Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites
DCSO/656/2025 du 14.11.2025 ( DEM ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1683/2025-CS DCSO/656/25 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU VENDREDI 14 NOVEMBRE 2025 | ||
Requête (A/1683/2025-CS) formée en date du 14 mai 2025 par le TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE (dans la cause C/1______/2025) relative à la validité des actes de poursuite (commandement de payer et commination de faillite) émis par l’Office cantonal des poursuites à l’endroit de A______ dans la poursuite n° 2______.
* * * * *
Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 24 novembre 2025
à :
- TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE
10ème Chambre
Rue de l'Athénée 6-8
case postale 3736
1211 Genève 3.
- A______
c/o B______
______
______, France.
- ETAT DE GENEVE, ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
Service du contentieux
Rue du Stand 26
Case postale 3937
1211 Genève 3.
- Office cantonal des poursuites.
A. a. A______ a exploité l’entreprise individuelle C______, A______, sise à la rue 3______ no. ______, [code postal] D______ [GE], qui avait pour but l’exploitation d’une plateforme internet dans le domaine de la gastronomie et de l’hôtellerie.
L’entreprise a été inscrite au registre du commerce le ______ 2021. L’inscription a été radiée le ______ 2024 par suite de cessation de l’exploitation.
b. Le 10 octobre 2024, l’Etat de Genève, soit pour lui l’Administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC) a requis la poursuite de A______ pour les sommes de 2'490 fr. avec intérêts à 5% l’an dès le 3 octobre 2024 et 98 fr. 05, en mentionnant comme titre de la créance respectivement « R4______/______SALA/2022/1, bordereau 144287 exp. le 12.06.2024 » et « intérêts moratoires au 3.10.2024 ».
Le créancier poursuivant a indiqué poursuivre le débiteur au for de l’art. 50 al. 1 LP, en précisant que A______ était domicilié c/o B______, rue 5______ no. ______, [code postal] E______/France, et que son adresse professionnelle était
C______, A______, rue 3______ no. ______, [code postal] D______.
c. L’Office a donné suite à cette réquisition de poursuite, a établi le commandement de payer, poursuite n° 2______, le 21 octobre 2024 et l’a adressé à l’établissement du poursuivi à la rue 3______ no. ______ à D______.
L’acte a été retourné à l’Office le 23 octobre 2024, la poste ayant reçu l’instruction de garder le courrier en poste restante.
Par courriers envoyés au poursuivi à l’adresse de son entreprise les 29 octobre 2024 et 13 novembre 2024, que A______ a retirés au guichet de la poste les respectivement 4 et 20 novembre 2024, l’Office a convoqué ce dernier à se présenter en ses locaux.
A______ s’est rendu à l’Office le 11 décembre 2024. L’Office lui a alors notifié le commandement de payer, poursuite n° 2______, auquel le poursuivi n’a pas fait opposition.
d. Sur réquisition de continuer la poursuite de l’Etat de Genève du 27 janvier 2025, l’Office a établi et envoyé la commination de faillite à A______ à l’adresse de son établissement. Ce dernier l’a retirée au guichet postal le 11 février 2025.
e. Le 18 mars 2025, l’Etat de Genève a requis la faillite de A______ auprès du Tribunal de première instance.
B. a. Par jugement du 8 mai 2025, le Tribunal de première instance a déféré la cause à la Chambre de céans afin qu’elle examine la validité du commandement de payer et de la commination de faillite émis par l’Office à l’endroit de A______ dans la poursuite n° 2______.
b. Dans son rapport du 28 mai 2025, l'Office a conclu à ce que la poursuite, respectivement la notification du commandement de payer, soient considérées comme valables, annulables mais non nulles.
c. Par courrier du 27 mai 2025 l’Administration fiscale cantonale s'en est rapportée à justice.
d. A______ ne s’est pas déterminé.
e. Les parties ont été informées que la cause était gardée à juger par avis du 4 juin 2025.
1. 1.1 Lorsque le juge de la faillite estime qu'une décision nulle a été rendue dans la procédure de poursuite antérieure, il ajourne sa décision et soumet le cas à l'autorité de surveillance (art. 173 al. 2 LP).
1.2 En l'occurrence, le Tribunal de première instance, en sa qualité de juge de la faillite, a considéré que l’existence d’un for de poursuite à Genève était douteux et que les commandement de payer et commination de faillite notifiés à A______ dans la poursuite n° 2______, étaient peut-être atteints de nullité absolue. Il a ainsi, par jugement du 8 mai 2025, formellement soumis la question à la Chambre de céans.
Il y a dès lors lieu d'entrer en matière.
2. 2.1.1 Sont nulles les mesures contraires à des dispositions édictées dans l’intérêt public ou dans l’intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure. Les autorités de surveillance constatent la nullité indépendamment de toute plainte (art. 22 al. 1 LP).
Les règles sur le for de la poursuite sont des règles de droit impératif. La sanction de leur violation est cependant différente suivant qu'il s'agit de la notification du commandement de payer pour la poursuite ordinaire ou de la continuation de la poursuite ordinaire. L'inobservation des règles sur le for de la poursuite n'entraîne la nullité de plein droit des actes dont il s'agit que dans le cas où elle lèse l'intérêt public ou les intérêts de tiers. La notification d'un commandement de payer par un office des poursuites incompétent ne satisfait pas à cette condition. Un commandement de payer délivré par un office incompétent à raison du lieu ne peut ainsi qu'être annulé à la suite d'une plainte formée en temps utile. Lorsque le délai de plainte n'est pas utilisé, le commandement de payer constitue le fondement pour les autres actes de poursuite par l'office compétent. En revanche, lorsqu'une poursuite ordinaire est continuée par un office incompétent ratione loci, l'avis de saisie ainsi que les opérations subséquentes sont nuls, en application de l'art. 22 LP. Cette sanction s'explique du fait que la continuation de la saisie à un for incompétent lèse non seulement les intérêts du débiteur, mais aussi ceux de tierces personnes, à savoir les créanciers qui pourraient, le cas échéant, participer à la saisie en vertu des art. 110 ou 111 LP (arrêt du Tribunal fédéral 5A_539/2022 du 13 septembre 2022, consid. 3.1 ; 5A_108/2018 du 11 juin 2018 consid. 3).
2.1.2 L'engagement et le déroulement d'une procédure d'exécution forcée supposent l'existence d'un for de la poursuite, lequel désigne l'organe de poursuite territorialement compétent à qui le créancier doit s'adresser pour introduire la poursuite. La LP définit le for ordinaire de la poursuite (art. 46 LP) ainsi qu'un nombre très limité de fors spéciaux (art. 48 à 52 LP).
En vertu du principe de la territorialité de la poursuite exprimé par l'art. 46 LP et rappelé par le Tribunal fédéral (ATF 107 III 53 consid. 4e), le débiteur domicilié à l'étranger ne peut être poursuivi en Suisse.
L'art. 50 al. 1 LP consacre l'une des exceptions à ce principe en prévoyant que le débiteur domicilié à l'étranger qui possède un établissement en Suisse peut y être poursuivi pour les dettes de celui-ci. Cette disposition constitue un for pour n'importe quel mode de poursuite, y compris la faillite, contrairement aux autres fors spéciaux de poursuite (art. 48 à 54 LP) qui ne permettent pas une exécution générale (ATF 114 III 6 consid. 1b; 107 III 53 consid. 4e). Le for de l'art. 50 al. 1 LP ne dépend pas d'une inscription au registre du commerce mais est subordonné seulement à l'existence d'un établissement en Suisse du débiteur domicilié à l'étranger (ATF 114 III 6 consid. 1b; 98 Ib 100 consid. 3).
La notion d'établissement s'entend de tout lieu d'opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains, des biens et des services (Décisions de la Chambre de surveillance DCSO/530/2024 du 17 novembre 2024, consid. 2.1.4, DCSO/44/2024 du 12 février 2024, consid. 2.1.2 ; Oppliger/Philippin, in CR LP, 2025, n. 5 ad art. 50 LP). Elle n’implique pas une inscription au registre du commerce (ATF 114 III 6 consid. 1b; 98 Ib 100 consid. 3).
Si l'établissement est inscrit au registre du commerce, la poursuite est possible au moins aussi longtemps que l'inscription n'a pas été radiée (ATF 68 III 146 consid. 2). Une poursuite au for spécial de l'art. 50 al. 1 LP demeure possible après cessation de l'activité de l'établissement, aussi longtemps que celui-ci n'a pas été intégralement liquidé (ATF 114 III 6 consid. 1e ; arrêt du Tribunal fédéral du 24 décembre 1921, in SJ 1922 145 consid. I ; Schmid, in BSK SchKG, 2025, n. 18 ad art. 50 LP ; Krüsi, in Kommentar SchKG, Kren Kostkiewicz/Vock (éd.), 2017, n. 9 ad art. 50 LP). Ces commentateurs relèvent qu’en pratique, il devrait parfois s’avérer bien difficile de constater si la liquidation de l’établissement est terminée et sont d’avis que la poursuite d’un établissement commercial inscrit au registre du commerce devrait pouvoir être encore engagée dans les six mois qui suivent en application analogique de l’art. 40 LP, qui prévoit que les personnes qui étaient inscrites au registre du commerce et qui en ont été rayées demeurent sujettes à la poursuite par voie de faillite durant les six mois qui suivent la publication de leur radiation (Schmid, op. cit., n. 19-20 ad art. 50 LP ; Krüsi, op. cit., n. 10 ad art. 50 LP).
Dans sa décision DCSO/149/2018 rendue le 1er mars 2018, publiée in BlSchK 2018 p. 219, la Chambre de surveillance a considéré que l’application par analogie de l’art. 40 LP aux cas où l'établissement visé par l'art. 50 al. 1 LP était inscrit au registre du commerce ne se justifiait pas : les deux dispositions concernaient des problématiques différentes, la première la détermination du mode de continuation de la poursuite et la seconde la possibilité de poursuivre en Suisse un débiteur domicilié à l'étranger ; l'exception au principe de la territorialité de la poursuite prévue par l’art. 50 al. 1 LP était liée à un critère matériel, soit l'exercice d'une activité économique concrète en Suisse par l'exploitation (ou la liquidation) d'un établissement, que celui-ci soit ou non inscrit au registre du commerce, alors que le mode de continuation de la poursuite dépendait d'un critère purement formel, soit l'existence d'une inscription au registre du commerce ; l'intérêt du créancier à la persistance du for de l'établissement après la fin de son exploitation était suffisamment préservé par la possibilité de l'invoquer aussi longtemps que la liquidation n'était pas terminée, alors qu’à l'inverse, le poursuivant n’avait plus d’intérêt à se prévaloir du for de l’art. 50 al. 1 LP une fois la liquidation terminée, après la réalisation des actifs situés en Suisse et rattachés à l'établissement et paiement de tout ou partie des dettes le concernant, la continuation de la poursuite, qu'elle intervienne par voie de saisie ou de faillite, n'ayant en principe plus d'objet.
2.2.1 En l'espèce, le débiteur poursuivi a reçu le commandement de payer, poursuite n° 2______, le 11 décembre 2024. Il n’a pas déposé de plainte au sens de l’art. 17 LP dans le délai prescrit pour remettre en cause le for genevois de poursuite ni la compétence de l’Office. L’éventuelle notification irrégulière d’un commandement de payer par un office incompétent n’étant qu’annulable, le commandement de payer notifié au débiteur poursuivi n’est pas nul, ce qu’il y a lieu de constater.
2.2.2 La notification de la commination de faillite par un office incompétent est en revanche sanctionnée de nullité, de sorte qu’il y a lieu d’examiner s’il existait un for de poursuite à Genève lorsque l’Office a notifié une telle commination au débiteur poursuivi le 11 février 2025.
Il est constant que ce dernier est domicilié en France et qu’il a exploité une entreprise individuelle à la rue 3______ no. ______ à D______, inscrite au registre du commerce en ______ 2021 et radiée le ______ 2024.
Il y a par ailleurs lieu de retenir, à ce stade, que la créance mise en poursuite concerne bien l’établissement sis en Suisse, puisque la question n’est pas du ressort des organes de la poursuite, mais du juge civil (ATF 114 III 6 consid. 1) et que le débiteur poursuivi n’a pas contesté que la dette mise en poursuite concernait l’exploitation de son entreprise en formant opposition à la poursuite.
Il existait ainsi un for à Genève au lieu de l’entreprise exploitée par le poursuivi, à tout le moins jusqu’à la radiation de l’établissement en date du 28 octobre 2024.
Le fait que l'inscription de ce dernier au registre du commerce ait été radiée le ______ 2024 ne permet toutefois pas d’exclure l’existence d’un for de poursuite par la suite, puisque la radiation est liée à la fin de l'exploitation et non à celle de la procédure de liquidation (art. 39 al. 1 ORC).
Comme déjà relevé dans la précédente décision DCSO/149/2018 rappelée ci-avant et pour les mêmes motifs qu’évoqués alors, il n’y a pas lieu de procéder à une application analogique du délai de six mois prévu par l’art. 40 al. 1 LP à l’art. 50 al. 1 LP déterminant le for de la poursuite et d’admettre l’existence d’un for de poursuite à Genève au motif que le créancier poursuivant a engagé la poursuite dans les six mois suivant la radiation de l’inscription au registre du commerce. Il apparaît en effet approprié de subordonner l’existence d’un for au lieu de l’établissement en Suisse à la condition que la liquidation de l’établissement soit encore en cours, puisque le créancier ne dispose d’aucun intérêt à continuer la poursuite au lieu de l’établissement si la liquidation de celui-ci est achevée, ses intérêts étant à l’inverse suffisamment préservés s’il peut invoquer ce for tant que la liquidation n’est pas terminée.
Reste ainsi à déterminer si l’établissement du débiteur poursuivi était entièrement liquidé lorsque ce dernier s’est vu notifier la commination de faillite le 11 février 2025. A cet égard, il résulte du dossier que le poursuivi, alors qu’il est domicilié en France, a pu être atteint à l’adresse de son établissement au chemin 3______ no. ______ à D______ jusqu’en février 2025, puisqu’il a retiré les courriers que lui a adressés l’Office les 29 octobre et 13 novembre 2024, et qu’il a également pu être joint à cette adresse pour la notification de la commination de faillite le 11 février 2025. Il ne s’est par ailleurs jamais prévalu de ce que la liquidation de son entreprise serait terminée après avoir reçu ces actes de poursuite. Ces circonstances conduisent à retenir que l’établissement du débiteur poursuivi n’était pas encore intégralement liquidé lorsque la commination de faillite lui a été notifiée le 11 février 2025.
Il existait en conséquence un for à Genève au lieu d’établissement de l’entreprise au sens de l’art. 50 al. 1 LP et l’Office était compétent à raison du lieu pour notifier la commination de faillite au débiteur poursuivi.
La commination de faillite n’est ainsi pas entachée de nullité.
2.2.3 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de constater que le commandement de payer et la commination de faillite notifiés au débiteur poursuivi dans la poursuite n° 2______ ne sont pas nuls.
3. La procédure est gratuite (art. 20a al. 1 ch. 5 LP).
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La Chambre de surveillance :
Constate que le commandement de payer, poursuite n° 2______, établi le 21 octobre 2024 et notifié à A______ le 11 décembre 2024, et la commination de faillite, établie le 7 février 2025 et notifiée à A______ le 11 février 2025, ne sont pas nuls.
Siégeant :
Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI et Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame
Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.
La présidente : La greffière :
Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI Véronique AMAUDRY-PISCETTA
Voie de recours :
Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.