Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/2755/2023

JTAPI/453/2024 du 15.05.2024 ( LDTR ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : RÉNOVATION D'IMMEUBLE;CRÉDIT HYPOTHÉCAIRE;TAUX D'INTÉRÊT;LOYER CONTRÔLÉ
Normes : LDTR.12; LDTR.9.al1; LDTR.3.al1; LDTR.10.al1; LDTR.11.al2; LCI.3.al3
Relations : Les travaux projetés estimés à CHF 90'600.- s'apparentent à une remise à neuf de l'appartement justifiant de fixer la durée de contrôle du loyer à cinq ans. Le DT a tenu compte de la modification du taux hypothécaire de référence survenue entre le dépôt de la requête et l'octroi de l'autorisation litigieuse. Cette modification n'a toutefois aucune incidence sur la durée de contrôle du loyer.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2755/2023 LDTR

JTAPI/453/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 14 mai 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Julien BLANC, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

B______ SA

 


EN FAIT

1.             A______ SA (ci-après : la propriétaire) est propriétaire de l’immeuble sis sur la parcelle n° 1______ de la commune de C______ (ci-après : la commune), ______[GE], lequel comprend notamment un appartement de quatre pièces d’une surface d’environ 93.8 m2 situé au rez-de-chaussée.

2.             Par requête du 14 avril 2023, enregistrée sous le n° de procédure APA 2______, la propriétaire, par le biais de son mandataire B______ SA (ci-après : la régie), a sollicité du département du territoire (ci-après : DT ou le département), la délivrance d’une autorisation de construire en procédure accélérée portant sur la rénovation de l’appartement précité.

Elle a notamment joint à sa demande le formulaire D12 intitulé « APA - rénovation/transformation d’un appartement destiné à la location », à teneur duquel le coût des travaux était estimé, toutes taxes comprises, à CHF 90'600.-, pour : dépose des moquettes, réfection des parquets (CHF 12'000.-) ; peinture, démolition partielle de la cloison chambre, réfection peinture, corniches, remplacement papier peints (CHF 17'000.-) ; sanitaire : rénovation complète, remplacement des appareils sanitaires (CHF 12'000.-) ; cuisine : fourniture et pose d’une nouvelle cuisine (CHF 10'500.-) ; électricité : rénovation complète et mise aux normes (CHF 8'500.-) ; maçonnerie, faïences : piquage, fourniture et pose de nouvelles faïences dans SDB et cuisine (CHF 13'200.-) ; menuiserie : contrôle général et réfection, isolation des contrecœurs (CHF 12'500.-) ; chauffage : dépose et repose de radiateurs et remplacement de vannes et de certains radiateurs (CHF 3'500.-) ; expertise amiante (CHF 1'300.-) ; nettoyage de fin de chantier (CHF 600.-).

Le loyer actuel net de CHF 10’800.-/an, soit CHF 2’700.- /pièce/an serait porté, après travaux à CHF 14’112.-/an, soit CHF 3'528.-/pièce/an. Le taux hypothécaire de référence actuel était de 1.25%.

3.             Dans le cadre de l’instruction de cette demande, qui a connu une version modifiée le 26 juin 2023, les diverses instances consultées ont émis, en dernier lieu, des préavis favorables, parfois sous conditions, soit :

-          le 23 juin 2023, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a préavisé favorablement le projet, sans observation ;

-          le 16 mai 2023, après avoir demandé la modification du projet le 20 avril 2023, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a émis un préavis favorable, sous conditions ;

-          le 19 avril 2023, la police du feu a émis un préavis favorable, sous conditions ;

-          le 1er juin 2023, après avoir demandé la production de pièces complémentaires les 3 et 24 mai 2023, l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) a préavisé favorablement le projet, aux conditions suivantes : le respect des dispositions de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) (art. 9 LDTR); le loyer de l’appartement concerné ne devrait pas excéder après travaux (transformation de la typologie) CHF 14'112.- par an, soit CHF 3'538.- pièce/an, pour une durée de cinq ans à dater de la remise en location après la fin des travaux (art. 10 al. 1, 11 et 12 LDTR) ; toute modification devrait faire l’objet d’une demande complémentaire. Sous rubrique « Remarques » il était précisé : « Documents formels vus : le formulaire d’autorisation, les plans v2, le bail ou l’avis de fixation et le plan financier D12. Transformation lourde, changement de typologie, coût des travaux 90'600.- ».

4.             Par décision du _______ 2023, publiée le jour même dans la feuille d’avis officielle, le département a délivré l’APA 2______, les conditions prévues dans les préavis devant être strictement respectées et faisant partie intégrante de la décision.

5.             Par courrier du 14 juillet 2023, la régie a informé le DT que le formulaire D12 joint à la demande du 14 avril 2023 avait été établi, alors que le taux hypothécaire de référence était de 1.25%. Or, ce taux avait été porté à 1.5%, le 2 juin 2023, soit à une date antérieure à l’octroi de l’APA précitée. Dans ces circonstances, elle produisait un nouveau formulaire D12 et sollicitait la révision des conditions LDTR.

6.             Par courrier du 26 juillet 2023, l’OCLPF a informé la régie que le formulaire D12 avait effectivement été déposé avant le changement du taux hypothécaire et qu’à la délivrance de l’APA 2______, soit le ______ 2023, il avait mis à jour le nouveau taux hypothécaire. Le loyer théorique de l’appartement objet de la demande passait ainsi de CHF 15'477.- à CHF 15'557.-. Cela étant, le loyer maximum applicable après travaux, durant la période de contrôle n’était pas modifié. Il avait été fixé à CHF 14'112.-, soit le montant maximum correspondant au besoin prépondérant de la population fixé à CHF 3'528.-. Ces montants étaient inscrits dans le préavis LDTR délivré le ______ 2023 en application de l’art. 11 al. 2 LDTR.

7.             Par acte du 28 août 2023, la propriétaire (ci-après : la recourante), représentée par la régie, a recouru contre l’APA 2______, auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation partielle, en tant qu’elle imposait une durée de contrôle du loyer de cinq ans et appliquait un taux hypothécaire de référence de 1.25% ; à ce que le tribunal dise que la durée de contrôle du loyer de l’appartement objet de l’APA 2______ soit limitée à trois ans et au renvoi de la procédure au département pour nouvelle décision au sens des considérants.

Compte tenu des travaux préparatoires relatifs à l’art. 12 LDTR et de la jurisprudence rendue en la matière par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), le DT avait qualifié à tort les travaux projetés de transformation lourde et fixé la durée de contrôle du loyer à cinq ans au lieu de trois ans. Or, le blocage des loyers pendant une période supplémentaire de deux ans était déterminant dans la possibilité de rentabiliser ces travaux conformément au droit fédéral [art. 14 de l’ordonnance sur le bail à loyer et le bail à ferme d'habitation et de locaux commerciaux du 9 mai 1990 (OBLF - RS 221.213.11) et art. 11 LDTR].

Les travaux prévus qui ne touchaient pas l’extérieur du bâtiment et qui ne prévoyaient aucune permutation des pièces de l’appartement ne correspondaient, ni de par leurs coûts estimés à CHF 90'600.- ni de par leur ampleur, aux affaires dans lesquelles la chambre administrative avait retenu une transformation lourde. À cela s’ajoutait qu’il était impossible que le législateur ait souhaité que des travaux de transformation lourde puissent être autorisés par la voie de la procédure accélérée, à l’instar de l’autorisation querellée.

S’agissant du taux hypothécaire de référence, le DT en avait tenu compte de manière limitée, bloquant le loyer au plafond LDTR pendant cinq ans, alors que le loyer maximum après la durée du contrôle, conforme à l'art. 11 LDTR, ne correspondait pas au loyer autorisé. Ainsi, le montant retenu dans l'autorisation était de CHF 3’528.-/pièce durant cinq ans, alors qu'il pourrait passer à CHF 3’889.- dès la 4ème année, et non pas la 6ème année. L'autorisation avait donc pour effet de protéger le locataire d'une augmentation de loyer parfaitement légale sur le plan du droit du bail et de la LDTR, dès la 4ème année.

8.             Dans ses observations du 6 novembre 2023, le DT a conclu au rejet du recours, sous suite de dépens.

À teneur des plans, les travaux projetés consistaient notamment en la transformation d’une chambre en cuisine, ce qui impliquait de nouveaux branchements aux divers réseaux (électricité, arrivée d'eau chaude et d'eau froide, écoulements pour l'évacuation et ventilation mécanique), une augmentation de la puissance électrique et des travaux sur les gaines de ventilation, ainsi que la création d'un WC qui nécessitait également des interventions en matière de raccordements. La salle de bain existante serait entièrement refaite. Dans la mesure où ces travaux visaient à transformer de manière importante la typologie de l’appartement et l’affectation respective de certaines pièces, ils dépassaient clairement le cadre d’une rénovation semblable à l’existant et impliquaient des interventions conséquentes. L’envergure des interventions par rapport au nombre de pièces s’avérait aussi importante. Dans ces circonstances, le DT n’avait pas outrepassé son pouvoir d'appréciation en qualifiant le projet litigieux de transformation lourde dès lors qu’il impliquait des travaux et des coûts beaucoup plus importants que ceux découlant d'une simple rénovation de l'existant. Ce qualificatif respectait d'ailleurs la lettre, l’esprit et le but de l’art. 12 LDTR, à savoir éviter des travaux lourds si des travaux moins importants étaient réalisables, dans l’optique de limiter les coûts et de réduire leur potentiel impact sur les loyers afin qu’ils restent le plus abordable possible. Cette analyse était corroborée par la jurisprudence de la chambre administrative qui avait jugé que des travaux dont l’ampleur reflétait une remise à neuf par une rénovation profonde et considérable du logement concerné, correspondait à une transformation lourde au sens de la LDTR.

S’agissant de la position de la recourante à l’égard du taux hypothécaire de référence, ces explications ne permettaient pas de comprendre en quoi il aurait dû avoir une influence sur la décision litigieuse, étant précisé qu’il lui avait dûment été expliqué que la prise en compte de ce facteur n'avait d’influence, ni sur la qualification des travaux, ni sur la durée du contrôle et le montant du loyer. De plus, la recourante ne démontrait pas que l’art. 11 al. 2 LDTR serait inapplicable. Compte tenu du montant du loyer avant travaux, l’al. 3 de cette disposition n’entrait de toute façon pas en considération.

9.             Le 11 décembre 2023, la recourante a répliqué, sous la plume de son conseil, persistant dans ses conclusions.

Tous les travaux de remise en état comprenaient une partie d'entretien et une partie de travaux à plus-value. Au-delà de l'entretien courant, il s’agissait de rénovation et/ou de transformation, qui nécessitait une autorisation mais n'entrait pas nécessairement dans la catégorie des transformations lourdes. L’art. 12 LDTR prévoyait ainsi une distinction entre les transformations et les transformations lourdes soumises à un contrôle des loyers d’une durée de, respectivement trois et cinq ans. On ne pouvait laisser le DT opérer une distinction fondée sur la durée du contrôle et qualifier les travaux en fonction de la durée qu'il imposait, sans considération des distinctions précises définies par la jurisprudence et la doctrine.

L’autorité intimée soutenait que les travaux projetés, qui dépassaient « clairement le cadre d'une rénovation au semblable de l'existant » devraient automatiquement être rattachés à des transformations lourdes, ce qui allait à l’encontre des critères mis en place par la loi et la jurisprudence pour fixer la frontière entre les travaux d'entretien/rénovation et les transformations lourdes. Elle considérait à tort que seuls les stricts travaux qui remplaçaient l'existant par des éléments semblables, pourraient bénéficier d'une période de contrôle des loyers de trois ans, tous les autres travaux étant soumis à un contrôle de cinq ans, ce qui allait à l’encontre de la volonté du législateur.

À suivre le DT, un contrôle de cinq ans serait imposé à toutes les transformations, indépendamment de leur importance. De plus, selon la loi et la jurisprudence, les travaux de remplacement de l’existant n’étaient pas soumis à un contrôle des loyers, dès lors qu’il s’agissait de travaux d'entretien courant. La LDTR avait certes pour but de contrôler que le parc locatif ne subisse pas de changements fondamentaux dans les standards et dans les loyers, mais elle n'avait pas été conçue dans le but d'imposer un contrôle systématique des loyers.

En outre, comme déjà exposé, l'art. 12 LDTR qui imposait un contrôle de cinq ans ne s'adressait qu'aux transformations lourdes sur un immeuble entier et ne s'appliquait en aucun cas, sans distinction, à des rénovations d'appartements.

10.         Le 11 janvier 2024, le DT a dupliqué et persisté dans ses conclusions. La recourante avait mal interprété ses propos en retenant qu’il avait considéré que la transformation projetée devait être qualifiés de lourde dès lors qu’elle dépassait le cadre d’une rénovation au semblable de l’existant. Il s’agissait d’un élément qu’il avait pris en compte et qui, cumulé avec le coût des travaux, la modification typologique et d'affectation de certaines pièces et les interventions conséquentes, l’avait conduit à retenir qu’il s’agissait d’une transformation lourde.

Par ailleurs, les travaux parlementaires dont la recourante avait fait état dans son recours ne permettaient pas de contredire la position soutenue par le DT, étant précisé que l’art. 12 LDTR traitait principalement de la fixation des loyers et non pas de la notion de transformation. Il était admis de longue date que la LDTR visait d’une part, à maintenir l’affectation des logements qui répondaient, sous l’angle de leurs loyers, leurs prix ou leur conception, aux besoins de la population, et d’autre part, à empêcher que des logements à loyer modéré soient transformés en appartements de luxe.

11.         Le 31 janvier 2024, la recourante s’est à nouveau déterminée, sous la plume de son conseil.

Depuis le début de la procédure, elle soutenait que la durée de contrôle de cinq ans prévue à l'art. 12 LDTR n'avait pas pour vocation de s'appliquer à des travaux portant sur un seul appartement et qu'il ne pouvait pas l'être. La notion de transformation lourde se rapportait, de par la volonté du législateur, à des travaux qui portaient sur l'entier d'un immeuble d'habitation, et qui l’impactaient largement, touchant notamment à son enveloppe, ses locaux et ses installations communes, et rendus nécessaires par « des années de carence » d'entretien. La durée de contrôle de cinq ans devait ainsi, dans la volonté du législateur, se comprendre comme une pénalité liée au fait que le propriétaire avait tardé à entreprendre les travaux.

Les transformations lourdes n'avaient jamais concerné en soi, les simples rénovations de l'art. 3 al. 1 let. d LDTR et encore moins les travaux d'entretien, exclus du champ d'application de la loi (art. 3 al. 2 LDTR). Aucune interprétation « honnête » des travaux parlementaires ne permettait de qualifier les travaux de la recourante de transformations lourdes.

Le but des qualificatifs utilisés était d'éviter que l'État ne participe financièrement à des travaux somptuaires. Contrairement à ce que soutenait le DT, le but de la loi n'était pas de limiter les travaux lorsqu’ils avaient été autorisés, mais d'en réduire l'impact sur les loyers tout en tenant compte de leur adéquation. Le plafond des loyers répondant aux besoins de la population après travaux (art. 9 al. 3 LDTR) en était la démonstration, dès lors que la conséquence pour le propriétaire qui engageait des travaux portant le loyer au-delà de cette limite par calcul de l'art. 11 LDTR, était de devoir se satisfaire, pendant un temps donné, d'un rendement réduit.

12.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_136/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).

5.             La recourante invoque une violation de l’art. 12 LDTR, contestant que les travaux projetés puissent être qualifié de transformation lourde, avec pour conséquence un contrôle du loyer durant à cinq ans.

6.             La LDTR a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants, ainsi que le caractère actuel de l’habitat dans les zones visées à l’art. 2 LDTR (art. 1 al. 1 LDTR).

Elle prévoit notamment à cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

7.             Une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation de tout ou partie d'une maison d'habitation (art. 9 al. 1 LDTR).

Le DT accorde l'autorisation si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux besoins prépondérants de la population (art. 9 al. 2 1ère phr. LDTR).

8.             Selon l'art. 3 al. 1 LDTR, par transformation, on entend tous les travaux qui ont pour objet : a) de modifier l’architecture, le volume, l’implantation, la destination, la distribution intérieure de tout ou partie d’une maison d’habitation ; b) la création de nouveaux logements, notamment dans les combles ; c) la création d’installations nouvelles d’une certaine importance, telles que chauffage, distribution d’eau chaude, ascenseur, salles de bains et cuisines ; d) la rénovation, c’est-à-dire la remise en état, même partielle, de tout ou partie d’une maison d’habitation, en améliorant le confort existant sans modifier la distribution des logements, sous réserve de l’al. 2.

9.             En vertu de l'art. 10 al. 1 LDTR, le DT fixe, comme condition de l'autorisation, le montant maximum des loyers des logements après travaux. Il tient compte des critères énumérés à l'art. 11 LDTR (« mode de calcul »).

10.         Lorsque les logements répondent aux besoins prépondérants de la population (ci-après : BPP) quant à leur genre, leur typologie, leur qualité, leur prix de revient, le nombre de pièces ou leur surface, le loyer après transformation doit répondre aux BPP (art. 11 al. 2 LDTR).

11.         Selon l’arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux BPP du 12 janvier 2022 entré en vigueur le 14 janvier 2022 (ArRLoyers - L 5 20.05), les loyers correspondant aux BPP, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2018, sont compris entre CHF 2’627.- et CHF 3’528.- la pièce par année.

12.         Les loyers maximaux ainsi fixés sont soumis au contrôle de l’Etat pendant une période de cinq à dix ans pour les constructions nouvelles et pendant une période de trois ans pour les immeubles transformés ou rénovés, durée qui peut être portée à cinq ans en cas de transformation lourde (art. 12 LDTR).

Le Tribunal fédéral a reconnu à la LDTR sa compatibilité avec les dispositions concernant le droit de propriété et la liberté économique consacrées aux art. 26 al.  1 et 27 al. 1 Cst. (ATF 116 Ia 401 ; arrêt 2C_184/2013 du 8 janvier 2014). En effet, en matière de logement, il est interdit aux cantons d’intervenir dans les rapports directs entre les parties au contrat de bail, réglé exhaustivement par le droit fédéral. Cela étant, les cantons demeurent libres d’édicter des mesures destinées à combattre la pénurie sur le marché locatif. Ainsi, les règles de contrôle temporaire des loyers prévues par la LDTR respectent le principe de primauté du droit fédéral, étant précisé que cette intervention étatique est limitée dans le temps et que les parties demeurent libres de modifier le contrat de bail à l'issue de la période de contrôle (arrêt du Tribunal fédéral 1P.20/2005 du 18 mars 2005 consid. 2.2).

13.         Dans un arrêt du 15 avril 2014, la chambre administrative a jugé que des travaux d’un montant total de CHF 58'379.-, correspondant à un montant de CHF 14'594.75/pièce ayant pour conséquence une augmentation du loyer après travaux, concernant un appartement de quatre pièces et demie dans lequel avaient été réalisés, sans autorisation, la démolition complète de trois cloisons entre l’entrée, la cuisine, la chambre et le hall afin de créer un nouvel espace de jour plus spacieux côté cour, ayant pour conséquence la disparition d’une chambre et du hall, la démolition/reconstruction de parties de corniches et de plafonds, le rafraîchissement de la seconde chambre et de la pièce jusqu’alors utilisée comme séjour (côté rue), la pose d’un nouveau carrelage de sol à la cuisine, la refonte des espaces, cloisons, appareils, équipements et du réseau des sanitaires ainsi que le changement complet du réseau électrique et l’installation de nouveaux câblages, prises et interrupteurs, pouvaient à juste titre être qualifiés de transformations lourdes justifiant l’application d’un délai de contrôle de cinq ans (ATA/260/2014 consid. 16).

14.         Dans deux jugements récents (JTAPI/1300/2022 et JTAPI/1301/2022 du 29 novembre 2022 accessibles en ligne), le tribunal a examiné la problématique liée à la fixation de la durée du contrôle étatique du loyer d’un logement après travaux. Rappelant la jurisprudence de la chambre administrative et analysant la pratique du département ces dernières années, il a retenu, s’agissant d’une part de travaux d’un montant de CHF 139'000.- portant sur la rénovation complète d'un logement de quatre pièces et demi (peinture, rénovation des carrelages et faïences de la cuisine, la salle de bain et les toilettes, mise en conformité des installations électriques, pose d'un nouvel agencement de cuisine, rénovation des installations sanitaires, réfection des menuiseries, pose d'un nouveau parquet) avec permutation et modification de la disposition des pièces (alcôve du salon, cuisine, chambre) et, d’autre part, de travaux portant sur la réfection complète des peintures d’un logement de quatre pièces, la réfection des installations électriques, la pose de carrelages et faïences ainsi que des piquages, la pose d’un nouvel agencement de cuisine, la réfection des installations sanitaires, la réfection des menuiseries intérieures, le ponçage et la vitrification des parquets ainsi que la pose d’un nouveau parquet, la réparation des stores intérieurs, l’entretien de l’installation de chauffage mais également sur la permutation et modification de la disposition des pièces du logement, pour un coût total de CHF 168'287.-, que les transformations envisagées étaient lourdes au sens de l'art. 12 LDTR, avec pour conséquence que le contrôle des loyers après travaux devait être porté à cinq ans.

15.         Les préavis ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Selon le système prévu par la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi. Lorsque la consultation d'une instance de préavis est imposée par la loi, son préavis a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours et il convient de ne pas le minimiser (ATA/146/2021 du 9 février 2021 consid. 10a ; ATA/934/2019 du 21 mai 2019 consid. 8c ; ATA/537/2017 du 9 mai 2017 consid. 4c).

Selon une jurisprudence bien établie, chaque fois que l'autorité inférieure suit les préavis requis, la juridiction de recours doit s'imposer une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des entités ayant formulé un préavis dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation, pour autant que l'autorité inférieure ait suivi l'avis de celles-ci. Elle se limite à examiner si le département ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/146/2021 précité consid. 10a ; ATA/1724/2019 du 26 novembre 2019 consid. 7d ; ATA/1274/2017 du 12 septembre 2017 consid. 5).

16.         En l’espèce, il ressort du dossier que les travaux autorisés portent notamment sur la réfection complète des sols et des peintures de l’appartement, le remplacement de papier peints, une rénovation complète des sanitaires et la pose d’une nouvelle cuisine, avec dans ces deux pièces des travaux de maçonnerie et de piquage, ainsi que la pose de nouvelles faïences, des travaux de menuiserie, la rénovation complète et la mise aux normes du système électrique, la dépose et la repose de radiateurs et le remplacement de vannes et de certains radiateurs.

Les travaux portent également sur la modification de la typologie de l’appartement avec la transformation d’une chambre en cuisine, soit d’une pièce sèche en pièce humide et inversement, la démolition partielle d’une cloison et la création d’un WC impliquant des interventions sur les gaines de ventilation, ainsi que de nouveaux branchements au réseau électrique, au réseau d’arrivée d’eau chaude et froide, ainsi qu’au système d’évacuation.

Par ailleurs, le coût estimé des travaux s’élève à CHF 90'600.-, soit un montant de CHF 22'650.- par pièce et, à teneur du formulaire D12, le loyer du logement concerné sera augmenté de CHF 10'800.-/an, soit CHF 2’700.-/pièce/an, à CHF 14’112.-/an, soit CHF 3'528.-/pièce/an après travaux.

Au vu des travaux projetés qui, compte tenu de leur coût et, plus particulièrement de leur nature et de leur importance, s’apparentent à une remise à neuf de l’appartement concerné, au moyen d’une rénovation profonde et considérable (ATA/260/2014 du 15 avril 2014 consid. 8), c’est à bon droit que l’autorité intimée, suivant le préavis de l’OCLPF, dont il n’y a aucun motif objectif de s’écarter, a considéré qu’il s’agissait d’une transformation lourde.

Dans ces circonstances, il ne peut être reproché au DT d’avoir mésusé de son pouvoir d’appréciation ni d’avoir violé la loi en fixant la durée de contrôle du loyer de l’appartement à cinq ans, en application de l’art. 12 LDTR et conformément à la jurisprudence.

C’est le lieu de relever que la position de la recourante, qui soutient - sans aucun fondement - que l’art. 12 LDTR, en tant qu’il impose un contrôle de cinq ans ne s’appliquerait qu'aux transformations lourdes portant sur un immeuble entier et non pas à des rénovations d'appartements, n’est corroborée ni par le texte de la loi ni par la doctrine ni par la jurisprudence.

17.         S’agissant du taux hypothécaire de référence de 1.25% au moment du dépôt de la requête, passé à 1.5% le 2 juin 2023, il ressort du dossier que, lors de l’octroi de l’autorisation litigieuse, le DT a tenu compte de cette modification ayant eu pour conséquence de porter le loyer théorique de l’appartement concerné de CHF 15'477.- à CHF 15'557.-. Cette modification n’a eu toutefois aucune incidence puisque le loyer maximum applicable après travaux durant la période de contrôle, a été fixé à CHF 14'112.- par an, tel qu’indiqué dans le préavis LDTR, délivré en application de l’art. 11 al. 2 LDTR, et comme cela ressort des deux formulaires D12 datés du 12 avril et du 14 juillet 2023, produits par la recourante elle-même.

L’augmentation du taux hypothécaire de référence a ainsi été prise en compte dans la mesure qui s’imposait, étant précisé que cet élément n’a aucune incidence sur la durée de contrôle du loyer comme l’allègue la recourante.

18.         Partant, mal fondé, le recours sera rejeté et la décision entreprise confirmée.

19.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante qui succombe est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 28 août 2023 par A______ SA contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Gwénaëlle GATTONI, présidente, François HILTBRAND, Jean-Michel KARR, Diane SCHASCA et Romaine ZÜRCHER, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière