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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1149/2024

JTAPI/1005/2024 du 09.10.2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;LOCATAIRE;DROIT PRIVÉ
Normes : LPA.60.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1149/2024 LCI

JTAPI/1005/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 octobre 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Irène BUCHE, avocate, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

B______ SA, représentée par Me Lucien LAZZAROTTO, avocat, avec élection de domicile

 


EN FAIT

1.             B______ (ci-après : la société propriétaire) est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de C______ (ci-après : la commune), sise en zone 2, sur laquelle sont érigés trois bâtiments à destination de garages, à l’adresse D______.

2.             A______ SA, dont le but social est « importation, exportation et commerce de pneumatiques et autres accessoires de la branche automobile », est locataire desdits garages depuis 1967.

3.             Le 26 juillet 2021, la société propriétaire a notifié à A______ SA une résiliation de bail au motif qu’elle avait besoin des bâtiments précités pour y installer son Etude d’avocats.

4.             Suite à la contestation de cette résiliation par A______ SA, par jugement du 21 novembre 2023, le Tribunal des baux et loyers a déclaré valable la résiliation de bail notifiée et accordé à la locataire une première prolongation de son bail de trois ans échéant au 28 février 2025. L’appel interjeté à l’encontre de ce jugement est en cours d’examen.

5.             Par requête du 1er juillet 2022, B______ a sollicité une autorisation de démolir les trois bâtiments en question.

Dite requête a été enregistrée sous M 2______.

6.             Dans le cadre de l'instruction du dossier, l'ensemble des instances de préavis consultées s'est prononcé favorablement au projet, à l'exception de la Ville de Genève.

7.             Par décision du ______ 2024, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a délivré l'autorisation de démolir M 2______, laquelle a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du même jour.

8.             Parallèlement, par décision du ______ 2024 (DP 3______), le département a refusé l’autorisation de construire sollicitée par requête du 14 décembre 2021, ayant pour objet « Construction d'un bâtiment d'activités, d'un couvert à vélo et d'un abris-déchetterie - aménagement de bureaux – stationnement deux roues » sur la parcelle n° 1______.

9.             Par acte du 5 avril 2024, sous la plume d’un conseil, A______ a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI ou le tribunal) à l'encontre de la décision du ______ 2024, concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens. Préalablement, elle a requis un délai pour compléter son recours, après qu’elle ait pu consulter le dossier du département.

Touchée directement par la décision querellée, elle avait, en tant que locataire, un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée. Au fond, le département avait abusé de son pouvoir d'appréciation et procédé à une constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents, puisqu'elle ignorait quels étaient les faits retenus pour délivrer l'autorisation de démolir. C’était enfin de manière arbitraire et contraire à la loi que le département avait rendu la décision querellée, alors même qu'il avait refusé l'autorisation de construire (DP 3______).

10.         Dans ses observations du 10 juin 2024, le département a conclu à l’irrecevabilité, soit au rejet, du recours.

De jurisprudence constante, en matière de qualité pour recourir des locataires, lorsque la décision litigieuse impliquait la démolition de locaux qui faisaient l'objet d'un bail à loyer, le locataire ne pouvait plus se prévaloir d'un intérêt digne de protection à l'annulation de l'autorisation de démolition, lorsque, comme en l’espèce, il avait reçu son congé. Partant, la recourante ne disposait pas de la qualité pour recourir et son recours devait être déclaré irrecevable.

Au fond, le recours n’était nullement étayé alors même que les dossiers d'autorisations de construire et de démolir étaient librement consultables au guichet de l'office des autorisations de construire. Partant, la recourante ne saurait valablement requérir un délai supplémentaire pour compléter son recours pour ce seul motif. L’art. 15 al. 3 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) spécifiait pour le surplus que la délivrance d'une autorisation de construire n'était, sauf exceptions non réalisées en l'espèce, pas liée à la validation d'un projet de construction, ce que la jurisprudence avait confirmé.

Il a transmis son dossier.

11.         Dans ses observations du même jour, la société propriétaire, sous la plume d’un conseil, a conclu à ce que la recourante soient déboutée de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

Intervenant en qualité de locataire de l’immeuble à démolir alors que son bail avait été résilié, la recourante était privée de la qualité pour recourir.

En tout état, au fond, elle ne présentait aucun argument permettant de justifier l’annulation de l’autorisation de démolir, étant rappelé que le droit de détruire un immeuble que l’on possédait n’était limité que dans le cas d’immeubles d’habitation, en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) ou présentant un intérêt patrimonial, en vertu de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). Le refus de la DP ne limitait en rien son droit de démolir son bâtiment et n’était au demeurant ni définitif ni rédhibitoire. En réalité, la recourante invoquait un argument de nature purement civile, que le tribunal n’avait pas à connaitre.

12.         Dans le délai prolongé au 15 juillet 2024 pour sa réplique, la recourante a persisté dans les termes de son recours. Lui refuser la qualité pour recourir rendait illusoire la défense de ses intérêts.

13.         Par dupliques des 31 juillet et 7 août 2024, la société intimée et le département ont respectivement persisté dans leurs conclusions.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Aux termes de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, a qualité pour recourir toute personne touchée directement par une décision et qui a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

3.             L'intérêt digne de protection implique que le recourant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, répondant ainsi à l’exigence d’être particulièrement atteint par la décision. L'intérêt invoqué, qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération avec l'objet de la contestation (arrêts du Tribunal fédéral 1C_56/2015 consid. 3.1 ; 1C_152/2012 consid. 2.1 ; ATA/902/2015 du 1er septembre 2015 ; François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, Le contentieux administratif, 2013, pp. 115-116).

4.             Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_892/2011 du 17 mars 2012 consid. 1.2 ; 1B_201/2010 du 1er juillet 2010 consid. 2 ; Pierre MOOR/ Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 449 n. 1367). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1).

5.             En matière de construction, la qualité pour recourir est en principe donnée lorsque le recours émane du propriétaire ou du locataire d’un terrain directement voisin de la construction ou de l’installation litigieuse (ATA/557/2015 du 2 juin 2015 ; ATA/577/2014 du 29 juillet 2014).

6.             Toutefois, s’agissant d’un recourant, tiers locataire, il convient d’apprécier l’enjeu de la procédure pour le recourant concerné en fonction de sa situation concrète, soit d’apprécier la gravité de l’atteinte apportée par le projet à ses intérêts (RDAF 2001 I 344 p. 348). Le Tribunal fédéral a jugé que s’il existait un moyen de droit privé, même moins commode, à disposition de l’intéressé pour écarter le préjudice dont il se plaint, la qualité pour agir fondée sur l’intérêt digne de protection devait lui être niée (ATF 101 1b 212 ; 100 Ib 119 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.70/2005 du 22 avril 2005). Les intérêts du locataire dans ses rapports avec le bailleur sont plus spécifiquement protégés par les dispositions spéciales du droit du bail complétées, le cas échéant, par certaines règles de droit public cantonal (ATF 131 II 649 consid 3.4).

7.             La chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a déjà jugé de façon constante qu’en matière de qualité pour recourir des locataires, lorsque la décision litigieuse implique la démolition de locaux qui font l’objet d’un bail à loyer, le locataire ne peut plus se prévaloir d’un intérêt digne de protection à l’annulation de l’autorisation de démolition, dès lors qu’il a reçu son congé. En effet, quand bien même il conteste ce dernier, la procédure ouverte à ce sujet ne peut aboutir qu’à deux solutions alternatives : si la résiliation du bail est annulée, la démolition ne peut plus avoir lieu et le locataire perd son intérêt au recours ; si, au contraire, le congé est confirmé, le locataire, qui doit quitter les lieux, n’est plus concerné par le projet de démolition et n’a ainsi plus d’intérêt pratique à recourir (ATA/322/2016 du 19 avril 2016 et les références citées).

8.             La situation n'est pas différente en l'espèce. La recourante est locataire des bâtiments visés par l’autorisation de démolir litigieuse mais son bail a été résilié en date du 26 juillet 2021. Le litige civil opposant les parties n’est pas encore tranché. Cependant, quelle que soit l'issue de cette procédure, la recourante n'a pas d'intérêt à recourir contre l'autorisation de démolir accordée à la société intimée. En effet, si la juridiction civile venait à annuler ou prolonger son bail, le projet litigieux ne pourrait pas se réaliser, respectivement devrait attendre l'expiration du délai de prolongation pour débuter. En revanche, si la résiliation du bail venait à être confirmée, la recourante - n'étant plus locataire - n'aurait aucun intérêt digne de protection à recourir contre un projet qui ne la concernera pas.

Au vu de ce qui précède, il doit être retenu que la recourante ne dispose pas de la qualité pour recourir, de sorte que son recours doit être déclaré irrecevable.

9.             En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 700.-, il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de cette avance lui sera restitué.

10.         Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 750.-, à la charge de la recourante, sera allouée à B______ SA à titre de dépens (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 5 avril 2024 par A______ SA contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;

2.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

3.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;

4.             condamne la recourante à verser à B______ SA une indemnité de procédure de CHF 750.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Diane SCHASCHA et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier