Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/712/2025 du 24.06.2025 ( LDTR ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 24 juin 2025
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dans la cause
A______ SA, représentée par Me Christian LUSCHER, avocat, avec élection de domicile
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
Monsieur B______, représenté par Me Julien PACOT, avocat, avec élection de domicile
Madame C______
D______ SA
E______ SA
1. Monsieur B______ et Madame C______ sont propriétaires de la parcelle n° 1______ de la commune de F______ (ci-après : la commune), en zone de construction 2, à l'adresse 2______, rue des G______, sur laquelle est érigé un bâtiment d'habitation.
La société A______ SA est propriétaire des parcelles voisines nos 3______ et 4______, localisées aux 5______ et 6______, avenue de H______.
2. Le 3 février 2021, E______ & CIE SA (ci-après : E______ SA), au nom et pour le compte des propriétaires, a requis du département du territoire (ci-après : le département) la délivrance d'une autorisation de construire portant sur la surélévation de deux étages supplémentaires permettant la création de quatre logements, la rénovation et la transformation de l'immeuble érigé sur la parcelle n° 1______ ainsi que la rénovation de la cour intérieure.
L'une des façades de ce bâtiment est situé le long de la rue des G______ et l'autre l'est le long de la limite de propriété avec la parcelle n° 7______. Une petite courette et une construction basse séparent les deux immeubles érigés sur ces parcelles.
3. Dans le cadre de l'instruction de cette requête, plusieurs instances de préavis ont été sollicitées, notamment :
- le 13 février 2024, l'office cantonal des transports (ci-après : OCT) a rendu un préavis favorable, sans observation ;
- le 11 mai 2022, la commune a émis un préavis favorable avec souhaits ;
- le 4 juin 2024, après avoir requis la poursuite de l'instruction et la modification du projet à plusieurs reprises, la commission d'architecture (ci-après : CA) a rendu un préavis favorable, avec dérogation aux art. 11 al. 6 et 49 al. 5 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) dès lors que le projet répondait aux remarques émises dans les précédents préavis ;
- le 27 juin 2024, l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) a émis un préavis favorable, sous conditions ;
- le 11 juillet 2024, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) s'est prononcée favorablement au projet, avec dérogation au sens de l'art. 11 al. 6 LCI, et sous condition au sujet de l'accessibilité des logements.
4. En date du ______ 2024, le département a délivré l'autorisation de construire sollicitée, laquelle a été publiée dans la Feuille d'avis officielle (ci-après : FAO) du même jour.
5. Par acte du 11 septembre 2024, la A______ SA, sous la plume de son conseil, a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) concluant, à titre préalable, à la tenue d'un transport sur place et, à titre principal, à l'annulation de l'autorisation, sous suite de frais et dépens.
Le projet litigieux prévoyait de surélever, transformer et rénover un immeuble de logements ainsi que de réaménager la cour intérieure. Les travaux projetés ainsi que l'augmentation à venir du nombre d'habitants seraient sources de nuisances importantes pour tous les voisins, notamment ses locataires. Elle serait dès lors probablement contrainte de leur consentir des baisses de loyer ou des indemnités pour des travaux pour lesquelles elle n'était pas responsable. Par ailleurs, cette surélévation porterait atteinte à l'esthétique du quartier, dès lors que l'ajout de deux étages modifierait durablement et définitivement l'aspect du quartier déjà dense. Le projet ne contenait aucune végétation, contrairement au préavis de la commune. Cette surélévation provoquerait une surdensification de ce quartier. Les problèmes de circulation dans le quartier, déjà fortement impacté, seraient encore accrus s'il devait accueillir de nouveaux habitants, sans compter que ce projet se situait sur un des axes principaux du quartier. La durée minimale du chantier serait d'au moins 18 mois, période durant laquelle le domaine public serait occupé par les installations de chantier et fortement entravé. Cette surélévation induirait nécessairement une perte d'ensoleillement et de luminosité pour les bâtiments, les rues et l'environnement direct, ce qui péjorerait la qualité de vie dans le quartier. Cette autorisation de construire était ainsi en contradiction avec les art. 14 et 15 LCI.
Les immeubles situés sur les parelle n°s 1______ et 7______ de la commune ne figuraient pas sur la carte des immeubles susceptibles d'être surélevés, alors que la parcelle n° 8______, située en face, l'était. Il en était de même de la parcelle n° 9______.
La dérogation à l'art. 11 al. 6 LCI avait été accordée sans aucune motivation ni du département, ni de la CA. La simple mention d'une base légale dans un formulaire de préavis n'équivalait pas à un examen approfondi des bases légales en la matière.
6. Le 18 novembre 2024, sous la plume de son conseil, M. C______ a transmis ses observations, concluant au rejet du recours sous suite de frais et dépens, s'opposant à la mesure d'instruction sollicitée.
Les nuisances relatives aux travaux, de même que la question de l'occupation du domaine public par les installations de chantier, ne constituaient pas d'inconvénients graves. S'agissant des prétendus problèmes de circulation, dès sa première consultation, l'OCT avait émis un préavis favorable sans observation, ne relevant aucun problème en termes d'accroissement du trafic. L'augmentation du nombre d'habitants était très relative, car il était question de la création de quatre logements. Par ailleurs, actuellement, le secteur de la rue des G______ souffrait déjà d'une surcharge de trafic et on peinait à concevoir en quoi quatre logements supplémentaires auraient une quelconque incidence sur la situation. La citrique de la recourante sur l'esthétique du projet relevait de sa pure appréciation subjective, laquelle s'opposait à celle de l'instance spécialisée et qui avait rendu un préavis favorable. En réalité, avec la surélévation litigieuse, le gabarit de l'immeuble s'alignait avec celui des bâtiments voisins, ce qui améliorerait l'harmonie du quartier. S'agissant de la densification du secteur, la zone 2 revêtait par nature une forte composante urbaine et une surélévation dans ce secteur n'avait rien de surprenant. L'absence de végétalisation ne se fondait que sur un souhait de la commune. La prétendue perte d'ensoleillement était purement péremptoire et ne s'appuyait sur aucun élément. Enfin, les problématiques d'ordre civil, telles que les possibles demandes de baisse de loyer ou d'indemnité des locataires de la recourante étaient exorbitants au litige.
Le fait que les parcelles nos 1______ et 7______ ne figuraient pas sur la liste indicative des immeubles susceptibles d'être surélevés n'était pas déterminant, vu la portée strictement indicative de cette carte. Seul l'examen opéré par les instances de préavis l'était, en particulier celui de la CA, qui avait approuvé le projet.
La recourante perdait de vue que le préavis de la CA n'avait pas besoin d'être motivé, en particulier lorsque sa position pouvait être déduite de l'instruction du dossier. Or, en l'occurrence, la CA avait sollicité trois modifications du projet avant de rendre son préavis final favorable. On ne pouvait dès lors pas soutenir qu'elle n'avait pas analysé le projet litigieux de manière approfondie.
7. Le 18 novembre 2024 également, le département a transmis ses observations, accompagnées de son dossier. Il a conclu au rejet du recours et de la demande de mesures d'instruction complémentaires.
La recourante ne faisait qu'alléguer une perte d'ensoleillement, sans la démontrer, ce d'autant plus que la surélévation litigieuse proposait un gabarit inférieur aux bâtiments qui avaient été érigés le long de la rue des G______. La recourante ne formulait que des critiques générales au sujet de la compatibilité du projet avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier. À la suite de certains préavis rendus, la requérante n'avait pas eu d'autres choix que de modifier son projet initial, modifications qui avaient été soumises à la CA, laquelle les avait validées sans émettre aucune réserve. La commune n'avait également jamais remis en question l'opération de surélévation envisagée, étant précisé que les plans visés ne varietur mettaient en évidence le fait que la petite courette et une partie de la construction basse sur cours seraient végétalisées.
Les cartes des bâtiments susceptibles d'être surélevés n'avaient qu'une valeur indicative, comme l'avait déjà admis la jurisprudence. Les critiques formulées à l'encontre de la décision sur ce point étaient infondées, étant rappelé que tant la commune que la CA s'étaient prononcées en faveur du projet litigieux.
S'agissant de l'octroi de la dérogation selon l'art. 11 al. 6 LCI, c'était la CA qui, dans le cadre de l'instruction de la demande, avait suggéré la mise en œuvre de cette dérogation lorsqu'elle avait été appelée à se déterminer pour la première fois sur le projet (préavis du 8 mars 2021). C'était sur la base de ce préavis que le projet d'origine – qui ne prévoyait pas de gabarits différents – avait été modifié pour présenter un attique décalé, lequel apparaissait parfaitement bien s'intégrer à la situation contextuelle particulière du périmètre en cause. Les différents plans, coupes et élévations disponibles permettaient de le constater. Par ailleurs, après avoir obtenu les informations sollicitées, notamment concernant le I______, la CA s'était prononcée en faveur du projet et son préavis favorable n'avait pas à être motivé plus en détails.
8. Le 31 janvier 2025, la recourante a répliqué, persistant dans ses conclusions et son argumentation.
En préambule, elle relevait que seul M. C______ et le département avaient transmis leurs observations, le silence des autres parties valant pour acceptation de ses conclusions.
Il était notoire qu'une surélévation causait une perte d'ensoleillement sur les immeubles et rues voisins. C'était justement pour le démontrer qu'elle sollicitait un transport sur place. Les intérêts des nombreux voisins à ne pas subir une perte d'ensoleillement devait primer l'intérêt public à la construction de quatre logements supplémentaires dans un quartier à forte densité. L'accroissement du trafic devait aussi être examiné à l'aune du quartier, lequel souffrait déjà en l'occurrence d'une importante fréquentation. Chaque usager de la route supplémentaire augmenterait nécessairement l'important trafic existant. Enfin, les nuisances que causeraient le chantier, notamment le bruit et la réservation des places de stationnement sur la rue des G______ en raison du chantier, seraient trop importantes pour être imposées aux habitants.
Le dernier préavis favorable de la CA ne permettait pas au département de faire fi de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence, ce qu'il n'avait en l'occurrence pas fait. Il avait ainsi commis un excès négatif de son pouvoir d'appréciation. L'aspect extérieur du projet nuisait pourtant au caractère et à l'intérêt du quartier, puisqu'il créerait un attique décalé ne correspondant pas aux immeubles voisins, ce d'autant qu'il ne figurait pas sur la carte des immeubles susceptibles d'être surélevés. Cela démontrait encore plus l'absence d'harmonie urbanistique du projet avec la rue et le quartier.
La dérogation de l'art. 11 al. 6 LCI n'avait été accordée que sur la base du préavis favorable, sans motivation de la CA, lequel aurait dû l'être, et sans examen par le département.
9. Le 5 mars 2025, M. C______ a dupliqué, persistant dans ses conclusions et son argumentation.
Le prétendu caractère notoire d'une perte d'ensoleillement n'était pas fondé, dès lors que cela dépendait de paramètres géographiques spécifiques qu'il convenait d'examiner au cas par cas. La recourante perdait de vue qu'elle ne jouissait d'aucun droit à un ensoleillement idéal. Elle ne démontrait au demeurant pas la prétendue perte d'ensoleillement, ce qu'un transport sur place ne permettrait pas de prouver. Vu la technicité de l'évaluation, seul un expert serait habilité à l'effectuer.
Avec l'adjonction de quatre logements supplémentaires, l'augmentation du trafic serait modeste, étant précisé que l'OCT n'avait relevé aucune préoccupation en termes d'augmentation du trafic. De jurisprudence constante, les nuisances liées à l'exécution d'un chantier n'étaient pas des inconvénients graves au sens de l'art. 14 LCI.
10. Le 5 mars 2025, le département a dupliqué, persistant dans ses conclusions et son argumentation.
La recourante ne faisait qu'alléguer une prétendue perte d'ensoleillement, sans jamais en apporter la preuve.
L'immeuble concerné était situé dans un quartier proposant une offre importante en matière de transport public et il n'était pas certain que les futurs locataires des logements à construire utiliseraient un véhicule motorisé privé. Outre cela, l'OCT avait préavisé favorablement le projet, sans émettre de quelconque réserve à cet égard et l'augmentation de trafic engendrée par la création de quatre logements supplémentaires ne constituait pas un inconvénient grave au sens de l'art. 14 LCI. Il en était de même des nuisances liées à l'exécution d'un chantier.
Sous l'angle de l'esthétique du projet, la recourante ne tentait que de substituer sa propre appréciation subjective à celle de l'instance spécialisée.
11. Le 24 mars 2025, la recourante a transmis des observations spontanées.
Elle avait satisfait à son obligation de collaborer à l'établissement des faits, notamment en proposant un transport sur place. Elle ne disposait pas d'autres moyens de preuves permettant de démontrer la perte d'ensoleillement, fait qui ne relevait pas de sa sphère d'influence. Il appartenait ainsi à l'autorité, sur la base de la maxime inquisitoire, de réunir les renseignements et de procéder aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision.
Les parties intimées avaient admis que la charge de trafic était déjà importante et il ne faisait aucun doute que l'accroissement du trafic engendré par le projet litigieux constituerait une gêne durable pour le voisinage. S'agissant des nuisances liées au chantier, l'autorité devait procéder à un examen au cas par cas des effets du chantier concerné, surtout dans un quartier qui connaissait une circulation importante comme en l'espèce.
Les préavis n'avaient qu'un caractère consultatif et ne liaient pas le département, lequel devait prendre en compte l'ensemble des intérêts en présence. Le projet litigieux ne comportait aucune végétation, de sorte que le souhait de la commune n'était pas respecté.
12. Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. D'emblée, le tribunal relèvera que le fait que la remarque de la recourante s'agissant du silence des autres parties intimées, hormis M. C______ et le département, n'est pas pertinente, dans la mesure où il suffit que l'un des copropriétaires s'oppose à ses arguments pour que persiste l'intérêt à ce que la cause soit tranchée.
4. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.
Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).
5. Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_136/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).
6. Selon le principe de la maxime d'office prévu par l'art. 19 LPA, l'autorité établit les faits d'office sans être limitée par les allégués ou les offres de preuves des parties. Elle réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties (art. 20 LPA). Le principe de l'instruction d'office est toutefois contrebalancé par le devoir de collaboration des parties (art. 22 LPA), qui sont tenues de collaborer à la constatation des faits dans les procédures qu'elles introduisent elles-mêmes, dans celles où elles prennent des conclusions indépendantes, ainsi que dans les autres cas prévus par la loi. Si l'administré a fait les efforts nécessaires pour collaborer à l'établissement des faits, l'autorité doit entreprendre les recherches que l'on peut raisonnablement exiger d'elle pour élucider la situation de fait. Cela étant, lorsque les preuves font défaut, ou si l'on ne peut exiger de l'autorité qu'elle les recueille, la règle de l'art. 8 CC est applicable : celui qui prétend titrer un droit de l'existence d'un fait, subit les conséquences de l'absence de preuve à cet égard (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1559 ss, p. 527 s. et les références citées).
7. En procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_668/2011 du 12 avril 2011 consid. 3.3 ; ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b). L’autorité forme librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées. Cette liberté d’appréciation, qui doit s’exercer dans le cadre de la loi, n’est limitée que par l’interdiction de l’arbitraire.
8. En préambule, la recourante sollicite la tenue d'un transport sur place, notamment pour démontrer la perte d'ensoleillement qu'elle allègue.
9. Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références).
Il comprend notamment le droit, pour l'intéressé, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités).
Le droit de faire administrer des preuves n'empêche pas l'autorité (ou le juge) de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes, de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières ou de mettre un terme à l'instruction, lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_725/2019 du 12 septembre 2019 consid. 4.1 ; 2C_1125/2018 du 7 janvier 2019 consid. 5.1 ; 1C_212/2018 du 24 avril 2019 consid. 4.1).
10. En l'occurrence, la recourante perd de vue qu'elle supporte le fardeau de la preuve des faits qu'elle allègue. Si elle estime que la réalisation du projet litigieux lui causerait une importante perte d'ensoleillement, il lui appartient de faire réaliser une étude examinant cette question par un expert de son choix. En effet, selon la jurisprudence, il appartient à celui qui se prévaut d'une perte d'ensoleillement d'en apporter les éléments probants, notamment par la production de plans ou des projections d'ombres portées (arrêt 1C_582/2012 du 9 juillet 2013 consid. 4.2). La voie d'une mesure d'instruction complémentaire, notamment un transport sur place ou une expertise judiciaire, ne permet pas à un justiciable d'apporter une preuve que celui-ci est à même de produire par lui-même. Au contraire, cette mesure d'instruction vise à permettre à l'autorité judiciaire de trancher une question technique spécifique en cas d'éléments probants divergents. Partant, il ne sera pas fait droit à la mesure d'instruction sollicitée, en soi non obligatoire.
11. La recourante fait valoir que l'autorisation de construire litigieuse causerait des inconvénients graves au voisinage au sens de l'art. 14 LCI, en raison de la perte d'ensoleillement due au projet, de l'augmentation du trafic et des nuisances liées à l'exécution du chantier. Elle fait également valoir que le projet violerait l'art. 15 LCI.
12. À teneur de l’art. 14 al. 1 LCI, le département peut refuser une autorisation de construire notamment lorsqu’une construction ou une installation peut être la cause d’inconvénients graves pour les usagers, le voisinage ou le public (let. a) ou peut créer, par sa nature, sa situation ou le trafic que provoque sa destination ou son exploitation, un danger ou une gêne durable pour la circulation (let. e).
Cette disposition appartient aux normes de protection qui sont destinées à sauvegarder les particularités de chaque zone, en prohibant les inconvénients incompatibles avec le caractère d’une zone déterminée. Elle n’a toutefois pas pour but d’empêcher toute construction dans une zone à bâtir qui aurait des effets sur la situation ou le bien-être des voisins (ATA/1103/2021 du 19 octobre 2021 consid. 18b). La construction d’un bâtiment conforme aux normes ordinaires applicables au régime de la zone ne peut en principe pas être source d’inconvénients graves, notamment s’il n’y a pas d’abus de la part du constructeur. Le problème doit être examiné par rapport aux caractéristiques du quartier ou des rues en cause (ATA/285/2021 du 2 mars 2021 consid. 8b).
13. La notion d’inconvénients graves est une norme juridique indéterminée, qui doit s’examiner en fonction de la nature de l’activité en cause et qui laisse à l’autorité une liberté d’appréciation. Celle-ci n’est limitée que par l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation. Le pouvoir d’examen s’exerce dans les limites précitées, sous réserve du respect du principe de proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable et de l’intérêt public en cas d’octroi d’une autorisation (ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5b et les références citées).
14. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser qu’en s’inspirant de la réglementation existante, une perte d’ensoleillement pour les bâtiments environnants due à une ombre qui recouvre la totalité de l’habitation ou du bien-fonds voisin, de deux heures au maximum, à l’équinoxe ou un jour moyen d’hiver était, en principe, admissible. Toutefois, la question devait être examinée par l’autorité avec un large pouvoir d’examen, compte tenu des circonstances locales. Le critère de deux heures ne saurait au surplus avoir une portée absolue et constituer à lui seul l’élément décisif (ATF 100 Ia 334 consid. 9b et 9d ; ATA/448/2021 du 27 avril 2021 consid. 8a et les références citées). Il a également indiqué que, dans la mesure où la construction projetée respectait les prescriptions applicables à la zone (indice d’utilisation du sol, gabarit, distances aux limites, etc.), il n’existait pas de droit du voisin à voir sa parcelle ensoleillée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_582/2012 du 9 juillet 2013 consid. 4.3).
La chambre administrative a également précisé qu’en l’absence de réglementation cantonale en la matière, un inconvénient grave peut exister au sens de l’art. 14 al. 1 let. a LCI lorsque les nouvelles constructions occasionnent sur celles existantes une absence d’ensoleillement supplémentaire de deux heures, cette mesure étant prise par rapport à la date des équinoxes. Une perte plus importante est néanmoins admissible en fonction de l’intérêt public lié à la nouvelle construction (ATA/789/ 2002 du 10 décembre 2002). Il convient de noter que cette jurisprudence ne permet de tenir compte des ombres portées que sur les constructions déjà existantes, et non sur les biens-fonds sur lesquels elles se trouvent. Dans leur principe, ces règles jurisprudentielles sont applicables à toutes les zones (ATA/1103/2021 du 19 octobre 2021 consid. 17b et les références citées).
15. Dans l’ATA/514/2018 du 29 mai 2018, la chambre administrative a considéré que la perte d’ensoleillement causée par un projet de surélévation, qui s’élevait au maximum, pour l’un des quatre bâtiments concernés, à 2,4 heures par jour en moyenne, n’était pas d’une amplitude permettant de considérer qu’il s’agissait d’un inconvénient grave au sens de l’art. 14 let. a LCI. Dans ce cas, il s’agissait d’immeubles construits du côté nord d’un îlot qui subissaient déjà l’ombre portée des bâtiments sis le long de la rue du Stand. Par ailleurs, la construction respectait les gabarits et distances, hormis celle découlant des limites de parcelles qui étaient uniquement liées au découpage de celles-ci (consid. 5).
16. Le Tribunal fédéral a encore précisé que toute projection d’ombre ne saurait constituer une atteinte à la propriété et qu’il appartenait dès lors à l’intéressé d’apporter la preuve du fait qu’il alléguait et en particulier, de quantifier la perte d’ensoleillement subie, puisqu’il tentait d’en déduire un droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_582/2012 du 9 juillet 2013 consid. 3.2).
17. L’art. 14 LCI traite aussi des inconvénients afférents à la circulation, notamment en ce qui concerne le stationnement des véhicules ou la mise en danger des piétons, voire du public (ATF 118 Ia 112), étant relevé que l’accroissement du trafic routier ne crée pas une gêne durable au sens de cette disposition, s’il est raisonnable eu égard à la zone considérée (ATA/285/2021 du 2 mars 2021 consid. 8c ; ATA/259/2020 du 3 mars 2020 consid. 7a).
18. Enfin, l’art. 14 LCI vise les nuisances issues ou induites par la construction ou l’installation projetée elle-même et non celles provoquées par les modalités de sa réalisation. Ainsi, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’était pas arbitraire de considérer que les inconvénients causés par un chantier de construction, notamment la circulation temporairement accrue qui en résultait, ne constituaient pas des inconvénients graves au sens de cette disposition, même si, suivant les circonstances, ils pouvaient être plus ou moins sensibles pour les voisins (arrêt 1P.530/2002 du 3 février 2002 confirmant l’ATA/447/2002 du 27 août 2002 ; cf. aussi ATA/1220/2020 du 1er décembre 2020 consid. 7a et les arrêts cités ; ATA/399/2020 du 23 avril 2020 consid. 7d ; ATA/505/2014 du 1er juillet 2014 consid. 6a ; ATA/521/2010 du 3 août 2010 consid. 5d ; ATA/448/2010 du 29 juin 2010 consid. 6d).
19. L’art. 15 LCI prévoit que le département peut interdire ou n’autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un chemin, d’un site naturel ou de points de vue accessibles au public (al. 1). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la CA ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la commission des monuments et des sites (ci-après : CMNS). Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (al. 2).
Une telle clause fait appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées, dont le contenu varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d'espèce ; ces notions laissent à l'autorité une certaine latitude de jugement. Lorsqu'elle estime que l'autorité inférieure est mieux en mesure d'attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger, l'autorité de recours s'impose alors une certaine retenue. Il en va ainsi lorsque l'interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, de technique, en matière économique, de subventions et d'utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l'esthétique des constructions (ATA/1102/2022 précité consid. 6c et l'arrêt cité).
L’art. 15 LCI reconnaît ainsi au département un large pouvoir d'appréciation. Ce dernier n'est limité que par l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (ATA/383/2023 du 18 avril 2023 consid. 5.3.1).
20. Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Ils n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5d et les références citées).
Selon une jurisprudence bien établie, l’autorité de recours observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l’autorité inférieure suive l’avis de celles-ci. Lorsque la consultation de la CA est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5d et les références citées).
21. En l’espèce, il n’est nullement démontré que la perte d’ensoleillement alléguée atteindra les deux heures supplémentaires d’ombrage, ni même qu’elle recouvrira le bâtiment dont la recourante est propriétaire. Le tribunal rappelle à cet égard que le projet se trouve dans une zone permettant la construction projetée, de sorte que les voisins doivent en principe souffrir une diminution d’ensoleillement de leurs parcelles, qui ne peut en l’espèce être qualifiée de grave en l’absence de tout élément probant contraire. Il en va de même des éventuelles nuisances liées à l'augmentation du trafic, laquelle ne peut qu'être qualifiée de modeste puisqu'il ne s'agit que de la création de quatre logements supplémentaires dans un quartier connaissant déjà un fort trafic routier, comme l'allègue la recourante elle-même. De plus, l’intérêt public à la construction contestée, qui permettra de mettre sur le marché locatif genevois de nouveaux logements en plein centre-ville, doit l’emporter sur les nuisances qui seraient à déplorer. De plus, le projet litigieux est conforme à l’affectation de la zone et il a été préavisé favorablement par l’ensemble des instances de préavis consultées, notamment par la CA et l'OCT.
Il n'en va pas différemment de l'art. 15 LCI, dès lors que l'avis du département se fonde sur les préavis favorables de la commune et de la CA et que la recourante ne parvient pas à démontrer que ces instances auraient analysé le projet sur la base d'éléments dépourvus de pertinence ou négligeant des facteurs décisifs. En particulier, dans son dernier préavis favorable, après avoir requis des modifications du projet, notamment en lien avec le I______, la CA n'a émis aucune réserve concernant une quelconque incompatibilité du projet avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier ni avec les inconvénients pour le voisinage.
Il découle de ce qui précède que les griefs tirés de la violation des art. 14 al. 1 et 15 LCI doivent être écartés.
Pour le surplus, la question des nuisances relatives au chantier relève de l’exécution de l’autorisation de construire, de sorte qu’elle échappe au pouvoir d’examen du tribunal. Il en va de même des potentielles conséquences sous l'angle du droit civil, notamment les possibles demandes de baisse de loyer ou d'indemnité de la part des locataires de la recourante.
22. La recourante prétend que la décision querellée violerait l'art. 23 LCI au motif que le bâtiment concerné par le projet n'était pas identifié comme susceptible d'être surélevé, alors que d'autres bâtiments voisins le sont.
23. Sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (art. 1 al. 1 let. a LCI).
24. Le gabarit de hauteur de l’immeuble projeté, situé en 2ème zone, est réglé par les art. 22 ss LCI.
25. En deuxième zone de construction, l’art. 23 LCI fixe le gabarit de hauteur des constructions : à front ou en retrait des voies publiques ou privées, la hauteur du gabarit ne peut dépasser de plus de 3 m la distance fixée entre alignements (H ≤ D + 3) (al. 1). Par rapport aux limites de propriétés privées, la hauteur du gabarit est calculée conformément à l'art. 25 al. 1 LCI (H ≤ 2D + 3) (al. 2). Afin de permettre la construction de logements supplémentaires, le département peut autoriser une augmentation de la hauteur du gabarit, à condition que celle-ci ne compromette pas l'harmonie urbanistique de la rue ; il est notamment tenu compte du gabarit des immeubles voisins (al. 3). Après consultation de la commune et de la CMNS, le département établit des cartes indicatives, par quartier, des immeubles susceptibles d'être surélevés. La délivrance d'une autorisation en application de l'alinéa 3 est subordonnée à l'adoption par le Conseil d'Etat de la carte applicable à l'immeuble concerné (art. 23 al. 4 LCI). À front ou en retrait des voies publiques ou privées, la hauteur du gabarit ne peut toutefois pas dépasser de plus de 6 m la distance fixée entre alignements (H ≤ D + 6). La hauteur du gabarit est calculée, par rapport aux limites de propriétés privées, conformément à l'art. 25 al. 2 LCI (H ≤ 2D + 6) (al. 5). La hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 24 m (H ≤ 24). Afin de permettre la construction de logements supplémentaires au sens des al. 3 à 5, la hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 30 m (H ≤ 30) (al. 6).
26. S'agissant des cartes indicatives des immeubles susceptibles de faire l'objet d'une surélévation, sur la base des travaux préparatoires de la disposition légale qui les institue (art. 23 al. 1 LCI), elles n'empêchent pas de surélever les immeubles qui ne sont pas mentionnés sur ces cartes, pas plus qu'elles n'impliquent nécessairement la possibilité de surélever des immeubles lorsqu'au contraire ils y sont mentionnés, mais qu'il s'avère que les conditions légales d'une surélévation ne sont pas réunies. En outre, quand bien même ces cartes n'ont qu'une valeur indicative, aucune surélévation ne pourra être réalisée avant que le Conseil d'Etat n'ait adopté la carte applicable à l'immeuble concerné (MGC 2006-2007/XI A - 9982).
27. En l'espèce, l'absence de mention de l'immeuble concerné sur la carte indicative des immeubles susceptibles d'être surélevés, conformément à la jurisprudence mentionnée ci-dessus, n'est pas déterminant et ne saurait conduire à l'annulation de l'autorisation de construire litigieuse, notamment en cas de préavis favorables des instances compétentes, comme c'est le cas en l'espèce.
Le grief sera écarté.
28. La recourante considère que le département aurait commis un excès négatif de son pouvoir d'appréciation en suivant l'avis de la CA concernant l'octroi de la dérogation de l'art. 11 al. 6 LCI, et que le dernier préavis de cette dernière ne serait pas suffisamment motivé.
29. À titre préliminaire, il convient de rappeler que si l’art. 23 LCI règle les dimensions du gabarit de hauteur des immeubles sis en deuxième zone de construction, les dispositions de l’art. 11 LCI restent cependant applicables au sens de l’art. 23 al. 7 LCI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_635/2012 du 5 décembre 2013 consid. 4.2).
30. L’art. 11 LCI permet de déroger, à certaines conditions, aux prescriptions relatives aux gabarits applicables dans la zone concernée. Dans ces circonstances, même si un projet litigieux devait contrevenir aux règles concernant la hauteur du gabarit, il n’est pas arbitraire de considérer que celui-ci pourrait néanmoins être autorisé pour autant qu’il satisfasse aux conditions d’octroi d’une dérogation au sens de l’art. 11 LCI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_362/2011 du 14 février 2012 consid. 5.5).
31. En vertu de l’art. 11 al. 6 LCI, le département peut autoriser, afin de permettre des solutions architecturales particulières et améliorer l’insertion dans le site et après consultation de la CA, l’application de gabarits différents sur les faces d’une construction.
32. Lorsque la loi autorise l’autorité administrative à déroger à l’une de ses dispositions, notamment en ce qui concerne les constructions admises dans une zone, elle confère à cette autorité un pouvoir d’appréciation qui n’est limité que par l’excès ou l’abus, le tribunal n’ayant pas compétence pour apprécier l’opportunité des décisions prises (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5e et les références citées).
33. L’autorité administrative jouit d’un large pouvoir d’appréciation dans l’octroi de dérogations. Cependant, celles-ci ne peuvent être accordées ni refusées d’une manière arbitraire. Tel est le cas lorsque la décision repose sur une appréciation insoutenable des circonstances et inconciliable avec les règles du droit et de l’équité et se fonde sur des éléments dépourvus de pertinence ou néglige des facteurs décisifs. Quant aux autorités de recours, elles doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l’administration accorde ou refuse une dérogation. L’intervention des autorités de recours n’est admissible que dans les cas où le département s’est laissé guider par des considérations non fondées objectivement, étrangères au but prévu par la loi ou en contradiction avec elle. Les autorités de recours sont toutefois tenues de contrôler si une situation exceptionnelle justifie l’octroi de ladite dérogation, notamment si celle-ci répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu’elle est commandée par l’intérêt public ou d’autres intérêts privés prépondérants ou encore lorsqu’elle est exigée par le principe de l’égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5e et les références citées).
34. La délivrance d’autorisations de construire demeure de la compétence exclusive du département, à qui il appartient de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence (ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5d et les références citées).
35. La CA est consultée par le département lorsqu’il doit se prononcer sur l’octroi d’une dérogation au gabarit, tels que définis par les art. 22 ss LCI, lorsque l’immeuble se trouve en 2ème zone de construction (art. 11 al. 4 LCI et art. 23 al. 7 LCI). Selon l’art. 4 al. 1 de la loi sur les commissions d’urbanisme et d’architecture du 24 février 1961 (LCUA - L 1 55) auquel renvoie la dernière phrase de l’art. 11 al. 4 LCI, la CA n’est plus consultée lorsque le projet fait l’objet d’un préavis de la CMNS (art. 4 al. 1 LCUA).
36. La méthode dite « ABCD » proposée dans les directives intitulées « Surélévation d’immeubles de logements » (ci-après : directives surélévation), éditées par le département le 26 septembre 2016 et validées par le Canton et la Ville de Genève, s’adresse aux services et commissions concernés, afin qu’ils puissent évaluer les projets dans le cadre d’une approche commune, raisonnée et documentée, en tenant compte des différents enjeux inhérents à toute surélévation d’un immeuble (urbanistique, patrimoniaux, légaux, etc.), de façon à argumenter les préavis de manière plus circonstanciée. Elle s’adresse également aux requérants et à leurs mandataires, pour lesquels elle constitue un utile manuel d’analyse, lequel sera susceptible de les guider efficacement lors de l’élaboration de leur projet. Par ailleurs, elle leur permettra d’avoir une connaissance préalable précise de la manière dont leurs requêtes seront examinées par les différentes instances chargées de les préaviser (directives surélévation, p. 2 ; ATA/514/2018 du 29 mai 2018 consid. 7).
Les directives surélévation prévoient qu’à partir de mi-2016, les commissions concernées (CA et CMNS), ainsi que les services de l’administration cantonale et communale appliquent la méthode ABCD lors de l’instruction des requêtes en autorisation de construire portant sur des surélévations d’immeubles de logements.
37. Ladite méthode [A (= le quartier), B (= les groupes d’immeubles - le plein), C (= l’espace public / privé - le vide), D (= l’immeuble)] vise à réintégrer une dimension urbaine dans l’évaluation de projets de surélévation, à travers une trame de critères invoqués selon des échelles progressives d’approche.
A. En premier lieu, il s’agit de reconnaître l’appartenance à un quartier et d’identifier les conditions morphologiques propres au tissu urbain. L’analyse réalisée à l’échelle du quartier vise à évaluer les caractères favorables et défavorables des conditions du tissu urbain et à définir le caractère générique ou spécifique de l’objet dans son environnement, définissant d’ores et déjà une posture préalable (directives surélévation, p. 4) ;
B. Le point de vue des « groupes d’immeubles » vise à identifier une entité urbaine restreinte à laquelle l’objet considéré est rattaché. Il recouvre plusieurs formes d’agencement spatial par lequel un bâtiment s’associe à d’autres, la manifestation la plus immédiate et courante étant l’îlot traditionnel. Cette étape consiste d’abord à définir si la surélévation de l’immeuble concerné prétérite la cohérence de l’îlot ou du groupe d’immeubles. Le cas échéant, une réflexion plus large devrait être préconisée pour en déduire le bien-fondé de l’intervention. Cette échelle implique d’identifier les caractéristiques du construit participant à la solidarité de ses parties constitutives, par exemple une unité de langage architectural, un type régulier de couronnement, un alignement des niveaux d’étages et un règne des corniches (directives surélévation, p. 5) ;
C. L’espace public est l’espace perceptif réel de la ville et comporte une dimension scénique qu’une surélévation modifie. Les changements d’alignement induisent par effet direct une augmentation du potentiel de construction en hauteur telle que le décrochement en plan entraîne une fragmentation en élévation. Il s’agit alors de questionner la pertinence d’une construction à atteindre son gabarit légal, si cette opération compromet l’ordre de la rue. Il s’agit d’observer, d’une part, la physionomie de la rue, qualifiée par l’homogénéité ou l’hétérogénéité des constructions qui la bordent et, d’autre part, la géométrie des cours. Ces constats devraient suggérer une attitude à adopter quant à la volumétrie et aux conditions d’ensoleillement de l’espace public / privé (directives surélévation, p. 6).
D. L’échelle de l’immeuble invoque quant à elle la question de la composition, de l’expression architecturale et de l’habitabilité des typologies mises en œuvre. Les attitudes sont diverses et souvent hybrides entre deux positions extrêmes (en mimétisme, par la poursuite à l’identique des caractères en place, ou en rupture, par l’intervention d’un tout autre langage). S’il est illusoire de prédéfinir des règles de composition, chaque cas devrait néanmoins poser la question du degré de continuité nécessaire de la nouvelle construction avec l’existant, pour éviter des réponses caricaturales. Les caractères ordinaires ou singuliers de la situation dans un quartier, l’appartenance à un ensemble et l’identification des caractères symptomatiques de cette appartenance, ainsi que le statut de la surélévation par rapport à l’espace public référent auront permis de relever des traits déterminants qui dessinent les grandes lignes de la syntaxe architecturale. Il s’agit ainsi d’évaluer la justesse d’un parti pris par rapport à une posture que la progression des critères aura permis de préciser (directives surélévation, p. 7).
38. Ces critères ne constituent toutefois pas une méthode unilatérale, au sens où elle produirait mécaniquement un résultat, mais proposent un questionnement selon une appréhension de la ville à plusieurs échelles, qui relève les aspects à observer, de façon à assurer l’adéquation d’une surélévation à un contexte global et local (directive surélévation p. 3 ; cf. ATA/514/2018 du 29 mai 2018 consid. 7). En tant que directives d’application des dispositions légales en cause, ces critères systématisent l’application des dispositions concernées et précisent notamment les documents à fournir, telles des maquettes d’études, pour que l’examen par les commissions de préavis et services soit facilité (directives surélévation, p. 8 ; cf. ATA/514/2018 du 29 mai 2018 consid. 7).
39. Ces directives ne sont fondamentalement pas nouvelles, dans la mesure où elles se situent dans la continuité du travail de la CA qui, depuis décembre 2012, s’était munie d’un protocole, qui retenait déjà que l’analyse des demandes de surélévation devait se faire sur l’ensemble de la rue et la possibilité ou non de surélévation des immeubles proches. Ledit protocole prévoyait notamment la prise de connaissance de représentation 3D (maquette ou photomontage), des cartes indicatives des immeubles susceptibles d’être surélevés, ainsi que des vues aériennes du système d’information sur le territoire genevois. Dans ce document, il était indiqué que la CA avait fait la demande, auprès de la direction des autorisations de construire, d’obtenir la documentation suivante : dessins de gabarits, reportage photographique/photomontage ou maquette, élévation de la rue entière, et, élévations avec l’amorce des façades des immeubles voisins (ATA/514/2018 du 29 mai 2018 consid. 7).
40. La jurisprudence relative aux préavis de la CA retient qu’un préavis favorable n’a en principe pas besoin d’être motivé (ATA/665/2023 du 20 juin 2023 consid. 4.9 ; ATA/414/2017 du 11 avril 2017 consid. 7b confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_297/2017 du 6 décembre 2017 consid. 3.4.2), même si une motivation plus explicite puisse être requise lorsque, par exemple, l’augmentation de la hauteur du gabarit légal est trop importante (ATA/824/2013 du 17 décembre 2013 consid. 5).
Par ailleurs, le tribunal retient que l’art. 11 al. 6 LCI n’oblige pas la CA à motiver ses préavis sous l’angle des multiples critères d’après lesquels il est possible d’analyser l’intégration d’un projet dans son environnement, sauf à rendre son travail excessivement lourd, voire à paralyser son fonctionnement. Cela n’aboutit pas pour autant à l’opacité du dossier, puisque, d’une part, la motivation des préavis peut découler de manière plus ou moins explicite des demandes et remarques émises par l’instance concernée en vue de modification du projet et que, d’autre part, si les circonstances paraissent le justifier, cette instance peut être invitée à donner des explications détaillées en procédure contentieuse (cf. JTAPI/861/2023 du 17 août 2023 consid. 17 ; JTAPI/542/2022 du 24 mai 2022 consid. 23 et les références citées).
41. En l'espèce, il découle de l’instruction du projet querellé qu’après un examen des circonstances du cas d’espèce sur la base d’un dossier documenté, la CA notamment, a validé le principe de la surélévation du bâtiment et s’est déclarée favorable à l’octroi d’une légère dérogation au sens de l’art. 11 al. 6 LCI, après trois précédents préavis sollicitant des modifications du projet et l'apport de pièces complémentaires, notamment s'agissant de l'octroi de la dérogation selon l'art. 11 al. 6 LCI. En outre, les dérogations demandées, clairement indiquées sur les plans du projet, sont modestes, et ne sont pas, en tant que telles, critiquées par la recourante.
La lecture des éléments du dossier ne permet pas de retenir que la CA aurait procédé à une analyse inappropriée ou lacunaire du projet. Son avis n'est manifestement pas fondé sur des éléments dépourvus de pertinence ou négligeant des facteurs décisifs, ou encore, n'est pas guidée par une appréciation insoutenable des circonstances, que ce soit dans son approche ou dans son résultat. En particulier, dans son dernier préavis, après avoir sollicité des modifications du projet, la CA a expressément relevé que le projet répondait aux remarques émises dans ses précédents préavis, raison pour laquelle l'application de l'art. 11 al. 6 LCI notamment était acceptée.
Si son dernier préavis n'est certes pas motivé en détail, cela ne signifie pas que la CA, suivie par le département, n'aurait pas examiné de manière complète et circonstanciée les critères d'octroi de l'autorisation et en particulier l'intégration du bâtiment projeté dans le quartier. Au demeurant, la recourante n'apporte aucun élément concret qui permettrait de remettre en cause cette appréciation.
Dans ces conditions, on ne saurait admettre que le département n'aurait pas fait usage de son pouvoir d'appréciation en suivant notamment l'avis favorable de la CA, soit l'instance compétente en la matière et désignée expressément pas la loi pour l'octroi d'une dérogation au sens de l'art. 11 al. 6 LCI. Au surplus, on ne saurait également reproché au département un usage excessif ou abusif de son pouvoir d’appréciation en forgeant sa décision sur la base de tous les préavis favorables récoltés pendant l’instruction du dossier, en particulier les préavis successifs de la CA, pour octroyer la dérogation contestée, étant rappelé que lorsque le législateur a conféré à l’autorité de décision un pouvoir d’appréciation dans l’application d’une norme, le juge qui, outrepassant son pouvoir d’examen, corrige l’interprétation ou l’application pourtant défendable de cette norme à laquelle ladite autorité a procédé, viole le principe de l’interdiction de l’arbitraire.
En définitive, la recourante entend avant tout substituer sa propre appréciation à celle du département. Le fait que celui-ci - et avant lui la CA - ait procédé à une appréciation différente de la sienne ne permet pas de retenir qu’il se serait fondé sur des critères et considérations dénués de pertinence et étrangers au but visé par la disposition précitée, en particulier sur des critères dérogeant aux lignes directrices énoncées dans les directives de surélévation, étant au demeurant rappelé que celles-ci n’ont pas force de loi. Dès lors, le tribunal, qui doit faire preuve de retenue et respecter la latitude de jugement conférée à cette dernière, ne saurait en corriger le résultat en fonction d’une autre conception, même si celle-ci n’est en soi pas dénuée de pertinence, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit de faire (art. 61 al. 2 LPA).
Par conséquent, il appert que le département n'a pas excédé ou abusé du pouvoir d'appréciation conféré par l'art. 11 al. 6 LCI en délivrant l'autorisation querellée sur la base, notamment, du préavis favorable de la CA, lequel n'avait pas besoin d'être motivé compte tenu de l'ensemble de l'instruction effectuée par cette instance.
Le grief est ainsi écarté.
42. Entièrement mal fondé, le recours est rejeté.
43. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
44. Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de la recourante, sera allouée à M. C______ (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 11 septembre 2024 par A______ SA contre la décision du département du territoire du ______2024;
2. le rejette ;
3. met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. condamne la recourante à verser à Monsieur B______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.- ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant : Kristina DE LUCIA, présidente, Diane SCHASCA, Nadia CLERIGO CORREIA, Thierry ESTOPPEY et Manuel BARTHASSAT, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Kristina DE LUCIA
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
| Genève, le |
| Le greffier |