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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/28049/2023

ACPR/423/2024 du 07.06.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉLAI;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);CONSULTATION DU DOSSIER
Normes : CPP.396; Cst; CPP.263; CPP.101; CPP.108.al4; CP.70.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/28049/2023 ACPR/423/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 7 juin 2024

 

Entre

A______ SA, représentée par Me Oliver CIRIC, avocat, TA Advisory SA, rue de Rive 3, 1204 Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de séquestre du 26 décembre 2023 et la décision de refus de consultation du dossier du 26 mars 2024 rendues par le Ministère public,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 8 avril 2024, A______ SA recourt, d'une part, contre l'ordonnance du 26 décembre 2023 (ci-après : ordonnance querellée), notifiée selon elle le 27 mars 2024, par laquelle le Ministère public a séquestré ses avoirs sur "la relation no 1______" (ci-après : compte 1______) auprès de la banque B______ et, d'autre part, contre la décision du 26 mars 2024 (ci-après : décision querellée), communiquée par pli simple, par laquelle l'autorité précédente lui a refusé l'accès au dossier de la P/28049/2023.

La recourante conclut, préalablement, à l'annulation de la décision querellée, à l'octroi de l'accès au dossier – à tout le moins à "des pièces ayant motivé le séquestre de ses avoirs bancaires" – et, cela fait, à l'autorisation de compléter son recours. Elle demande, sous suite de frais, principalement, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la levée du séquestre sur le compte 1______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 22 décembre 2023, le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (ci-après : MROS) a fait parvenir au Ministère public une dénonciation au sens de l'art. 23 al. 4 de la loi sur le blanchiment d'argent (LBA ; RS 955.0), qui faisait suite à deux communications provenant de B______ les 28 juillet et 4 décembre 2023, concernant le compte 1______ ouvert le 4 octobre 2018 au nom de A______ SA et dont C______ et son épouse étaient déclarés comme des ayants droit économiques.

En 2018, les autorités italiennes avaient ouvert une instruction contre D______, homme d'affaires de nationalité russe et kazakhe, pour blanchiment d'argent en lien avec un délit fiscal qualifié. Fin 2018, le compte 1______ avait été crédité par deux versements d'USD 10 millions chacun, à titre de prêt, provenant de E______ LTD, société sise aux îles Vierges britanniques, dont le précité et C______, via la société F______ SA, étaient des actionnaires. Conformément aux contrats produits par le dernier nommé, les prêts devaient être remboursés dans un délai de cinq ans. Or, fin 2021, C______ avait – sans pièces à l'appui – annoncé à son gérant de fortune indépendant avoir vendu ses actions de F______ SA à D______ pour un montant d'USD 4 millions et que les prêts reçus par A______ SA lui avaient été offerts en compensation de ses parts dans E______ LTD. En été 2023, le précité avait instruit B______ de transférer USD 5 millions sur un autre compte de A______ SA ouvert auprès de [la banque] G______ et ce, sans produire les documents probants requis.

Au vu de ce qui précédait, C______ était soupçonné d'avoir, au moyen de faux documents, concouru à la diminution du bilan de E______ LTD, au moment où celle-ci, ainsi que son actionnaire D______ et le groupe de sociétés lui appartenant, voyaient leurs avoirs gelés dans le cadre de la procédure pénale ouverte en Italie.

b. Le 26 décembre 2023, le Ministère public a ouvert une instruction contre C______ pour faux dans les titres (art. 251 CP) et blanchiment d'argent (art. 305bis CP).

c. Le même jour, il a ordonné le dépôt par la G______ de la documentation bancaire relative à toute relation dont le précité serait titulaire, ayant droit économique ou fondé de procuration.

C. Dans son ordonnance querellée, prise sur le fondement de l'art. 263 CPP et adressée à B______, le Ministère public informe cet établissement qu'il a ouvert une procédure pénale contre C______ pour faux dans les titres et blanchiment d'argent et qu'il en séquestre toutes les valeurs. Le titulaire du compte 1______ pouvait être avisé de la mesure.

D. Par courrier du 20 mars 2024, Me Oliver CIRIC s'est constitué à la défense des intérêts de A______ SA. Il a également sollicité du Ministère public la notification de l'ordonnance de séquestre du 26 décembre 2023, ainsi que la consultation du dossier.

E. Dans la décision querellée, le Ministère public informe A______ SA qu'une procédure pénale a été ouverte contre C______ à la suite d'un avis du MROS. Par ailleurs, l'accès au dossier était refusé "pour des motifs inhérents aux développements de la procédure elle-même". À ce stade, les parties n'avaient pas encore été entendues et les preuves principales n'avaient pas encore été administrées.

F. a. Dans son recours, A______ SA reproche au Ministère public d'avoir violé son droit d'être entendu, dans la mesure où l'ordonnance et la décision querellées n'étaient pas suffisamment motivées. Par ailleurs, l'accès au dossier permettrait de comprendre les faits à la base du séquestre de son compte bancaire. Sur le fond, les avoirs séquestrés n'étaient pas issus d'une infraction pénale. En effet, C______ avait droit à un bonus pour l'activité exercée au sein de E______ LTD. L'actionnaire majoritaire de celle-ci ayant été toutefois réticent au versement de la prime avant la fin des activités de la société, il était convenu que les fonds sollicités par C______ lui seraient d'abord versés sous forme de prêts pour lui permettre de développer ses activités au sein de A______ SA. Le 3 décembre 2018, E______ LTD et le prénommé avaient ensuite conclu "deux accords de remplacement d'une partie (Agreement on the replacement of a party)"– qu'elle produit –, aux termes desquels la première nommée transférait au second l'intégralité de ses droits dans le cadre des contrats de prêts conclus avec A______ SA et ce, dès le 1er janvier 2021, date de la fin des activités de la société [E______ LTD].

b. Dans ses observations, le Ministère public s'en rapporte à l'appréciation de la Chambre de céans quant à la forme et, au fond, conclut au rejet du recours. Après avoir exposé les faits résumés supra (cf. B.a), il considère que, même si la motivation de l'ordonnance querellée était succincte, la recourante avait été en mesure de la contester. Par ailleurs, les conditions de l'art. 101 CPP n'étant pas remplies en l'espèce, et compte tenu de son pouvoir d'appréciation en la matière, rien ne permettait d'accorder un accès au dossier à la précitée. Enfin, au vu de la dénonciation du MROS, et l'instruction n'étant qu'à ses balbutiements, le séquestre sur le compte 1______ devait être maintenu. Les explications de la recourante quant aux transactions commerciales avec E______ LTD devaient, certes, être encore examinées, mais n'étaient, à l'évidence, pas de nature à lever la mesure contestée.

c. Dans sa réplique, la recourante persiste dans les termes de son recours. Le refus d'accès au dossier violait le principe de proportionnalité, dans la mesure où elle ne pouvait pas exercer efficacement son droit de recours. Par ailleurs, la motivation contenue dans l'ordonnance querellée ne lui permettait pas de vérifier si les conditions relatives au prononcé d'un séquestre étaient remplies. Enfin, même si par hypothèse, les contrats de prêt furent simulés – ce qu'elle contestait –, les éléments constitutifs de l'art. 251 CP n'étaient pas réalisés, faute de valeur probante accrue desdits contrats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne des décisions sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du titulaire du compte dont les avoirs ont été séquestrés qui, comme tiers directement touché dans ses droits (art. 105 al. 1 let. f CPP), a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des décisions querellées (art. 382 al. 1 CPP).

1.2.1. Reste à savoir si la recourante a agi dans les délais légaux.

1.2.2. Lorsqu'une ordonnance de séquestre est notifiée à la banque dépositaire, et non au titulaire du compte saisi, le départ du délai de recours, pour ce dernier, ne commence à courir que dès le moment où il a eu connaissance de la mesure de séquestre (ACPR/131/2020 du 18 février 2020 consid. 1.2).

1.2.3. En l'espèce, la recourante expose avoir eu connaissance de l'ordonnance de séquestre, notifiée à B______, le 27 mars 2024.

Le délai de recours de dix jours (art. 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP) a ainsi été respecté.

Par ailleurs, à défaut de notification respectant les réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP, le recours a été formé dans les délais s'agissant de la décision de refus de consultation de dossier.

1.3. Il est partant recevable.

2.             La recourante a préalablement requis un délai supplémentaire pour compléter son écriture, après consultation du dossier, question précisément litigieuse. Or, les délais fixés par la loi ne pouvant être prolongés (art. 89 CPP), la conclusion préalable tendant à l'obtention d'un délai supplémentaire pour compléter l'écriture ne peut qu'être rejetée, ce d'autant que la recourante a été en mesure de faire valoir de manière compréhensible ses arguments dans son acte de recours (ACPR/122/2018 du 5 mars 2018 consid. 2).

3.             La recourante se plaint d'un défaut de motivation de l'ordonnance et de la décision querellées.

3.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3; 126 I 97 consid. 2b). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 I 232 consid. 5.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_146/2016 du 22 août 2016 consid. 1.1 et 1B_62/2014 du 4 avril 2014 consid. 2.2).

3.2. Pour être licite, le séquestre doit respecter certaines règles de forme prescrites à l'art. 263 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, notamment, le prononcé du séquestre doit être ordonné par écrit et sommairement motivé. La motivation doit être suffisante pour respecter le droit d'être entendu des personnes touchées par la mesure, leur permettre de comprendre le lien entre les faits reprochés et les objets saisis et permettre à l'autorité de recours d'exercer son contrôle (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 34 ad art. 263). Lorsque l'ordonnance de séquestre est destinée à l'intermédiaire financier, et non au titulaire du compte, qui est censé être tenu dans l'ignorance de la mesure, le ministère public n'a cependant pas d'obligation particulière de motiver sa décision à l'attention de la banque. En revanche, il doit s'y plier – par exemple en accompagnant la communication de l'ordonnance d'une brève motivation ou, à tout le moins, d'une explication succincte sur les faits pertinents – envers le titulaire du compte qui l'interpelle sur les raisons du blocage de son compte. La Chambre de céans ne retient pas le grief de violation du droit d'être entendu lorsque le recourant a reçu postérieurement à l'ordonnance destinée à la banque une motivation séparée. En revanche, un défaut persistant de motivation sur les soupçons à l'origine d'un séquestre conduit à l'admission du recours et au renvoi de la cause au ministère public, tout comme la simple communication au titulaire du compte de l'ordonnance non motivée qui était destinée à la banque (ACPR/131/2020 du 18 février 2020 consid. 2.1 et les références citées).

3.3. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a expliqué que le séquestre – fondé sur l'art. 263 CPP – intervenait dans le cadre d'une instruction menée contre C______ pour blanchiment d'argent et faux dans les titres. Dans sa lettre du 26 mars 2024, il a ajouté que dite instruction avait été ouverte à la suite d'un avis du MROS. Force est de constater que les éléments portés à la connaissance de la recourante sont pour le moins sommaires et se situent à la limite de ce qui est admissible en termes de motivation pour une ordonnance de séquestre, même rendue en début d'enquête. Cela étant, l'argumentation développée par la recourante dans son écriture, et plus particulièrement les explications relatives aux prêts octroyés par E______ LTD, démontrent qu'elle a pu comprendre le sens de l'ordonnance querellée. En tout état de cause, même à admettre une violation du droit d'être entendu, le vice serait guéri dans la procédure de recours. En effet, le Ministère public a fourni des indications supplémentaires – singulièrement quant à l'état de fait pertinent – dans ses observations. La recourante a pu y faire valoir ses objections devant la Chambre de céans, qui dispose d'une pleine cognition, en fait en droit.

Le grief doit dès lors être rejeté.

Il en va de même de la décision querellée, dans la mesure où l'autorité précédente a expressément relevé que l'accès au dossier était refusé au motif que les parties n'avaient pas encore été entendues et les preuves principales n'avaient pas encore été administrées. Ces explications permettaient en effet à la recourante d'attaquer utilement la décision querellée.

4. La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue, en tant qu'elle n'a pas eu accès au dossier.

4.1. Concrétisant le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), ainsi que les garanties relatives à un procès équitable et aux droits de la défense (art. 6 par. 3 CEDH et 32 al. 2 Cst.), les art. 101 al. 1 et 107 al. 1 let. a CPP permettent aux parties de consulter le dossier de la procédure pénale. La direction de la procédure statue sur la consultation des dossiers. Elle prend les mesures nécessaires pour prévenir les abus et les retards et pour protéger les intérêts légitimes au maintien du secret (art. 102 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_445/2012 du 8 novembre 2022 consid. 3.2). Le droit d'accès peut aussi être restreint aux conditions fixées à l'art. 108 CPP, soit notamment lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret.

L'art. 101 al. 1 CPP permet aux parties de consulter le dossier de la procédure dès la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le ministère public. Il s'agit de conditions cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_667/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2) et la formulation de cette disposition confère à la direction de la procédure un certain pouvoir d'appréciation qu'il convient de respecter (ATF 137 IV 280 consid. 2.3). L'autorité compétente ne saurait cependant différer indéfiniment la consultation du dossier en se fondant sur cette disposition. Elle doit en effet établir que l'accès au dossier est susceptible de compromettre l'instruction et exposer les "preuves importantes" qui doivent être administrées auparavant (arrêt du Tribunal fédéral 1B_597/2011 du 7 février 2012 consid. 2.2).

4.2. Aux termes de l'art. 108 al. 4 CPP, une décision ne peut pas se fonder sur des pièces auxquelles une partie n'a pas eu accès que si elle a été informée de leur contenu essentiel (cf. ATF 115 Ia 293 consid. 5c; arrêt du Tribunal fédéral 1P.405/1993 du 8 novembre 1993 publié in SJ 1994 p. 97).

4.3. En l'espèce, même si la qualité de partie lui est reconnue en vertu de l'art. 105 al. 2 CPP, la recourante n'a pas pour autant le droit de consulter le dossier à ce stade de la procédure. En effet, aucune des conditions de l'art. 101 al. 1 CPP n'est réalisée, puisque le prévenu n'a jamais été entendu par le Ministère public, qui n'a, en outre, pas encore procédé à l'administration des preuves principales. Par ailleurs, les intérêts de A______ SA se confondent, prima facie, avec ceux de C______, soit le prévenu et ayant droit économique de la société précitée. Il se justifie dès lors de refuser l'accès au dossier de la procédure à la recourante afin de garantir un bon déroulement de l'enquête et permettre l'établissement de la vérité. On ne saurait par ailleurs faire grief au Ministère public d'avoir abusé de son pouvoir d'appréciation, dès lors que l'instruction n'est qu'à ses débuts.

Certes, la recourante ne connaît pas la teneur exacte de la dénonciation du MROS, à laquelle se réfère l'autorité précédente pour prononcer le séquestre de ses avoirs. Toutefois, comme il a été exposé supra, au regard des explications fournies par le Ministère public, la recourante était à même de circonscrire la problématique soulevée par la dénonciation et de prendre position sur le bien-fondé de la mesure prononcée.

Le grief sera dès lors rejeté.

5. La recourante conteste le bien-fondé du séquestre.

5.1. Le séquestre est une mesure de contrainte qui ne peut être ordonné, en vertu de l'art. 197 al. 1 CPP, que si elle est prévue par la loi (let. a), s'il existe des soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elle apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Lors de l'examen de cette mesure, l'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, examinant des prétentions encore incertaines. Le séquestre pénal est en effet une mesure provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs qui peuvent servir de moyens de preuve, que le juge du fond pourrait être amené à confisquer, à restituer au lésé ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 263 al. 1 let. a, c, d et e CPP). Un séquestre est proportionné lorsqu'il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués en application du droit pénal. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue. L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2).

Au début de l'enquête, un soupçon crédible ou un début de preuve de l'existence de l'infraction reprochée suffit à permettre le séquestre, ce qui laisse une grande place à l'appréciation du juge. On exige toutefois que ce soupçon se renforce au cours de l'instruction pour justifier le maintien de la mesure (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 17/22 ad art. 263).

5.2. Un séquestre ne peut être prononcé à l'égard d'un tiers si celui-ci a acquis les valeurs dans l'ignorance des faits qui auraient justifié la confiscation, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle d'une rigueur excessive (art. 70 al. 2 CP). Pour qu'un séquestre puisse être refusé à ce stade de la procédure en application de l'art. 70 al. 2 CP, il faut, d'une part, qu'une confiscation soit d'emblée et indubitablement exclue, respectivement que la bonne foi du tiers soit clairement et définitivement établie. S'agissant, d'autre part, de la contre-prestation, elle doit avoir été fournie avant que le tiers ne reçoive les valeurs d'origine illégale. C'est en tenant compte de toutes les circonstances du cas d'espèce qu'il faut décider si une contre-prestation adéquate existe (arrêt du Tribunal fédéral 1B_116/2021 du 5 mai 2021 consid. 5.2).

L'art. 71 al. 3 CP permet à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale. Les termes "personnes concernées" au sens de l'art. 71 al. 3 CP, comprennent non seulement l'auteur, mais aussi, à certaines conditions, un tiers favorisé, d'une manière ou d'une autre, par l'infraction (arrêt du Tribunal fédéral 1B_213/2013 du 27 septembre 2013 consid. 4).

5.3.1. À teneur de l'art. 305bis CP, se rend coupable de blanchiment d'argent quiconque qui aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié.

En raison de son caractère accessoire, le blanchiment d'argent exige la preuve à la fois d'un acte d'entrave, d'un crime préalable, ainsi que d'un lien entre les valeurs patrimoniales et cette infraction préalable (ATF 145 IV 335 consid. 3.1). La condamnation pour blanchiment ne suppose pas la connaissance précise du crime préalable et de son auteur. Le lien entre le crime à l'origine des fonds et le blanchiment d'argent est donc volontairement ténu. L'exigence d'un crime préalable suppose cependant que les valeurs patrimoniales proviennent d'un crime (ATF 138 IV 1 consid. 4.2.2). Le point de savoir si l'auteur du délit préalable a été poursuivi ou puni est sans pertinence. Il suffit que l'acte initial réalise les conditions objectives d'un comportement pénalement répréhensible (ATF 101 IV 402 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1124/2014 du 22 septembre 2015 consid. 2.1). Ce raisonnement vaut à plus forte raison dans le cadre d'une procédure de séquestre en lien avec la possible commission d'une telle infraction, puisque cette mesure est fondée sur la vraisemblance (cf. art. 263 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_390/2013 du 10 janvier 2014 consid. 2.3).

5.3.2. L'art. 251 CP punit quiconque qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui, pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique.

Sont des titres au sens de cette disposition tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (art. 110 ch. 4 CP). La volonté d'un individu ne suffit pas pour créer un titre; il est indispensable que la valeur probante de ce dernier réponde également à des critères objectifs (ATF 133 IV 36 consid. 4.1; 129 IV 53 consid. 2.2). Un simple mensonge écrit ne constitue donc pas un faux intellectuel (arrêt du Tribunal fédéral 6B_184/2013 du 1er octobre 2013 consid. 6.2).

5.4. En l'espèce, il ressort de la dénonciation du MROS portant sur le compte bancaire ouvert au nom de A______ SA que C______ – ayant droit économique de la société précitée – aurait, au moyen de prêts simulés, concouru à la diminution du bilan de E______ LTD, au moment où celle-ci, son actionnaire principal, et le groupe de sociétés lui appartenant, voyaient leurs avoirs gelés dans le cadre d'une procédure pénale ouverte en Italie. Dite dénonciation – provenant d'une autorité étatique, dont la mission est d'analyser les informations reçues des intermédiaires financiers, puis de les transférer aux autorités pénales, lorsque des soupçons fondés permettent notamment de présumer qu'une infraction au sens de l'art. 305bis CP a été commise ou que des valeurs patrimoniales proviennent d'un crime – est à même de fonder des soupçons suffisants au prononcé d'un séquestre (cf. ACPR/333/2021 du 20 mai 2021 consid. 6.4, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1B_321/2021 du 29 octobre 2021). Le fait que les contrats de prêt constituent – ou pas, comme le soutient la recourante –, des faux intellectuels ne préjuge pas de l'origine des avoirs séquestrés, étant précisé que la procédure pénale en Italie a été ouverte pour délit fiscal qualifié et blanchiment d'argent.

Par ailleurs, les explications de la recourante portant sur le bonus de C______ exigible de E______ LTD – respectivement sur les "deux accords de remplacement d'une partie" – apparaissent sujets à caution et nécessitent des investigations complémentaires de la part du Ministère public. Ce d'autant que d'après la dénonciation du MROS, le prévenu aurait – sans pièces à l'appui – annoncé, fin 2021, à son gérant de fortune indépendant avoir vendu ses parts dans E______ LTD et que les prêts reçus par A______ SA lui avaient été transférés en compensation de ladite vente. En tout état de cause, au regard des positions occupées par le prévenu dans E______ LTD et A______ SA, la bonne foi de la dernière nommée, s'agissant de l'origine de avoirs séquestrés, ne peut pas, à ce stade de la procédure, être clairement et définitivement établie.

Enfin, dans la mesure où l'instruction de la cause n'en est qu'à ses prémices, l'ordonnance litigieuse respecte le principe de la proportionnalité.

Partant, le séquestre, en tant qu'il pourrait permettre une éventuelle confiscation des fonds, voire une créance compensatrice, apparaît justifiée.

6. Justifiées, l'ordonnance et la décision querellées seront donc confirmées.

7. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/28049/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00