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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/136/2024

ACPR/331/2024 du 06.05.2024 sur OTMC/1105/2024 ( TMC ) , REFUS

Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;RISQUE DE COLLUSION;RISQUE DE RÉCIDIVE
Normes : CPP.221; CPP.237

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/136/2024 ACPR/331/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 6 mai 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire rendue le 10 avril 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 22 avril 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 avril 2024, notifiée le surlendemain, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a prolongé sa détention provisoire jusqu'au 13 juillet 2024.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance précitée et à sa libération immédiate, subsidiairement avec les mesures de substitution qu'il énumère, ou, plus subsidiairement, à une prolongation de détention limitée au 10 mai 2024.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, ressortissant suisse et brésilien né en 1980, a été arrêté le 3 janvier 2024 et placé en détention provisoire, régulièrement prolongée, la dernière fois jusqu'au 13 avril 2024.

b. Il est prévenu d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP), pornographie (art. 197 CP) et violation des devoirs d'assistance et d'éducation (art. 219 CP).

Il lui est reproché d'avoir, à Genève :

- à des dates indéterminées entre 2005 et 2008, contraint D______, née en 2000 – sa belle-fille à l'époque des faits (ci-après : sa belle-fille) – à subir, à réitérées reprises, des actes d'ordre sexuel, alors que l'enfant était âgé entre 5 et 8 ans, soit en particulier : caressé les parties intimes de la fillette, par-dessus et par-dessous les vêtements ; frotté son pénis contre les parties intimes de l'enfant et éjaculé sur son bas-ventre ; et lui avoir montré de la pornographie, tout en frottant son pénis contre les parties intimes de l'enfant, tandis qu'elle était assise sur ses genoux et qu'ils étaient nus, éjaculant sur son bas-ventre;

- entre 2016 et le 19 juin 2019, commis des actes d'ordre sexuel sur sa fille, E______, née le ______ 2015, en particulier en lui touchant et en lui léchant les parties intimes ainsi qu'en introduisant ses doigts dans le sexe de l'enfant, mettant ainsi intentionnellement en danger son développement.

c. Le 25 juin 2019, F______, mère de E______, a déposé plainte contre A______, dont elle était séparée depuis que leur fille était âgée d'1 an. La procédure pénale P/13477/2019 a été ouverte.

F______ a expliqué qu'au début, l'enfant se rendait deux jours par semaine chez son père, mais revenait perturbée, disait qu'elle avait mal quand elle urinait, et avait des boutons et des rougeurs sur les parties intimes. Elle avait réduit puis supprimé les jours de visite, mais lorsque E______ était retournée chez son père, les boutons et rougeurs avaient réapparu, ainsi que la gêne en urinant. Le 19 juin 2019, après que E______ eut passé la journée avec son père et s'était à nouveau plainte, le lendemain, de brûlures en urinant et avait présenté des boutons, elle (F______) lui avait demandé si son père lui faisait des bisous sur ces endroits et l'enfant avait répondu que oui, mimant la scène. Elle avait emmené sa fille aux urgences pédiatriques, où une assistante sociale lui avait dit qu'elle avait l'impression que quelque chose s'était passé et qu'il fallait suspendre impérativement le droit de visite du père.

d. Lors de son audition selon le protocole EVIG, le 25 juin 2019, E______ a déclaré qu'elle ne savait pas pourquoi elle était allée voir un médecin, ni si quelqu'un lui avait fait du mal. Son père lui avait léché le "popo" – le sexe – avec la langue, et y était parfois allé avec son doigt et son zizi, la dernière fois le week-end précédent. Elle voyait son père au Point de rencontre et il l'emmenait chez lui.

e. Dans le rapport d'expertise de crédibilité, du 5 novembre 2020, les experts ont conclu que les déclarations de E______ lors de son audition EVIG étaient faiblement crédibles. Ils ont notamment relevé qu'elles ne pouvaient "pas être considérées comme cohérentes ni ne contenant des détails en quantité suffisante" et que les questions suggestives qu'avait posées la mère lors du dévoilement initial de l'enfant avaient pu influencer son discours. Il existait, de plus, un conflit parental majeur, ce qui augmentait le risque d'une fausse déclaration.

f. A______ a contesté les faits et déposé plainte contre F______ pour dénonciation calomnieuse [qu'il retirera le 13 décembre 2022].

g. Le Ministère public a classé, par ordonnance du 11 mai 2022, les faits dirigés contre A______, et condamné, par ordonnance pénale du 22 mai 2022, F______ pour dénonciation calomnieuse. Par suite de l'opposition formée par cette dernière, la cause a été transmise au Tribunal de police, qui la renverra au Ministère public dans les circonstances décrites ci-dessous (cf. B.k. infra).

h. Par suite du classement de la procédure, F______ a repris confiance en A______, avec lequel elle a renoué contact. En octobre 2023, il a passé deux semaines avec elle et E______, à Soleure, où elles sont domiciliées. Durant ce séjour, A______ et F______ ont, selon la seconde, "dormi ensemble" et, selon le premier, se sont "remis ensemble".

i. Sur ces entrefaites, le 16 novembre 2023, D______, a déposé plainte contre A______, après s'être confiée à sa soeur, G______ [née en 1988], et à sa mère, H______, (ex-épouse de A______), car cette dernière leur avait annoncé vouloir emménager avec son nouveau compagnon au domicile familial et elle ne voulait pas qu'il y ait à nouveau un homme à la maison. Elle n'avait jamais rencontré F______ ni la fille de celle-ci, E______.

j. Lors de son audition par la police, la mère de D______ a précisé que lorsque sa fille était petite, elle avait trouvé du sperme sur la culotte de l'enfant, à deux reprises, mais, confronté à ce fait, A______ lui avait expliqué s'être masturbé et essuyé avec la culotte de D______, mais ne rien avoir fait à celle-ci.

k. La présente procédure pénale a été ouverte. Parallèlement, le Ministère public a repris l'instruction des faits dirigés contre A______ (art. 323 CPP) dans la procédure P/13477/2019 et le Tribunal de police a renvoyé à cette autorité la cause pendante contre F______. La procédure P/13477/2019 à été jointe à la présente.

l. Entendu par la police et le Ministère public, A______ a, dans les grandes lignes, admis les faits exposés par D______, mais conteste toujours ceux dénoncés par F______. Il n'était pas attiré par les enfants ou les jeunes filles. Il ne pouvait pas expliquer ses actes vis-à-vis de D______. Il avait commis une erreur, car il était à l'époque alcoolique et sous stupéfiants, n'était pas bien dans sa vie et sans suivi thérapeutique. Deux mois avant son arrestation, il avait entamé une thérapie, en raison de la procédure initiée par F______ et des maltraitances subies lorsqu'il était enfant ; il n'avait pas abordé les faits commis à l'égard de D______ ni, en général, les questions en lien avec sa vie sexuelle. Il avait une relation très "fusionnelle" avec E______ – âgée de 8 ans –, qui dormait dans le même lit que lui lorsqu'elle lui rendait visite.

m. Lors de la brève confrontation entre D______ et A______, devant le Ministère public, le 15 février 2024, ce dernier a admis la plupart des faits.

n. Le 14 mars 2024, F______ et A______ ont été confrontés. La première a expliqué qu'avant l'arrestation de A______, E______ avait repris contact avec son père et venait parfois le voir à Genève. L'enfant lui avait dit que ces visites étaient trop longues et qu'elle ne se sentait pas bien. Elle dormait avec son père, car il n'y avait pas deux lits.

o. Lors de l'audience du 14 mars 2024, I______, la première fille de A______, née en 2000, a également été entendue. Elle a déclaré ne pas avoir de souvenirs de son enfance, en particulier pas des fois où elle était seule avec son père. Elle avait subi de la maltraitance de la part de sa mère, et été harcelée à l'école et en internat. Elle n'avait pas de contact avec son père, qui était un étranger pour elle.

p. S'agissant de sa situation personnelle, A______ est arrivé en Suisse, en provenance du Brésil, en 1986, avec sa mère. Il a été adopté par son beau-père. Après la fin de l'école obligatoire, il n'a pas terminé les apprentissages commencés et a effectué des missions temporaires durant dix ans. Après s'être mis à son compte dans le domaine des installations sanitaires, il a été, dès 2012, au chômage puis au bénéfice de l'Hospice général, prestations qu'il percevait encore au moment de son arrestation.

q. À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, A______ a été condamné à trois reprises, entre 2013 et 2018, pour violations d'une obligation d'entretien [plaintes du SCARPA pour la pension due à I______].

C.           Dans l'ordonnance querellée, le TMC a retenu l'existence de charges suffisantes, au vu des déclarations de E______, de D______ et de celles de la sœur et de la maman de cette dernière, ainsi que celles du prévenu, qui admettait majoritairement les faits dénoncés par D______. L'instruction se poursuivait, le Ministère public ayant annoncé qu'il allait procéder à une nouvelle audition de D______, ainsi que de sa mère [fixée au 10 mai 2024], à l'analyse du téléphone du prévenu et à la mise en œuvre d'une expertise psychiatrique.

Il existait un risque de collusion vis-à-vis de D______ et de la mère de celle-ci, au vu des enjeux pour le prévenu, puisqu'il contestait une partie des faits reprochés et que leur ampleur n'était pas encore circonscrite. Ce risque existait aussi à l'égard de la fille aînée du prévenu, I______, laquelle "devra être entendue", ainsi que de E______, et de la mère de celle-ci. Au vu des liens entre le prévenu et E______, ce risque était particulièrement concret. Un risque de fuite ne pouvait par ailleurs pas être exclu, le prévenu étant binational ; des mesures de substitution pourraient toutefois le pallier. Le risque de récidive était important et concret, au vu de la répétition des actes reprochés, sur deux mineures et durant plusieurs années, ce d'autant que A______ dormait dans le même lit que sa fille E______, avec laquelle il disait entretenir une relation "fusionnelle". Aucune mesure de substitution n'était susceptible d'atteindre le but de la détention. Il y avait en particulier lieu d'attendre les conclusions de l'expertise psychiatrique.

D.           a. Dans son recours, A______ ne conteste pas les charges retenues, mais les risques retenus, lesquels pouvaient, selon lui, être palliés par les mesures proposées.

Le risque de collusion à l'égard de F______ et de E______ était inexistant, puisque la première avait déjà été entendue, et qu'il n'était pas en mesure de contacter directement la seconde, laquelle vivait seule avec sa mère, à près de 200 km de Genève. Sa fille I______ avait également été entendue. En outre, il avait majoritairement reconnu les faits dénoncés par D______, de sorte qu'on ne pouvait retenir un risque de collusion vis-à-vis d'elle et de sa mère, H______. Il était "manifestement improbable" qu'il tente de les contacter en vue de les influencer. Tout au plus devait-il être libéré à l'issue de l'audience du 10 mai 2024.

Il ne présentait pas une menace pour la sécurité publique. Les faits qu'il avait reconnus dataient de près de vingt ans et ceux qu'il contestait, dénoncés par F______, remontaient entre 2016 et 2019, soit il y avait plus de cinq ans. Il avait, depuis lors, passé du temps avec sa fille E______ sans qu'aucun problème ne se pose. De plus, les contextes familiaux dans lesquels les infractions avaient été commises n'existaient plus, puisqu'il vivait seul. Il dormait avec sa fille E______ en raison de l'exiguïté de sa chambre et à la demande de l'enfant. Il ne buvait et ne fumait plus que de manière occasionnelle et avait entamé une thérapie avant son arrestation, qu'il avait poursuivie en détention.

La prolongation ordonnée était disproportionnée et le principe de la célérité était violé. Le Ministère public avait disposé de plus de trois mois pour procéder aux actes d'enquête sollicités, lui-même ayant mis à disposition son téléphone et le code d'accès. Une seule audience de confrontation avait été tenue. L'expertise psychiatrique ne nécessitait pas son maintien en détention.

A______ propose les mesures de substitution consistant en : l'interdiction de se rendre à proximité des domiciles de D______, de la mère de celle-ci et de F______ et E______; l'interdiction de contact avec les précitées; la confiscation de son/ses passeport(s); l'obligation de se rendre régulièrement à un service administratif genevois; l'obligation de poursuivre son traitement psychothérapeutique; l'obligation d'exercer une "activité structurée quotidienne", sous la supervision de l'office AI; et l'obligation de déférer aux convocations du Pouvoir judiciaire.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours et se réfère à la décision querellée, dont il fait sien le raisonnement.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance, sans formuler d'observations.

d. Le recourant persiste dans ses conclusions.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne conteste pas les charges retenues contre lui, de sorte qu'il n'y a pas à s'y attarder, mais à renvoyer, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge sur ce point (art. 82 al. 4 CPP ; ACPR/747/2020 du 22 octobre 2020 consid. 2 et les références).

3.             Le recourant conteste l'existence d'un risque de collusion.

3.1. Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).

3.2. Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst., concrétisé par l'art. 237 al. 1 CPP), le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si elles permettent d'atteindre le même but que la détention, par exemple l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (al. 2 let. g).

3.3. En l'espèce, le risque de collusion à l'égard de I______ a disparu après l'audition de cette dernière et sa confrontation au recourant, le 14 mars 2024, ce d'autant plus qu'elle a déclaré n'avoir aucun souvenir de son enfance, en particulier avec son père.

Si ce risque s'est amoindri à l'égard de D______ depuis l'audience du 15 février 2024, il subsiste à l'égard des faits non reconnus par le recourant, et à l'égard de ceux devant être relatés par la mère de la précitée, lesquels feront l'objet de l'audience prévue le 10 mai prochain.

À l'égard de F______, et de sa fille E______, le risque de collusion demeure en revanche très élevé. Non seulement le recourant conteste les faits dévoilés en 2019 par l'enfant, et dénoncés par sa mère, mais il a déposé plainte pénale contre celle-ci pour dénonciation calomnieuse, plainte qui a abouti à la condamnation de F______ par ordonnance pénale, après que les experts avaient émis des doutes sur la crédibilité de l'enfant. Or, après que ces faits ont été classés – avant d'être repris et joints à la présente procédure –, F______ avait refait confiance au recourant et accepté de le revoir, allant jusqu'à cohabiter plusieurs jours avec lui. E______ a quant à elle passé du temps seule avec son père, au domicile de ce dernier. Dans ce contexte, le risque est très grand que, libéré, le recourant ne reprenne contact avec F______, ainsi qu'avec leur fille, et, dans l'incertitude et la déstabilisation dans laquelle elles se trouvent en raison des décisions contradictoires intervenues depuis la dénonciation des faits, qu'il parvienne à modifier l'appréciation de la mère et les souvenirs de la fille. Or, il n'est pas exclu que cette dernière soit à nouveau entendue.

Ni l'interdiction de contact ni celle d'approcher le domicile des concernées ne seraient suffisantes à pallier ce risque, au vu de son intensité. Les autres mesures (dépôt du passeport et présentation à une administration) concernent l'éventuel risque de fuite.

4.             Le recourant conteste tout risque de réitération, et propose des mesures de substitution destinées à le pallier.

4.1. Selon l'art. 221 al. 1bis CPP, la détention provisoire peut exceptionnellement être ordonnée lorsqu'il y a lieu de craindre que le prévenu est fortement soupçonné d'avoir porté gravement atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle d'autrui en commettant un crime ou un délit grave (let. a); il y a un danger sérieux et imminent qu'il commette un crime grave du même genre (let. b).

Le but de cette nouvelle réglementation entrée en vigueur le 1er janvier 2024 est de codifier la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière (ATF 146 IV 136 consid. 2.2 ; 143 IV 9 consid. 2.3.1 ; 137 IV 13 consid. 3-4) et qui permettait déjà de tenir compte d'un risque de récidive pour ordonner la détention, même si le prévenu n'avait pas été condamné antérieurement (Message du Conseil fédéral précité, p. 6395 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_1025/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.2). Il est ainsi possible de se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours pour retenir un risque de récidive, si le prévenu est fortement soupçonné – avec une probabilité confinant à la certitude – de les avoirs commises
(ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1).

Un pronostic défavorable est nécessaire pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 143 IV 9 consid. 2.9). Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées (ATF 146 IV 326 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_668/2021 du 4 janvier 2022 consid. 4.1).

4.2. En l'espèce, l'absence d'antécédents judiciaires spécifiques ne suffit pas à écarter tout risque de récidive, au vu des principes sus-rappelés. Le recourant est poursuivi pour deux complexes de faits similaires, à l'égard de deux fillettes différentes, commis, pour chacun deux, durant plusieurs années. Or, il admet les faits relatifs à sa belle-fille, de sorte que leur réalisation laisse peu de place au doute. S'il conteste avoir commis les actes, ultérieurs, révélés par sa fille cadette, les soupçons à leur égard sont désormais sérieux, au vu de leur similitude avec ceux rapportés par sa belle-fille. Compte tenu de la gravité des actes que le recourant est soupçonné avoir commis, de leur répétition sur de longues périodes et de l'importance du bien juridique – l'intégrité sexuelle d'enfants – protégé, l'application de la disposition légale susmentionnée, et, donc, l'admission d'un risque de réitération, s'imposent.

Le recourant soutient que les faits sont anciens et que sa situation personnelle se serait modifiée depuis, puisqu'il vivrait désormais seul et suivrait une psychothérapie. Il perd toutefois de vue que, à teneur des charges retenues, il aurait recommencé avec sa fille, en 2016, des actes similaires à ceux commis plusieurs années précédentes, de 2005 à 2008, avec sa belle-fille, de sorte que l'ancienneté des faits ne permet pas d'exclure une réitération. Que les récents séjours de sa fille à son domicile se soient, selon lui, déroulés sans problème ne permet pas d'exclure qu'il ne renouvelle des actes de même nature sur celle-ci ou d'autres enfants. Rien n'empêcherait en effet le recourant, âgée de 44 ans, d'entamer une nouvelle relation avec une femme ayant un ou des enfant(s) en bas-âge. Dans la mesure où il ne sait pas lui-même les raisons pour lesquelles il a attenté à l'intimité de sa belle-fille, on ne voit pas ce qui l'empêcherait de recommencer. Faute d'expertise psychiatrique, on ignore également si la psychothérapie entamée est suffisante à pallier ce risque. Le recourant admet d'ailleurs n'avoir pas abordé, avant son arrestation, cet aspect de sa vie avec son thérapeute, ce qui permet de douter que le travail entamé puisse suffire à le détourner d'une inclination dont on ignore par quoi elle est provoquée et comment la contourner. De même, on ne voit pas en quoi le fait que le recourant bénéficie d'une "activité structurée" quotidienne l'empêcherait d'attenter à l'intégrité sexuelle d'enfants.

C'est donc à bon droit que le TMC a retenu un risque de réitération et qu'aucune mesure de substitution, notamment celles proposées par le recourant, n'était apte à le pallier.

5.             Au vu de ce qui précède, point n'est besoin d'examiner si s'y ajoute un risque de fuite (arrêt du Tribunal fédéral 7B_188/2024 du 12 mars 2024 consid. 6.3.1).

6.             Le recourant se plaint d'une violation du principe de la célérité et de la proportionnalité.

6.1. À teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Lorsque le prévenu est détenu, la procédure est conduite en priorité (art. 5 al. 2 CPP). Il doit s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 140 IV 74 consid. 3.2; 137 IV 118 consid. 2.1; 137 IV 92 consid. 3.1 et les arrêts cités). La violation éventuelle du principe de la célérité n'entraîne pas la libération immédiate du détenu lorsque la détention demeure matériellement justifiée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_150/2012 du 30 mars 2012 consid. 3.3; 1B_44/2012 consid. 4 et 5).

6.2. À teneur des art. 197 al. 1 et 212 al. 3 CPP, les autorités pénales doivent respecter le principe de la proportionnalité lorsqu'elles appliquent des mesures de contrainte, afin que la détention provisoire ne dure pas plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible. Selon une jurisprudence constante, la possibilité d'un sursis, voire d'un sursis partiel, n'a en principe pas à être prise en considération dans l'examen de la proportionnalité de la détention préventive (ATF 133 I 270 consid. 3.4.2 p. 281-282 ; 125 I 60 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_750/2012 du 16 janvier 2013 consid. 2, 1B_624/2011 du 29 novembre 2011 consid. 3.1 et 1B_9/2011 du 7 février 2011 consid. 7.2).

6.3. En l'espèce, le recourant est détenu depuis quatre mois. Durant ce laps de temps, il a été confronté une première fois à sa belle-fille et le sera à nouveau dans quelques jours. Il a également été confronté à sa fille aînée, ainsi qu'à la mère de sa fille cadette. L'instruction n'a donc pas connu de temps mort. Le Ministère public annonce l'analyse prochaine du téléphone portable du prévenu et son expertise psychiatrique.

Au vu de la peine concrètement encourue – si les soupçons devaient se concrétiser –, et compte tenu de la gravité des infractions retenues contre le recourant, la détention provisoire ordonnée à ce jour ne viole pas le principe de la proportionnalité.

Il appartient toutefois au Ministère public d'ordonner rapidement – si cela n'est déjà fait – les actes d'instruction annoncés.

7.             Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté.

8.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

9.             Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

9.1.       Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5.1).

9.2.       En l'occurrence, quand bien même le recourant succombe, on peut admettre que l'exercice de ce premier recours ne procède pas d'un abus.

L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

P/136/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

 

 

Total

CHF

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