Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/414/2025 du 02.06.2025 sur ONMMP/1898/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/9042/2025 ACPR/414/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 2 juin 2025 |
Entre
A______, domicilié ______, agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 16 avril 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 22 avril 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 avril 2025, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur sa plainte.
Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'ouverture de l'instruction.
b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______, né le ______ 1958, a consulté à plusieurs reprises, dès le 28 octobre 2024, le Dr B______, spécialiste en Urologie au centre médical C______ SA (ci-après: le C______).
Le 30 octobre 2024, Dr B______ a émis un rapport qui faisait brièvement état de la pathologie de son patient et du traitement médical mis en place (ci-après: le rapport médical).
b. Le 30 octobre 2024 encore, A______ a signé un formulaire, intitulé, en gras et en anglais, "Guarantee of payment" et "Medical Release Form". Sa signature a été apposée sous la déclaration suivante : "I, the patient, A______, releases the hospital/doctor from the doctor-patient confidentially. I agree that all medical information can be submitted", soit en traduction libre: "Je soussigné, A______, libère l'hôpital/le médecin du secret médical. J'accepte que toutes les informations médicales puissent être transmises". L'intéressé, outre apposer sa signature sous cette phrase, l'a complétée en mentionnant, à la main, ses deux prénoms et son nom de famille, ainsi que la date.
c. Les 31 mars et 1er avril 2025, trois factures ont été émises par D______ [services administratifs pour médecins; ci-après : D______] concernant les honoraires de deux médecins prestataires du C______, dont le Dr B______, pour des consultations intervenues les 4 et 22 novembre, ainsi que le 17 décembre 2024.
A______ indique avoir reçu ces factures le 3 avril suivant, accompagnées du rapport médical précité.
d.a. A______ a adressé un courriel au directeur de D______ le 4 avril 2025, dans lequel il se référait à l'entretien téléphonique ayant eu lieu le même jour, et demandait des explications quant à la provenance de ce document médical. Il réclamait l'effacement total de son dossier en vue de garantir son droit à la confidentialité.
d.b. Le même jour, A______ a déposé un courrier à la réception du C______ concernant la "violation du secret médical et traitement non conforme des données personnelles". Il y exprimait sa préoccupation au sujet de la transmission de ses informations médicales à D______. Le 3 avril 2025, il avait en effet reçu de la part de cette dernière, copie d'un "rapport médical" détaillant sa pathologie et son traitement, accompagné de factures, ce qu'il considérait comme une violation du secret médical (art. 321 CP). Il n'avait pas donné son consentement écrit pour une telle transmission. La divulgation d'informations médicales avec consentement explicite pouvait intervenir uniquement à des fins strictement nécessaires à la prestation, par exemple à des fins administratives liées aux assurances, à l'exclusion d'une structure de recouvrement, telle que D______. Le C______ avait ainsi manqué à ses obligations légales en matière de confidentialité.
Ce courrier est resté sans réponse.
e. Par courriel du 9 avril 2025, le responsable du centre de traitement Romandie de D______ a expliqué à A______ que le prestataire de soins concerné avait envoyé un fichier PDF intitulé "garantie de prise en charge" regroupant plusieurs documents, y compris le "rapport médical". Ce fichier PDF, comprenant tous les documents, avait été enregistré à réception dans le dossier de la facture. Ces documents avaient ensuite été imprimés en même temps que la facture lors de sa mise sous pli automatique pour expédition. Ils avaient supprimé le rapport médical en question de leurs données et étaient extrêmement désolés pour cet événement. Ils mettaient tout en œuvre pour que de telles situations ne se reproduisent plus.
f. Le 13 avril 2025, A______ a déposé plainte en raison de ces faits contre le C______, en invoquant une violation du secret médical de l'art. 321 CP et de ses données personnelles (Loi fédérale sur la protection des données [LPD; RS 235.1].
C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que les éléments constitutifs de la violation du secret médical n'étaient manifestement pas réunis, compte tenu du consentement écrit de A______ du 30 octobre 2024.
D. a. Dans son recours, A______ admet avoir signé le document afférent à la garantie de paiement, lequel ne valait toutefois pas renonciation générale et illimitée au secret médical. Sa signature visait seulement à permettre la transmission des données nécessaires pour la facturation à l'assurance E______ et non à des entités tierces, comme D______. Aussi, il détenait une preuve de son échange téléphonique, lors duquel le responsable de D______ avait reconnu la violation du secret médical par le prestataire C______. En outre, le consentement au traitement de données personnelles, plus précisément de données sensibles liées à la santé, devait être spécifique, éclairé et limité à un but précis. La transmission de "l'intégralité" de son "rapport médical" à une entité administrative externe excédait manifestement le "cadre", ce qui avait finalement eu pour conséquence d'affecter sa vie privée, ainsi que sa confiance envers le centre médical concerné.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte.
2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, une ordonnance de non-entrée en matière est immédiatement rendue s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs d’une infraction ou les conditions à l’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1).
2.2. Se rendent coupables de violation du secret professionnel au sens de l'art. 321 ch. 1 CP, les professionnels énumérés par cette disposition, dont les médecins, qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci. Cette infraction est poursuivie sur plainte.
2.3.1. Révèle un secret au sens de cette disposition celui qui confie à un tiers non habilité à le connaître ou qui permet que ce tiers en prenne connaissance (ATF
142 IV 65 consid. 5.1). Par "révélation", il faut entendre non seulement toute communication orale ou écrite, mais également la remise de documents ou d'autres objets (C. FAVRE / M. PELLET / P. STOUDMANN, Code pénal annoté, 3e éd., Lausanne 2011, n. 1.3 ad art. 321 CP).
2.3.2. La violation du secret ne peut être commise que de manière intentionnelle. Le dol éventuel suffit, alors que la négligence n'est pas punissable (C. FAVRE / M. PELLET / P. STOUDMANN, op. cit., n. 1.2 ad art. 321 CP).
2.4. L'art. 321 ch. 2 CP prévoit que la révélation n'est pas punissable si elle est faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'autorise par écrit. Seul le professionnel soumis au secret est en droit d'en requérir la levée (ATF 142 II 256 consid. 1.2.2 p. 258).
2.4.1. Le consentement est un droit strictement personnel au sens de l'art. 19c du Code civil [CC]. Il doit en principe intervenir avant la révélation du secret. Il n'est soumis à aucune forme particulière et peut être exprès, donné de manière tacite ou par un comportement concluant de celui-ci, mais il doit être donné par le titulaire du droit au secret (C. FAVRE / M. PELLET / P. STOUDMANN, op. cit., n. 2.1 ad art. 321 CP). Le consentement écrit doit indiquer quelles informations sont concernées et à qui elles peuvent être révélées. Il peut valablement figurer dans un formulaire "préimprimé" à la condition que la clause de libération du secret apparaisse particulièrement en évidence. Idéalement, la clause devrait être spécifiquement approuvée par l'apposition d'une signature figurant à côté de la clause, de telle manière à s'assurer que le signataire a bien été rendu attentif à son contenu (F. ERARD, Le secret médical – Etude des obligations de confidentialité des soignants en droit suisse, Thèse, Zurich 2021 p. 339).
2.4.2. Le consentement peut fixer dans quelles limites la révélation est autorisée; ainsi, la personne peut prescrire que seuls certains faits seront communiqués, restreindre le cercle des destinataires et déterminer les circonstances et le moment de l'information; le consentement n'est justificatif que si le professionnel en a respecté les limites (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, Berne 2010, n. 49 ad art. 321 CP).
Le patient est donc libre de déterminer l'étendue des informations révélées, de fixer un cadre. À cet égard, le Tribunal fédéral a par exemple rappelé que le médecin-conseil auquel faisait appel un employeur pour évaluer la capacité de travail d'un employé était soumis au secret professionnel et que la communication de son rapport à l'employeur dépendait de l'existence du consentement du travailleur et de son étendue (ATF 143 IV 209 consid. 1.2).
Le consentement est considéré comme libre lorsque la personne concernée n’a pas subi de menace, de pression déraisonnable, directe ou indirecte, ou de tromperie de la part de l’auteur du traitement ou d’un tiers. Le consentement éclairé signifie que le patient doit disposer de tous les éléments du cas d’espèce qui lui permettent de prendre librement sa décision (F. ERARD, op. cit., p. 350-351).
2.5. Au sens de l'art. 31 LPD, une atteinte à la personnalité est illicite à moins d'être justifiée par le consentement de la personne concernée.
L’art. 6 al. 6 LPD énonce que lorsque son consentement est requis pour justifier le traitement de données personnelles la concernant, la personne concernée ne consent valablement que si elle exprime sa volonté librement et après avoir été dûment informée. Lorsqu’il s’agit de données sensibles, telles que les données sur la santé, son consentement doit être au surplus exprès (art. 5 let. c cum art. 6 al. 7 let. a LPD).
3. En l'espèce, le recourant ne conteste pas avoir signé un formulaire de consentement, mais s'oppose à l'interprétation que lui donne le Ministère public. Il n'aurait consenti au transfert de ses données personnelles que pour la facturation des prestations médicales à son assurance.
Le formulaire de consentement versé au dossier par le recourant est "préimprimé". Le le patient devait compléter le texte même, figurant sous le titre "Medical Release Form" par l'ajout manuscrit de son nom, ce que le recourant a fait, outre le dater et le signer, toujours de sa main, juste sous la phrase "I, the patient, A______, releases the hospital/doctor from the doctor-patient confidentially. I agree that all medical information can be submitted", soit en traduction libre: "Je soussigné, A______, libère l'hôpital/le médecin du secret médical. J'accepte que toutes les informations médicales puissent être transmises". Le recourant ne pouvait pas comprendre autrement son contenu que comme valant, notamment, levée du secret médical et non d'une simple garantie de paiement, telle que prévue par la partie supérieure de ce document. Son consentement écrit visait donc la levée du secret médical pour l'ensemble des informations médicales détenues par le prestataire C______, y compris les informations médicales au sujet de sa pathologie.
En outre, le recourant, qui avait la possibilité de fixer une limite à son consentement, en exprimant en particulier sa volonté de transmettre uniquement certaines informations médicales déterminées ou restreindre le cercle des destinataires, par exemple en excluant les sous-traitants du prestataire, ne l'a pas fait. Ceci vaut pour D______, qui procède notamment à la facturation pour le compte de praticiens. N'ayant pas reçu d'instructions dans ce sens, il ne peut être reproché au prestataire C______ de s'être écarté de la volonté du patient quant au traitement de ses données.
Ainsi, le recourant devait savoir qu'en signant un consentement à la levée du secret médical, sans fixer de limite, il autoriserait le prestataire C______ à transmettre à ses sous-traitants toutes les informations médicales le concernant, notamment pour la facturation.
Autre est la question de savoir si D______ avait besoin, pour procéder à la facturation, du rapport médical du 30 octobre 2024 établi par l'urologue que le recourant a consulté et décrivant brièvement ses symptômes et le traitement mis en place. À lire la réponse du 9 avril 2025 du responsable du Centre de traitement Romandie de D______ aux doléances du recourant, il semble que cette transmission soit intervenue à la suite d'une maladresse du centre médical mis en cause par le recourant, autrement dit une négligence, laquelle n'est pas punissable par l'art. 312 CP. Le document litigieux a en effet été transmis par le centre médical dans un fichier intitulé "garantie de prise en charge" regroupant plusieurs documents, y compris le "rapport médical", fichier qui avait été enregistré à réception par D______ dans le dossier de la facture avant d'être imprimé, en même temps que "la facture" (en l'occurrence au nombre de trois) lors de sa mise sous pli automatique pour expédition, d'où sa réception par le recourant. Le rapport médical en question a été effacé des données de D______ qui s'est dite désolée de cet incident.
Au vu de ce qui précède, les éléments constitutifs de l'art. 321 CP n'apparaissent pas remplis.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, ainsi qu'au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et
Catherine GAVIN, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/9042/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'085.00 |