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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18456/2023

ACPR/314/2025 du 17.04.2025 sur OTMC/947/2025 ( TMC ) , REFUS

Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;RISQUE DE COLLUSION;RISQUE DE RÉCIDIVE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.221; CPP.237

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18456/2023 ACPR/314/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 17 avril 2025

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de Champ-Dollon, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de mise en liberté rendue le 24 mars 2025 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


 

EN FAIT :

A.           Par acte déposé le 1er avril 2025, complété le 3 suivant, A______ recourt contre l'ordonnance du 24 mars 2025, notifiée le jour-même, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) a refusé d'ordonner sa mise en liberté.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à la constatation de la violation des principes de la célérité et de proportionnalité, à l'annulation de l'ordonnance précitée et à sa libération immédiate sous mesures de substitution [qu'il énumère].

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 3 mai 2024, le Ministère public a prévenu A______ d'injure (art. 177 CP), menaces (art. 180 CP), tentative de violation de domicile (art. 22 cum 186 CP), voire tentative de contrainte (art. 22 cum 181 CP) et utilisation abusive d'une installation de télécommunication (art. 179septies CP), pour avoir :

- le 13 juin 2023, menacé sa voisine, en tentant d'ouvrir la porte de son appartement et d'entrer chez elle, en lui disant "salope" et "portugaise de merde", "ouvre la porte, je vais te tuer";

- entre septembre 2023 et le 17 janvier 2024, à réitérées reprises, menacé de mort son épouse, C______, et lui avoir dit qu'elle allait payer le fait qu'il était à D______;

- entre le 14 novembre 2023 et le 17 janvier 2024 à tout le moins, régulièrement importuné son épouse en l'appelant et lui laissant des messages, notamment en l'appelant à 88 reprises le 13 janvier 2024;

- le 14 novembre 2023, injurié C______ en lui disant "pute", "connasse".

b. Par ordonnance du 16 juillet 2024, le Tribunal de première instance (ci-après, TPI) a, sur mesures superprovisionnelles, fait interdiction à A______ d'approcher à moins de 100 mètres son épouse et leur atelier de couture, et de la contacter de quelque manière que ce soit. Ces interdictions étaient assorties de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP.

c. Le 19 août 2024, le Juge civil, statuant sur mesures superprovisionnelles, a attribué à C______ la jouissance exclusive du domicile conjugal et condamné son époux à quitter immédiatement ledit domicile, sous la menace de la peine de l'art. 292 CP.

d. Le 21 août 2024, A______ a été arrêté par la police au domicile conjugal en lien avec d'autres messages d'injures et de menaces de mort adressés à son épouse, entre juin et août 2024, notamment celles de la tuer et/ou de tuer leur fille ainsi que le fiancé de cette dernière, dans le but de la dissuader de se séparer de lui.

e. Le lendemain, il a été prévenu à titre complémentaire d'injures (art. 177 CP), menaces (art. 180 CP), tentative de contrainte (art. 22 cum 181 CP), insoumission à une décision de l’autorité (art. 292 CP) et utilisation abusive d'une installation de télécommunication (art. 179septies CP) en raison de ces nouveaux faits pour lesquels son épouse avait déposé plainte les 17 juillet et 15 août 2024.

f. Il a été placé en détention provisoire par le TMC le 23 août 2024. Sa détention a ensuite été prolongée jusqu'au 21 mai 2025.

g. Lors de ses auditions à la police et au Ministère public, A______ a contesté l'intégralité des faits qui lui étaient reprochés, soutenant, en substance, que son épouse était "folle" et disait "n'importe quoi". Même s'il était conscient de ne pas avoir le droit de la contacter, il lui téléphonait "parce qu'[il l'aimait] plus que le monde". Les propos de sa voisine étaient également mensongers.

h. Par mandat du 30 septembre 2024, le Ministère public a ordonné l'expertise psychiatrique du prévenu, impartissant aux experts un délai de trois mois pour établir ledit rapport.

i. Par jugement du 29 novembre 2024, le TPI a, statuant d'entente entre les parties et sur mesures protectrices de l'union conjugale, prononcé la séparation des époux, attribué l'usage exclusif du domicile conjugal à A______ et maintenu les interdictions faites à ce dernier de contacter et d'approcher son épouse.

j. Par lettre du 2 janvier 2025, les experts ont sollicité du Ministère public l'autorisation d'effectuer un bilan neuropsychologique de l'intéressé, ce qui a été autorisé par "n'empêche" du Procureur le 22 suivant, après consultation des parties.

k. Le 11 mars 2025, sur interpellation du Ministère public, les experts l'ont informé que A______ avait refusé de se présenter au deuxième rendez-vous pour le bilan neurologique et de les rencontrer le 7 mars 2025, ce qui retardait la reddition de l'expertise.

l. S'agissant de sa situation personnelle, A______ est né le ______ 1961 en Turquie, pays qu'il a quitté vers l'âge de 20 ans pour venir en Suisse. Il est de nationalité suisse, marié, père d'une fille majeure. Après avoir travaillé pendant plusieurs années comme couturier, il bénéficie, depuis plus de vingt ans, d'une rente d'invalidité.

Aucune condamnation ne figure sur l'extrait de son casier judiciaire suisse.

m. Le 21 mars 2025, le Procureur a rejeté la requête de mise en liberté de A______ et transmis le dossier au TMC.

n. Lors de son audition le 24 mars 2025 par le TMC, le précité a contesté les faits ainsi que les risques de collusion et de réitération. Son épouse était responsable de son incarcération. Elle était folle, il ne voulait pas la voir ni qu'elle continue à travailler dans leur magasin. Il n'avait pas pu se présenter aux rendez-vous fixés dans le cadre de l'expertise car il avait "vomi du sang". Il ne disposait pas de rapport médical à cet égard. Il voulait sortir de prison, mais n'avait personne sur qui compter. Il était prêt à accepter l'aide de son frère, étant souligné que ce dernier lui avait envoyé des habits, sans toutefois venir lui rendre visite. Il s'engageait à ne pas contacter son épouse à sa sortie de prison.

C.           Dans l'ordonnance querellée, le TMC renvoie expressément à son ordonnance du 20 février 2025 s'agissant de l'existence de charges graves et suffisantes ainsi que des risques de collusion et de réitération, considérant qu'aucun élément n'était intervenu depuis lors justifiant une reconsidération de ces critères.

Dans cette précédente ordonnance, le TMC a retenu, s'agissant des faits au préjudice de l'épouse du prévenu que les charges étaient suffisantes et graves au vu des déclarations de cette dernière, celles de leur fille et des messages vocaux reçus. Il en allait de même s'agissant de la voisine, considérant l'enregistrement de son appel à la police, ses déclarations mettant en cause le prévenu, en sus de celles de C______.

Le risque de collusion restait très concret malgré les confrontations déjà intervenues, vu les liens entre les parties, les déclarations contradictoires et l'enjeu pour le prévenu, étant souligné que celui-ci était soupçonné d'avoir, à plusieurs reprises, fait pression sur son épouse et l'avoir contactée, malgré l'interdiction qui lui avait été signifiée sur le plan civil. Il y avait dès lors lieu d'éviter qu'il ne puisse faire pression sur elle et sa fille, toutes les deux ayant déclaré avoir peur de lui. À cela s'ajoutait qu'il traitait son épouse de "folle", considérait qu'elle était responsable de son incarcération et refusait qu'elle continue à travailler dans le magasin, de sorte qu'il était à craindre que, même s'il ignorait la nouvelle adresse et le numéro de téléphone de l'intéressée, il tente de la contacter à cet endroit. Ce risque persistait également vis-à-vis de sa voisine, dès lors qu'en cas de libération, il retournerait habiter dans le même immeuble.

S'agissant du risque de réitération et de passage à l'acte, il subsistait malgré l'absence d'antécédent du prévenu, vu la nature et la répétition, durant plus d'une année, de violences psychologiques et de menaces à l'encontre de son épouse et, à une reprise, de sa voisine, ainsi que compte tenu de ses troubles psychiques et de son refus de divorcer. En outre, il avait persisté dans ses agissements après sa première mise en prévention du 3 mai 2024 et malgré l'interdiction qui lui avait été faite, le 16 juillet 2024, de contacter son épouse. Enfin, il avait fait part de son souhait d'arrêter son traitement médicamenteux, étant souligné que lors de l'audience du 21 août 2024, son semainier contenait des médicaments prévus pour les jours précédents. Il était à craindre que, même s'il n'avait encore jamais été violent physiquement envers son épouse, il ne mette ses menaces à exécution.

Il était ainsi nécessaire d'attendre le rapport d'expertise, lequel devait être complété par un bilan neurologique, pour apprécier et préciser ledit risque et d'éventuelles mesures susceptibles de le pallier.

Aucune mesure de substitution n'était, en l'état, susceptible d'atteindre les mêmes buts que la détention.

D.           Dans son recours, A______ considère que le risque de collusion n'existait plus. Son épouse et leur fille avaient déjà été entendues et les faits reprochés – poursuivis d'office – étaient objectivés par des enregistrements, de sorte qu'il n'y avait pas de risque d'entraver la manifestation de la vérité. Il n'y avait pas de risque de réitération. Il n'avait jamais été condamné, bénéficiait désormais d'une curatrice de gestion et de représentation et pourrait bénéficier d'un suivi psychiatrique dès sa libération. Il ne savait pas où habitait désormais son épouse. Son téléphone avait été séquestré. Son frère s'était engagé à habiter dans son appartement et à veiller sur lui pour s'assurer qu'il adopte un comportement exemplaire. Enfin, les faits reprochés par sa voisine relevaient d'une "altercation assez banale sans violence" et ceux au préjudice de son épouse – même s'ils n'étaient pas anodins – n'atteignaient pas la gravité requise par l'art. 221 al. 1bis CPP. Aucun risque de passage à l'acte ne pouvait être retenu. Il n'avait pas commis de violences physiques malgré les menaces proférées, et ce quand bien même il prenait ses médicaments de manière irrégulière.

Le cas échéant, ces risques pouvaient être palliés par des mesures de substitution, à savoir l'interdiction de contacter les plaignantes et sa fille ainsi que de se s'approcher du magasin familial et l'obligation de suivre, dès sa libération, un traitement auprès du Centre ambulatoire de psychiatrie et psychothérapie intégrée de E______ (ci-après, CAPPI E______).

Il se plaint, en outre, de la violation des principes de la célérité et de la proportionnalité. La durée de la détention ne pouvait se justifier par son refus de se présenter à deux rendez-vous fixés par les experts, ni par la peine à laquelle il s'exposait, relevant que des peines de 180 unités pénales ayant été prononcées dans des affaires similaires.

À l'appui, il produit une "attestation sur l'honneur" de son frère, à teneur de laquelle il lui apportait "tout son soutien", s'engageait "à veiller à ce qu'[il] suive son traitement psychiatrique et s'abstienne de tout contact avec son ex-épouse et sa fille pendant les deux mois suivant sa libération". Son frère lui remettrait un nouveau téléphone et pourrait, si nécessaire, habiter avec lui afin de l'"encourager et le soutenir dans sa démarche volontaire de suivre son traitement et de se réinsérer". Il remet également deux propositions de rendez-vous au CAPPI E______, pour les 2, respectivement le 23 avril 2025.

E.            Les experts ont rendu leur rapport le 25 mars 2025, reçu le 28 suivant par le Ministère public. Ils ont retenu le diagnostic de trouble de la personnalité avec des traits essentiellement dépendants, et possiblement paranoïaques. Par ailleurs, A______ souffrait de troubles cognitifs. Le 14 novembre 2023, il avait fait l'objet d'un placement à des fins d'assistance (ci-après, PAFA) à l'hôpital psychiatrique de D______, jusqu'au 20 janvier 2024. À sa sortie, il avait bénéficié d'une prise en charge ambulatoire au CAPPI E______. Après un premier bilan neuropsychologique réalisé en novembre 2023, un second bilan, effectué le 14 mars 2025 dans le cadre de l'expertise, montrait une aggravation de ses troubles cognitifs et comportementaux. Une évaluation complémentaire n'avait pas été possible en raison de son refus de s'y soumettre. Il était en état de responsabilité moyennement restreinte au moment des faits, semblant avoir présenté un état de nervosité marqué, associé à une forte irritabilité et à un sentiment d'hostilité dirigé non seulement contre son épouse, mais aussi contre sa voisine, dans un contexte de tensions conjugales et de conflits de voisinage dans lequel il manifestait un vécu de persécution qu'il ne remettait pas en question. Les processus psychopathologiques ayant conduit aux passages à l'acte ne pouvaient être décrits avec précision, dès lors qu'il ne reconnaissait pas les faits reprochés.

Le risque de récidive violente, en lien avec son trouble de la personnalité et ses troubles cognitifs, est qualifié de moyen à élevé. Selon les experts, un traitement ambulatoire serait susceptible de réduire ce risque de récidive, sous la forme d'un suivi en consultation de psychiatrie ou de psychogériatrie. L'intéressé serait apte à consentir au traitement et à s'y soumettre.

F. a. Par acte déposé le 3 avril 2025, A______ complète et modifie son recours à la suite du rapport d'expertise.

Aucun passage à l'acte n'était établi. Le risque de récidive retenu n'était pas suffisant pour justifier son maintien en détention, lequel aggravait ses troubles neurocognitifs et, partant, violait le principe de proportionnalité. Les mesures de substitution qu'il proposait, prêtes à être mises en oeuvre dès sa sortie, étaient les mêmes que celles préconisées par les experts et suffisaient à éviter un risque de passage à l'acte.

b. Le TMC maintient les termes de son ordonnance.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Aucune violation du principe de la célérité ne pouvait lui être reproché, au vu des actes d'enquête effectués, comportant notamment l'analyse du téléphone portable du prévenu et son expertise psychiatrique. Le Procureur prévoyait d'entendre rapidement les experts pour préciser certains éléments en lien avec la nature du traitement préconisé et l'éventuelle capacité du prévenu à s'astreindre à un suivi thérapeutique et médicamenteux au vu de ses troubles cognitifs.

d. Le recourant réplique et persiste dans sa demande. L'audition des experts, fixée le 30 avril 2025, n'était pas nécessaire dès lors que le rapport d'expertise – qu'il avait attendu durant sept mois – était "catégorique et précis dans son résultat".

EN DROIT :

1.             Le recours, et son complément, sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne remet pas en cause les charges. Il peut donc être renvoyé, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge sur ce point (art 82 al. 4 CPP; ACPR/747/2020 du 22 octobre 2020 consid. 2 et les références), laquelle expose les indices graves et concordants pesant sur le prévenu.

3. Le recourant conteste le risque de collusion.

3.1. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuves susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_687/2021 du 11 janvier 2022 consid. 4.1).

3.2. En l'espèce, le recourant a déjà été confronté à son épouse, laquelle a quitté le domicile conjugal pour un lieu inconnu de lui. Reste qu'elle continue à travailler dans leur magasin – alors que le recourant s'y oppose – et qu'on ne peut exclure qu'il ne profite de sa libération pour s'y rendre et tente de l'influencer ou fasse pression sur elle afin qu'elle modifie ses déclarations en sa faveur (à lui). Ce risque est d'autant plus important qu'il conteste l'intégralité des faits reprochés et rejette la responsabilité de sa détention sur elle. En raison des liens qui les unissent, il est à craindre qu'un tel comportement n'amène l'épouse du recourant à modifier ses déclarations. Quand bien même la poursuite pour l'infraction de menaces (art. 180 al. 2 CP) aurait lieu d'office – si l'intéressée venait à retirer sa plainte –, la recherche de la vérité s'en trouverait compromise. Il s'ensuit que les conditions sont en l'espèce remplies pour retenir un risque de collusion concret.

4. Le recourant conteste le risque de réitération et de passage à l’acte.

4.1. L'art. 221 al. 1 let. c CPP, relatif au risque de récidive, dans sa nouvelle teneur au 1er janvier 2024 (RO 2023 468), présuppose désormais que l'auteur compromette sérieusement et de manière imminente la sécurité d'autrui en commettant des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre.

Selon la jurisprudence relative à l'art. 221 al. 1 let. c aCPP (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023 [RO 2010 1881]) – transposable au nouveau droit (ATF 150 IV 149 consid. 3.1 s.) –, trois éléments doivent être réalisés pour admettre le risque de récidive : en premier lieu, le prévenu doit en principe déjà avoir commis des infractions du même genre, et il doit s'agir de crimes ou de délits graves; deuxièmement, la sécurité d'autrui doit être sérieusement compromise; troisièmement, une réitération doit, sur la base d'un pronostic, être sérieusement à craindre
(ATF 146 IV 136 consid. 2.2; 143 IV 9 consid. 2.5).

Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3 et 4).

4.2. Le nouvel art. 221 al. 1bis CPP prévoit pour sa part que la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté peut exceptionnellement être ordonnée si le prévenu est fortement soupçonné d'avoir porté gravement atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle d'autrui en commettant un crime ou un délit grave et s'il y a un danger sérieux et imminent qu'il commette un crime grave du même genre
(cf. ATF 150 IV 149 susmentionné, consid. 3.2, et arrêt du Tribunal fédéral 7B_1025/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.2).

Comme il est renoncé à toute infraction préalable (seul indice fiable permettant d'établir un pronostic légal), il semble justifié de restreindre les infractions soupçonnées aux crimes et délits graves contre des biens juridiques particulièrement importants (par ex., la vie, l'intégrité physique ou l'intégrité sexuelle). L'exigence supplémentaire de l'atteinte grave a pour objectif de garantir que lors de l'examen de la mise en détention, on prendra en considération non seulement les peines encourues, mais aussi les circonstances de chaque cas. Ces restrictions sont de plus requises en ce qui concerne le risque de crime grave du même genre. En effet, la détention préventive ne paraît justifiée que si le prévenu risque de mettre gravement en danger les biens juridiques des victimes potentielles (comme lorsque le motif de mise en détention est le passage à l'acte). Enfin, ces restrictions ont pour objectif d'exclure que ce motif de mise en détention soit avancé en cas de dommages purement matériels ou de comportements socialement nuisibles (Message du Conseil fédéral du 28 août 2019 [19.048] concernant la modification du Code de procédure pénale – mise en œuvre de la motion 14.3383 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États «Adaptation du code de procédure pénale» –, FF 2019 6351, p. 6395).

4.3. En l'espèce, il est principalement reproché au recourant d'avoir menacé de mort son épouse et sa voisine. De telles menaces constituent un délit grave en tant qu'elles portent atteinte à la paix intérieure et au sentiment de sécurité des personnes auxquelles elles sont adressées (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), n. 2 ad art. 180 CP). Dans ce contexte, le risque de réitération – qualifié de moyen à élevé par les experts – est concret et inquiétant sous l'angle de la sécurité publique. Il permet de redouter la commission d'actes plus graves d'atteinte à l'intégrité physique des plaignantes, étant souligné que ni la première mise en prévention du recourant ni les mesures superprovisionnelles ordonnées par le juge civil ne l'ont empêché de réitérer les agissements soupçonnés à peine quelques mois plus tard, et qu'il fait l'objet de deux plaintes supplémentaires de son épouse pour de nouvelles menaces de mort. Ce risque est accru par le fait qu'il n'a pas conscience de ses troubles psychiques et cognitifs, et tient son épouse pour responsable de son incarcération.

Il s'ensuit que les conditions pour retenir un risque de réitération et de passage à l’acte sont remplies, ce qu'a constaté à bon droit le premier juge.

5. Le recourant soutient que des mesures de substitution doivent être prononcées.

5.1. Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst., concrétisé par l'art. 237 al. 1 CPP), le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si elles permettent d'atteindre le même but que la détention, par exemple de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles (al. 2 let. f). La liste des mesures de substitution énoncée à l'art. 237 CPP n'est pas exhaustive (arrêt du Tribunal fédéral 1B_654/2011 du 7 décembre 2011 consid. 4.2).

5.2. En l'espèce, aucune mesure de substitution n'est apte à pallier le risque de collusion retenu. L'interdiction qui serait faite au recourant de ne pas entrer en contact avec son épouse – déjà ordonnée par le juge civil en juillet 2024 – a montré ses limites, dès lors qu'il ressort du dossier que l'intéressé a continué à la contacter et est revenu au magasin familial.

S'agissant du risque de réitération et de passage à l'acte, une telle interdiction n'est pas garante d'un comportement exempt de dangerosité et reposerait sur la seule volonté de l'intéressé, alors qu'il résulte des éléments au dossier que son état cognitif ne lui permet pas de se raisonner. Dans le même contexte, s'il paraît en outre douteux qu'une obligation de comportement puisse être imposée à un tiers, au sens de l'art. 237 al. 1 CPP, le soutien de son frère – qui envisagerait d'habiter chez lui pendant deux mois – ne parait pas de nature à empêcher le recourant de commettre de nouvelles infractions, en particulier à l'encontre de sa voisine avec laquelle il est en conflit. Enfin, s'agissant du suivi médical proposé, on ne saurait se contenter d'une convocation du CAPPI E______ dès lors qu'on ignore, pour l’instant, si le traitement qui est prévu est le plus adapté, les experts ayant également envisagé un suivi en psychogériatrie. Comme souligné par le Ministère public, il convient d'entendre les experts sur ce point, étant souligné qu'après l'hospitalisation du recourant à l'hôpital psychiatrique de D______ en novembre 2023, son retour à domicile et le traitement commencé au CAPPI E______ ne l'ont pas empêché de réitérer les graves menaces de mort dénoncées par son épouse.

6. Le recourant invoque une violation du principe de la proportionnalité.

6.1. À teneur des art. 197 al. 1 et 212 al. 3 CPP, les autorités pénales doivent respecter le principe de la proportionnalité lorsqu'elles appliquent des mesures de contrainte, afin que la détention provisoire ne dure pas plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible. Selon une jurisprudence constante, la possibilité d'un sursis, voire d'un sursis partiel, n'a en principe pas à être prise en considération dans l'examen de la proportionnalité de la détention préventive (ATF 133 I 270 consid. 3.4.2 p. 281-282; 125 I 60; arrêts du Tribunal fédéral 1B_750/2012 du 16 janvier 2013 consid. 2, 1B_624/2011 du 29 novembre 2011 consid. 3.1 et 1B_9/2011 du 7 février 2011 consid. 7.2).

6.2. Le principe de la proportionnalité exige aussi que la détention préventive soit levée lorsqu'en raison de l'état de santé du détenu, elle pourrait entraîner des conséquences graves, dépourvues de rapport raisonnable avec son but (ATF 116 Ia 420 consid. 3a p. 423). Il a été jugé que les raisons de santé invoquées ne suffisaient pas à tenir l'incarcération pour disproportionnée dans le cas d'un détenu présentant un trouble dépressif récurrent, un trouble grave de la personnalité, et des troubles cognitifs se manifestant principalement par une désorientation spatio-temporelle et par des troubles mnésiques prononcés, le bilan étiologique indiquant la présence d'une démence d'origine mixte vasculaire et de type Alzheimer (arrêt du Tribunal fédéral 1B_149/2011 du 4 mai 2011 consid. 5.2).

6.3. En l'espèce, quand bien même la détention provisoire serait difficile à supporter pour le recourant, qui souffre de troubles de la personnalité et cognitifs, elle n'est pas disproportionnée pour autant, si l'ensemble des soupçons du Ministère public étaient confirmés, ce d'autant que l'audition des experts, fixée au 30 avril prochain, va donc intervenir à brève échéance et que l'instruction arrive à son terme.

Enfin, aucun élément ne permettrait de considérer qu'il ne bénéficierait pas d'un suivi médical adéquat en détention – le recourant ne le prétendant au demeurant pas –.

7. Le recourant invoque une violation du principe de la célérité.

7.1. À teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Lorsque le prévenu est détenu, la procédure est conduite en priorité (art. 5 al. 2 CPP). Il doit s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable
(ATF 140 IV 74 consid. 3.2; 137 IV 118 consid. 2.1; 137 IV 92 consid. 3.1 et les arrêts cités).

La violation éventuelle du principe de la célérité n'entraîne pas la libération immédiate du détenu lorsque la détention demeure matériellement justifiée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_150/2012 du 30 mars 2012 consid. 3.3; 1B_44/2012 consid. 4 et 5).

Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu’aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut ; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. La violation du principe de la célérité peut avoir pour conséquence la diminution de la peine, parfois l'exemption de toute peine ou encore une ordonnance de classement en tant qu'ultima ratio dans les cas les plus extrêmes (ATF 143 IV 373 consid. 1.4.1).

7.2. En l'espèce, le recourant critique la durée (sept mois) pour l'établissement de l'expertise psychiatrique. Même si ce délai est long, le Ministère public qui a, dans l'intervalle, procédé aux autres actes d'instruction, ne saurait être tenu responsable de ce retard, lequel s'explique par le complément, estimé nécessaire, d'un bilan neuropsychologique et par les deux rendez-vous manqués – non justifiés médicalement – par le recourant. L'instruction n'a par conséquent, dans son ensemble, pas connu de temps mort, et le principe de la célérité n'est donc pas violé.

8. Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté.

9. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

10. Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

10.1. Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5.1).

10.2. En l'occurrence, quand bien même le recourant succombe, on peut admettre que l'exercice du présent recours ne procède pas d'un abus.

L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

P/18456/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

795.00

 

 

Total

CHF

900.00