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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1923/2025

JTAPI/604/2025 du 04.06.2025 ( LVD ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1923/2025 LVD

JTAPI/604/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 4 juin 2025

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Soraya LOPEZ FUENTES, avocate, avec élection de domicile

 

 

contre

 

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 15 mai 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de vingt jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse, Madame A______, sise, ______[GE], à Genève, et de contacter ou de s'approcher d'elle.

Le 4 mai 2025, lors d'une dispute, M. B______ avait injurié son épouse de "fils de pute" et avait menacé de la tuer. Par la suite, il l'avait saisie au niveau de son décolleté, l'avait secouée et l'avait griffée aux joues. Quelques instants plus tard, il l'avait saisie autour du cou, l'avait plaquée contre le mur et avait secoué sa tête contre le mur. Par son comportement violent, il démontrait qu'il était nécessaire de prononcer une mesure d'éloignement à son encontre afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.

2.             Auditionnée par la police le 15 mai 2025, Mme A______ a déclaré être séparée de son époux depuis 2016 mais qu'ils vivaient à nouveau ensemble depuis l'année 2020. Le 4 mai 2025, dans la soirée, alors qu'il été rentré ivre, M. B______ l'avait traitée de "fils de pute", l'avais saisie par les habits pour la secouer quelques secondes avant de la griffer aux joues. Alors qu'elle se débattait, il lui avait saisi le cou et l'avait plaquée contre un mur avant de la secouer à plusieurs reprises pour que sa tête tape le mur, tout en lui disant :"je vais te tuer fils de pute" et "je vais te sortir d'ici". Il la traitait quasi quotidiennement de "fils de pute". Elle avait peur de lui.

Elle a produit un certificat médical daté du 5 mai 2025 faisant état de griffures aux deux joues et d'une rougeur au cou face postérieure. Ces lésions d'origine traumatique pouvaient, selon toute vraisemblance, avoir été causées par les sévices que Mme A______ disait avoir subis.

3.             Entendu par la police le même jour, M. B______ a nié les faits. Le 15 mai 2025, il y avait effectivement eu une engueulade comme tous les soirs mais il n'y avait jamais eu d'agression. C'est son épouse qui l'avait injurié de tous les noms. Ce n'est pas lui qui l'avait blessée, elle mentait, avait des problèmes psychologiques et était capable de se faire du mal elle-même pour ensuite l'inculper de violences qu'il n'avait pas commises. Il acceptait de quitter le domicile conjugal et allait faire le nécessaire pour divorcer.

4.             Par acte du 28 mai 2025, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 2 juin 2025, Mme A______, sous la plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours. Elle redoutait fortement un retour de ce dernier au domicile et craignait qu'il ne cherche à se venger des mesures prises à son encontre.

Elle a produit un bordereau de pièces dont :

-          l'ordonnance pénale du 29 juin 2020, entrée en force, rendue à l'encontre de son époux par le Ministère public de Genève, le condamnant à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 30.-, avec sursis, délai d'épreuve 3 ans, pour lésions corporelles simples, menaces et injure à son égard. Il lui était notamment reproché d'avoir menacé son épouse avec un couteau, de l'avoir injuriée et de l'avoir frappé à plusieurs reprises soit, le 9 avril 2029 ce qui lui avait provoqué une écchymose sur le menton et une morsure à l'intérieur de la joue, le 22 mars 2018 lui provoquant une déchirure du tendon de l'épaule et de l'avoir mordue au menton et porté des coups de poings le 25 décembre 2018 ;

-          l'ordonnance de condamnation du procureur général du canton de Genève dans la P1______, condamnant M. B______ pour des lésions corporelles simples à l'égard de son épouse, Mme A______, le 3 octobre 2007.

5.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties, par téléphone du 3 juin 2025, de l'audience qui se tiendrait le 4 juin 2025.

6.             Lors de cette audience, Mme A______ a confirmé ses propos par-devant la police. Elle était en train de réunir des documents pour solliciter l'assistance juridique dans le cadre d'une procédure civile. Une fois obtenue, elle pourrait déposer une demande de mesures protectrices de l'union conjugale. Elle avait peur de son époux car dès qu'elle faisait une petite remarque, il l'insultait par des paroles blessantes. Toute sa vie, il l'avait insultée tous les jours. Par exemple, il lui disait qu'elle était folle, "fils de pute". S'il était autorisé à rentrer à la maison, il viendrait lui demander pourquoi elle avait entamé la procédure et l'insulterait. Cela faisait des années que son époux la frappait. Dans n'importe quelle situation, il explosait vite fait et la traitait de tous les noms. Si elle lui disait d'arrêter et qu'elle était trop proche de lui, il la prenait par la gorge et lui tapait la tête contre le mur. Cela se produisait environ deux fois par mois. Son époux buvait tous les jours, du vin et de la bière. Il ne se contentait pas d'un verre mais il terminait la bouteille. Elle avait toujours voulu qu'ils entament une thérapie de couple mais il n'avait jamais voulu. Il lui disait que c'était elle la folle et qu'elle pouvait aller se faire foutre. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement ils n'avaient eu aucun contact.

M. B______ a indiqué s'opposer à la demande de prolongation de la mesure d'éloignement. La réalité était tout à fait contraire à ce que disait son épouse. C'était elle qui le prenait à la gorge. Elle lui avait tout pris, son argent. Tout ce qu'elle avait dit s'agissant du 4 mai 2025 était faux. Sa fille avait déposé plainte contre son épouse parce qu'elle l'avait frappée et c'était pour cela qu'elle avait déposé plainte pénale contre lui. Le 4 mai 2025, il ne s'était rien passé de spécial. Généralement, il partait le matin et rentrait le plus tard possible à la maison. Il se lavait et allait dormir si elle le laissait rentrer dans l'appartement. S'agissant des blessures attestées par certificat médical du 5 mai 2025, elle s'était blessée elle-même. Il avait un témoin qui lui avait dit que son épouse lui avait expliqué qu'elle pouvait se blesser et aller chez le médecin pour obtenir un certificat médical. Il ne souhaitait pas donner au tribunal le nom de ce témoin. Même s'il avait été condamné à deux reprises pour des coups à l'encontre de mon épouse, il jurait qu'il n'avait jamais levé la main sur elle. Tout était faux. Il n'avait pas contacté VIRES. Son épouse l'engueulait tous les soirs. Tous les voisins pouvaient en attester. Il voulait divorcer et ne voulait plus rien à voir avec cette personne. Il voulait récupérer son appartement, mais il n'irait pas si elle se trouvait encore au domicile conjugal. Il ne voulait pas se trouver à côté d'elle, c'était sûr.

Mme A______ a confirmé que sa fille avait déposé plainte pénale à son encontre, l'année dernière au mois de juin. Sa fille avait affirmé qu'elle l'avait frappée mais c'était faux. Elle avait toujours aimé ses enfants. Cela faisait un an qu'elle ne parlait plus à sa fille. Elle avait une bonne relation avec son autre fille. Son avocate a plaidé et conclu à la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, les faits dont Mme A______ se plaint d'avoir été victime correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. Son époux conteste frapper son épouse et nie les faits pour lesquels il a été condamné en 2007 et 2020. Or, il existe ses soupçons suffisants et concrets que Mme A______ a subi des violences de la part de M.  B______ eu égard aux déclarations circonstanciées de cette dernière, lesquelles sont corroborées par le certificat médical produit. De son côté, la version de M.  B______, notamment lorsqu'il explique que son épouse peut se frapper elle-même pour l'incriminer faussement ou que les coups et menaces pour lesquels il a été condamné définitivement n'ont jamais eu lieu, n'apparaît pas crédible et ne plaide pas en sa faveur, tout comme ses antécédents de violences à l'égard de son épouse. Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements et de la tension qui entache les rapports des parties, la perspective que les époux se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, le risque de réitération de violences physique étant patent.

5.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 4 juillet 2025 à 17h00.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 28 mai 2025 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 15 mai 2025 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 4 juillet 2025 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière