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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1881/2024

ATA/1444/2024 du 10.12.2024 ( AMENAG ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1881/2024-AMENAG ATA/1444/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 décembre 2024

 

dans la cause

 

A______
B______ recourants

représentés par Me François BELLANGER, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE intimé



EN FAIT

A. a. A______ et B______ sont copropriétaires de la parcelle no 823, feuille 1______ du cadastre de la commune de C______, d’une surface de 1'955 m2 sur laquelle sont édifiés un bâtiment d’habitation comportant deux logements (no C1______) d’une surface de 119 m2 au sol, un autre bâtiment de 50 m2 (no 2______) et un garage d’une surface de 17 m2 (no 3______). La parcelle est sise en zone 5 de construction à l’adresse ______, chemin D______.

b. La parcelle figure dans un « périmètre B » des « secteurs à protéger/à ménager » prévus par le plan directeur communal (ci-après : PDCom), zone concentrant une majorité de bâtiments d’intérêt patrimonial secondaire et qui n’ont pas fait l’objet d’une documentation dans le cadre du recensement architectural du canton de Genève (ci-après : le recensement ou RAC) mais qui présentaient un intérêt patrimonial.

c. La fiche RAC-CBS-5037 établie par l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) et validée par la commission scientifique de suivi le 6 décembre 2018, indiquait que le bâtiment n’avait pas été évalué, étant non accessible. La villa avait été construite en 1902 par l’entrepreneur Lucien DUPONT « pour DE L’HARPE », propriétaire de la parcelle (TP 1902/154 d 1er mai 1902). Un garage avait été construit en 1930 (DD 3______ du 9 octobre 1930).

La fiche RAC révisée attribue la valeur « intéressante » à la parcelle. Le chalet, agrandi en 2002 et en 2005 présentait un riche décor sculpté qui semblait bien conservé malgré les transformations. Le bâtiment s’inscrivait dans la vague des chalets construits à Genève suite à l’Exposition nationale de 1896.

d. Il ressort du site du suivi des autorisations de construire de l’office des autorisations de construire du département du territoire (ci-après : le département) que les autorisation suivantes ont été délivrées : agrandissement de la villa le 3 août 2005 (APA 4______) ; construction d’un garage, un couvert à voiture, une piscine, un muret de soutènement ainsi qu’un pavillon de jardin les 24 mars 2006, 19 mars 2008 et 23 février 2010 (APA/5______1, 2 et 3) ; transformation et agrandissement de la villa par l’aménagement de deux pièces pour un cabinet médical le 8 novembre 2022 (DD 6______) projet abandonné ; rénovation intérieure et extension de la villa le 31 mai 2022 (APA/7______/1) et une autorisation pour la reconstruction et extension de la villa demandée le 1er juillet 2022 (APA/8______/1).

B. a. Dans le cadre de l’instruction de l’APA/8______/1, une visite des lieux a été effectuée le 23 septembre 2022, par des représentants du service des monuments et sites (ci-après : SMS) et du service de l’inventaire des monuments d’art et d’histoire (ci-après : IMAH). Un rapport a été rédigé par le représentant de l’IMAH reprenant l’historique de la parcelle et de la villa-chalet ainsi qu’une analyse de sa valeur patrimoniale accompagné de nombreuses photographies de l’intérieur et de l’extérieur de la villa ainsi que du reste de la parcelle. En 1902, suite au démantèlement du domaine de la Petite-Paumière, propriété DE L’HARPE depuis 1888, la construction d’un chalet avait été réalisée, dont les plans figuraient en partie au dossier. Le bâtiment présentait un rez-de-chaussée surélevé, un escalier d’accès principal établi latéralement, un second escalier latéral desservant la véranda, une véranda ouverte, une toiture ornée d’un lambris, de feuilles et d’épis de faîtage en bois. La composition des façades était symétrique et la construction de style vernaculaire. Le soubassement était en pierre calcaire. Le système constructif n’était pas de type Blockbau mais de type Ständerbau, formé d’une grille poteau-poutres. Le plan était carré se développant sur les deux niveaux surmonté d’un comble aménagé. L’étage était séparé du rez-de chaussée par un cordon à modillon. Les balcon et balconnet étaient en bois avec des gardes-corps en bois découpé, une terrasse était aménagée au-dessus de la véranda avec un garde-corps en bois découpé. À l’intérieur, se trouvaient une salle à manger garnie de lambris, trois cheminées dont une en marbre au salon, des parquets anciens dont celui du salon avec motif type Versailles. Parmi les transformations, il y avait eu la réunion du salon et de la salle à manger, le changement du revêtement du sol du dégagement et du hall d’entrée, le remplacement de l’ensemble des fenêtres, la fermeture de la véranda puis de la terrasse aménagée sur cette dernière. Deux lucarnes avaient été percées dans les combles, entre 1921 et 1930. En 2021, des dégâts à l’étage (cloisons) et en façade avaient eu lieu suite à un départ de feu. On trouvait quelques dégâts d’eau au rez-de-chaussée. L’incendie avait donné lieu à la demande d’autorisation APA 8______/1.

La typologie et l’architecture étaient caractéristiques de l’art de construire dans la région au tournant du XXe siècle : composition équilibrée, matériaux et mise en œuvre de qualité (lambris et parquets du grand salon) bon état général d’entretien. En dépit de l’absence de renommée du maître d’œuvre, en dépit également du remplacement de l’ensemble des fenêtres et de la création à l’étage d’un « petit salon » à l’emplacement de la terrasse et de la chambre donnant au sud, il apparaissait que cet objet présentait un intérêt patrimonial.

b. Le 2 décembre 2022, l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) a ouvert une procédure de mise à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés du bâtiment no C1______ et de la parcelle no 823.

c. Dans sa séance du 15 décembre 2022, le conseil administratif de la commune a préavisé favorablement la demande d’inscription de mise à l’inventaire du bâtiment et de la parcelle.

d. Dans le cadre de la procédure d’APA 8______, compte tenu de l’ouverture de la procédure de mise à l’inventaire et après avoir demandé des modifications du projet le 6 décembre 2022, le SMS a préavisé favorablement le projet le 13 mars 2023, sous conditions. L’autorisation a été délivrée le 22 mars 2023 et le chantier ouvert le 11 avril 2023.

e. Par préavis du 18 juillet 2023, la commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) s’est déclarée favorable à la mesure de mise à l’inventaire de la parcelle et de la villa-chalet. La CMNS reprenait pour l’essentiel la motivation développée dans le rapport de visite de l’IMAH et concluait qu’au vu du témoignage d’un courant architectural que constituait la villa-chalet, de son système constructif et de ses qualités matérielles, elle préavisait favorablement l’inscription à l’inventaire du bâtiment no C1______ et de ses abords, soit la parcelle no 833.

f. Le 28 août 2023, les copropriétaires se sont opposés à la mise à l’inventaire de leur maison. Le bâtiment ne remplissait aucun des critères usuels retenus pour l’analyse du bien-fondé d’une mesure de protection du patrimoine, à savoir le fait que le bâtiment était d’un type particulier dont il aurait été le premier à être réalisé, et un objet rare ou de qualité particulière, était associé avec un personnage ou un événement historique important, ou encore avait un lien avec un savoir-faire particulier. La maison avait subi d’importants travaux de modification. L’incendie avait détruit une partie de la maison avec pour conséquence d’importants travaux de reconstruction faisant l’objet de l’APA 8______. Déjà avant l’incendie, la maison n’avait plus aucune de ses caractéristiques d’origine. Après l’incendie et la reconstruction autorisée, il s’agira d’une maison quasiment neuve. Éventuellement la mesure pourrait ne porter que sur la façade sud, à l’exclusion de la partie modifiée, s’agissant du seul élément rappelant la construction de 1902.

Le 11 octobre 2023, ils ont persisté dans leur opposition, relevant que les préavis, notamment celui de la CMNS, occultait l’impact majeur de l’incendie. Les plans de l’APA 8______ en cours d’exécution mettaient en évidence les zones affectées par l’incendie.

g. Par arrêté du 2 mai 2024, le département a approuvé l’inscription à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés du bâtiment no C1______ (villa-chalet) et de la parcelle no 823, feuille 1______ du cadastre de la commune de C______.

Aux termes du rapport de l’IMAH, la valeur « intéressant » avait été attribuée au bâtiment no C1______. Le SMS avait préavisé favorablement les travaux de l’APA 8______ et les préavis de la commune et de la CMNS étaient favorables à la mesure de protection. Quoique le bâtiment ait subi quelques transformations depuis son édification, ces changements n’avaient pas affecté de façon essentielle le caractère de la construction de 1902, sa cohérence et sa substance étant préservées. Il conservait donc son intérêt architectural et historique, présentant un bon état général d’entretien. Malgré l’incendie survenu en 2021, ayant causé des dommages sur la façade nord ainsi qu’à l’étage, l’édifice demeurait de qualité et bien conservé, plusieurs éléments de décor dignes d’intérêt (boiseries, cheminées, parquets) subsistant à l’intérieur de la villa-chalet. Cette construction – dont la valeur du système constructif et les qualités matérielles étaient notables – constituait un témoignage du courant architectural de la villa-chalet qui avait éclos au début du XXe siècle et du savoir-faire y relatif et qu’elle était également dotée d’une valeur mémorielle. Il présentait donc un intérêt incontestable sur le plan patrimonial et était digne de protection au sens de l’art. 4 loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05).

La mesure répondait à un intérêt public suffisant et n’était pas constitutive d’une restriction à la propriété incompatible avec le respect du principe de la proportionnalité.

C. a. Le 3 juin 2024, les propriétaires ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté du département du 2 mai 2024 approuvant l’inscription à l’inventaire du bâtiment no C1______ et de leur parcelle, concluant à son annulation et subsidiairement à sa modification et à l’inscription uniquement de la façade sud de la villa-chalet.

La décision violait la LPMNS, en retenant l’intérêt patrimonial du bâtiment. L’autorité intimée n’avait pas tenu compte des transformations et de l’état actuel du bâtiment. Notamment, les dégâts dus à l’incendie avaient entraîné d’importants travaux de reconstruction figurant dans l’APA 8______ et portant sur la reconstruction intérieure et l’extension d’une villa suite à un incendie. Une partie des façades nord et est ainsi que le premier étage et les combles avaient été détruits et des dégâts infligés aux plafonds du rez-de-chaussée. Bien que la partie sud n’ait subi aucun dommage, la totalité de la partie nord, considérablement endommagée par l’incendie, avait dû être entièrement refaite, y compris le pan de la toiture, comme le démontraient les plans de l’APA 8______/1. Ni l’extérieur ni l’intérieur de la maison ne méritaient une mesure de protection.

Le but recherché ne pouvait être atteint s’agissant de la conservation et la préservation de l’identité de l’objet. L’évaluation faite dans la fiche du RAC était contestable, l’objet ne répondant à aucun des critères prévus pour cette valeur. D’ailleurs, aucun autre expert, excepté l’OPS, n’avait retenu une valeur à ce bâtiment ou à la parcelle.

La décision violait le principe de proportionnalité en inscrivant l’entier du bâtiment et de la parcelle à l’inventaire, compte tenu notamment de l’état du bâtiment. Seule la façade sud subsistait dans son état original.

La protection pouvait être réalisée par une mesure moins incisive. L’autorité spécialisée, le SMS, pouvait se prononcer dans le cadre de toute demande d’autorisation de construire.

La mise à l’inventaire imposerait des limitations importantes des possibilités de démolition, reconstruction ou transformation du bâtiment qui constituait leur logement. La mesure avait des effets contraignants sous l’angle du confort et de la gestion du bâtiment. Elle déployait également des conséquences économiques négatives.

b. Le 4 juillet 2024, l’OPS a conclu au rejet du recours.

Les recourants n’avaient pas démontré qu’ils ne seraient pas libres d’utiliser l’ouvrage conformément à sa destination. Au contraire, ils avaient pu procéder aux travaux requis par l’APA 8______. La protection de la parcelle n’avait pas pour but d’empêcher tout projet de construction sur le terrain. La mesure respectait le principe de proportionnalité. Il était faux, selon la pratique administrative, que le SMS se prononce dans les cas de demande d’autorisation de construire pour un bâtiment évalué « intéressant », hormis les cas de demandes de démolition.

c. Le 19 août 2024, les recourants ont répliqué, persistant dans leurs conclusions.

C’était par méconnaissance qu’ils n’avaient pas collaboré lors de l’élaboration de la première fiche de recensement. Même si le bâtiment présentait des particularités représentatives des villas de types chalet-suisse du début du XXe siècle, il ne se distinguait pas particulièrement des nombreuses autres maisons présentant un style vernaculaire et similaire de la même période. Le RAC n’avait pas de valeur légale et n’impliquait pas l’adoption automatique de mesures de protection. La mesure omettait de tenir compte dans leur juste proportion des travaux autorisés par l’APA 8______. Le caractère de la construction était affecté de façon essentielle. Le potentiel de construction de la parcelle était durablement paralysé compte tenu de la configuration de la parcelle et la localisation du bâtiment à l’extrémité nord de celle-ci.

d. Le 23 août 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Les recourants contestent le caractère digne de protection de l’immeuble sous plusieurs angles.

2.1 Ils contestent la valeur « intéressant » retenue dans le RAC, sur lequel s’était fondée l’autorité intimée pour rendre sa décision.

2.1.1 La LPMNS prévoit la protection de monuments de l’architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif (art. 4 let. a LPMNS) et contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l’autorité comme au juge une latitude d’appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s’appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d’art mais qu’elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu’ils sont des témoins caractéristiques d’une époque ou d’un style (Philip VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 25). La jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_300/2011 du 3 février 2012 consid. 5.1.1).

2.1.2 Un monument au sens de la LPMNS est toujours un ouvrage, fruit d’une activité humaine. Tout monument doit être une œuvre digne de protection du fait de sa signification historique, artistique, scientifique ou culturelle. Il appartient aux historiens, historiens de l’art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le bâtiment le rendent digne de protection, d’après leurs connaissances et leur spécialité. À ce titre, il suffit qu’au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l’abstrait. Un édifice peut également devenir significatif du fait de l’évolution de la situation et d’une rareté qu’il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s’en écarter (ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 8 ; ATA/561/2020 du 9 juin 2020 consid. 5b).

2.1.3 Tout objet construit ne méritant pas une protection, il y a lieu de procéder à une appréciation d’ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d’un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes. Elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d’une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; 118 Ia 384 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 3d ; ATA/428/2010 du 22 juin 2010 consid. 7c).

2.1.4 De jurisprudence constante, si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours (ATA/1024/2019 du 19 juin 2019 et les arrêts cités). La CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d’associations d’importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/1439/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3b).

En outre, selon une jurisprudence bien établie, la chambre administrative observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité suive l'avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1252/2023 du 21 novembre 2023 consid. 7.2 ; ATA/135/2022 du 1er mars 2022 consid. 9h).

2.1.5 Le RAC, tel que le présente l’IMAH, a été mis en œuvre dans le cadre de l’adoption de la LPMNS, et a été conduit régulièrement jusqu’au début des années 1990. Puis, il a porté ponctuellement sur des secteurs géographiques particuliers ou des thèmes. Depuis 2015, il s'inscrit dans le cadre de l'adoption du Plan directeur cantonal 2030 (fiche A 15 : Préserver et mettre en valeur le patrimoine) et vise à mettre à jour et à compléter les données recueillies dans les années 1970-2000.

Le RAC permet de déterminer la valeur patrimoniale des bâtiments et permet notamment d’orienter l’adoption des mesures de protection mais n’implique pas l’adoption automatique de ces mesures (ATA/842/2023 du 9 août 2023 consid. 5.4). L’évaluation repose sur une échelle de quatre valeurs : exceptionnel, intéressant, intérêt secondaire et sans intérêt, la valeur « non évalué » étant réservée aux bâtiment non accessibles.

2.1.6 La valeur « intéressant » est attribuée aux bâtiments présentant au moins l’un des critères suivants : degré satisfaisant de conservation de la substance architecturale, grande qualité architecturale, structurelle ou décorative, de niveau local ou régional ; exemplarité ou originalité de son architecture (caractère constructif, stylistique, typologique) ; ancienneté ; valeur historique : témoignage d’une activité particulières ; résidence d’un personnage historique ou d’une personne morale ayant une notoriété locale ou régionale ; théâtre d’un évènement historique de portée locale ou régionale, notoriété régionale de son architecte, appartenant à un ensemble ou à un site d’intérêt, de niveau local ou régional.

2.1.7 En l’espèce, il a été retenu par les spécialistes dans le rapport de la visite du bâtiment effectuée le 23 septembre 2022 par une représentante du SMS et un représentant de l’IMAH ainsi que dans le préavis de la CMNS du 18 juillet 2023 que le bâtiment avait une valeur patrimoniale élevée, soit la valeur « intéressant ».

Les recourants avancent qu’aucun des critères retenus par l’IMAH n’est rempli par le bâtiment, alors que les spécialistes ont retenu qu’il s’agissait d’une villa-chalet présentant un système de construction de type Ständerbau, formé d’une grille poteau‑poutres, intéressant et rare à Genève. La typologie et l’architecture étaient caractéristiques de l’art de construire dans la région au tournant du XXe siècle, la composition était équilibrée, les matériaux et la mise en œuvre de qualité que ce soit le système constructif, les lambris et les parquets du grand salon. Un bon état général d’entretien était constaté. En dépit de l’absence de renommée du maître d’œuvre, en dépit également du remplacement de l’ensemble des fenêtres et de la création à l’étage d’un « petit salon » à l’emplacement de la terrasse et de la chambre donnant au sud-est, l’objet présentait un intérêt patrimonial et était évalué « intéressant ».

L’autorité intimée retient une valeur mémorielle au bâtiment, le style vernaculaire qui inclut l’architecture « chalet suisse » plongeant ses racines dans le romantisme bucolique du XIXe siècle. Il a été mis au goût du jour par le « village suisse » de l’exposition nationale de Genève de 1896, laquelle a contribué à la création d’un souffle patriotique dans la région genevoise (Armand BRÜLHART, Les chalets dans la ville, in Le chalet dans tous ses états, Genève, 1999, p. 147).

Elle retient également que l’enveloppe de l’édifice est rythmée par de nombreux éléments de décors et de bois découpé réalisés avec soin : bras de force retenant une toiture légèrement débordante, balcon, balconnet, cordon à modillon, etc. Les balustrades d’origines avaient été maintenues même après la fermeture de la véranda et de la terrasse à l’étage. Plusieurs décors d’intérêt subsistaient encore à l’intérieur, dont les boiseries de l’ancienne salle à manger avec la cheminée, la cheminée en marbre et les parquets de l’ancien salon et une cheminée de marbre à l’étage.

Il appert ainsi que ce sont l’aspect de témoin d’un courant architectural, son système constructif et ses qualités matérielles qui ont motivé la valeur patrimoniale retenue pour le bâtiment, laquelle correspond aux critères développés ci-dessus.

Il faut également retenir le fait que lors d’un recensement antérieur, aucune visite n’a pu être organisée suite au refus des recourants et que la valeur « non évalué » a été indiquée sur la fiche du RAC, ne permet pas de minimiser l’intérêt du bâtiment.

2.1.8 Les recourants font valoir leur propre appréciation quant à la valeur de l’objet, sans motifs objectifs de nature à remettre en cause les considérations de spécialistes en matière de protection du patrimoine. Ils font également valoir le fait que de nombreux bâtiments comporteraient les mêmes caractéristiques que le leur sans toutefois démontrer en quoi leur objet serait en tous points identiques à d’autres bâtiments qui ne présenteraient pas d’intérêt patrimonial. De même, le fait que le bâtiment ne soit pas l’œuvre d’un architecte célèbre n’est pas déterminant, en soi, pour l’adoption d’une mesure de conservation (ATA/1257/2024 du 29 octobre 2024 consid. 4.1.3).

2.1.9 Les recourants allèguent que l’état du bâtiment et ses nombreuses transformations n’avait pas été pris en compte pour évaluer la valeur de l’objet. Les plans des travaux autorisés par l’APA/8______/1 prouveraient l’étendue des dégâts provoqués par l’incendie.

Sur le plan chronologique, il faut relever que la visite effectuée par le SMS et l’IMAH est postérieure à la demande d’autorisation de construire dont se prévalent les recourants et qu’elle a été faite dans le cadre de la procédure d’APA/8______/1. En conséquence, les spécialistes ont vu l’état du bâtiment, après les transformations autorisées avant l’incendie mais aussi les dégâts causés par celui‑ci. Il n’est dès lors pas possible de retenir, comme le font les recourants, que l’état du bâtiment n’a pas été pris en compte.

Quant à cet état, les nombreuses photographies qui accompagnent le rapport de visite ainsi que celles des recourants montrent les dégâts occasionnés et leur ampleur qui n’est pas celle, avancée par les recourants, de perte totale de la substance du bâtiment. En effet, la structure du bâtiment n’a été que peu touchée. Le sommet de la façade ouest et nord-ouest, au niveau des combles et le haut de la façade nord-ouest au niveau de l’étage ont été touchés. Le sommet de la façade nord-est n’a été que peu touché et le reste de l’enveloppe, premier étage et rez‑de‑chaussée des façades nord et ouest ainsi que l’intégralité des façades sud et est sont demeurées intactes. À l’intérieur, le comble aménagé, le palier, la chambre donnant côté nord-ouest ont été endommagés mais le côté nord-est a été épargné. À l’étage, la partie ouest et nord-ouest a été endommagée mais la chambre principale dans une moindre mesure, la cheminée et les parquets n’ayant pas été affectés. La chambre nord-est a subi des dégâts au plafond uniquement. Le rez‑de‑chaussée a subi un dégât sur une partie du parquet, suite à un écoulement d’eau. Les plafonds et des cheminées n’ont pas subi de dégâts, sauf l’ancienne bibliothèque donnant à l’ouest. Les remarquables boiseries du grand salon étaient préservées. L’autorisation pour les travaux a été délivrée après que la conservatrice cantonale a demandé une modification du projet, s’assurant par-là que la substance patrimoniale ne soit pas affectée.

En conséquence, il appert que c’est en toute connaissance de cause que l’autorité intimée a pris sa décision, se fondant sur les caractéristiques intrinsèques du bâtiment et sur les préavis favorables de la CMNS et de la commune. La mesure de protection adoptée répond donc aux conditions de la LPMNS pour son adoption.

3.             Les recourants estiment que la mesure viole le principe de proportionnalité.

3.1 L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_386/2010 du 17 janvier 2011 consid. 3.1 ; ATA/1214/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2a).

3.2 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 et les arrêts cités).

3.3 En principe, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont d'intérêt public et celui-ci prévaut sur l'intérêt privé lié à une utilisation financière optimale du bâtiment (ATF 126 I 219 consid. 2c ; 120 Ia 270 consid. 6c ; 119 Ia 305 consid. 4b).

Le sacrifice financier auquel le propriétaire est soumis du fait de la mise à l'inventaire constitue un élément important pour apprécier si l'atteinte portée par cette mesure à son droit de propriété est supportable ou non (ATF 126 I 219 consid. 6c ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_52/2016 du 7 septembre 2016 consid. 3.2). En relation avec le principe de la proportionnalité au sens étroit, une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Constitution si elle produit des effets insupportables pour le propriétaire ou ne lui assure pas un rendement acceptable. Savoir ce qu'il en est, dépend notamment de l'appréciation des conséquences financières de la mesure critiquée (ATF 126 I 219 consid. 6c in fine et consid. 6h ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_52/2016 précité consid. 2 ; 1P.842/2005 du 30 novembre 2006 consid. 2.4). Plus un bâtiment est digne d'être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte (ATF 118 Ia 384 consid. 5 ; ATA/1024/2019 précité consid. 2).

3.4 Les effets d'une mise à l'inventaire sur un immeuble sont son maintien ainsi que la préservation de ses éléments dignes d'intérêt (art. 9 al. 1 LPMNS).

Le fait de ne pouvoir disposer librement de son bien en ce sens que pour tout projet ou intervention, la CMNS ou le SMS doivent être consultés par les propriétaires, ne représente pas d'emblée une entrave insupportable à la garantie de la propriété. Aucune interdiction totale de construire n'a été prononcée. Les contraintes de la mesure sont moins lourdes que celles de tout propriétaire d'un bien-fonds situé en zone protégée ou soumis à une mesure de classement (ATA/783/2012 du 20 novembre 2012 consid. 14 b). Toutefois, la mise à l'inventaire confère à l'objet qu'elle vise une protection plus importante que les seules dispositions en matière de police des constructions, comme le fait la mesure de classement (ATA/783/2012 précité consid. 13).

3.5 En l’espèce, les recourants font valoir des conséquences économiques négatives sans autre précision concernant le type de conséquences ou leur ampleur.

Les recourants conservent leurs prérogatives liées au droit de propriété. S’agissant de la parcelle, leurs explications relatives à la disposition du bâtiment peine à convaincre et rien ne permet d’exclure les possibilités constructives existantes, l’arrêté d’inscription à l’inventaire ne spécifiant pas d’interdiction.

La mesure impose de devoir consulter la CMNS ou le SMS lors du dépôt d’une demande en autorisation de construire, ce que la chambre de céans a déjà jugé comme n’entraînant pas un effet insupportable pour un propriétaire (ATA/352/2021 du 23 mars 2021 consid. 12). Les recourants ont d’ailleurs déjà pu procéder aux travaux qu’ils estimaient nécessaires pendant la procédure d’adoption de la mesure, après la consultation du SMS.

À cet égard, il n’aurait pas été possible, comme l’affirment les recourants, de limiter la protection du bâtiment par un préavis systématique du SMS en cas de demande d’autorisation de travaux, puisque celui-ci n’est exigé qu’en cas de démolition d’un objet ayant la valeur « intéressant » au RAC, selon la pratique administrative du département formalisée dans la directive de l’OPS sur les immeubles dignes d’intérêt, protégés et recensés.

Il appert ainsi que la mesure d’inscription à l’inventaire respecte le principe de proportionnalité, lequel exige un rapport raisonnable entre les effets qu’elle entraîne et le but de protection poursuivi.

Il découle de ce qui précède qu’étant en tous points infondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1LPA) et, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 juin 2024 par A______ et B______ contre l’arrêté du département du territoire du 2 mai 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de A______ et B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me François BELLANGER, avocat des recourants, au département du territoire ainsi qu’à l’office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Blaise PAGAN, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :