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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24107/2022

ACPR/931/2023 du 01.12.2023 sur OMP/17060/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PREUVE ILLICITE;APPAREIL DE PRISE DE VUE ET/OU D'ENREGISTREMENT SONORE;PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : CPP.140; CPP.141; CPP.280; CPP.269

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24107/2022 ACPR/931/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 1er décembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance portant exploitabilité de preuve rendue le 14 septembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 28 septembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 précédent, notifiée le 18 suivant, à teneur de laquelle le Ministère public a déclaré exploitables les enregistrements vidéos versés à la procédure par C______.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette ordonnance, au retrait de la procédure des sept enregistrements concernés et à ce qu'il soit dit que les procès-verbaux en faisant état devaient être caviardés, respectivement retirés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 14 avril 2023, à la demande de l'Hospice général, la police a accompagné C______, réfugiée ukrainienne née le ______ 2002, chez son logeur d'alors, A______, pour lui permettre de récupérer des affaires personnelles.

b.a. Entendue le même jour, C______ a expliqué être arrivée en Suisse en mars 2023. Avec l'accord de l'Hospice général, elle avait été placée seule chez A______. Elle l'avait rencontré via la plateforme D______.com. Au début, la cohabitation se passait bien. A______ l'avait aidée avec les démarches administratives. Après l'obtention de son titre de séjour, l'attitude de ce dernier avait changé. Il était devenu manipulateur et avait commencé à lui poser des questions au sujet de sa sexualité. Lorsqu'elle sortait pour aller voir des connaissances ukrainiennes, il lui demandait sans cesse où elle était et de rentrer au domicile. À plusieurs reprises, il lui avait fait des avances, lui suggérant qu'ils ne devaient pas rester de "simples colocataires". Elle avait toujours répondu par la négative. Le 10 avril 2023, A______ s'était allongé dans son lit à elle et avait refusé de partir alors qu'elle le lui avait demandé, en pleurs et à plusieurs reprises. Il lui avait dit: "Imagine quelqu'un qui a faim et avoir un poulet en face de lui qu'il ne peut pas manger. Qu'est-ce que tu ferais à ma place ? J'imagine que si t'étais à la place de cette personne, tu aurais « déchiré » ce poulet". Il avait également tenté de lui toucher la poitrine. Elle avait filmé l'événement avec son téléphone portable. Ce n'était pas la première fois qu'A______ adoptait de tels comportements et il lui arrivait de la menacer de la "foutre dehors".

b.b. C______ n'a pas souhaité porter plainte pour ces faits, ne sachant pas si elle serait en mesure de se rendre aux audiences. Elle s'est néanmoins réservé le droit de le faire ultérieurement.

Elle a également remis à la police sept vidéos prises depuis son téléphone le 10 avril 2023, enregistrées sur une clé USB, avec comme noms de fichier: "Enregistrement_1" à "Enregistrement_7", pour être versées à la procédure.

c. Pour la majorité des vidéos susmentionnées, qui ont été visionnées par A______ et le Ministère public, on y voit uniquement C______ en gros plan, visiblement couchée dans un lit, tandis qu'on entend A______, interagissant avec la précitée en anglais.

Dans l'une des vidéos (Enregistrement_5), la caméra est brièvement tournée de façon à voir le précité, allongé sur le ventre, le visage contre le matelas, dans le lit occupé par C______. Cette dernière lui demande d'aller dans une autre pièce, ce à quoi il répond "non".

Dans une autre (Enregistrement_7), on devine que A______ se penche pour embrasser le front de C______, ce qui semble déplaire à cette dernière.

Dans le fichier Enregistrement_6, C______ déclare: "Don't touch my stomach ok? You tried to do this", avant d'ajouter "it's not normal".

Enfin, dans le ficher Enregistrement_7, on voit C______ en pleurs, priant A______ de retourner dans sa chambre car elle souhaitait dormir.

d. Entendu par la police le 14 avril 2023, A______ a affirmé que l'entente avec C______ était bonne. Il l'avait aidée pour les démarches administratives et elle s'était occupée de son chien. Parfois, avec son consentement, il lui faisait des massages du dos, de la tête, du ventre et des pieds. Ils discutaient souvent, parfois dans son lit à lui, parfois dans le sien à elle. Après quelques jours, l'attitude de C______, qui sortait jusqu'à tard dans la nuit, et certaines de ses dépenses, dont plusieurs achats qui dépassaient des centaines de francs, lui avaient fait imaginer qu'elle était une "escort-girl". Il avait donc fixé des règles, impliquant notamment pour C______ de l'avertir si elle pensait rentrer en dehors des heures prévues. Il l'avait interrogée sur sa sexualité mais dans le contexte de "discussions entre adultes"; il n'avait jamais essayé de l'embrasser, ni de toucher sa poitrine. Le 10 avril 2023, ils avaient convenu que la cohabitation n'était plus possible. Il était assis sur le lit de C______, tandis que cette dernière était couchée. Elle lui avait demandé une première fois de partir mais il avait refusé pour lui expliquer pourquoi il ne souhaitait plus qu'elle restât chez lui; à la deuxième demande, il était parti. Il s'agissait bien de sa voix sur les vidéos. Si C______ pleurait sur l'une d'elles, c'était parce qu'elle était contrariée qu'il souhaitât la voir partir.

e. Par courrier du 29 juin 2023, C______, sous la plume de son conseil, a transmis au Ministère public des extraits de conversations WhatsApp avec A______.

Il en ressort notamment un message envoyé par C______ le 26 mars 2023, dont la teneur est la suivante: "A______, you're saying that I don't respect your rules that you made today. But do you respect mine? You touch me, you touch my chest, you showed your erection yesterday, arguing that you are a man. Although I told you from the first day that this is not normal for me, you pretend that you do not hear me".

f. Le 15 août 2023, le Ministère public a tenu une audience de confrontation. À cette occasion, il a informé A______ qu'il lui était notamment reproché d'avoir contraint C______ à le supporter dans son lit, en refusant d'y partir, de lui avoir touché le corps, tenté de lui toucher la poitrine, lui avoir fait des avances de nature sexuelle et de lui avoir montré son sexe en érection.

C______ a confirmé vouloir déposer plainte pour ces faits et expliqué que le soir du 10 avril 2023, A______ lui avait dit qu'il avait une érection, qu'il était un homme et qu'il avait besoin d'avoir une relation intime. Il avait commencé à lui caresser le dos et le ventre. Elle avait alors crié et pleuré en lui demandant de ne pas la toucher. Elle n'était plus certaine qu'il lui ait touché les seins par-dessus les vêtements le soir en question, mais cela était déjà arrivé à plusieurs reprises auparavant. Sur le moment, elle avait eu peur d'être violée. Selon elle, A______ ne savait pas qu'elle avait filmé la scène.

A______, mis au bénéfice de la défense d'office, a expliqué que le soir en question, il était assis sur le lit de C______ pour discuter des problèmes de cohabitation. Comme elle ne voulait pas partir au centre d'accueil de E______, elle était devenue hystérique. Il s'était levé du lit mais n'était pas sorti de la chambre car il se sentait mal à l'aise vis-à-vis de leur relation amicale jusqu'alors. Il ne savait pas que C______ avait filmé les événements avec son téléphone.

Le conseil de A______ a émis une réserve sur l'exploitabilité des vidéos versées à la procédure et demandé que celles-ci soit écartées du dossier. Un délai a été imparti aux parties pour se déterminer.

g. Par courrier du 6 septembre 2023, C______ a conclu à la licéité, subsidiairement à la recevabilité des preuves litigieuses.

h. Le même jour, A______ a pris des conclusions contraires à celles de C______.

i. Le 11 septembre 2023, C______ a transmis au Ministère public les messages échangés avec A______ avant sa venue en Suisse.

Il en ressort, en substance, que dès janvier 2023, C______ expliquait que rester à F______ [Ukraine] devenait physiquement difficile en raison du manque d'eau et d'électricité, mais également dangereux ("It's just that now being in F______ is not only physically difficult (due to regular lack of electricity and water), but also dangerous"). Elle prenait son départ très au sérieux, sachant qu'elle n'avait jamais voyagé seule auparavant ("This is very serious for me, I have never moved alone before").

Après plusieurs allusions ("A book I liked was the Kamasutra do you read it?", "Do you want that I treat you as a refugee or as my girlfriend?"), A______ exprimait plus clairement ses attentes concernant d'éventuelles relations intimes ("Look I can you give you all your comfort, but sexe is important for me are you ready for this?", "But to start maybe we can play a little. For example I can wait for you if you make me some BJ").

En réponse, C______ refusait ces propositions, rappelant qu'elle ne cherchait qu'un refuge à la guerre mais qu'elle n'était pas une escort. Elle était prête à trouver une autre solution si A______ ne changeait pas d'avis ("Sorry, it is no for me", "Look, to be honest, I'm a young girl running from a war and looking for help, U understand? I am not an escort, I am not a prostitute. I am not interested in sex for the night. Apparently we did not understand each other, so you can look for another girl", "I'm only looking for a person who can shelter me, but all men only offer me help under the guise of sex with them in the future. It's terrible to take advantage of my fortune").

Finalement, A______ lui assurait qu'elle pouvait venir comme une simple amie ("You can come, and we can be friends, not sex"), ce à quoi C______ réaffirmait l'importance qu'elle accordait à ce point ("I would gladly come to you if you would only consider me as a friend"). Malgré cela, A______ continuait ses allusions ("I will try to take care of you. But like a friend [émoji clin d'oeil]. Or more if you want [émoji coquin]", "Sometimes you make me crazy. Because I'm a ♂").

C______ rappelait qu'ils avaient convenu d'être de simples amis et qu'elle ne souhaitait pas revenir sur le sujet ("Let's always communicate only as friends and nothing more okay?", "We already talked about it and I don't want to go back to this conversation"). La réponse de A______ laissait supposer qu'il ne s'en souvenait pas ("I think I have a memory of a fish").

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'en enregistrant des images et du son au moment où A______ se trouvait dans la pièce avec elle, C______ pouvait avoir réalisé les infractions visées aux art. 179ter et 179quater CP. Cela étant, au sens des art. 280 s. CPP, l'installation d'une caméra sur ordre des autorités aurait été possible. En outre, les infractions potentiellement commises par A______, soit la contrainte (art. 181 CP) et la contrainte sexuelle (art. 189 CP), voire l'abus de la détresse (art. 193 CP), étaient graves, notamment compte tenu des circonstances. Le bien juridique protégé, soit la liberté de détermination sexuelle, était d'une importance primordiale, si bien que la pesée des intérêts devait pencher du côté de la protection de C______. Enfin, il était sans pertinence qu'au moment où les vidéos avaient été prises, aucun soupçon ne pesait sur lui, tant qu'il en existât aujourd'hui pour légitimer l'exploitation de ces preuves.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que les vidéos avaient été prises afin d'exercer un moyen de pression contre lui, vu qu'il souhaitait mettre fin à la cohabitation. Ces preuves avaient, en outre, été obtenues de façon trompeuse puisque C______ avait feint de regarder son téléphone alors qu'en réalité, elle filmait la conversation à son insu. Cette méthode, prohibée par l'art. 140 CPP, rendait les vidéos inexploitables. Comme retenu par le Ministère public, les sept vidéos provenaient d'un comportement prohibé par les art. 179ter et 179quater CP, ainsi que par les dispositions de la Loi sur la protection des données (ci-après: LPD). Elles étaient donc illicites. Au moment où lesdites vidéos avaient été filmées, le Ministère public ne nourrissait aucun soupçon à son endroit, ce qui signifiait que les autorités de poursuites pénales n'auraient pas pu les obtenir par un acte d'instruction. Enfin, les faits reprochés ne justifiaient pas de faire exception au principe de l'art. 141 al. 2 CPP.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance portant sur l'exploitabilité d'un moyen de preuve sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP;
ATF 143 IV 475 consid. 2.9; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3).

2.             Le recourant soutient l'inexploitabilité des sept vidéos litigieuses.

2.1. La procédure pénale contient des dispositions sur les méthodes d'administration des preuves interdites (art. 140 CPP) et sur l'exploitation des moyens de preuves obtenus illégalement (art. 141 CPP). Ainsi, les moyens de contrainte, le recours à la force, les menaces, les promesses, la tromperie et les moyens susceptibles de restreindre les facultés intellectuelles ou le libre arbitre sont interdits dans l’administration des preuves (art. 140 al. 1 CPP) et les preuves administrées en violation de cette disposition ne sont en aucun cas exploitables (art. 141 al. 1 CPP).

Les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (art. 141 al. 2 CPP). Plus l'infraction est grave, plus l'intérêt public à la découverte de la vérité l'emporte sur l'intérêt privé du prévenu à ce que la preuve soit écartée (ATF 147 IV 9 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_821/2021 du 6 septembre 2023 consid. 1.5.1).

2.2. La procédure pénale ne règle en revanche pas de manière explicite dans quelle mesure ces dispositions s'appliquent quand les moyens de preuve sont récoltés, non pas par les autorités, mais par des personnes privées. Dans une telle situation, il n'existe donc pas d'interdiction de principe de les exploiter (arrêt du Tribunal fédéral 1B_91/2020 du 4 mars 2020 consid. 2.2).

De tels moyens de preuve sont uniquement exploitables si, cumulativement, ils auraient pu être obtenus par les autorités de poursuite pénale conformément à la loi et si une pesée des intérêts en présence justifie leur exploitation. Dans le cadre de cette pesée d'intérêts, il convient d'appliquer les mêmes critères que ceux prévalant en matière d'administration des preuves par les autorités. Les moyens de preuve ne sont ainsi exploitables que s'ils sont indispensables pour élucider des infractions graves (ATF 147 IV 16 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_862/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.1). En tout état de cause, au stade de l'instruction, il convient de ne constater l'inexploitabilité de ce genre de moyen de preuve que dans des cas manifestes (arrêts du Tribunal fédéral 1B_91/2020 précité consid. 2.2; 1B_234/2018 du 27 juillet 2018 consid. 3.1).

2.3. L'art. 280 CPP permet au ministère public d'utiliser des dispositifs techniques de surveillances aux fins d'écouter ou d'enregistrer des conversations non publiques (let. a) et d'observer ou d'enregistrer des actions se déroulant dans des lieux qui ne sont pas publics ou qui ne sont pas librement accessibles (let. b).

Par le renvoi de l'art. 281 al. 1 CPP, les conditions pour que cette mesure soit ordonnée sont l'existence de graves soupçons laissant présumer que l'une des infractions visées à l'art. 269 al. 2 CPP – parmi lesquelles figurent la contrainte (art.  181 CP), la contrainte sexuelle (art. 189 CP) et l'abus de la détresse (art. 193 CP) – a été commise et que la mesure se justifie au regard de la gravité de l'infraction (art. 269 al. 1 let. a et b CPP).

Il n'est pas nécessaire que les autorités pénales aient effectivement eu connaissance des faits fondant les graves soupçons propres à justifier une surveillance. Il est en revanche impératif que de tels soupçons aient existé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_53/2020 du 14 juillet 2020 consid. 1.3).

Le principe de subsidiarité ancré à l'art. 269 al. 1 let. c CPP n'est en revanche pas applicable en présence d'un enregistrement privé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_786/2015 du 8 février 2016 consid. 1.3.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 12a ad Intro. art. 139-141).

2.4. L'infraction de contrainte réprime d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’oblige à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte (art. 181 CP). Elle protège le bien juridique de la liberté d'action d'autrui (ATF 129 IV 6 consid. 2.1).

L'infraction de contrainte sexuelle punit d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister l’aura contrainte à subir un acte analogue à l’acte sexuel ou un autre acte d’ordre sexuel (art. 189 al. 1 CP).

Quant à l'abus de la détresse, elle punit d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui, profitant de la détresse où se trouve la victime ou d’un lien de dépendance fondé sur des rapports de travail ou d’un lien de dépendance de toute autre nature, aura déterminé celle-ci à commettre ou à subir un acte d’ordre sexuel (art. 193 al. 2 CP).

Tant la contrainte sexuelle que l'abus de la détresse protègent le bien juridique de l'autodétermination en matière sexuelle (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 5 ad art. 189 et n. 2 ad art. 193).

2.5. En l'espèce, l'argument du recourant selon lequel les enregistrements litigieux seraient contraires à l'art. 140 CPP peut être d'emblée rejeté.

Il est constant que le recourant ne savait pas que la plaignante filmait lors de la soirée du 10 avril 2023 et on peut présumer que, le cas échéant, il s'y serait opposé. Cela étant, son ignorance ne suffit pas à considérer qu'il aurait été trompé. Il n'a ainsi jamais prétendu que la plaignante l'aurait induit en erreur pour l'amener à tenir des propos incriminants. En outre, elle n'a pas dissimulé son téléphone puisqu'elle le tenait dans ses mains, à la vue du recourant, qui pouvait donc envisager la possibilité que les propos échangés soient enregistrés. À cet égard, le Tribunal fédéral a refusé de reconnaître le caractère absolument inexploitable de l'enregistrement d'une conversation par un tiers qui avait dissimulé l'appareil enregistreur sur lui, sans en informer son interlocuteur (cf. arrêt 1B_91/2020 précité). A fortiori tel doit être le cas ici.

Les allégations du recourant selon lesquelles la plaignante aurait agi pour obtenir un moyen de pression contre lui ne reposent sur aucun élément concret. De surcroît, cela concernerait le motif des agissements de la plaignante et non la méthode employée, rendant ainsi l'argument hors sujet au regard du grief de l'illicéité des preuves.

2.6. Reste à savoir si les preuves litigieuses sont inexploitables au sens de l'art. 141 al. 2 CPP.

À cet égard, il sied de préciser que point n'est besoin d'examiner si les enregistrements ont été obtenus en violation des art. 179ter et 179quater CP ou des dispositions de la LPD puisque, même dans ce cas, ils resteraient exploitables, au vu de ce qui suit.

En effet, selon le Ministère public, les faits reprochés au recourant pourraient être constitutifs, à tout le moins, de contrainte et de contrainte sexuelle, voire d'abus de la détresse. Toutes les infractions concernées, soit les art. 181, 189 et 193 CP, sont comprises dans la liste de l'art. 269 al. 2 CPP, applicable par renvoi de l'art. 281 al. 4 CPP. Les autorités pénales auraient ainsi pu ordonner la mise en place de mesures techniques de surveillance au sens de l'art. 280 CPP.

En outre, les messages WhatsApp versés à la procédure, antérieurs au 10 avril 2023, paraissent établir, en l'état, que le recourant attendait de la plaignante des faveurs sexuelles en contrepartie de son hébergement, tandis que celle-ci a, expressément et à réitérés reprises, refusé cette éventualité. Dans le message envoyé par la plaignante le 26 mars 2023, elle reproche plus particulièrement au recourant de ne pas respecter les "règles" ("rules"), de lui avoir touché la poitrine et de lui avoir montré son sexe en érection, alors qu'elle lui avait justement exprimé son désaccord avec toute proximité intime.

Partant, des soupçons contre le recourant existaient déjà au moment où les vidéos litigieuses ont été enregistrées, même s'ils n'avaient pas encore été portés à la connaissance du Ministère public. Ainsi, au regard des exigences formelles prévues par la loi, l'autorité précédente aurait pu ordonner des mesures techniques de surveillance pour obtenir les vidéos litigieuses.

S'agissant de la pesée des intérêts, la balance penche du côté de l'exploitabilité des preuves.

Les infractions retenues à l'encontre du recourant sont définies comme des délits pour deux d'entre elles (contrainte et abus de la détresse, art. 10 al. 3 CP) et comme un crime pour la dernière (contrainte sexuelle, art. 10 al. 2 CP). Elles protègent des biens juridiques primordiaux comme la liberté et plus particulièrement la liberté d'autodétermination en matière sexuelle. Les faits reprochés sont d'autant plus graves qu'ils impliqueraient, pour le recourant, d'avoir tenté d'obtenir des faveurs sexuelles d'une jeune refugiée fuyant la guerre, qui avait pourtant exprimé, sans ambiguïté et de façon réitérée, son refus de telles propositions; voire d'avoir confronté cette dernière, contre son gré, à un acte d'ordre sexuel. De surcroît, les vidéos litigieuses ne sont pas les seules preuves au dossier, puisque de nombreux messages ont également été produits par la plaignante à l'appui de ses dires. La nécessité de découvrir la vérité l'emporte donc sur l'intérêt privé du recourant à ce que les preuves en question soient retirées du dossier.

En résumé, le choix du Ministère public de retenir l'exploitabilité des sept vidéos litigieuses ne prête pas le flanc à la critique.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait être d'emblée traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

5.             Le recourant, bien qu'au bénéfice de l'assistance juridique, supportera les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4 et 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6), qui seront fixés en totalité à CHF 800.- (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24107/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

715.00

Total

CHF

800.00