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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6303/2024

ACPR/406/2024 du 03.06.2024 sur OMP/7313/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SUSPENSION DE L'INSTRUCTION;OBLIGATION D'ENTRETIEN;PROCÉDURE CIVILE
Normes : CPP.314; CP.217

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6303/2024 ACPR/406/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 3 juin 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], agissant en personne,

recourante,

contre l'ordonnance de suspension de l'instruction rendue le 8 avril 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 10 avril 2024, A______ recourt contre l'ordonnance rendue le 8 avril 2024, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a ordonné la suspension, pour une durée de six mois, de l'instruction de la procédure P/6303/2024, ouverte à la suite de la plainte qu'elle avait déposée contre B______, du chef de violation d'une obligation d'entretien.

La recourante, sans prendre de conclusions formelles, déclare faire recours contre cette décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ se sont mariés le ______ 2007 à C______, Genève. Deux enfants, D______ et E______, nés respectivement en 2005 et 2010, sont issus de leur union.

b. Les époux se sont séparés le 1er mars 2021, date à laquelle B______ a quitté le domicile conjugal.

c. Le 21 août 2023, par jugement JTPI/9276/2023 (rendu dans la cause C/1______/2022), le Tribunal de première instance, statuant sur requête commune avec accord partiel des époux, a notamment instauré une garde alternée des parties sur leurs deux enfants et condamné B______ à verser, en mains de A______, par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, à titre de contribution à l'entretien de chacun des enfants, la somme de CHF 425.- dès le 1er novembre 2021 et jusqu'à leur majorité, sous déduction des sommes déjà versées à ce titre, puis de CHF 765.- jusqu'à leur 25 ans en cas d'études sérieuses et régulières.

d. Par courrier du 6 mars 2024, A______ a déposé plainte contre B______ du chef d'infraction à l'art. 217 CP, lui reprochant d'avoir, depuis le 5 janvier 2024, omis de verser les contributions d'entretien dues selon le jugement précité, alors qu'il en avait les moyens.

e. Invité par le Ministère public à se déterminer, B______ a, par lettre de son conseil du 28 mars suivant, indiqué avoir formé appel le 25 septembre 2023 contre le jugement du Tribunal de première instance du 21 août 2023, concluant notamment à ce qu'aucune contribution à l'entretien de ses enfants ne soit mise à sa charge. Son appel ayant suspendu la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision entreprise, la plainte de son ex-épouse était dénuée de tout fondement.

Par ailleurs, et en tout état, il lui avait versé une contribution à l'entretien de leurs enfants de CHF 650.- par mois jusqu'en février 2024, dès lors que ces derniers vivaient exclusivement chez lui depuis mars 2024.

À l'appui de son courrier, il a notamment produit :

- une copie de l'appel qu'il avait déposé le 25 septembre 2023 contre le jugement du Tribunal de première instance du 21 août 2023 susvisé ;

- des extraits de son compte [auprès de la banque] F______ attestant des versements effectués en faveur de A______ du 1er avril 2022 au 5 février 2024, à savoir CHF 650.- par mois ;

- une copie du courrier qu'il avait adressé à la Chambre civile de la Cour de justice le 1er mars 2024 intitulé "Faits nouveaux", dont il ressort qu'il a requis l'attribution de la garde exclusive de son fils E______, à la suite d'un incident survenu le 1er février 2024, ayant conduit ses deux enfants à vouloir vivre exclusivement chez lui. Il concluait également à être libéré du paiement de toute contribution d'entretien en faveur de ses enfants à compter du 1er novembre 2021 et à ce que A______ soit condamnée à lui verser, par mois et d'avance, CHF 640.- à titre de contribution à l'entretien de E______, dès le 1er février 2024 et jusqu'à sa majorité, puis CHF 920.- au-delà en cas d'études sérieuses et suivies ; et CHF 920.- à titre de contribution à l'entretien de D______, tant que cette dernière poursuivait des études de manière investie et sérieuse ; et

- la copie d'une attestation médicale établie le 9 février 2024 par la Dresse G______, psychiatre, qui assurait le suivi psychothérapeutique de sa fille D______ depuis mars 2021. Il en ressort que cette dernière avait consulté la praticienne en urgence le 2 février précédent, en raison d'un "état d'angoisse aigu avec attaques de panique". L'intéressée avait expliqué avoir vécu, la veille au soir, une scène "d'une extrême violence" avec sa mère. Redoutant que cette dernière ne tente de "s'ouvrir les veines" devant elle ou de l'agresser – et craignant pour sa sécurité et celle de son frère cadet – elle s'était rendue avec celui-ci chez leur père.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a ordonné la suspension de l'instruction de la procédure P/6303/2024, au motif que B______ avait formé appel contre le jugement du Tribunal de première instance du 21 août 2023, concluant notamment à ce qu'aucune contribution d'entretien ne soit mise à sa charge, avec effet au 1er novembre 2021. L'issue de la procédure pénale dépendait ainsi de cette procédure civile, dont il paraissait indiqué d'attendre la fin, conformément à l'art. 314 al. 1 let. b CPP.

 

D. a. Dans son recours, A______ conteste avoir reçu un quelconque montant à titre de contribution à l'entretien de ses enfants depuis la fin du mois de janvier 2024. Son ex-époux avait commis un "parjure", en déclarant faussement lui avoir versé CHF 650.- par mois jusqu'en février 2024 (somme qui ne correspondait au demeurant pas à celle qui lui était due en vertu du jugement du Tribunal de première instance du 21 août 2023). Se voyant désormais contrainte de payer la totalité des factures afférentes à ses enfants et de requérir l'aide financière de ses parents, il était urgent de régler la situation.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'ordonnance querellée, sous suite de frais.

Les relations personnelles entre les parents et leurs enfants avaient drastiquement changé depuis le 1er février 2024, puisque ces derniers vivaient désormais exclusivement chez leur père. Cette nouvelle configuration allait certainement avoir une incidence sur la procédure civile, en particulier sur les contributions d'entretien des enfants, étant précisé que les pensions pourraient – au vu des conclusions prises par B______ dans son appel – être dues non plus par le père, mais par la mère.

Par conséquent, le résultat de la procédure civile jouait un véritable rôle sur l'issue de la procédure pénale. Il se justifiait ainsi, en particulier pour éviter le prononcé de potentielles décisions contradictoires sur les plans pénal et civil, de suspendre la procédure jusqu'à droit jugé dans la cause C/1______/2022.

c. Dans sa réplique, la recourante conteste l’existence de faits nouveaux propres à justifier l’appel interjeté par son ex-époux, lequel adoptait "une stratégie" pour se soustraire à ses obligations financières. Ses enfants avaient, certes, vécu durant trois semaines chez leur père au mois de février 2024. Cela étant, elle les avait elle-même accueillis à huit reprises au cours du même mois, puis durant 17, respectivement 20 jours en mars et avril 2024. Par conséquent, leur situation familiale n'avait nullement évolué.

d.   La cause a ensuite été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante s'oppose à la suspension de la procédure.

2.1.  L'art. 217 CP punit, sur plainte, quiconque ne fournit pas les aliments ou les subsides qu'il doit en vertu du droit de la famille, quoiqu'il en ait les moyens ou puisse les avoir.

D'un point de vue objectif, l'obligation d'entretien est violée lorsque le débiteur ne fournit pas intégralement, à temps et à disposition de la personne habilitée à la recevoir, la prestation d'entretien qu'il doit en vertu du droit de la famille (arrêts du Tribunal fédéral 6B_714/2019 du 22 août 2019 consid. 2.2; 6B_608/2017 du 12 avril 2018 consid. 4.1 et la référence citée).

Sur le plan subjectif, l'infraction réprimée par l'art. 217 CP doit être commise intentionnellement. Le dol éventuel suffit. L'intention de ne pas payer le montant dû sera en règle générale donnée si l'obligation a été fixée dans un jugement ou une convention car elle sera alors connue du débiteur (ATF 128 IV 86 consid. 2b p. 90).

La violation d'une obligation d'entretien constitue un délit continu. En effet, si cette infraction est consommée dès que le débiteur a omis intentionnellement de fournir les aliments ou les subsides dus en vertu du droit de la famille, la situation illicite se prolonge aussi longtemps que le débiteur ne reprend pas ses paiements ou se trouve, sans faute, dans l'impossibilité de s'acquitter de son dû.

Lorsque le montant de la contribution d'entretien a été fixé dans le dispositif d'un jugement civil valable et exécutoire, le juge pénal appelé à statuer en application de l'art. 217 CP est lié par ce montant (ATF 106 IV 36 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_787/2017 du 12 avril 2018 consid. 6.1 ; 6B_608/2017 du 12 avril 2018 consid. 4.1 ; 6B_739/2017 du 9 février 2018 consid. 2.1 ; 6B_519/2017 du 4 septembre 2017 consid. 3.2 ; 6B_1017/2016 du 10 juillet 2017 consid. 2.2).

2.2.  Selon l'art. 314 al. 1 let. b CPP, le ministère public peut suspendre l'instruction, lorsque l'issue de la procédure pénale dépend d'un autre procès dont il paraît indiqué d'attendre la fin. Cette mesure ne se justifie toutefois que si le résultat de l'autre cause peut véritablement jouer un rôle sur celui de l'affaire suspendue et qu'il simplifiera de manière significative l'administration des preuves dans cette même affaire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_238/2018 du 5 septembre 2018 consid. 2.1 et les références citées).

Le principe de célérité, ancré aux art. 29 al. 1 Cst féd. et 5 CPP, pose également des limites à la suspension d'une instruction. Ce principe est notamment violé lorsque l'autorité suspend la cause sans motifs objectifs. Pareille mesure dépend d'une pesée des intérêts en présence et ne doit être admise qu'avec retenue, en particulier s'il convient d'attendre le prononcé d'une autre autorité compétente qui permettrait de trancher une question décisive. Dans les cas limites ou douteux, le principe de célérité doit primer (arrêt du Tribunal fédéral 1B_238/2018 du 5 septembre 2018 consid. 2.1 et les références citées).

2.3.  Selon l'art. 315 al. 1 CPC, l'appel suspend la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision dans la mesure des conclusions prises en appel.

2.4.  En l'espèce, la recourante reproche à son ex-époux d'avoir omis de verser, de janvier 2024 à ce jour, les contributions dues pour l'entretien de leurs deux enfants, conformément au jugement du Tribunal de première instance du 21 août 2023 (JTPI/9276/2023).

Force est cependant de constater que ce jugement n'est, à ce jour, pas définitif et exécutoire s'agissant des pensions (éventuellement) dues pendant la période pénale, puisque le mis en cause a formé appel contre celui-ci le 25 septembre 2023. Dans le cadre de cette procédure, il a notamment conclu à l'attribution en sa faveur de la garde exclusive sur son fils E______ dès le 1er février 2024, à ce qu'aucune contribution à l'entretien de ses enfants ne soit mise à sa charge – et ce à compter du 1er novembre 2021 –, et à ce que la recourante soit condamnée à lui verser, dès le 1er février 2024, une somme mensuelle de CHF 1'560.- (CHF 640.- + CHF 920.-) à titre de contribution à l'entretien des enfants.

La quotité et le principe même de la contribution d'entretien seront dès lors déterminés par la juridiction civile actuellement saisie et dont il convient de réserver la décision. En effet, il est difficilement envisageable de poursuivre l'instruction de la présente procédure sans connaître le montant exact qui sera définitivement mis – ou non – à la charge du mis en cause, étant rappelé que le juge pénal est lié par la contribution d'entretien fixée par le juge civil.

Aussi, la mesure litigieuse permet-elle de prévenir d'éventuels jugements contradictoires – en lien avec les aliments possiblement dus à la recourante – et sert-elle l'économie de la procédure. Elle repose, par conséquent, sur des motifs objectifs suffisants.

Dans ces conditions, on ne saurait reprocher au Ministère public de vouloir attendre l'issue de la cause civile, comme le lui permet l'art. 314 al. 1 let. b CPP. La suspension ordonnée pour six mois, soit jusqu'au 8 octobre 2024, ne paraît pas disproportionnée.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 600.-. (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6303/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

-

CHF

Total

CHF

600.00