejet par le TAPI de la demande de mesures provisionnelles de la recourante ne porte plus que sur l’interdiction d’exploiter.

d. Seule l’application de la LCI doit être examinée, le litige portant exclusivement sur une autorisation de construire.

L’intimée doute que le TAPI ou la chambre de céans possèdent la compétence pour prononcer les mesures prévues aux art. 129 et 130 LCI.

La recourante ne soutient pas que le DT aurait refusé d’interdire l’exploitation. Celui-ci s’en est pour sa part rapporté à justice devant la chambre de céans.

L’art. 129 LCI dispose que dans les limites des dispositions de l’art. 130 LCI, le DT peut ordonner, à l’égard des constructions, des installations ou d’autres choses (a) la suspension des travaux, (b) l’évacuation, (c) le retrait du permis d’occupation, (d) l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter et (e) la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition. L’art. 130 LCI précise que ces mesures peuvent être ordonnées par le DT lorsque l’état d’une construction, d’une installation ou d’une autre chose n’est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu’elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires.

La commune fait valoir les nuisances sonores occasionnées par l’exploitation et les nombreuses infractions commises par B______ en cette matière par le passé.

Or, l’autorisation de construire est assortie de la condition de ne pas diffuser de musique, ce que le TAPI a rappelé.

Il est vrai que le prononcé de l’interdiction d’exploiter aurait pour effet de faire cesser immédiatement la diffusion de musique. Cependant, la violation, postérieurement à la délivrance de l’autorisation de construire, de la condition relative à la musique assortissant celle-ci ne saurait, prima facie, constituer une circonstance remettant en cause le bien-fondé de l’autorisation elle-même au moment de sa délivrance et entraîner son annulation par le juge. Il s’ensuit qu’elle ne peut, faute de pertinence au fond, être prise en compte pour le prononcé de mesures provisionnelles dans la présente procédure. Cette conclusion dispense d’examiner la réalité des nuisances sonore alléguées par la commune.

La recourante ne parvient ainsi pas à rendre vraisemblable que le rejet de sa demande lui causerait un préjudice irréparable, de sorte que son recours devra être déclaré irrecevable.

La question de savoir si les violations par B______ de la condition relative notamment à la sonorisation assortissant l’autorisation puissent conduire le DT à adopter des mesures fondées sur la LCI, parmi lesquelles une amende, l’interruption de l’exploitation ou la révocation de l’autorisation, ou encore entraîner d’autres sanctions prises par l’autorité compétente en application de la LRDBHD ainsi que des poursuites pénales en raison de la violation de l’art. 292 CP, dont la teneur a été expressément rappelée par le TAPI, ne fait pas l’objet du présent litige.

5) Vu l'issue du recours, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 400.- sera allouée à l’intimée, à la charge de la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 31 mai 2022 par la commune de A______ contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 10 juin 2022 ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de la commune de A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 400.- à B______ Sàrl, à la charge de la commune de A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat de la recourante, à Me Bruno Mégevand, avocat de l'intimée, au département du territoire - OAC ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Mascotto, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :