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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/847/2022

ATA/636/2022 du 15.06.2022 ( EXPLOI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/847/2022-EXPLOI ATA/636/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 juin 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

SERVICE DE LA CONSOMMATION ET DES AFFAIRES VÉTÉRINAIRES



EN FAIT

1) Par décisions du 28 septembre 2021, le service de la consommation et des affaires vétérinaires (ci-après : SCAV) a rendu une ordonnance pénale infligeant à Madame A______ une amende de CHF 1'300.- ainsi qu’une décision administrative mettant un émolument d’inspection de CHF 511.30 à sa charge, actes qui se fondaient sur le procès-verbal d’inspection – décision du 23 septembre 2021. Selon le suivi des envois postaux, Mme A______ a été avisée du pli recommandé contenant les décisions le 29 septembre 2021. Le 30 septembre 2021, elle a prolongé le délai de garde au 27 octobre 2021.

2) Le pli ayant été retourné au SCAV, celui-ci le lui a envoyé par pli simple le 2 novembre 2021.

3) Par courrier du 13 novembre 2021, Madame A______ a formé opposition au volet administratif de ces décisions, sollicitant préalablement la restitution du délai d’opposition.

4) Par décision du 10 février 2022, le SCAV a rejeté la demande de restitution du délai d’opposition, rejeté l’opposition, maintenu ses décisions du 28 septembre 2021 et imparti à Mme A______ un délai au 15 mars 2022 pour communiquer au SCAV son souhait de maintenir l’opposition au volet pénal ou non, précisant qu’à défaut de nouvelles de la part de celle-ci, le volet pénal du dossier serait considéré comme clos.

5) Par acte expédié le 15 mars 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, Mme A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation, concluant à ce que sa demande de restitution soit admise et que la cause soit renvoyée au SCAV pour nouvelle décision.

Elle a exposé avoir été en incapacité de travail du 28 septembre au 31 octobre 2021. Elle produisait, en sus du certificat médical d’incapacité de travail déjà fourni, le certificat médical du Docteur B______, spécialiste en médecine interne, du 11 mars 2022 attestant du fait qu’elle n’avait « absolument pas été en mesure d’effectuer ni un travail de défense administrative ni de s’occuper des tâches et des trajets administratifs ». Dès la fin de cette incapacité, elle avait préparé et envoyé son opposition. Elle avait reçu copie de la décision du 28 septembre 2021 le 3 novembre 2021 et formé opposition le 15 novembre 2021, le 13 novembre 2021 étant un samedi.

Elle s’est déterminée en détail sur les constats et reproches ayant conduit au rapport d’inspection-décision du 23 septembre 2021 et aux décisions du 28 septembre 2021.

6) Le SCAV a conclu au rejet de la requête d’effet suspensif et du recours ainsi qu’à la jonction de la présente procédure avec celle concernant un autre établissement public exploité par Mme A______.

7) Dans le délai de réplique, la recourante s’est déterminée en détail sur les faits ayant conduit au prononcé des décisions du 28 septembre 2021.

8) Entendu le 13 juin 2022 en qualité de témoin, le Dr B______ a confirmé les certificats d’incapacité de travail des 1eroctobre et 16 novembre 2021 ainsi que son attestation médicale du 11 mars 2022.

Mme A______ était habituellement suivie par la Docteure C______, qui était cependant indisponible en octobre 2021. Il était un ami de Mme A______ depuis 2008. Leurs liens amicaux n'avaient eu aucune influence sur le regard de médecin qu’il avait porté sur son état de santé. Son rôle était de protéger le patient et de ne pas lui nuire. Il estimait avoir établi les documents médicaux exclusivement en sa qualité de médecin. Il avait reçu l’intéressée, le 1er octobre 2021, aux urgences de l’Hôpital de la Tour où il travaillait. Il n’était pas psychiatre, mais urgentiste et interniste. Ses constatations étaient donc celles d'un interniste. Il s’était fondé, entre autres, sur les indications de Mme A______ qui lui disait ne plus arriver à gérer son administration; il n'avait pas de raison d'en douter. Lors de la consultation, elle était dans un état de détresse psychologique très important en raison d'évènements personnels cumulés à une surcharge professionnelle. Au vu de son état, notamment de sa grande détresse, il avait craint un geste auto-agressif et choisi d'établir un certificat médical visant à la sortir de son milieu « toxique » et lui avait recommandé un psychiatre. Son impression était qu'elle n'était plus en mesure de gérer des aspects administratifs, même simples. Elle devait vraiment s'arrêter de travailler et en particulier de s'occuper de la gestion administrative de ses affaires jusqu'à ce qu'elle ait consulté un psychiatre en tous cas. Sur la base de ses indications et de l’état de santé de Mme A______, il avait considéré que l’incapacité totale remontait à quelques jours. Il avait aussi constaté que Mme A______ avait commis un abus de somnifères et d’anxiolytiques. Il lui avait prescrit un anxiolytique phytothérapeutique. En situation de burnout, le plus important était que la personne soit retirée du « milieu toxique ».

Le 16 novembre 2021, il avait eu un contact téléphonique avec elle. Celle-ci n'avait toujours pas pu consulter un psychiatre, les centres d'urgence et les psychiatres étant alors débordés. Elle était à nouveau dans une grande détresse, sa sœur ayant commis courant novembre 2021 une tentative de suicide. Son état de santé avait pleinement justifié un arrêt de travail immédiat de trois semaines. L’état de santé de Mme A______ l'empêchait de prendre en charge de quelque manière que ce soit ses propres affaires. Elle n'était absolument pas en mesure d'effectuer ni un travail de défense administrative ni de s'occuper de tâches administratives. À son avis, elle n'était pas en mesure de faire appel à un tiers pour l'aider. Il répétait que les urgences psychiatriques étaient débordées et qu'il lui avait paru qu'elle avait besoin immédiatement de l'aide. Par la suite, Mme A______ avait pu consulter une psychiatre.

La recourante a indiqué que son administration était compliquée, en particulier pendant la période Covid. Elle avait perdu des employés. Son administrateur était parti, car elle n'avait pas pu le payer. Sa fille avait été mutilée. Elle se battait sur tous les plans. Elle se sentait seule. Elle était suivie par une psychiatre.

À l’issue de l’audience, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 69 et 70 al. 2 LDAI ; art. 14 de la loi d'application de la législation fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels du 13 septembre 2019 - LaLDAI - K 5 02 ; art. 19 du règlement d'exécution de la LaLDAI du 5 février 2020 - RaLDAI - K 5 02.01).

2) Il n’y a pas lieu de joindre la présente procédure avec la cause A/934/2022, qui concerne, certes, les mêmes parties, mais un autre établissement public exploité par la recourante.

3) Le litige est circonscrit à la question de savoir si la demande de restitution du délai d’opposition et l’opposition de la recourante au volet administratif du dossier ont, à juste titre, été rejetées.

a. Selon une jurisprudence bien établie, les communications des autorités sont soumises au principe de la réception. Il suffit qu'elles soient placées dans la sphère de puissance de leur destinataire et que celle-ci soit à même d'en prendre connaissance pour admettre qu'elles ont été valablement notifiées. Autrement dit, la prise de connaissance effective de l'envoi ne joue pas de rôle sur la détermination du dies a quo du délai de recours (ATF 144 IV 57 consid. 2.3.2 ; 142 III 599 consid. 2.4.1). L'art. 62 al. 4 LPA concrétise la jurisprudence en matière de notification des actes adressés sous pli recommandé, selon laquelle l'envoi non retiré dans le délai de garde de sept jours est réputé notifié le dernier jour de ce délai (ATF 134 V 49 consid. 4 et les références citées).

Celui qui se sait partie à une procédure et qui doit dès lors s'attendre à recevoir des actes de l’autorité est tenu de relever son courrier ou, s'il s'absente de son domicile, de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins (ATF 141 II 429 consid. 3.1). Une telle obligation signifie que le destinataire doit, le cas échéant, désigner un représentant, faire suivre son courrier, informer les autorités de son absence ou leur indiquer une adresse de notification (ATF 141 II 429 consid. 3.1 et la référence citée). À défaut, il ne peut se prévaloir de son absence lors de la tentative de notification d'une communication officielle à son adresse habituelle (ATF 117 V 131 consid. 4a).

Lorsque l'autorité procède à une deuxième notification, celle-ci est sans effets juridiques (ATF 119 V 89 consid. 4b/aa p. 94; 118 V 190 consid. 3a p. 191 ; 117 V 131 consid. 4a p. 132), sous réserve des cas où, intervenue avant l'échéance du délai de recours, elle contient une indication sans réserve des voies de droit et pour autant que les conditions relatives à l'application du principe constitutionnel de la confiance soient remplies (ATF 118 V 190 consid. 3a ; 115 Ia 12 consid. 4c).

b. Aux termes de l'art. 16 LPA, un délai fixé par la loi ne peut être prolongé ; les cas de force majeure sont réservés (al. 1) ; le délai imparti par l'autorité peut être prolongé pour des motifs fondés si la partie en fait la demande avant son expiration (al. 2) ; la restitution pour inobservation d'un délai imparti par l'autorité peut être accordée si le requérant ou son mandataire a été empêché sans sa faute d'agir dans le délai fixé ; la demande motivée doit être présentée dans les dix jours à compter de celui où l'empêchement a cessé (al. 3).

Tombent sous la notion de force majeure les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé et qui s'imposent à lui de façon irrésistible (ATA/138/2021 du 9 février 2021 consid. 3a et b ; ATA/160/2019 du 19 février 2019 consid. 2b). L'empêchement doit être de nature telle que le respect des délais aurait exigé la prise de dispositions que l'on ne peut raisonnablement attendre de la part d'un homme d'affaires avisé (ibidem).

A été considéré comme un cas de force majeure donnant lieu à restitution de délai le fait qu'un détenu, qui disposait d'un délai de recours de trois jours, n'ait pu expédier son recours dans ce délai, du fait qu'il ne pouvait le poster lui-même et qu'en outre ce pli avait été soumis à la censure de l'autorité (ATA/515/2009 du 13 octobre 2009 consid. 6). Il en allait de même du recourant qui se voyait impartir, par pli recommandé, un délai de quinze jours pour s'acquitter d'une avance de frais alors que le délai de garde pour retirer le pli en question était de sept jours (ATA/477/2009 du 20 septembre 2009 consid. 5).

En revanche, n'ont pas été considérés comme des cas de force majeure une panne du système informatique du mandataire du recourant l'ayant empêché de déposer un acte de recours dans le délai légal (ATA/222/2007 du 8 mai 2007 consid. 3b), le fait qu'un avocat ait transmis à son client la demande d'avance de frais par pli simple en prenant le risque que celui-ci ne reçoive pas ce courrier (ATA/596/2009 du 17 novembre 2009 consid. 6), pas plus que la maladie, celle-ci n'étant admise comme motif d'excuse que si elle empêche le recourant d'agir par lui-même ou de donner à un tiers les instructions nécessaires pour agir à sa place (ATA/50/2009 du 27 janvier 2009 consid. 3c).

c. En l’espèce, se pose la question de savoir si la fiction de notification développée par la jurisprudence peut être opposée à la recourante.

Celle-ci a produit, à l’appui de son recours devant la chambre de céans, un certificat médical attestant d’une incapacité médicale à effectuer un « travail de défense administrative » et à « s’occuper des tâches et trajets administratifs » entre le 28 septembre et le 31 octobre 2021. Le praticien ayant établi les certificats et l’attestation médicaux a déclaré, lors de l’audience qui s’est tenue devant la chambre administrative, que lorsqu’il avait reçu la recourante aux urgences de l’Hôpital de la Tour où il travaillait le 1er octobre 2021, elle était dans un état de détresse psychologique très important ; au vu de son état, notamment de sa grande détresse, il avait craint un geste auto-agressif. Il avait aussi constaté que l’intéressée avait abusé de somnifères et d’anxiolytiques. Son impression d’urgentiste et d’interniste était qu'elle n'était plus en mesure de gérer des aspects administratifs, même simples. Selon le médecin, l’état de santé de la recourante l'empêchait de prendre en charge de quelque manière que ce soit ses propres affaires. À son avis, elle n'était même pas en mesure de faire appel à un tiers pour l'aider.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que l’état de santé de la recourante l’a empêchée de former opposition elle-même ou de mandater un tiers pour agir à sa place durant la période suivant l’avis de retrait de la décision du 28 septembre 2021, en tout cas à compter du 1er octobre 2021, date du certificat médical, et jusqu’au 31 octobre 2021. Les liens amicaux existant entre le médecin et la recourante ne permettent pas de mettre en doute les constats médicaux effectués par celui-ci. Le médecin, dûment averti des conséquences d’un faux témoignage, a répété qu’il estimait avoir établi les documents médicaux exclusivement en sa qualité de médecin. Il a constaté un « burn-out », un abus de somnifères et d’anxiolytiques et un état de détresse tel qu’il craignait un geste auto-agressif. De tels constats ressortissent clairement au domaine médical ; la chambre de céans ne s’en écartera ainsi pas.

La recourante ayant été incapable, pour des raisons de santé, de retirer le pli comportant les décisions du 28 septembre 2021, il convient ainsi d’admettre qu’elle se trouvait empêchée, au sens de l’art. 16 LPA.

Dans ces circonstances, elle n’a été en mesure de prendre connaissance de ces décisions que le 3 novembre 2021, soit le lendemain de la réexpédition par pli simple, des décisions précitées. Ayant contesté celles-ci par acte expédié le lundi 15 novembre 2021, la recourante a agi dans le délai d’opposition de dix jours.

Partant, son opposition devait être déclarée recevable. Le recours sera donc admis et le dossier renvoyé au SCAV afin qu’il examine les autres conditions de recevabilité et, le cas échéant, les arguments au fond.

4) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). La recourante agissant en personne et n’ayant pas allégué qu’elle aurait exposé des frais pour la défense de ses intérêts dans la présente procédure, elle ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA). Les frais de procédure, à savoir l’indemnité de CHF 260.- versée au témoin, seront laissés à la charge de l’État de Genève.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mars 2022 par Madame A______ contre la décision du service de la consommation et des affaires vétérinaires du 10 février 2022 ;

au fond :

l’admet et annule la décision précitée ;

renvoie la cause au service de la consommation et des affaires vétérinaires pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

met les frais de procédure de CHF 260.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'au service de la consommation et des affaires vétérinaires.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. Deschamps

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :