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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2642/2022

ACPR/135/2023 du 22.02.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PREUVE ILLICITE;ADMINISTRATION DES PREUVES
Normes : CPP.141; CPP.312; CPP.147; CPP.101

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2642/2022 ACPR/135/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 22 février 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocate, ______,

recourant,

contre la décision rendue le 30 janvier 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 6 février 2023, A______ recourt contre la décision du 30 janvier 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public n'a pas donné suite à sa demande visant à retrancher du dossier le procès-verbal d'audition de C______ du 10 mars 2022.

Le recourant conclut, sous suite de fais et dépens, au retrait de la procédure de ladite pièce.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 22 janvier 2022, la police est intervenue à l'avenue 1______, no. ______ pour une "agression au couteau" sur la personne D______, qui a été hospitalisé le jour même.

b. Le 26 suivant, D______ a déposé plainte contre A______, qu'il a reconnu comme étant l'auteur de l'attaque.

La nuit entre le 21 et le 22 janvier 2022, il avait rejoint une soirée où se trouvaient notamment A______ et C______. Le ton était monté avec le premier et il avait alors décidé de quitter les lieux. A______ l'avait rattrapé devant l'immeuble un couteau à la main et c'est à ce moment que le précité l'avait poignardé à plusieurs reprises.

c. Le 1er mars 2022, A______ s'est présenté à la police, accompagné par Me B______.

En substance, il a admis l'existence d'une altercation avec D______ mais durant celle-ci, il n'avait fait que se défendre face aux attaques du précité, lequel était armé d'un couteau.

d. Le lendemain, A______ a été entendu par le Ministère public, qui a ordonné sa mise en liberté et sa défense d'office, en la personne de Me B______.

e. Le même jour, le Ministère public a délivré un mandat d'actes d'enquête urgent à la police au sens de l'art. 312 CPP, la priant d'entendre en qualité de témoins les personnes présentes lors de la soirée en question, dont C______. Ces auditions devaient être effectuées en l'absence des autres parties et de leurs conseils, compte tenu de la nécessité d'administrer les preuves principales.

Lesdites auditions se sont tenues entre le 3 et le 10 mars 2022, C______ ayant été entendu le dernier jour.

f. Le 27 avril 2022, le Ministère public a tenu une audience en présence de A______ et D______.

g. Le 15 septembre 2022, A______, par l'intermédiaire de son conseil, a consulté le dossier.

h. Le 27 janvier 2023, il a sollicité du Ministère public le retrait du procès-verbal de l'audition de C______, au motif qu'elle s'était déroulée sans que son conseil n'en fût avisé.

C. Dans la décision déférée, le Ministère public soutient qu'il ressortait du mandat d'acte d'enquête – dont A______ avait pu prendre connaissance lors de sa consultation du dossier le 15 septembre 2022 – que les auditions devaient être effectuées en l'absence des parties et de leurs conseils au vu de la nécessité d'administrer les preuves principales. Comme aucun recours n'avait été formé contre ce mandat, les procès-verbaux d'auditions étaient valables et faisaient partie intégrante de l'instruction.

D. a. Dans son recours, A______ fait grief au Ministère public de se prévaloir de l'absence de contestation du mandat d'actes d'enquête du 2 mars 2022 pour soutenir la validité du procès-verbal d'audition de C______. Or, dans la mesure où il pouvait formuler en tout temps une demande visant à retirer du dossier une preuve inexploitable au sens de l'art. 141 CPP, il lui était possible de recourir contre la décision déférée qui matérialisait un refus de retrait d'une preuve. Sur le fond, le Ministère public n'exposait pas quel risque évoqué à l'art. 108 CPP justifiait de restreindre son droit d'être entendu et, par conséquent, de participer à l'audition de C______. Celle-ci, tenue en l'absence des parties, constituait dès lors une violation du CPP.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1.1. À en croire le Ministère public, le recourant serait forclos pour requérir le retrait du procès-verbal litigieux, pour n'avoir pas contesté le mandat d'actes d'enquête du 2 mars 2022 au moment d'en prendre connaissance.

1.1.2. Il est exact qu'un recours est ouvert contre un mandat de délégation du Ministère public à la police au sens de l'art. 312 CPP contenant une interdiction faite aux parties de participer à l'administration des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 1B_329/2014 du 1er décembre 2014 consid. 2.3; ACPR/571/2022 du 18 août 2022 consid. 1).

Pour autant, le recourant doit disposer d'un intérêt pratique et actuel, lequel doit encore exister au moment où l'arrêt est rendu (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 p. 84; ATF 137 I 296 consid. 4.2 p. 299).

Or, tel n'est plus le cas lorsque l'acte litigieux – soit le mandat d'actes d'enquête – a été pleinement réalisé, à savoir que la police a procédé aux auditions ordonnées (cf. ACPR/822/2022 du 22 novembre 2022 consid. 1.2.2).

1.1.3. En l'occurrence, au moment où le recourant, par l'intermédiaire de son conseil, a pris connaissance du mandat d'actes d'enquête du 2 mars 2022, soit lors de sa consultation du dossier en septembre 2022, les auditions y sollicitées avaient déjà été tenues depuis six mois.

Par conséquent, le recourant ne disposait pas d'un intérêt pratique et actuel pour contester cet acte, si bien que son éventuel recours aurait été déclaré irrecevable. S'il ne pouvait agir contre l'ordre initial, il était en revanche légitimé à en attaquer le résultat, à savoir l'audition litigieuse (cf. ACPR/822/2022 précité). Il en résulte que l'argument du Ministère public tombe à faux; par sa décision, il rejette en réalité une requête – valable à la forme – visant à retrancher du dossier une pièce prétendument inexploitable.

1.2. À cet égard, le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; ATF 143 IV 475 consid. 2.9 p. 482; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3).

2.             Le recourant conclut au retrait du dossier du procès-verbal d'audition de C______ du 10 mars 2022.

2.1. Même après l'ouverture de l'instruction, le ministère public peut charger la police d'investigations complémentaires (art. 312 al. 1 ab initio CPP). Lorsqu'il charge la police d'effectuer des interrogatoires, les participants à la procédure jouissent des droits accordés dans le cadre des auditions effectuées par le ministère public (art.  312 al. 2 CPP).

Autrement dit, les règles de l'art. 147 al. 1 CPP, qui consacrent le principe de l'administration des preuves en présence des parties durant la procédure d'instruction et les débats, s'appliquent (ATF 139 IV 25 consid. 5.4.3 = JdT 2013 IV 226). Il en ressort que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants. Ce droit spécifique de participer et de collaborer découle du droit d'être entendu (art. 107 al. 1 let. b CPP). Il ne peut être restreint qu'aux conditions prévues par la loi (cf. art. 108, 146 al. 4 et 149 al. 2 let. b CPP; cf. aussi art. 101 al. 1 CPP et Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1166 s. ch. 2.4.1.3).

Dans l'ATF 139 IV 25 précité, le Tribunal fédéral a confirmé que, lorsque la police agit sur délégation du Ministère public, avant ou après l'ouverture de l'enquête pénale, le prévenu ne pouvait être exclu de l'interrogatoire des personnes appelées à donner des renseignements et des témoins que dans les limites fixées par l'art. 108 al. 1 et 2 CPP et, par analogie, l'art. 101 al. 1 CPP. À ce titre, le ministère public pouvait, exceptionnellement, s'il existait des raisons objectives, restreindre temporairement la participation aux auditions du prévenu qui n'avait pas encore été entendu. De tels motifs existaient, notamment, lorsque les charges n'avaient pas encore été établies, et en cas de risque concret de collusion. La simple possibilité d'une atteinte abstraite aux intérêts de la procédure – après la première audition du prévenu – ne justifiait pas encore l'exclusion de ce dernier (consid. 5.5.2 à 5.5.5).

Cette restriction s'étend également au conseil du prévenu, compte tenu du devoir de fidélité de l'avocat envers son client (A. GUISAN, La violation du droit de participer (art. 147 CPP), in AJP/PJA 3/2019, p. 337 ss, p. 342; cf. aussi ACPR/458/2022 du 29 juin 2022 consid. 3.1).

2.2. L'art. 101 al. 1 CPP, applicable par analogie, permet aux parties, sous réserve de l'art. 108 CPP, de consulter le dossier de la procédure au plus tard après la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le ministère public. Il s'agit de conditions cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_667/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2).

La manifestation de la vérité et le bon déroulement de l'enquête sont des intérêts publics prépondérants, qui ont amené le législateur à clairement refuser de reconnaître de manière générale au prévenu un droit de consulter le dossier dès le début de la procédure. Au contraire, une restriction est admissible pour éviter de mettre en péril la recherche de la vérité matérielle ou d'exposer les éléments de preuve principaux avant terme, ou pour parer au risque de collusion (ATF 137 IV 172 consid. 2.3 p. 174; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 14 ad art. 101 CPP).

2.3. Après la première audition du prévenu, des restrictions au droit des parties de participer à l'administration des preuves fondées sur une application analogique de l'art. 101 al. 1 CPP, au motif que l'audition d'autres personnes (comme des témoins) constitue l'administration de preuves principales et qu'un risque concret de collusion subsiste, ne doit être admis que dans des situations exceptionnelles (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 3f ad art. 147).

2.4. En l'espèce, le Ministère public a justifié l'exclusion du recourant et de son conseil de l'audition litigieuse par la nécessité d'administrer des preuves principales.

Préalablement à cette audition, le recourant, prévenu, avait déjà été entendu ès qualité par la police et par le Ministère public.

Toutefois, durant ces deux audiences, le recourant n'a fait que relater une version des événements en contradiction avec celle du plaignant sur des points cruciaux de la cause, à savoir qui a initié l'altercation et qui y a amené le couteau. De ce fait, l'instruction, qui débutait à peine, se trouvait déjà dans une impasse aussi longtemps que la plainte et les déclarations du recourant constituaient les seuls éléments au dossier.

Les témoignages de tiers ayant assisté à la soirée et, plus ou moins directement, à l'altercation, s'avéraient dès lors essentiels pour éclaircir les faits de la manière la plus objective possible.

Cela a également permis au Ministère public d'obtenir des dépositions de tiers non impliqués avant de confronter, le 27 avril 2022, les deux protagonistes sans que ceux-ci ne puissent adapter en connaissance de cause leurs déclarations en fonction des éléments recueillis lors des auditions ordonnées, y compris celle dont le recourant demande le retrait.

Partant, c'est à bon droit que le Ministère public a délégué à la police le soin d'entendre les témoins hors présence des parties et de leurs conseils. L'exploitabilité des procès-verbaux enregistrés à ces occasions sont ainsi exempts de critiques à cet égard.

3.             Compte tenu de ce qui précède, la décision déférée – en tant que refus de retrait d'une pièce au dossier – sera confirmée par substitution de motifs. Le recours, qui s'avère infondé, pouvait être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             Dès lors qu'il succombe, le recourant, bien qu'au bénéfice de l'assistance juridique, supportera les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4 et 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 [arrêts qui rappellent que l'autorité de deuxième instance est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de recours, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire]) fixés en totalité à CHF 900.- (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

5.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à
CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges, Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/2642/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

900.00