Skip to main content

Décisions | Tribunal pénal

1 resultats
P/24591/2022

JTDP/1483/2023 du 20.11.2023 ( OPCTRA ) , JUGE

Normes : LPG11A1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

 

Chambre 5


20 novembre 2023

 

SERVICE DES CONTRAVENTIONS

contre

Mme X______, née le ______1966, domiciliée ______, ROUMANIE, prévenue, assistée de Me Dina BAZARBACHI


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Service des contraventions conclut au maintien de son ordonnance pénale.

Me Dina BAZARBACHI, conseil de X______, conclut à l'acquittement de sa cliente.

*****

Vu l'opposition formée le 9 août 2022 par X______ à l'ordonnance pénale n° ______ rendue par le Service des contraventions le 22 juillet 2022;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Service des contraventions du 18 novembre 2022;

Vu les art. 356 al. 2 et 357 al. 2 CPP selon lesquels le tribunal de première instance statue sur la validité de la contravention et de l'opposition;

Attendu que l'ordonnance pénale et l'opposition sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP;

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition :

Déclare valables l'ordonnance pénale n°______ du Service des contraventions du 22 juillet 2022 et l'opposition formée contre celle-ci par X______ le 9 août 2022;

et statuant à nouveau et contradictoirement :

EN FAIT

A. Par ordonnance pénale du 22 juillet 2022 valant acte d'accusation, il est reproché à X______ d'avoir commis, le mercredi 25 mai 2022 à 13h38, un acte de mendicité au sens de l'art. 11A al. 1 let. c de la Loi pénale genevoise (ci-après : LPG), à la rue ______ Genève, aux abords immédiats du bureau postal Genève ______.

B. Il ressort de la procédure les faits pertinents suivants :

a. A teneur du rapport de contravention du 30 mai 2022, la police a constaté que X______ s'adonnait à la mendicité, le mercredi 25 mai 2022 à 13h38, en tendant un gobelet en un lieu proscrit, soit le bureau postal ______ à Genève.

b. Par ordonnance pénale du 22 juillet 2022, elle a été condamnée du chef de mendicité et sanctionnée d'une amende de CHF 100.-, sans compter que des émoluments de CHF 60.- ont été mis à sa charge.

c. Par courrier du 9 août 2022 de son Conseil, elle a formé opposition à l'ordonnance pénale précitée. Par ordonnance du Service des contraventions du 18 novembre 2022, celui-ci a maintenu l'ordonnance pénale et transmis le dossier au Tribunal de police.

C. Lors de l'audience de jugement, X______ ne s'est pas présentée, sans fournir de motif. Elle a néanmoins été autorisée à être représentée par son Conseil. Celui-ci a expliqué que, vu son extrême précarité, X______ était obligée de mendier et que, appartenant à la minorité Rom de Roumanie, laquelle était très pauvre, elle subissait une discrimination entraînant l'impossibilité de trouver un emploi. Sa situation familiale était inconnue de son Conseil.

D.X______, de nationalité roumaine, est née le ______ 1966. Elle est domiciliée en Roumanie et est apparemment sans emploi.

EN DROIT

1.1. Au sens de l'art. 11A al. 1 let. c LPG, sera puni de l'amende quiconque aura mendié aux abords immédiats des banques, bureaux de poste, distributeurs automatiques d’argent et caisses de parking (ch. 5).

1.2. En l'espèce, il ressort du rapport de police que la contrevenante mendiait en tendant un gobelet lorsqu'elle a été déclarée en contravention par la police en date du 25 mai 2022, ce qu'elle ne conteste au demeurant pas. En outre, elle se trouvait aux abords immédiats d'un bureau postal. Enfin, elle ne pouvait ignorer que son comportement était interdit.

Elle sera ainsi reconnue coupable d'infraction à l'art. 11A al. 1 let. c LPG.

2. La contrevenante invoque divers moyens tirés de la violation de ses droits fondamentaux, subsidiairement d'un état de nécessité licite au sens de l'art. 17 du Code pénal suisse (ci-après : CP), et fait aussi valoir une exemption de peine au sens de l'art. 52 CP.

2.1.1. Concernant la protection de sa liberté personnelle, l'art. 8 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (ci-après : CEDH) consacre notamment le droit au respect de la vie privée. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (art. 8 § 2 CEDH).

Selon l'art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (ci-après : Cst.), tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l'intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement.

Selon le Tribunal fédéral, le fait de mendier, à savoir de demander l'aumône, généralement sous forme d'argent, auprès d'une autre personne dans l'attente de sa générosité, doit être considéré comme une liberté élémentaire, faisant partie de la liberté personnelle garantie par l'art. 10 al. 2 Cst. (ATF 134 I 214 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 4.2). Ce point de vue est partagé par la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : CourEDH) qui considère que le droit de s'adresser à autrui pour en obtenir de l'aide relève de l'essence même des droits protégés par l'art. 8 CEDH (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme [CEDH] no 14065/15 du 19 avril 2021 Lacatus c. Suisse § 59).

Toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale, les cas de danger sérieux, direct et imminent étant réservés (art. 36 al. 1 Cst.), justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (art. 36 al. 2 Cst.) et être proportionnée au but visé (art. 36 al. 3 Cst.).

2.1.2. Vu que l'amende infligée à la contrevenante du chef de mendicité doit être considérée comme une restriction à sa liberté personnelle, il convient d'analyser ces trois conditions afin de déterminer si ladite restriction est justifiée.

2.2.1. La contrevenante soutient que cette disposition viole le principe de la légalité, notamment en lien avec l'art. 1 CP, au motif que la rédaction de l'art. 11A LPG serait tellement vague que la contrevenante ne pourrait pas comprendre où la mendicité est interdite, où celle-ci est autorisée et comment elle peut la pratiquer sans risquer une amende. De plus, selon elle, la question de la distance serait sujette à appréciation. Vu que ce grief se confond avec l'examen de la première condition de la restriction à la liberté personnelle, il sera examiné à ce stade.

En droit pénal, l'art. 1 CP consacre le principe de la légalité, également ancré à l'art. 7 CEDH. Ce principe est violé lorsqu'une personne est poursuivie pénalement en raison d'un comportement qui n'est pas incriminé par une loi valable, ou lorsque l'application du droit pénal à un acte déterminé procède d'une interprétation de la norme pénale excédant ce qui est admissible au regard des principes généraux du droit pénal (ATF 144 I 242 consid. 3.1.2). Le principe s'applique à l'ensemble du droit pénal. Il n'exclut pas dans tous les cas une interprétation extensive de la loi à la charge du prévenu (ATF 138 IV 13 consid. 4.1). La loi doit être formulée de manière telle qu'elle permette au citoyen de s'y conformer et de prévoir les conséquences d'un comportement déterminé avec un certain degré de certitude dépendant des circonstances (ATF 144 I 242 consid. 3.1.2 ; ATF 138 IV 13 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_15/2012 du 13 avril 2012 consid. 4.1.2 et les arrêts cités).

L'exigence de précision (nulla poena sine lege certa) constitue l'une des facettes du principe de la légalité. Selon ce principe, une norme pénale doit être suffisamment précise. Les exigences à cet égard dépendent entre autres de la complexité de la matière réglementée et de la peine encourue. La loi doit être formulée de manière suffisamment précise pour que les citoyens puissent y conformer leur comportement et identifier les conséquences d'un comportement donné avec un degré de certitude correspondant aux circonstances. Le principe de précision ne doit toutefois pas être compris de manière absolue. Le législateur ne peut pas renoncer à utiliser des notions générales dont l'interprétation et l'application doivent être laissées à la pratique. Le degré de précision requis ne peut ainsi pas être fixé de manière abstraite. Il dépend notamment de la diversité des situations à ordonner, de la complexité et de la prévisibilité de la décision nécessaire dans le cas d'espèce, des destinataires de la norme, de la gravité de l'atteinte aux droits constitutionnels et de la décision appropriée qui n'est possible que lors de la concrétisation dans un cas concret d'application (ATF 144 I 126 consid. 6.1 ; ATF 143 I 253 consid. 6.1).

Amenée à trancher la question de la constitutionnalité de la norme objet de la présente procédure, la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice a considéré que l'emploi de notions générales et abstraites comme "abords immédiats" constituaient des expressions compréhensibles dont la concrétisation relevait de la pratique et que ces notions se préciseraient, au gré des circonstances particulières. La Cour a considéré que le grief tiré du manque de clarté de la loi pouvait être écarté (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 8a et 8b).

2.2.2. En l'espèce, les faits visés par la loi sont suffisamment compréhensibles et une analyse abstraite de la légalité de celle-ci, notamment quant aux termes employés, a d'ores et déjà été effectuée par la Cour de justice. Il n'y a ainsi aucun motif de s'écarter des développements susmentionnés de celle-ci.

En effet, à la lecture de l'art. 11A al. 1 LPG, le justiciable peut avoir connaissance du cadre dans lequel il est autorisé à s'adonner à la mendicité et surtout des circonstances dans lesquelles il ne l'est pas.

Il est aussi rendu attentif quant au comportement potentiellement adopté qui serait pénalement répréhensible.

Le justiciable est également au clair quant aux conséquences que leur violation est susceptible d'engendrer, notamment la condamnation à une amende.

Par conséquent, à ce stade, le Tribunal ne peut que retenir que l'art. 11A al. 1 LPG constitue une base légale suffisante; le principe de la légalité n'étant ainsi pas violé.

2.3.1. L'interdiction de la mendicité doit ensuite être justifiée par un intérêt public suffisant ou par la protection des droits fondamentaux de tiers (art. 36 al. 2 Cst.). Il s'agit de la sécurité nationale, de la tranquillité et de l'ordre publics, de la défense de cet ordre ainsi que de la protection des droits et des libertés d'autrui (art. 8 § 2 CEDH).

Selon la CourEDH dans l'arrêt Lacatus c. Suisse, une interdiction de la mendicité peut poursuivre différents objectifs admissibles, notamment la défense de l'ordre et la protection des droits d'autrui, tout en laissant ouverte la question de savoir si d'autres buts légitimes étaient également poursuivis par la mesure litigieuse (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme [CEDH] no 14065/15 du 19 avril 2021 Lacatus c. Suisse § 96 et 97).

Le Tribunal fédéral a admis l'existence d'un intérêt public à la protection de l'ordre, de la tranquillité et de la sécurité publics en cas de réglementation de la mendicité à proximité immédiate des points de paiement et des distributeurs automatiques de billets, à l'entrée des magasins, dans les gares ou dans d'autres bâtiments publics (arrêt du Tribunal fédéral 1C_537/2021 du 13 mars 2023 consid. 4.6.2).

Dans le cadre de l'analyse abstraite de l'art. 11A LPG, la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice a considéré que les situations visées notamment par la let. c de l'art. 11A LPG reposaient sur un intérêt public plus large visant à assurer la sécurité et la tranquillité publiques, en réglementant les lieux où la mendicité doit être exclue (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 9d).

2.3.2. En l'espèce, le fait d'interdire de mendier aux abords d'un bureau de poste poursuit un intérêt public suffisant, à savoir la sécurité et la tranquillité publiques, ainsi que cela a été reconnu par la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice, appréciation dont il n'y a pas lieu de s'écarter.

2.4.1. La prévenue soutient également une violation du principe de la proportionnalité, dès lors que la nouvelle mouture de l'art. 11A LPG reviendrait à réintroduire une interdiction totale de la mendicité.

Dans le cas de la loi concernant l'interdiction partielle de la mendicité du canton de Bâle-Ville, laquelle définit des lieux déterminés où la mendicité est interdite (entre autres les arrêts de transports publics, les distributeurs automatiques d'argent, les lieux d'usage publics – cinéma, magasins, banques, offices postaux, etc. –, les hôtels ou restaurants, des stands de vente ou les buvettes), le Tribunal fédéral a considéré que la description des lieux concernait en grande partie ceux où la mendicité était susceptible de porter atteinte à l'ordre, à la tranquillité et à la sécurité publics ou aux intérêts de tiers à protéger, dès lors qu'il s'agissait de l'accès à des bâtiments et installations publics et privés ainsi que de la protection de la sphère privée lors de l'utilisation de ces installations à des fins lucratives ou personnelles. Pour le Tribunal fédéral, la disposition laissait suffisamment de possibilités de mendier sur le territoire cantonal en dehors de la zone d'interdiction, y compris dans le centre-ville (arrêt du Tribunal fédéral 1C_537/2021 du 13 mars 2023 consid. 5.3.1 et 5.3.2).

Amenée à trancher la question de la constitutionnalité de la norme objet de la présente procédure, la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice a considéré que si certes la liste prévue à la let. c de l'art. 11A al. 1 LPG concerne des lieux nombreux et variés, le fait de mendier est uniquement interdit aux abords immédiats des accès aux endroits concernés. Bien que cette formulation générale mais claire permette d'appréhender de nombreux cas de figure, elle cible la restriction de manière précise en la circonscrivant au strict nécessaire (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 10g).

2.4.2. Suite à une modification de la LPG, conformément à l'arrêt Lacatus c. Suisse, il n'y a plus d'interdiction générale de la mendicité dans le canton de Genève. En effet, l'art. 11A al. 1 LPG liste les lieux dont les abords immédiats sont interdits à la mendicité, permettant ainsi a contrario la mendicité dans les autres lieux.

La disposition respecte le principe de proportionnalité, puisque la contrevenante disposait d'autres lieux pour s'adonner à la mendicité. Elle avait suffisamment de possibilités sur le territoire cantonal pour ne pas avoir à mendier aux abords d'un bureau postal.

Le grief sera donc rejeté.

2.5.1. En relation avec le grief selon lequel le fait de sanctionner la mendicité par une amende reviendrait à violer le principe de la liberté personnelle, il est à souligner qu'à teneur de l'arrêt de la CourEDH Lacatus c. Suisse, la CourEDH n'a pas exclu en soit une sanction pénale à la mendicité, dans le sens que la gravité de ladite sanction doit être examinée dans le cadre d'une pesée des intérêts et à l'aune de solides motifs d'intérêt public.

2.5.2. En l'espèce, la CourEDH n'ayant pas interdit d'infliger une amende comme sanction à la mendicité, ce grief sera également rejeté.

2.6. Partant, au vu de ce qui précède, les conditions justifiant une atteinte à la liberté personnelle de la contrevenante étant remplies, l'argument consistant à soutenir une atteinte injustifiée à sa liberté personnelle sera rejeté.

3. La contrevenante se plaint d'un traitement discriminatoire en raison de sa situation sociale.

3.1.1. D'après l'art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou psychique. Cet article réprime aussi bien la discrimination directe que la discrimination indirecte. Il y a discrimination indirecte lorsqu'une réglementation formulée de manière neutre en soi, désavantage dans ses effets réels les membres d'un groupe de personnes spécifiquement protégé contre la discrimination, sans que cela soit objectivement justifié (ATF 141 I 241 consid. 4.3.2 ; ATF 135 I 49 consid. 4.1). L'atteinte doit néanmoins atteindre une importance significative, d'autant plus que l'interdiction de la discrimination indirecte ne peut servir qu'à corriger les effets négatifs les plus évidents d'une réglementation étatique (ATF 142 V 316 consid. 6.1.2 ; ATF 138 I 205 consid. 5.5 et arrêt du Tribunal fédéral 2C_121/2022 du 24 novembre 2022 consid. 5.1).

3.1.2. Quant à l'art. 14 CEDH, il complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles et n'a pas de portée indépendante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1079/2019 du 23 décembre 2021 consid. 8.1 et les arrêts cités). Toute différence de traitement n'est pas illicite ; on ne peut considérer qu'il y a discrimination contraire à la Convention que si d'autres personnes ou groupes de personnes se trouvant dans une situation comparable sont mieux traités, si les raisons objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi (arrêt de la CEDH no 23040/13 Ryser c. Suisse du 12 janvier 2021, § 46 s ; no 65550/13 Belli et Arquier-Matinez c. Suisse du 11 décembre 2018, § 89 s ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_121/2022 du 24 novembre 2022 consid. 5.2).

La littérature scientifique souligne également un risque de discrimination indirecte par l'interdiction de la mendicité (HERTIG RANDALL/LE FORT, L'interdiction de la mendicité revisitée, in Plädoyer 4/2012, p. 39 ss ; CUENI, CEDH Lacatus c. Suisse du 19 janvier 2021, in Jusletter du 19 janvier 2021, N 37 ss ; MÖCKLI, Bettelverbote : Einige rechtsvergleichende Überlegungen zur Grundrechtskonformität, in ZBI 111/2010, p. 558 ss).

3.1.3. La Chambre constitutionnelle de la Cour de justice a retenu que le fait d'être pauvre ne donnait pas d'emblée droit à la protection de l'art. 8 al. 2 Cst. Selon elle, même à suivre cette hypothèse, la loi sanctionne certes, à certaines conditions, les personnes qui mendient, mais seulement afin de préserver l'ordre public dans son sens le plus large et de lutter contre l'exploitation humaine, mais non pour les dévaloriser ou les exclure. De plus, le système juridique suisse répond à la détresse des personnes par l'octroi de l'aide sociale au sens de l'art. 12 Cst., de manière à leur éviter de devoir mendier pour satisfaire leurs besoins élémentaires. Le grief tiré d'un traitement discriminatoire sur la base de la pauvreté a donc été écarté (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 11c).

3.2. En l'espèce, l'art. 11A LPG ne comporte aucune référence expresse à un caractère discriminatoire et comme l'a souligné la Cour de justice, la pauvreté de la contrevenante ne confère pas d'emblée un droit à la protection de l'art. 8 Cst. En outre, comme évoqué par la Cour, il existe un filet social qui a pour conséquence que la majorité des personnes qui se livrent à la mendicité recherche un revenu d'appoint et l'interdiction de la mendicité ne les prive que de ce seul revenu d'appoint, et non pas de leur minimum nécessaire pour vivre.

Dans le présent cas, il n'apparaît pas que la contrevenante aurait introduit, en vain, une demande d'aide sociale et qu'en la restreignant dans ses possibilités de mendier, elle serait ainsi privée de son minimum nécessaire pour vivre. L'argumentation fondée sur une appartenance à la très pauvre minorité Rom de Roumanie, sur une discrimination qui en découlerait et ainsi sur une impossibilité à trouver un emploi ne trouve pas appui dans le dossier, étant en particulier relevé que la contrevenante n'a pas fourni d'éléments qui pourraient attester une quelconque démarche de recherche d'une activité professionnelle et l'insuccès de celle-ci.

Il n'y a donc pas de discrimination du fait de la pauvreté et ce grief doit donc être rejeté.

4. La contrevenante invoque également sa liberté d'expression.

4.1.1. Conformément à l'art. 16 al. 2 Cst., toute personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion en recourant à tous les moyens propres à établir la communication, à savoir la parole, l'écrit ou le geste, sous quelque forme que ce soit.

Selon l'art. 10 § 1 CEDH, la liberté d'expression comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le § 2 dispose que l'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

4.1.2. Dans son arrêt Lacatus c. Suisse, la CourEDH a laissé cette question ouverte (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme [CEDH] no 14065/15 du 19 avril 2021 Lacatus c. Suisse § 118 ss). Dans son opinion minoritaire, la juge suisse HELIN s'est exprimée, en faisant référence à un arrêt de la Cour constitutionnelle autrichienne du 30 juin 2012 (G155/10-9) ainsi qu'un arrêt de la High Court d'Irlande du 4 décembre 2007 (Dillon v. Director of Public Prosecutions [2008], 11R 383), en ce sens que la CourEDH aurait dû reconnaître expressément une atteinte à la liberté d'expression (opinions HELIN points 3 ss).

4.1.3. Le Tribunal fédéral a jusqu'à présent refusé de juger une interdiction de la mendicité comme étant une atteinte à la liberté d'expression (arrêts du Tribunal fédéral 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 6.2 et 6B_530/2014 du 10 septembre 2014 consid. 2). En effet, selon le Tribunal fédéral, le but de la mendicité n'est pas d'exprimer un besoin, mais plutôt d'en obtenir la satisfaction par le biais d'un don très généralement sous la forme d'une prestation en argent. Le simple fait de se poster sur la voie publique pour se faire remettre de l'argent peut être interprété de diverses manières, mais on peut avant tout y voir un geste dépourvu de tout message et simplement destiné à améliorer la situation matérielle de son auteur (arrêt du Tribunal fédéral 1C_443/2017 du 29 août 2018 consid. 6.2). Le comportement consistant à demander de l'argent aux passants en leur tendant un gobelet ne comporte aucune dimension symbolique, ni aucun message, par exemple sur la situation des personnes démunies, mais se limite à la seule expression de son dénuement personnel et de son besoin d'aide. Il s'agit ainsi d'une problématique exclusivement privée, la communication du dénuement apparaissant d'emblée comme un élément secondaire – bien que nécessaire – de l'activité de mendicité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_530/2014 du 10 septembre 2014 consid. 2.7).

4.1.4. Enfin, la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice a retenu, dans son analyse abstraite de l'art. 11A LPG, que même si l'acte de mendier implique l'expression préalable de sa précarité et de son besoin d'aide, cette information n'est qu'un élément secondaire par rapport à la satisfaction dudit besoin et s'est ainsi rallié à l'opinion du Tribunal fédéral et a considéré qu'il n'y avait pas de violation de la liberté d'expression (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 12c).

4.2. En l'espèce, la contrevenante tendait un gobelet, mais il ne ressort pas du rapport de police - et cela n'est pas non plus allégué par elle-même - qu'elle aurait communiqué aux personnes sollicitées un message au sujet de la situation des personnes démunies à Genève. Une quelconque dimension symbolique à ce geste n'est pas rendue vraisemblable.

Il y a ainsi lieu de retenir que la contrevenante a simplement exprimé un besoin personnel, privé, sans portée générale ou politique.

Ici encore, le grief doit être rejeté.

5. La contrevenante fait valoir, à titre subsidiaire, l'état de nécessité au sens de l'art. 17 CP.

5.1.1. Au sens de l'art. 17 CP, quiconque commet un acte punissable pour préserver d’un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s’il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.

5.1.2. Que l'état de nécessité soit licite ou excusable, l'auteur doit commettre l'acte punissable pour se préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement. Le danger est imminent lorsqu'il est actuel et concret (ATF 122 IV 1 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_603/2015 du 30 septembre 2015 consid. 4.2 et les références citées). La notion d'imminence implique en tout cas, outre la probabilité sérieuse de la réalisation du danger concret, un élément d'immédiateté (ATF 106 IV 12 consid. 2a).

L'impossibilité que le danger puisse être détourné autrement implique une subsidiarité absolue. La question de savoir si cette condition est réalisée doit être examinée en fonction des circonstances concrètes du cas (cf. ATF 122 IV 1 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_603/2015 du 30 septembre 2015 consid. 4.2). Celui qui est en mesure de s'adresser aux autorités pour parer au danger ne saurait se prévaloir de l'état de nécessité (ATF 125 IV 49 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1056/2013 du 20 août 2014 consid. 5.1 et 6B_622/2008 du 13 janvier 2009 consid. 3.1).

5.1.3. Celui qui invoque un fait justificatif susceptible d'exclure sa culpabilité ou de l'amoindrir doit en rapporter la preuve, car il devient lui-même demandeur en opposant une exception à l'action publique. Si une preuve stricte n'est pas exigée, l'accusé doit rendre vraisemblable l'existence du fait justificatif. Il convient ainsi d'examiner si la version des faits invoquée par l'accusé pour justifier la licéité de ses actes apparaît crédible et plausible eu égard à l'ensemble des circonstances (G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3ème éd., 2011, n. 555, p. 189).

5.2. En l'espèce, la pauvreté de la contrevenante ne constitue pas un motif justifiant la commission de l'infraction reprochée et il n'apparaît pas qu'elle ait dû se préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement qu'en pratiquant la mendicité.

En effet, d'autres éventuelles solutions s'offraient à elle, en particulier celle de pratiquer l'aumône, avec un comportement et dans une configuration non pénalement réprimés par l'art. 11A LPG, ou celle de faire appel aux autorités et aux associations afin de bénéficier, le cas échéant, de l'aide nécessaire. En particulier, la contrevenante n'établit pas avoir introduit une demande d'aide sociale individuelle, moins encore qu'une telle aide lui ait été refusée.

Par conséquent, les conditions pour retenir l'existence d'un état de nécessité au sens de l'art. 17 CP ne sont pas remplies.

6. Il résulte de ce qui précède que la contrevenante sera reconnue coupable de mendicité, au sens de l'art. 11A al. 1 let. c LPG.

7.1.1. L'art. 1 al. 1 let. a LPG dispose que, sauf prescription contraire de la loi, les articles 1 à 110 du code pénal suisse s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif aux infractions prévues par la législation genevoise.

7.1.2. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

7.1.3. L'art. 11A al. 1 LPG prévoit à titre de sanction l'amende. En application de l'art. 106 al. 1 CP, le montant maximal de celle-ci est, en principe, de CHF 10'000.- (art. 106 al. 1 CP).

L'art. 106 al. 2 CP dispose que le juge prononce dans son jugement, pour le cas où, de manière fautive, le condamné ne paie pas l'amende, une peine privative de liberté de substitution d'un jour au moins et de trois mois au plus.

7.1.4. Si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes, l'autorité compétente renonce à le poursuivre, à le renvoyer devant le juge ou à lui infliger une peine (art. 52 CP). Le fait que de telles contraventions constituent, en elles-mêmes, des cas bagatelles n'exclut pas une exemption de peine. Selon la jurisprudence rendue en application du droit fédéral, cette exemption suppose toutefois que le fait en question apparaisse, quant à la faute et aux conséquences de l'acte, comme d'une gravité significativement moindre que le cas typique du comportement réprimé (ATF 138 IV 13 consid. 9).

7.2. En l'espèce, l'application de l'art. 52 CP n'entre pas en ligne de compte. En effet, rien ne permet de soutenir que la culpabilité de la contrevenante serait particulièrement légère pour une telle infraction. Les conséquences de son acte ne sont pas peu importantes, dans la mesure où celui-ci a eu impact sur la tranquillité publique, sans compter qu'il a mobilisé la police.

Eu égard à la faute commise, qui n'est pas anodine, et à la situation personnelle de toute évidence peu favorable de la contrevenante, une amende de CHF 100.- lui sera infligée. Une peine privative de liberté de substitution d'un jour sera également prononcée.

8. Vu l'issue de la procédure, la contrevenante sera condamnée aux frais de la procédure, mais dans une mesure limitée, puisqu'ils seront arrêtés à CHF 100.-, afin de tenir compte de sa situation (art. 426 al. 1 CPP).


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

Déclare X______ coupable d'infraction à l'art. 11A al. 1 let. c LPG.

Condamne X______ à une amende de CHF 100.- (art. 106 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution de 1 jour.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Condamne X______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 100.- (art. 426 al. 1 CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Office cantonal de la population et des migrations, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

Informe les parties que, dans l'hypothèse où elles forment un recours à l'encontre du présent jugement ou en demandent la motivation écrite dans les dix jours qui suivent la notification du dispositif (art. 82 al. 2 CPP), l'émolument de jugement fixé sera en principe triplé, conformément à l'art. 9 al. 2 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale (RTFMP; E 4.10.03).

 

La Greffière

Céline DELALOYE JAQUENOUD

La Présidente

Dania MAGHZAOUI

 

 


 

Voies de recours

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Lorsque seules des contraventions ont fait l'objet de la procédure de première instance, l'appel ne peut être formé que pour le grief que le jugement est juridiquement erroné ou que l'état de fait a été établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite (art. 398 al. 4 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

 

Etat de frais

Frais du Service des contraventions

CHF

60.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

60.00

Frais postaux (convocation)

CHF

17.00

Emolument de jugement

CHF

300.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

21.00

Total

CHF

508.00 arrêté à CHF 100.-

==========

Emolument de jugement complémentaire

CHF

==========

Total des frais

CHF

 

 

Notification à la prévenue, au Service des contraventions et au Ministère public par voie postale.