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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14429/2021

ACPR/649/2023 du 17.08.2023 sur OMP/7011/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : GESTION DÉLOYALE;COMPLICITÉ;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);DOMMAGE;CALCUL
Normes : CP.158; CPP.263

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14429/2021 ACPR/649/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 17 août 2023

Entre

A______ SA et B______, ______ [VD], représentés par Me Stefan DISCH, avocat, chemin des Trois Rois 2, case postale 5843, 1002 Lausanne,

recourants,

contre l'ordonnance de maintien des séquestres rendue le 14 avril 2023 par le Ministère public,

et

C______, [appartenant au groupe] D______ SA, sis ______[GE], représenté par Mes Robert HENSLER et Frédéric HENSLER, avocats, Fontanet et associés, grand-rue 25, case postale, 1211 Genève 3,

E______, domicilié ______ [VD], représenté par Me Yvan JEANNERET, avocat, Keppeler Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, case postale 6090, 1211 Genève 6,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 27 avril 2023, A______ SA et B______ recourent contre l'ordonnance du 14 avril 2023, notifiée le 17 suivant, par laquelle le Ministère public a maintenu les séquestres ordonnés sur le compte courant de la première, la somme de CHF 83'500.- en espèces et trois véhicules.

Les recourants concluent à la levée du séquestre sur la somme en espèces et sur les trois véhicules, ainsi que sur le compte courant en tant qu'il dépasserait la somme de CHF 450'000.-, qu'ils acceptent de maintenir saisie.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. En juillet 2021, C______, [appartenant au groupe] D______ SA (ci-après, C______ SA) a déposé plainte pénale contre E______, son directeur de l'époque.

b. Le 23 juillet 2023, le Ministère public a ouvert une instruction contre E______ principalement pour gestion déloyale (art. 158 CP), escroquerie (art. 146 CP), abus de confiance (art. 138 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP).

Le prénommé est soupçonné d'avoir, en 2020 et 2021, au préjudice de son employeur, acquis et vendu des véhicules de luxe sans rédiger les actes formels usuels, sans obtenir un paiement intégral préalable de l'acheteur et en s'appropriant l'argent des ventes ; établi de faux documents, tels que de faux contrats, afin de tromper tant les clients que son employeur et s'enrichir illégitimement ; et vendu des véhicules à des prix sensiblement inférieurs à leur valeur marchande.

c. Au cours de ses auditions, E______ a déclaré que la société vaudoise A______ SA, soit pour elle son administrateur B______, lui avait acheté de nombreux véhicules à des prix bradés, moyennant le versement de commissions en sa faveur.

Entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements (art. 178 let. d CPP), B______ a contesté ces faits.

d. Par ordonnance du 2 septembre 2021, le Ministère public a ordonné, après la perquisition des locaux de A______ SA, la mise sous séquestre – à titre probatoire et conservatoire –, de CHF 83'500.- en liquide (trouvés dans le coffre-fort de la société), ainsi que d'une vingtaine de véhicules.

La décision précisait que cette mesure était "susceptible de permettre la mise en sûreté des objets et valeurs pouvant être utilisés comme moyens de preuve utilisés pour garantir le paiement des frais de la procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités restitués au lésé confisqués, ces derniers étant en lien de connexité avec la ou les infraction(s) reprochée(s) confisqués en vue d'exécution d'une créance compensatrice" (sic).

e. Le 7 septembre 2021, le Ministère public a ordonné, "pour les besoins de l'instruction" et sur la base de l'art. 263 CPP, le séquestre des avoirs bancaires de A______ SA et de B______ auprès de [la banque] F______. Le séquestre a notamment porté, à hauteur de CHF 2'974'614.25, sur la relation 1______, dont la première est titulaire, et sur laquelle le second dispose d'une procuration.

Des avoirs de B______ ont également été saisis.

f. Ces ordonnances n'ont pas fait l'objet d'un recours. Les demandes ultérieures de levée des séquestres ont partiellement abouti : CHF 130'000.- et CHF 71'418.- ont été libérés sur le compte de A______ SA pour le paiement de factures, et les saisies ont été levées sur les véhicules, à l'exception de trois d'entre eux (une G______/2______ [marque, modèle], une H______/3______ [marque, modèle] et une I______/4______ [marque, modèle]).

g. Par lettre du 20 mars 2023, B______ et A______ SA ont requis à nouveau la levée des séquestres.

h.a. Lors de l'audience du 29 mars 2023, le Ministère public a prévenu B______ ainsi que J______ – employé de A______ SA soupçonné d'être son administrateur de fait –, de complicité de gestion déloyale, complicité d'abus de confiance, complicité d'escroquerie, ainsi que de corruption privée active (art. 322octies CP). E______ a, quant à lui, été prévenu à titre complémentaire de corruption privée passive (art. 322novies CP).

Il est reproché aux deux premiers d'avoir, de mai 2018 à juillet 2021, alors qu'ils étaient organe de droit – respectivement de fait – de A______ SA, effectué avec E______ de nombreuses transactions à perte pour C______ SA, soit que les prix auxquels ils achetaient les véhicules à ce garage étaient largement inférieurs (entre 30 % et 50 %) aux prix du marché, soit qu'ils lui vendaient des véhicules à des prix surévalués, étant précisé qu'ils avaient versé à E______ de généreuses commissions, d'un montant total de l'ordre de CHF 150'000.- à CHF 200'000.-, en sachant ou à tout le moins en acceptant que le précité lèse ainsi les intérêts de son employeur dans un dessein d'enrichissement illégitime.

B______ et J______ contestent avoir commis une infraction. Ils avaient fait confiance à E______ et pensaient que les véhicules étaient achetés au prix du marché.

E______ admet, quant à lui, avoir vendu, à l'insu de son employeur, des véhicules à A______ SA à un prix inférieur à celui du marché, moyennant le versement, par celle-ci, de commissions en sa faveur (à lui).

h.b. Lors de cette audience, C______ SA a produit un tableau récapitulatif de ses prétentions civiles, établi par sa comptabilité. Ce tableau mentionne, pour les 116 transactions litigieuses, le nom de l'ancien propriétaire du véhicule et la marque de ce dernier ; le prix d'achat fondé sur les pièces en sa possession et son système informatique interne (sommes réellement payées par le garage) ; le montant de la marge perdue ; le prix de revente à A______ SA, selon les pièces issues de la perquisition ; et le prix de revente selon "nos systèmes".

La plaignante a expliqué qu'un certain nombre de documents en sa possession étaient des faux créés par E______ pour dissimuler la perte réelle de certaines opérations. Par ailleurs, le prix d'achat de plusieurs véhicules lui était encore inconnu, notamment car leur achat n'avait pas été inséré dans le système informatique. En outre, pour certains véhicules, aucune pièce n'avait été saisie lors de la perquisition, ni produite par A______ SA. Cela étant, sur la base des indications – certes en partie incomplètes – qu'elle avait pu rassembler, son préjudice, qui résultait de la différence entre le prix d'achat du véhicule et le prix de vente à A______ SA, incluant sa marge (à elle) perdue, s'élevait à CHF 2'344'995.33. Aucune transaction n'était en effet censée être réalisée sans qu'elle ne bénéficie d'une marge, entre 10 % et 20 %, qu'elle avait fixée à 12 % par simplification dans le tableau. Si l'on ne tenait pas compte de la marge perdue, son préjudice s'élevait à CHF 1'250'777.97, car certains clients, dont le véhicule avait été "bradé" à A______ SA par E______, n'avaient pas été payés par ce dernier et elle avait dû les indemniser. Elle avait sollicité une expertise auprès du Ministère public – qui ne s'était pas encore déterminé sur sa requête –, pour clarifier ces points. Son préjudicie était susceptible d'être amplifié à réception des pièces manquantes.

h.c. Les parties se sont exprimées sur le contenu du tableau produit par C______ SA. B______ et J______ estiment avoir acheté des véhicules "au juste prix" et contestent avoir versé des commissions à E______, mais une sorte de pourboire pour des repas au restaurant.

E______ a expliqué que le prix inférieur au prix du marché des véhicules vendus à A______ SA était reconnaissable par B______ et J______. Il avait reçu une commission de CHF 1'500.- en moyenne, en liquide, par véhicule vendu à A______ SA. Cela avait concerné "une bonne centaine" de véhicules, ce qui correspondait à tout le moins à CHF 150'000.-. Les sommes versées pour des repas s'ajoutaient aux commissions.

i. Par ordonnance du 14 avril 2023, le Ministère public a levé le séquestre sur le compte privé de B______.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public expose que le montant du dommage allégué par C______ SA devait encore être affiné. Toutefois, la partie plaignante avait rendu vraisemblable avoir subi un préjudice en raison des agissements de B______ et J______. Les séquestres ordonnés sur le compte courant de A______ SA
(IBAN 1______), ainsi que sur les espèces de CHF 83'500.- et les trois véhicules, étaient ainsi maintenus. Une solution devrait être trouvée, avec la partie plaignante, pour éviter toute dévaluation liée à une immobilisation prolongée des voitures.

D. a. Dans leur recours, A______ SA et B______ estiment disposer d'un intérêt juridiquement protégé à recourir, la première en sa qualité de propriétaire des biens séquestrés, le second en sa qualité d'administrateur unique et seul actionnaire de celle-ci.

Ils reprochent au Ministère public, en premier lieu, un déni de justice. Selon l'ordonnance querellée, dont la motivation tenait en quelques lignes seulement, le séquestre devait être maintenu au seul motif que la partie plaignante aurait rendu vraisemblable l'existence d'un préjudice, sans préciser ni à quoi se rapporteraient ses prétentions ni le montant dudit préjudice. Il leur était impossible de comprendre les motifs justifiant le maintien des séquestres et vérifier si le principe de la proportionnalité était respecté. De plus, bien que le Ministère public reconnût la nécessité de remédier à la dépréciation des véhicules séquestrés, il n'énonçait aucune mesure, plus d'une année et demi après leur séquestre. La décision était dès lors lacunaire.

Les recourants reprochent, en outre, à la décision querellée son caractère disproportionné. Les valeurs séquestrées dépassaient de plus de CHF 550'000.- les prétentions les plus élevées articulées par la plaignante, que celle-ci fixait à CHF 2'344'995.33. Les séquestres étaient, en outre, fondés exclusivement sur les chiffres articulés par la partie plaignante, selon un tableau établi par celle-ci sans qu'aucune pièce ni aucune preuve n'ait, après un an et demi d'enquête, été fournie. Au surplus, même en examinant ledit tableau, la différence entre le prix d'achat des véhicules litigieux et le prix de vente à elle-même (soit à A______ SA), lorsque ces prix étaient connus, établissait que la plaignante n'avait pas subi de préjudice. Partant, le maintien d'un séquestre maximal de CHF 449'500.-, par précaution jusqu'à la clarification complète de l'aspect civil de l'affaire, était parfaitement raisonnable, ce d'autant que l'ampleur des séquestres avait de graves répercussions sur son activité, paralysée depuis plus d'un an et demi. Les séquestres sur les véhicules devaient en outre être levés, l'immobilisation de ceux-ci engendrant une importante dévaluation, en violation de l'art. 266 al. 2 et 5 CPP.

b. E______ s'en rapporte à l'appréciation de l'autorité de recours, ne se considérant pas directement touché par la question de la levée des séquestres.

c. C______ conclut, avec suite de frais et indemnité de CHF 5'000.-, à l'irrecevabilité du recours de B______ et au rejet du recours de A______ SA.

La situation financière de cette société était saine, contrairement à ses dires, puisqu'elle n'avait aucune poursuite et que, à la levée partielle des séquestres sur la vingtaine de véhicules (cf. B.f. supra), elle avait ouvert un nouveau compte bancaire pour poursuivre ses activités. Le bradage des véhicules auquel s'était livré E______ était confirmé par les dires de celui-ci. Or, le manque total de collaboration des consorts B______/J______, leurs déclarations contradictoires et la rétention de documents à laquelle ils se livraient ne permettaient en l'état pas d'arrêter définitivement le montant du dommage. Elle avait demandé qu'une expertise judiciaire soit ordonnée pour évaluer l'étendue des pertes subies, mais cet acte d'enquête n'avait pas encore été ordonné.

Le dommage subi par suite des agissements de E______ et ses acolytes se chiffrait pour l'instant à plus de CHF 13 millions, somme qui était attestée par le réviseur aux comptes et avait dû être comptabilisée. Elle produit, à cet égard, une attestation de K______ Ltd, du 24 mai 2023, à teneur de laquelle "C______, [appartenant au groupe] D______ SA a constaté, lors de l'exercice comptable clos au 31 décembre 2021, des charges extraordinaires de CHF 13'105'588.72. Ces charges ont dû être comptabilisées en raison du dommage causé par les transactions frauduleuses [ ] de l'ancien directeur du garage, M. E______".

Ce préjudice dépassait très largement le montant de l'ensemble des actifs séquestrés dans la procédure, de sorte que les saisies respectaient le principe de la proportionnalité. Même si B______, J______ et leur société A______ SA n'étaient pas coauteurs et complices de l'ensemble des actes illicites reprochés à E______, ils avaient participé activement à la poursuite de la "cavalerie" en incitant le bradage de véhicules. Or, elle ne disposait toujours pas de la totalité des pièces relatives aux transactions liées à A______ SA, B______ et J______ n'ayant pas remis tous les documents, et certaines pièces étaient des faux créés par E______ pour dissimuler la perte réelle de certaines opérations. Cela étant, sur la base des seules informations au dossier, le dommage causé via A______ SA se montait au minimum à CHF 2'344'995.33 – soit CHF 1'250'777.97 augmentés des marges perdues –, préjudice qu'elle avait illustré dans le tableau récapitulatif.

d. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Les séquestres avaient, jusqu'à la décision querellée, été maintenus dans l'attente de faire toute la lumière sur les agissements de E______ en lien avec ses activités commerciales avec A______ SA. Les précédentes décisions de maintien des séquestres n'avaient d'ailleurs pas été contestées. Une fois apparue l'existence de soupçons suffisants contre B______ et J______, ceux-ci avaient été mis en prévention. L'ordonnance querellée avait été rendue dans le prolongement de l'audience du 29 mars 2023, lors de laquelle le montant du préjudice allégué par la partie plaignante avait longuement été expliqué par cette dernière. La décision était certes brièvement motivée, mais faisait expressément référence au contenu de l'audience précitée s'agissant du montant du préjudice de la partie plaignante. À ce stade de l'instruction, non seulement le dommage n'était pas définitivement arrêté, mais les faits reprochés à B______ et J______ devaient encore être précisés, la partie plaignante continuant à rechercher toutes les transactions douteuses effectuées par E______ avec A______ SA. L'instruction devait donc se poursuivre, les charges étant suffisantes en l'état.

e. Dans leur réplique, A______ SA et B______ invoquent une nouvelle violation de leur droit d'être entendus, en raison du trop court délai – cinq jours – imparti pour répliquer. De plus, les déterminations du Ministère public visaient à tenter de réparer le défaut de motivation de l'ordonnance querellée, mais demeuraient insuffisantes pour comprendre quel type de séquestre était prononcé, en quoi les conditions étaient remplies, si le principe de la proportionnalité était respecté et à quoi se rapportaient les prétentions civiles couvertes par le séquestre. La violation de leur droit d'être entendus n'était donc pas réparée.

Le Ministère public persistait par ailleurs à ne se fonder que sur les allégations de la partie plaignante, sans les vérifier ni "s'interroger" sur les incohérences mises en évidence dans leur recours. Lors de l'audience du 29 mars 2023, la partie plaignante n'avait apporté aucune explication substantielle, de sorte que l'ordonnance querellée ne pouvait reposer sur cette audience. Au surplus, jamais ils n'avaient refusé de produire de documents, qui avaient tous été séquestrés par le Ministère public lors de la perquisition. Au demeurant, il appartenait à l'accusation de démontrer la réalisation des conditions du séquestre et à la partie plaignante d'établir son dommage.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours, déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), contre une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), est recevable en tant qu'il est formé par A______ SA, tiers séquestré qui, touché par un acte de la procédure (art. 104 al. 1 let. f CPP) sur les biens dont il est propriétaire, a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Tel n'est en revanche pas le cas du recours formé par B______.

1.2.1. La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2 p. 78; 141 IV 454 consid. 2.3.1 p. 457). Pour être directement touché, le lésé doit ainsi subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie. Les personnes subissant un préjudice indirect ou par ricochet ne sont donc pas lésées et sont des tiers n'ayant pas accès au statut de partie à la procédure pénale
(ATF 141 IV 454 consid. 2.3.1).

1.2.2. En l'espèce, le recourant, en sa qualité d'administrateur – voire d'actionnaire – de A______ SA, ne subit qu'un préjudice indirect par les séquestres litigieux sur les valeurs et biens appartenant à la précitée. Ainsi, bien que prévenu à la procédure, il n'a pas qualité pour contester l'ordonnance querellée.

Le recours sera dès lors déclaré irrecevable en ce qui le concerne.

2.             La recourante se prévaut d'une violation de son droit d'être entendue, en tant que l'autorité précédente n'aurait pas suffisamment motivé sa décision et que la Chambre de céans lui aurait accordé un délai insuffisant pour répliquer.

2.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4; ATF 136 I 229 consid. 5.2; ATF 135 I 265 consid. 4.3). Il suffit que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 et les références ; ATF 142 I 135 consid. 2.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_246/2017 du 28 décembre 2017 consid. 4.1 ; 6B_726/2017 du 20 octobre 2017 consid. 4.1.1).

Une violation de ce droit peut toutefois être réparée. En effet, le Tribunal fédéral admet la guérison – devant l'autorité supérieure qui dispose d'un plein pouvoir d'examen – de l'absence de motivation, pour autant que l'autorité intimée ait justifié et expliqué sa décision dans un mémoire de réponse et que le recourant ait eu la possibilité de s’exprimer sur ces points dans une écriture complémentaire; il ne doit toutefois en résulter aucun préjudice pour ce dernier (ATF 125 I 209 consid. 9a p. 219; 142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226).

2.2. Le droit de répliquer n'impose pas à l'autorité judiciaire l'obligation de fixer un délai à la partie pour déposer d'éventuelles observations. Elle doit seulement lui laisser un laps de temps suffisant, entre la remise des documents et le prononcé de sa décision, pour déposer des observations si elle l'estime nécessaire (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 et les références citées).

2.3. En l'espèce, l'ordonnance querellée expose que, bien que le montant du dommage allégué par la plaignante devait encore être affiné, celle-ci avait rendu vraisemblable avoir subi un préjudice en raison des agissements de B______ et J______, de sorte qu'il y avait lieu de maintenir les séquestres litigieux. Une solution devait en outre être trouvée avec la partie plaignante en lien avec les trois véhicules saisis. Cette motivation est suffisante pour que la recourante comprenne les raisons du refus de levée des séquestres ; elle a d'ailleurs été en mesure de former un recours. Que la recourante considère ces motifs comme insuffisants à justifier le maintien des séquestres selon l'art. 263 CPP, concerne le fond du litige, et ne viole pas son droit d'être entendue.

La recourante estime ensuite que le délai de cinq jours, insuffisant selon elle, pour répliquer violerait aussi son droit d'être entendue. Dans la mesure où elle a été en mesure, dans ce délai, de déposer une réplique motivée, le grief est infondé.

3.             La recourante reproche à l'autorité précédente d'avoir maintenu les séquestres alors que le préjudice de la plaignante ne serait, selon elle, pas établi.

3.1.       Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment lorsqu'ils devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou qu'ils pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP).

Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa p. 107 et les références citées); une simple probabilité suffit car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 64 et les références citées).

Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation ou d'une créance compensatrice, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364). L'intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle. Le séquestre ne peut donc être levé (art. 267 CPP) que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (arrêts du Tribunal fédéral 1B_311/2009 du 17 février 2010 consid. 3 et 1S.8/2006 du 12 décembre 2006 consid. 6.1).

Une mesure de séquestre est en principe proportionnée du seul fait qu'elle touche des valeurs patrimoniales susceptibles d'être confisquées en vertu du droit pénal (arrêt du Tribunal fédéral 1B_136/2009 du 11 août 2009 consid. 4.1 et les références citées).

3.2.       L'art. 70 al. 1 CP autorise le juge à confisquer des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits.

L'art. 71 al. 3 CP permet à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice jusqu'à concurrence du montant présumé du produit de l'infraction, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée, sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale, et même celles de provenance licite.

3.3. L'art. 158 ch. 1 CP punit quiconque, en vertu de la loi, d’un mandat officiel ou d’un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d’autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, porte atteinte à ces intérêts ou permet qu’ils soient lésés.

L'infraction de gestion déloyale n'est consommée que s'il y a eu préjudice. Tel est le cas lorsqu'on se trouve en présence d'une véritable lésion du patrimoine, c'est-à-dire d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-diminution du passif ou d'une non-augmentation de l'actif, ou d'une mise en danger de celui-ci telle qu'elle a pour effet d'en diminuer la valeur du point de vue économique
(ATF 142 IV 346 consid. 3.2 p. 350; 129 IV 124 consid. 3.1 p. 125 s.).

Le Tribunal fédéral a retenu, dans un arrêt 6B_815/2020 du 22 décembre 2020, qu'un comptable avait violé son devoir de gestion en proposant et en assurant à un avocat externe une rémunération hors de toutes proportions au regard du travail effectivement accompli, cela indépendamment des résultats obtenus en matière de recouvrement pour le compte de son employeur (consid. 4.4.2).

La Chambre de céans a par ailleurs retenu, dans le cadre d'une procédure ouverte pour gestion déloyale contre un responsable informatique, un soupçon suffisant que celui-ci ait causé, à son employeur, un préjudice consistant en la différence, d'une part, entre la rémunération qu'il s'était octroyée en mandatant la société dont il était actionnaire et, d'autre part, celle qui aurait pu se justifier en application d'une gestion loyale des intérêts de l'employeur (ACPR/443/2022 du 21 juin 2022 consid. 3.3.2).

3.4. En l'espèce, la recourante semble reprocher au Ministère public de ne pas avoir précisé le "type de séquestre" prononcé. Or, il ressort clairement des ordonnances de septembre 2021 et de la motivation du Ministère public dans l'ordonnance querellée, que les biens de la recourante ont été saisis car ils sont en lien avec les infractions reprochées à E______, et, plus récemment, à B______. Les séquestres ont donc été prononcés en vue de la confiscation des avoirs, voire en vue de l'exécution d'une créance compensatrice.

La recourante estime que la partie plaignante n'a pas établi son préjudice. Il sied en premier lieu de préciser qu'il suffit, conformément aux principes sus-rappelés, que le préjudice soit rendu vraisemblable. En l'occurrence, la plaignante invoque deux pertes. La première, qu'elle chiffre à CHF 1'250'777.97, correspond aux sommes qu'elle a dû verser aux propriétaires des véhicules confiés à E______, que ce dernier aurait vendus à la recourante sans toutefois payer lesdits propriétaires. La seconde correspond à la marge – fixée à 12 % – manquée par la plaignante sur les transactions conclues, à son insu, par E______ avec la recourante. À teneur de la jurisprudence sus-rappelée, ces deux atteintes au patrimoine de la plaignante constituent un préjudice au sens de l'art. 158 CP.

La recourante considère que les pièces produites par la plaignante ne suffisent pas à démontrer que celle-ci aurait subi le dommage allégué. S'il est exact que l'attestation délivrée par le réviseur aux comptes, en tant que celui-ci se borne à relayer le constat effectué par la plaignante, n'établit pas l'existence du préjudice allégué, les autres éléments fournis par la plaignante sont, en l'état, suffisants à rendre vraisemblable son dommage. Le tableau liste les propriétaires et les véhicules ayant été achetés par E______ – à son nom à elle – et revendus par celui-ci à la recourante. Non seulement E______ ne conteste pas cette liste – et on ne voit pas pour quelle raison il s'auto-incriminerait – mais il va même jusqu'à affirmer que les transactions litigieuses auraient concerné une "bonne centaine" de véhicules. Il ne conteste pas non plus avoir sciemment vendu ces véhicules à la recourante à des prix inférieurs au prix du marché et perçu une commission de l'ordre de CHF 1'500.- en moyenne par véhicule vendu. Si la plaignante admet ne pas avoir retrouvé toutes les pièces justificatives permettant de déterminer le prix d'achat des véhicules, voire le prix de (re)vente de certains d'entre eux, ces lacunes ne sont pas de nature, à ce stade de l'instruction, à dénaturer ce document. La recourante se contente d'ailleurs de discréditer l'entier du tableau sans prendre position sur chacune des transactions, de sorte qu'on ne saurait, sur la base de cette contestation générale, conclure à l'absence de préjudice au-delà de CHF 450'000.-, comme elle le suggère, sans procéder à une analyse plus détaillée.

Il s'ensuit que le préjudice de la plaignante est, en l'état, suffisamment rendu vraisemblable, de sorte que cette condition au maintien des séquestres est établie.

4. La recourante invoque la violation du principe de la proportionnalité.

4.1. Selon l'art. 197 al. 1 let. c CPP, toute mesure de contrainte doit respecter le principe de la proportionnalité. Un séquestre peut apparaître disproportionné lorsque la procédure dans laquelle il s'inscrit s'éternise sans motifs suffisants (ATF 132 I 229 consid. 11.6 p. 247), mais il reste proportionné tant et aussi longtemps qu’il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués ou restitués en application du droit pénal (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364).

4.2. En l’espèce, la saisie litigieuse a certes été ordonnée il y a deux ans, mais elle porte sur des espèces et biens directement en lien avec les faits dont l'administrateur de la recourante est prévenu, ou susceptibles de faire l'objet d'une créance compensatrice. Cela suffit pour satisfaire aux conditions légales et jurisprudentielles.

La recourante estime qu'un séquestre limité à CHF 450'000.- serait suffisant pour garantir l'éventuel préjudice de la plaignante. Il ne peut toutefois être suivi, dès lors qu'il a été retenu ci-avant que le préjudice est, en l'état, rendu vraisemblable à hauteur de la somme invoquée, soit CHF 2'344'995.33. Si le séquestre semble avoir porté sur une somme supérieure, soit CHF 2'974'614.25 – sous déduction d'environ CHF 200'000.- restitués – il n'apparaît pas disproportionné de le maintenir, pour l'instant, pour la somme dépassant le préjudice allégué en l'état, celui-ci étant susceptible d'être augmenté.

La recourante allègue être empêchée de mener son activité, sans toutefois l'établir. Il sied toutefois de préciser que la plaignante ne doit pas être privée de la saisie de valeurs ou biens acquis avec les profits provenant de l'activité pénalement reprochée à l'administrateur et à l'employé de la recourante. Comme précisé précédemment, le Ministère public a déjà levé partiellement le séquestre à hauteur de CHF 200'000.- pour permettre le paiement de factures, et levé les séquestres sur les comptes de l'administrateur de la recourante, de sorte que les séquestres toujours en cours – sur le compte et les espèces – ne viole en l'état pas le principe de la proportionnalité.

S'agissant des trois véhicules, le Ministère public a précisé, dans la décision querellée, qu'une solution "devrait être trouvée", avec la partie plaignante, pour éviter toute dévaluation liée à une immobilisation prolongée. L'autorité précédente est invitée à faire diligence sur ce point.

5.      Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             Les recourants, qui succombent, supporteront, conjointement et solidairement, les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 2'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

7.             La plaignante, qui obtient gain de cause, requiert le versement d'une indemnité de CHF 5'000.- pour les frais occasionnés par le recours, correspondant à dix heures au tarif horaire de CHF 500.-.

7.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Selon l'art. 433 al. 1 let. a CPP, la partie plaignante peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure, lorsqu'elle obtient gain de cause.

L'indemnité n'est due qu'à concurrence des dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1303, p. 1313 ; J. PITTELOUD, Code de procédure pénale suisse - Commentaire à l'usage des praticiens, Zurich/St-Gall 2012, n. 1349 p. 889). Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

La Cour de justice applique au chef d'étude un tarif horaire de CHF 450.- (arrêt du Tribunal fédéral 2C_725/2010 du 31 octobre 2011 = SJ 2012 I 172; ACPR/279/2014 du 27 mai 2014).

7.2. En l'espèce, dix heures paraissent excessives pour répondre au recours, circonscrit aux conditions de validité du maintien du séquestre, ce d'autant que les écritures, tenant sur 19 pages (y compris les conclusions), contiennent plusieurs répétitions. L'indemnité sera dès lors ramenée à CHF 1'938.60, au tarif horaire appliqué par la Chambre de céans, et mise à la charge du recourant, prévenu, qui succombe.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare irrecevable le recours formé par B______.

Rejette le recours formé par A______ SA.

Condamne B______ et A______ SA, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 2'500.-.

Alloue à C______, [appartenant au groupe] D______ SA, à la charge de B______, une indemnité de CHF 1'938.60, TVA (7.7%) incluse.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants (soit pour eux leur conseil), à E______ (soit pour lui son conseil), à C______, [appartenant au groupe] D______ SA et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/14429/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'500.00

Total

CHF

2'605.00