Décisions | Chambre Constitutionnelle
ACST/31/2025 du 26.06.2025 ( ABST ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/4006/2024-ABST ACST/31/2025 COUR DE JUSTICE Chambre constitutionnelle Arrêt du 26 juin 2025 |
| ||
dans la cause
A______, B______ et C______
représentés par Me Stéphane GRODECKI, avocat recourants
contre
GRAND CONSEIL intimé
A. a. C______, ressortissant suisse, est domicilié à Genève, canton dans lequel il est titulaire des droits politiques. Il est notamment administrateur de D______ SA, dont le but est l'étude liée à la la promotion immobilière.
b. L’A______ (ci-après : A______), dont le siège se trouve à Genève, est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210).
c. La B______ (ci-après : B______), dont le siège se trouve à Genève, est une association au sens des art. 60 ss CC. Elle a pour but la promotion, la représentation et la défense de la propriété foncière dans le canton. Elle se voue par pur idéal à l'étude de questions relatives notamment au logement et à l'aménagement du territoire.
B. a. Le 28 novembre 2022, treize députés ont déposé au Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 13'216 modifiant la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).
b. Le 15 décembre 2022, le PL 13'216 a été renvoyé sans débat à la commission du logement.
c. Le 25 avril 2023, la commission du logement a rendu son rapport concernant le PL 13'216 (PL 13'216-A) et proposé au Grand Conseil de refuser l'entrée en matière. Ont été auditionnés le directeur de la direction administrative et juridique de l'office des autorisations de construire ainsi que le vice-président de la Fédération des associations d'architectes et d'ingénieurs de Genève (ci-après : FAI), accompagné de membres du Conseil de la FAI.
d. À l'issue de sa séance du 30 août 2024, le Grand Conseil a adopté, après avoir accepté deux amendements présentés par deux députés, le PL 13'216 par 54 oui contre 39 non.
e. Par arrêté du 30 octobre 2024, le Conseil d'État a promulgué la loi 13'216. Cette novelle a été promulguée pour être exécutoire dès le lendemain de la publication de l'arrêté, conformément à ce qui était prévu à son art. 2 souligné. Elle contient les dispositions suivantes, qui constituent la nouvelle section 8 du chapitre V du titre II, intitulée « Flexibilité et réversibilité des constructions » :
Art. 57A (nouveau)
1 Les espaces destinés à l’utilisation de bureaux dans toute nouvelle construction doivent pouvoir être transformés en habitations sans que des travaux majeurs soient nécessaires dans les zones définies par un règlement d’application.
2 En particulier les ouvertures en façade, la disposition des courettes techniques et la position des cages d’escalier doivent permettre l’aménagement d’habitations.
Art. 57B (nouveau)
Lors de la demande d’autorisation de construire, les plans de locaux de bureaux doivent montrer, à titre indicatif, qu’une transformation ultérieure en habitation est possible.
Art. 57C (nouveau)
Un règlement d’application détermine les conditions que doivent réunir les dossiers de demande de construction de bâtiments administratifs ou de bureaux.
f. Cet arrêté a été publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 1er novembre 2024.
C. a. Par acte du 2 décembre 2024, l'A______, la B______ et C______ ont saisi la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) d’un recours dirigé contre la loi 13'216, concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif ainsi qu'à la mise en œuvre d'une expertise et, principalement, à l’annulation de l’acte entrepris.
La novelle violait le principe de stabilité des plans, la garantie de la propriété et la liberté économique. En cas d'entrée en vigueur immédiate, les solutions illégales induites seraient irréversibles, alors que les coûts engendrés par les nouvelles exigences posées en termes de réversibilité des constructions étaient très importants. Des projets immobiliers de grande envergure devraient ainsi être radicalement modifiés, et l’admission du recours ne permettrait pas de récupérer ces coûts. Une application immédiate remettrait également en cause, en l’absence de disposition transitoire, des plans financiers dans des procédures en cours.
b. Le 16 décembre 2024, le Grand Conseil a conclu au rejet de la demande d'effet suspensif.
c. Par réplique du 9 janvier 2025, les recourants ont persisté dans leurs conclusions sur effet suspensif.
d. Par décision du 23 janvier 2025 (ACST/3/2025), la chambre constitutionnelle a octroyé l'effet suspensif au recours.
e. Le 30 janvier 2025, le Grand Conseil a répondu au fond, concluant au rejet du recours.
Il ne se justifiait pas de donner suite à la mesure d'instruction sollicitée. L'expertise requise était prématurée et superflue : le règlement d'application n'avait pas encore été adopté et une expertise n'était pas déterminante pour évaluer, dans le cadre d'un contrôle abstrait, la constitutionnalité des dispositions légales attaquées, notamment sous l'angle de la proportionnalité.
Construire de manière circulaire impliquait de planifier les bâtiments de manière qu'ils puissent être adaptés plus simplement à des exigences modifiées, dans l'optique d'une utilisation sur une durée plus importante.
Les restrictions portées par la novelle à la garantie de la propriété et à la liberté économique reposaient sur une base légale formelle, répondaient à un intérêt public et respectaient le principe de la proportionnalité.
Enfin, le grief relatif à la violation du principe de stabilité des plans devait être rejeté ou, à tout le moins, considéré comme prématuré en l'absence de règlement d'application.
f. Interpellés sur la question de la suspension de la procédure dans l'attente de l'édiction par le Conseil d'État du règlement d'application de la novelle, le Grand Conseil et les recourants s'y sont opposés.
g. Le 28 mars 2025, le Conseiller d'État en charge du département du territoire (ci‑après : le département) a répondu à une demande de renseignements du juge délégué. Il a indiqué qu'« en raison de la procédure pendante contre les dispositions légales, le département n'a[vait] prévu aucun calendrier pour l'adoption d'articles règlementaires et a fortiori aucune orientation à cet égard ».
h. Le 9 avril 2025, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.
Le fait que le Conseil d'État n'entendait pas adopter de règlement démontrait l'impossibilité d'appliquer de manière proportionnelle les règles extrêmes prévues par la novelle.
i. Par courriers des 14 et 25 avril 2025, le Grand Conseil a persisté dans les conclusions et termes de ses précédentes écritures.
Il a relevé l'existence d'un nouveau projet de « surélévation et transformation d'un immeuble administratif en logements », qui avait été publié dans la FAO et fait l'objet d'un article de presse qu'il produisait. Ce projet, portant sur la réalisation de 196 logements, confirmait la possibilité de reconvertir des immeubles de bureaux en logements ainsi que la nouvelle tendance à une telle réaffectation. L'effet de levier de la novelle pouvait être « très intéressan[t] à moyen terme, même si sa mise en œuvre devait être limitée du point de vue des zones d'affectatio[n] concernées ».
L'absence de calendrier et d'orientation du Conseil d'État quant au règlement d'application ne pouvait pas être interprétée comme une impossibilité d'appliquer la novelle pour des raisons de proportionnalité. Il était nécessaire d'adopter une « approche plus duale (bureaux/logements), sans privilégier exclusivement l'une ou l'autre de ces affectations ». Les recourants reconnaissaient d'ailleurs la faisabilité de la novelle, puisqu'ils affirmaient qu'elle entraînerait un surcoût, sans toutefois étayer le chiffrage de ce dernier.
j. Par réplique du 9 mai 2025, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.
Ils ont produit une prise de position de la FAI du 7 mai 2025, dont il ressortait que la novelle « gén[érait] de multiples difficultés » qui devaient être prises en compte, « sans quoi elle pourrait s'avérer inexploitable ». La FAI estimait que « les coûts supplémentaires pourraient avoisiner les 15% sur l'ensemble de l'opération ». Elle constatait par ailleurs qu'il était plus facile de transformer en logements « un bâtiment ayant quelques dizaines d'années » qu'un immeuble neuf, puisque l'amortissement du bâtiment ayant déjà été fait, l'adaptation était plus facilement rentable. Cette prise de position démontrait une nouvelle fois que la loi attaquée comportait des atteintes disproportionnées aux droits fondamentaux.
k. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
1. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 ‑ Cst‑GE ‑ A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ‑ LOJ - E 2 05).
1.1 Le recours est dirigé en l'occurrence contre une loi cantonale, à savoir la loi 13'216, et ce en l'absence de cas d’application. Il a été interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de la loi le 30 octobre 2024 (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) et devant la chambre constitutionnelle, soit l'autorité compétente (art. 124 let. a Cst‑GE). Il respecte également les conditions générales de forme et de contenu prévues aux art. 64 al. 1 et 65 LPA. En particulier, il contient un exposé détaillé des griefs des recourants (art. 65 al. 3 LPA).
1.2 A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L’art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/16/2025 du 24 mars 2025 consid. 1.2).
1.3 Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés directement par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 147 I 308 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2021 du 19 mai 2022 consid. 2.2). La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 147 I 478 consid. 2.2).
1.4 Une association ayant la personnalité juridique est habilitée à recourir en son nom propre lorsqu’elle est intéressée elle-même à l’issue de la procédure. De même, sans être touchée dans ses intérêts dignes de protection, cette possibilité lui est reconnue pour autant qu’elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d’entre eux et que chacun de ceux-ci ait qualité pour s’en prévaloir à titre individuel (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; ACST/16/2025 précité consid. 1.4). En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l’un de ses membres ou pour une minorité d’entre eux (arrêt du Tribunal fédéral 2C_749/2021 du 16 mars 2022 consid. 1.2.1).
1.5 En l'espèce, C______ est domicilié dans le canton de Genève et est notamment administrateur d'une société active dans le domaine de l'immobilier. Dès lors, il est directement concerné par la novelle de par son activité professionnelle et est susceptible d'être touché par des cas d'application. Par conséquent, il dispose de la qualité pour recourir.
L'A______ est une association professionnelle, au sens des art. 60 ss CC, disposant de la personnalité juridique. Selon ses statuts, elle a notamment pour but (…) de défendre collectivement ses membres (…). Elle poursuit donc l’objectif de défendre les intérêts de ses membres, ceux-là étant communs à un grand nombre d’entre eux. Chacun de ses membres pourrait être touché un jour par la novelle. En outre, son activité est directement liée au domaine concerné par celle-ci. Dès lors, elle dispose également de la qualité pour recourir.
Il en va de même pour la B______, dès lors que celle-ci, selon ses statuts, a notamment pour but de promouvoir, représenter et défendre la propriété foncière dans le canton de Genève ainsi que d'étudier, par pur idéal, des questions relatives au logement, à la fiscalité, à l'énergie, à l'aménagement du territoire et à la protection de l'environnement, des monuments, de la nature et des sites.
Le recours est par conséquent recevable.
2. Les recourants sollicitent la mise en œuvre d'une expertise afin de déterminer l'effet de la loi 13'216 sur les coûts effectifs de construction.
2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit, pour l’intéressé, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves, à condition qu’elles soient pertinentes et de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_8/2022 du 5 décembre 2022 consid. 2.2). Le droit d’être entendu n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).
2.2 En l'espèce, il n'est pas nécessaire d'ordonner une expertise, d'autant moins que le dossier contient des pièces concernant le surcoût prévisible engendré par la novelle, dont une prise de position de la FAI. Par ailleurs, la chambre constitutionnelle dispose des écritures détaillées des parties, lesquelles citent largement les travaux préparatoires de la loi 13'216, auxquels la chambre de céans a également accès. Celle-ci dispose par conséquent d'un dossier complet lui permettant de trancher le litige en toute connaissance de cause.
Il ne sera pas donné suite à la requête des recourants.
3. Le litige porte sur la conformité au droit supérieur de la loi 13'216 modifiant la LCI. Les recourants se plaignent de la violation de la garantie de la propriété et de la liberté économique. Dans la mesure où ces griefs se recoupent en partie, ils seront analysés conjointement.
3.1 Saisie d’un recours, la chambre constitutionnelle contrôle librement la conformité des normes cantonales attaquées au droit supérieur (art. 124 let. a Cst‑GE ; art. 61 al. 1 LPA), mais n’a pas la compétence d'apprécier l’opportunité desdites normes (art. 61 al. 2 LPA) ; elle est liée par les conclusions des parties, mais non par les motifs qu’elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA), dans la mesure de la recevabilité du recours ou des griefs invoqués.
3.2 À l’instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 131 consid. 2 ; 135 II 243 consid. 2). Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 134 I 293 consid. 2 ; 130 I 82 consid. 2.1 ; ACST/16/2025 précité consid. 2.2).
3.3 Selon l'art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Le principe constitutionnel de la primauté du droit fédéral fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (ATF 150 I 213 consid. 4.1 ; 148 II 121 consid. 8.1 ; 146 II 309 consid. 4.1).
3.4 La garantie de la propriété est ancrée à l'art. 26 al. 1 Cst. Dans sa fonction individuelle, elle protège les droits patrimoniaux concrets du propriétaire, tel que celui de conserver sa propriété, d'en jouir et de l'aliéner (ATF 145 I 73 consid. 6.1 ; 131 I 333 consid. 3.1). L'art. 26 al. 1 Cst. garantit en outre le libre accès à la propriété (ATF 114 Ia 14 consid. 1b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_223/2014 du 15 janvier 2015 consid. 4.3).
3.5 La liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst.). Elle a une fonction institutionnelle, en tant qu’elle exprime, conjointement avec d’autres dispositions constitutionnelles (notamment l’art. 94 Cst.), le choix du constituant en faveur d’un système économique libéral, fondé sur la libre entreprise et la concurrence, et une fonction individuelle, en tant qu’elle assure une protection contre les mesures étatiques restreignant la liberté d’exercer toute activité économique privée, exercée aux fins de production d’un gain ou d’un revenu, à titre principal ou accessoire, dépendant ou indépendant (ATF 143 II 598 consid. 5.1).
3.6 À l’instar des autres libertés publiques, ni la garantie de la propriété, ni la liberté économique ne sont absolues. Elles peuvent faire l’objet de restrictions de la part de l’État, aux conditions cumulatives de reposer sur une base légale, de poursuivre un intérêt public, de respecter le principe de la proportionnalité et de ne pas porter atteinte au noyau intangible de ces droits fondamentaux (art. 36 Cst. ; art. 43 Cst‑GE).
3.7 En l'espèce, la novelle impose des contraintes administratives et financières aux maîtres d'ouvrage qui construisent de nouvelles surfaces commerciales. Ils doivent prévoir dès leur conception que celles-ci puissent être converties plus tard en logements. Ainsi, la novelle constitue une restriction à la garantie de la propriété et à la liberté économique de ces personnes, qui n'est admissible que moyennant le respect des conditions fixées par l'art. 36 Cst.
4. Les recourants soutiennent que l'atteinte à la garantie de la propriété et à la liberté économique doit être qualifiée de grave et contestent l'existence d'une base légale « suffisamment claire et précise ». Ils font valoir que la novelle ne définit ni les nouvelles conditions d'octroi des autorisations de construire, ni les critères pour soumettre les parcelles à ces nouvelles conditions.
4.1 L'un des critères retenus pour préciser le sens spécifique de l'exigence de la base légale est celui de la gravité de la restriction. Aux termes de l'art. 36 al. 1 2e phr. Cst., les restrictions graves doivent être prévues par une loi, par quoi il faut entendre une loi au sens formel. Selon la jurisprudence, les restrictions graves aux libertés nécessitent une base légale claire et nette dans une loi formelle que le Tribunal fédéral revoit avec un plein pouvoir d'examen (ATF 139 I 280 = JdT 2014 I 118 consid. 5.1 et les arrêts cités ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKGER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 4e éd., 2021, n. 194).
Notion juridique indéterminée, la gravité de la restriction à la liberté ne peut que difficilement être définie abstraitement, de sorte que le Tribunal fédéral procède, pour chaque liberté, au cas par cas. Lorsqu'il constate l'existence d'une atteinte grave, le Tribunal fédéral pose donc une double exigence à la base légale. Il faut d'abord qu'il s'agisse d'une loi formelle, à savoir d'une loi adoptée par le pouvoir législatif selon la procédure ordinaire. Il faut ensuite que cette loi prévoie « clairement et nettement » la restriction en cause. On retrouve la même distinction dans la jurisprudence relative aux atteintes légères. Celles-ci doivent également être prévues par la loi, mais comme le Tribunal fédéral ne la revoit que sous l'angle étroit de l'arbitraire, il peut s'agir d'une loi formelle relativement vague et indéterminée ou d'une loi matérielle (ATF 120 Ia 147 = JdT 1996 IV 61 consid. 2b ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op. cit., n. 195).
4.1.1 L'atteinte au droit de propriété est tenue pour particulièrement grave lorsque la propriété foncière est enlevée de force ou lorsque des interdictions ou des prescriptions positives rendent impossible ou beaucoup plus difficile une utilisation du sol actuelle ou future conforme à sa destination. Tel est notamment le cas lorsqu'une collectivité exerce un droit de préemption légal sur un immeuble (ATF 150 I 106 consid. 5.1 ; 140 I 168 consid. 4).
En revanche, ne consacrent pas une restriction grave à la propriété une réglementation qui, à défaut d'entente entre les propriétaires fonciers concernés, permet à l'État de construire, aux frais de ceux-ci, des routes privées pour l'équipement des terrains à bâtir, celle qui – sans interdire toute construction sur une parcelle – en réduit uniquement la densité d'occupation, celle qui – sans aller jusqu'au classement de l'objet – vise à protéger le patrimoine bâti ou celle qui oblige le propriétaire d'un fonds à prévoir des places de stationnement dans un projet de construction. Le Tribunal fédéral a également jugé que l'obligation, pour les propriétaires d'une installation productrice de chaleur datant de 20 ans ou plus, de changer le brûleur ou tout autre composant annexe de ladite installation, ne pouvait être qualifiée d'atteinte grave à la propriété (ATF 150 I 106 consid. 5.1).
4.1.2 En matière de liberté économique, constitue une atteinte grave notamment l’interdiction d’exercer une profession, mais non l’obligation de réserver une partie d’un bâtiment à une affectation déterminée (ATF 131 I 333 consid. 4.2).
4.2 Un autre critère, qui se recouvre partiellement avec le premier, est celui du degré de précision de la loi – formelle ou matérielle – qui consacre la restriction à la liberté. C'est ce que la jurisprudence et la doctrine désignent par la densité normative. Il faut que la loi restrictive de libertés affiche un degré suffisant de précision et de détermination pour que son application puisse être prévisible. Plus elle restreint la liberté, plus elle doit être précise et prévoir elle‑même les éléments essentiels de la réglementation (ATF 140 I 381 consid. 4.4 ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKGER, op. cit., n. 196).
Le Tribunal fédéral a admis qu'il ne convient pas de donner une interprétation trop stricte à la notion de densité normative. Le pouvoir législatif ne peut renoncer à employer des notions imprécises. Il suffit que la loi soit suffisamment précise pour que le particulier puisse adapter son comportement en conséquence et évaluer les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé. Lorsqu'en revanche la restriction est grave, les exigences relatives à la qualité de la loi se renforcent (ATF 144 I 126 = JdT 2018 I 191 consid. 6.1 ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKGER, op. cit., n. 197).
4.3 Le Conseil d’État, qui exerce le pouvoir exécutif (art. 101 Cst-GE), peut adopter des normes d’exécution, soit des normes secondaires, sans qu’une clause spécifique dans la loi soit nécessaire (art. 109 al. 4 Cst-GE). En revanche, pour que le Conseil d’État puisse édicter des normes de substitution, ou normes primaires, il faut qu’une clause de délégation législative l’y habilite, pour autant que la constitution cantonale ne l’interdise pas dans le domaine considéré et que la délégation figure dans une loi au sens formel, se limite à une matière déterminée et indique le contenu essentiel de la réglementation si elle touche les droits et obligations des particuliers (ACST/35/2023 du 12 octobre 2023 consid. 3.2.1).
4.4 En l'espèce, aux termes de l'art. 57A al. 1 LCI, les espaces destinés à l'utilisation de bureaux dans toute nouvelle construction doivent pouvoir être transformés en habitations sans que des travaux majeurs soient nécessaires dans les zones définies par un règlement d'application. Selon l'art. 57C LCI, un règlement d'application détermine les conditions que doivent réunir les dossiers de demande de construction de bâtiments administratifs ou de bureaux.
Bien que le règlement d'application doive encore définir, d'une part, les zones concernées par l'obligation de planifier la possibilité de réversibilité des bureaux et, d'autre part, les conditions des autorisations de construire de ces bâtiments de bureaux, les mesures en cause reposent sur les nouveaux art. 57A à 57C LCI, soit une loi au sens formel, adoptée par le parlement cantonal.
En tant que telles, les mesures envisagées n'empêchent pas l'acquisition d'un bien immobilier, sa conservation, sa jouissance ou son aliénation. Elles peuvent toutefois avoir une incidence sur le coût des constructions nouvelles, qui serait plus élevé en raison de l'anticipation d'une transformation ultérieure imposée aux maîtres d'ouvrage. Cela étant, l'ingérence dans la garantie de la propriété ne saurait être qualifiée de grave au sens de la jurisprudence susmentionnée, en l'absence de dispositions rendant beaucoup plus difficile, voire impossible, l'exercice de la propriété. Les propriétaires conservent la possibilité de réaliser des bureaux et d'utiliser leurs biens-fonds conformément à leur destination, pour autant qu'ils respectent la réglementation applicable.
L'atteinte à la liberté économique n'est pas non plus grave en l'occurrence, au vu du périmètre d'application prévisible des art. 57A à 57C LCI – limité en raison de la zone d'affectation. Rien ne permet pour le surplus d'affirmer que la transformation en logements ne sera systématiquement pas rentable.
Par conséquent, même à admettre que les art. 57A à 57C LCI ne peuvent pas déployer d'effets concrets en l'absence d'un règlement d'application, l'exigence de la base légale est respectée in casu.
Se pose dès lors la question de savoir si les art. 57A à 57C LCI poursuivent un but d’intérêt public admissible et sont conformes au principe de la proportionnalité sous ses différents aspects, étant précisé que l’atteinte aux droits fondamentaux précités qu’ils emportent ne saurait être considérée comme touchant à l’institution desdits droits au sens des art. 36 al. 4 Cst. et 43 al. 4 Cst-GE.
5. Les recourants se plaignent de l'absence d'intérêt public à court terme et d'un intérêt public à plus long terme « extrêmement ténu ». Ils estiment que la baisse très importante des besoins de bureaux envisagée par l'auteur du PL 13'216 est totalement hypothétique et ne repose sur aucun élément sérieux et objectif.
5.1 Il incombe prioritairement aux autorités législatives et exécutives de déterminer l'intérêt public poursuivi par des normes qu'elles édictent ainsi que d'évaluer leur proportionnalité, mais aussi d'établir et exposer les faits étayant les réponses données à ces questions, de façon générale (art. 42 Cst-GE) et en particulier au cours du processus normatif (art. 109 al. 3 Cst-GE). La chambre constitutionnelle doit faire montre d'une certaine réserve dans la vérification de l'intérêt public poursuivi. Il lui faut cependant s'assurer que l'intérêt public invoqué concerne une réelle problématique appelant une intervention étatique, et que des éléments probants suffisants soutiennent les mesures édictées (ACST/16/2025 précité consid. 4.2).
5.2 La notion d’intérêt public, au sens de l’art. 36 al. 2 Cst. (art. 43 al. 2 Cst-GE), varie en fonction du temps et des lieux et comprend non seulement les biens de police – tels que l’ordre, la sécurité, la santé et la paix publics –, mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l’État sont l’expression, y compris les mesures de politique sociale qui tendent à accroître le bien-être de l’ensemble ou d’une grande partie de la population par l’amélioration des conditions de vie, de la santé ou des loisirs, pourvu que ces mesures n’interviennent pas dans la libre concurrence (ATF 143 I 403 consid. 5.2).
5.3 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, tout intérêt public est en principe susceptible de justifier une atteinte à la propriété, pour autant que l'objectif visé ne soit pas de nature purement fiscale ou ne contrevienne pas à d'autres normes constitutionnelles (ATF 149 I 49 consid. 4.1 ; 111 Ia 93 consid. 2b). Dans ce contexte, il incombe en premier lieu au législateur de prendre les dispositions nécessaires à la réalisation des tâches et des objectifs fixés, en effectuant une pesée des intérêts (ATF 150 I 106 consid. 6.1 ; 149 I 49 consid. 4.1).
La jurisprudence constante considère que la lutte contre la pénurie de logements correspond à un intérêt public évident, qu’il s’agisse de lutter contre les ventes d’appartements loués (ATF 113 Ia 126 consid. 7a), contre le maintien d’appartements vides (ATF 119 Ia 348), de justifier un droit de préemption de l’État sur des terrains (arrêt du Tribunal fédéral 1C_30/2008 du 24 novembre 2008), d’imposer certains types de locataires (ATF 131 I 333) ou de contrôler le montant des loyers (ATF 101 Ia 510). La construction de logements et l’accession à la propriété à des fins d’habitation constituent des objectifs consacrés par la Cst. elle‑même (art. 108 Cst.) et par la Cst-GE (art. 178 à 182 Cst-GE ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_529/2015 du 5 avril 2016 consid. 4.3 ; ACST/16/2025 précité consid. 6.3).
5.4 La lutte contre la pénurie de logements et la spéculation immobilière, de même que la facilitation de l’accès à la propriété du logement font partie des tâches qu’assument les collectivités publiques en réponse à une préoccupation essentielle de la population, confrontée, pour se loger, à d’importantes difficultés tenant à la rareté des appartements disponibles ainsi qu’aux montants élevés de leurs loyers et prix de vente, notamment dans le canton de Genève (ACST/16/2025 précité consid. 6.4).
5.5 En l'espèce, l'exposé des motifs part de plusieurs constats, à savoir que le taux de vacance des logements dans le canton de Genève est « historiquement bas », que la pénurie concerne les logements de toutes les catégories, que plusieurs milliers de demandes de logement sont en attente et de nombreux ménages mal logés, dont des familles avec des enfants, et qu'une importante partie des employés du canton deviennent des pendulaires depuis la France ou le canton de Vaud, « ce qui induit des embouteillages, une perte de temps, un engorgement des transports publics, du réseau routier et des pollutions multiples ». Or, des « centaines de milliers de mètres carrés de bureaux » sont vides, et des immeubles de bureaux continuent à être construits, « renforçant encore le surplus d'offres en matière de surfaces de bureaux » (PL 13'216, p. 3).
Selon l'auteur du PL 13'216, « le rendement agricole mondial va certainement chuter en raison des cultures intensives qui provoquent l'appauvrissement et la perte de fertilité des sols. Les pays céréaliers seront contraints de garder leurs produits agricoles pour les besoins de leurs populations. Ainsi, le Grand Genève devra se transformer en bassin céréalier pour nourrir les habitants de la région. Le nombre d'emplois dans le secteur tertiaire va probablement fortement diminuer et les bureaux ne seront plus autant nécessaires qu'aujourd'hui. Avec ce projet de loi, les générations futures pourraient bénéficier de l'opportunité de se loger dans ce qui était autrefois des bureaux » (PL 13'216-A, p. 3).
Le but de la réversibilité des constructions est principalement de prévenir une pénurie de logements tout en préservant un maximum de terres agricoles, et ce dans une perspective 2050 à 2100 (PL 13'216, séance du Grand Conseil du 30 août 2024 à 18h05). En prévoyant plus de flexibilité des nouveaux bâtiments de bureaux pour permettre d'éventuelles adaptations dans leur utilisation, les art. 57A à 57C LCI garantissent également « une utilité eu égard au terrain pris sur le sol du canton » (PL 13'216, séance du Grand Conseil du 30 août 2024 à 18h05).
Il s'ensuit que la novelle poursuit un intérêt public suffisant pour justifier une restriction à la garantie de la propriété et à la liberté économique. Elle satisfait ainsi aux exigences de l'art. 36 al. 2 Cst.
La FAI l'admet du reste dans sa prise de position produite par les recourants, puisqu'elle reconnaît que le PL 13'216 « est une réponse qui convient à la problématique de la crise du logement sur le canton de Genève ».
6. Les recourants se prévalent d'une violation du principe de la proportionnalité, puisque la novelle porterait une atteinte disproportionnée à la garantie de la propriété et à la liberté économique des maîtres d'ouvrage.
6.1 Le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.) exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 149 I 49 consid. 5.1 ; 146 I 157 consid. 5.4 et les arrêts cités).
6.2 En l'occurrence, la novelle pose des conditions pour la construction de nouveaux bureaux, de façon qu'ils puissent être ultérieurement transformés en logements sans que des travaux majeurs soient nécessaires.
Cette mesure est apte à atténuer la pénurie de logements à Genève, puisque l'éventuelle transformation de bureaux en logements serait facilitée et pourrait ainsi aller plus rapidement.
Cela étant, la novelle n'est « qu'un des volets » d'une évolution du droit de l'aménagement du territoire plus globale au profit d'une plus grande durabilité environnementale. Le nombre de bureaux qui pourraient être transformés en logements sera limité, vu le champ d'application des art. 57A à 57C LCI que l'intimé estime « certainement relativement restreint dans le cadre du règlement d'application ».
D'une part, l'exigence de conformité à la zone d'affectation impliquera que ne seront concernées « que les parcelles situées dans un régime de zone n'excluant pas les logements et prévoyant parallèlement des surfaces de bureaux (à tout le moins initialement) ».
D'autre part, il ressort des auditions du département et des représentants de la FAI que « le principe de vouloir transformer des bureaux en logements part d'une bonne intention, mais que dans la pratique, ce projet de loi n'est pas la solution pour y parvenir et poserait beaucoup de difficultés en raison de normes spécifiques et de critères différents entre les bureaux et les logements » (PL 13'216-A, p. 17). Le département a en particulier fait référence aux différences émanant de l'ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB – RS 814.41), de l'ordonnance sur la protection contre les accidents majeurs du 27 février 1991 (OPAM ‑ RS 814.012) et des prescriptions de protection incendie de l'Association des établissements cantonaux d'assurance incendie (PL 13'216-A, p. 9).
Ainsi, le fait de définir des zones au sens de la législation sur l'aménagement du territoire (art. 14 ss de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700 ; 18 ss de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30), dans lesquelles les immeubles seront soumis à la novelle, ne permettra pas de répondre à toutes les exigences, liées notamment à la protection de l'environnement et particulièrement à la protection contre le bruit (art. 11 ss de la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 - LPE - RS 814.01). En effet, indépendamment des zones d'affectation, la reconversion d'immeubles de bureaux en logements ne serait pas souhaitable, voire pas possible, dans certains périmètres en raison des mesures de bruit à l'endroit même, ou encore pour des motifs de sécurité, en cas de localisation du projet dans le voisinage immédiat d'une entreprise, voie de communication ou installation de transport par conduites engendrant un danger potentiel d'accident majeur.
La novelle n'est donc que dans une faible mesure apte à atteindre le but qu'elle vise.
6.3 Les recourants allèguent ensuite que des mesures moins incisives seraient envisageables, comme une densification plus importante de la zone à bâtir. La question de savoir si le but poursuivi pourrait être atteint par des mesures moins incisives pourra souffrir de demeurer indécise, compte tenu de ce qui suit.
6.4 Dans la pesée des intérêts, la mesure ne se trouve pas dans un rapport raisonnable entre le but visé et les intérêts compromis. En effet, il a été vu qu'elle est peu apte à atteindre les buts visés. À l'inverse, elle est susceptible de toucher un nombre de personnes non négligeable dans leurs droits fondamentaux.
6.4.1 Le Conseil d'État n'a prévu aucun calendrier pour l'adoption d'articles règlementaires « et a fortiori aucune orientation à cet égard ». La chambre de céans ne peut donc pas prendre en considération la manière dont l'autorité envisage d’appliquer les dispositions mises en cause, étant précisé qu'il est douteux que la délégation législative prévue aux art. 57A al. 1 in fine et 57C LCI remplisse la condition de précision suffisante prévue par la jurisprudence (ATF 146 II 56 consid. 6.2.1 ; 137 II 409 consid. 6.4).
6.4.2 Or, la novelle porte atteinte aux intérêts privés des maîtres d'ouvrage, dès lors que des surcoûts pour démontrer la faisabilité d'une réversibilité des constructions sont à prévoir – découlant de l'obligation de respecter tant les normes pour les bureaux que celles pour les logements. La FAI estime les coûts supplémentaires à 15%, ce qui apparaît vraisemblable et grèverait de manière non négligeable le rendement du projet désiré.
Cette importante augmentation des coûts de construction est de nature à entraîner une augmentation des loyers, voire un recul de la construction nouvelle de bureaux – si les investisseurs reportent leurs fonds sur d'autres projets, plus rentables –, et donc à entraver le développement de l'économie genevoise.
Même si l'intimé souligne que de tels bâtiments seraient plus résilients en cas d'affaissement de la demande de bureaux, cette plus-value liée à une économie de coûts de travaux de transformation ne se concrétiserait que dans l'hypothèse d'une reconversion subséquente en logements.
6.4.3 En outre, les nouveaux immeubles construits risquent d'être peu adaptés à chaque type de construction, au regard des normes techniques et besoins spécifiques aux bureaux, d'une part, et aux logements, d'autre part.
En effet, un bureau et un logement présentent des caractéristiques différentes à bien des égards. Par exemple, les façades rideaux que comprennent souvent les bâtiments de bureaux emportent le désavantage d'être dépourvues de fenêtres ouvrantes si le projet est transformé en logements (PL 13'216, p. 3). Par ailleurs, les représentants de la FAI relèvent que la profondeur des logements est de 14 à 15 m2, alors que celle des bureaux est de 20 à 25 m2 (PL 13'216-A, p. 12), ce qui pose problème sous l'angle de l'apport de lumière naturelle jusqu'au centre de la construction. À cela s'ajoute que l'orientation Nord, qui est « la meilleure lumière pour travailler », n'est guère propice à la construction d'appartements (PL 13'216‑A, p. 13). Alors que la surface d'un bureau doit être pré‑épaissie à la construction pour que le plancher supporte une charge de 500 kg/m2, un logement ne doit supporter que 270 kg/m2 (PL 13'216-A, p. 12). Les systèmes de ventilation et de chauffage (PL 13'216, p. 3) ainsi que l'isolation (PL 13'216-A, p. 10) ne sont pas non plus les mêmes. Pour le surplus, certains éléments perdraient de leur utilité en cas de transformation en habitations, comme les ascenseurs surdimensionnés, salles de conférence ou espaces de réception ou de circulation surdimensionnés. À l'inverse, des équipements pas ou peu utiles dans la première affectation des immeubles réduiraient les surfaces pouvant servir de bureaux, comme des cages d'escalier supplémentaires, des abris antiatomiques, des caves pour les locataires (PL 13'216, p. 3) ou des canalisations pour de futures cuisines et salles de bains (PL 13'216, séance du Grand Conseil du 30 août 2024 à 18h05).
Dès lors, il ne peut être exclu que ces bâtiments « hybrides » subissent une perte de qualité (PL 13'216-A, p. 13). Il sied de préciser à ce dernier égard que ce n'est pas la possibilité de transformation en soi, voulue par le législateur, qui est remise en cause, mais l'obligation de la prévoir dans tous les cas sans étude spécifique.
6.4.4 Enfin, bien que la novelle n'impose pas une obligation de procéder à une reconversion, toute nouvelle construction de bureaux dans les zones concernées doit prévoir d'emblée les éléments nécessaires à la fonction de logements. Pour autant, les maîtres d'ouvrage ne bénéficient d'aucune garantie que l'autorisation de transformer les bureaux en logements sera délivrée le moment venu. Au contraire, tel que l'intimé le relève, « l'autorisation de construire délivrée ne portera que sur l'affectation [initiale] en tant que bureau ». Or, la transformation pourrait s'avérer impossible par la suite pour de multiples raisons, y compris un changement de circonstances externes ne dépendant pas de la volonté des personnes concernées, à l'instar d'une évolution défavorable du bruit alentour.
Dans ces circonstances, exiger la démonstration de la réversibilité des constructions et contraindre les propriétaires à des investissements initiaux importants dans tous les cas d'application des art. 57A à 57C LCI apparaît disproportionné, les intérêts compromis dépassant le but d'intérêt public visé. Au demeurant, quoi qu'en dise l'intimé, les risques prévisibles ne sauraient être considérés en l'espèce comme équivalents à ceux en matière de dangers naturels, qui nécessitent des mesures de protection même sans certitude qu'ils se concrétiseront à l'avenir.
Au vu de ce qui précède, la mesure introduite par la novelle ne respecte pas le principe de la proportionnalité. Elle est donc contraire à la garantie de la propriété et à la liberté économique.
Il s'ensuit que le recours sera admis. Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner le second grief matériel soulevé par les recourants en lien avec une violation du principe de stabilité des plans.
6.5 La nouvelle section 8 consacrée à la flexibilité et la réversibilité des constructions, dans laquelle figurent les art. 57A à 57C LCI, ne contient que trois articles et a été conçue comme un tout. La loi litigieuse ne peut donc subsister partiellement et sera annulée dans son intégralité.
7. Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera accordée aux recourants, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 2 décembre 2024 par l’A______, la B______ et C______ contre la loi 13'216 modifiant la loi sur les constructions et les installations diverses du 30 août 2024, promulguée par arrêté du 30 octobre 2024, publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève du 1er novembre 2024 ;
au fond :
l'admet ;
annule la loi 13'216 ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;
alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à l’A______, la B______ et C______, solidairement entre eux, à la charge de l'État de Genève ;
dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature des recourants ou de leur mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants invoquées comme moyens de preuve doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Stéphane GRODECKI, avocat des recourants, au Grand Conseil ainsi qu'au Conseil d'État, pour information.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Blaise PAGAN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Philippe KNUPFER, juges.
Au nom de la chambre constitutionnelle :
la greffière-juriste :
T. DANG
|
| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière : |
OPINION SÉPARÉE
(art. 119 Cst-GE et 28 al. 4 et 5 du règlement de la Cour de Justice - RCJ ‑ E 2 05.47)
Je ne suis pas d’accord avec la solution contenue dans le présent arrêt, et j’estime que la loi 13'216 en cause aurait dû être considérée par la chambre de céans comme conforme au principe de la proportionnalité, de sorte que le second grief matériel soulevé par les recourants en lien avec une violation du principe de stabilité des plans aurait encore dû être examiné.
En effet, il me semble que les appréciations contenues aux pages 14 à 17 de notre arrêt vont au-delà du contrôle de la conformité des nouveaux art. 57A, 57B et 57C au droit supérieur et aux droits fondamentaux et traitent trop de la question de savoir si ces nouvelles dispositions légales sont judicieuses, voire même opportunes, question pouvant typiquement faire l’objet de débats dans le cadre d’un référendum contre la loi litigieuse. De telles appréciations ne me paraissent pas être de la compétence de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice, qui doit garder sa pratique restrictive sur ce point.
Je pense notamment aux éventuelles conséquences négatives des surcoûts estimés à 15% par la FAI (cf. consid. 6.4.2), au risque que les nouveaux immeubles construits soient peu adaptés à chaque type de construction, au regard des normes techniques et besoins spécifiques aux bureaux, d'une part, et aux logements, d'autre part (cf. consid. 6.4.3), ainsi qu’au risque qu’une transformation de bureaux en logements pourrait s’avérer impossible par la suite (cf. consid. 6.4.4).
Ces reproches contre les nouveaux art. 57A, 57B et 57C auraient à mon sens justifié leur annulation, sous l’angle de la proportionnalité, si tout le territoire genevois ou une très grande partie de celui-ci avait été concerné par ces nouvelles dispositions légales et si des modalités plus précises n’avaient pas été réservées pour le règlement d’application à adopter par le Conseil d’État.
Or, à mon avis, grâce notamment au règlement d’application et à la pratique à préciser dans les décisions d’autorisation de construire à rendre dans le futur, et au regard du fait que l'atteinte à la garantie de la propriété et à la liberté économique n’a – à juste titre – pas été considérée comme grave par notre arrêt (cf. consid. 4.4, dans lequel est entre autres écrit : « Rien ne permet pour le surplus d'affirmer que la transformation en logements ne sera systématiquement pas rentable »), une interprétation et une application des articles litigieux conformes au droit supérieur, au degré de la vraisemblance (cf. consid. 3.2), auraient été possibles.
En effet, d’une part, ces nouveaux art. 57A, 57B et 57C n’excluraient pas que les zones définies par le règlement d’application (art. 57A al. 1) soient peu nombreuses et limitées à des endroits pour lesquels une conversion de bureaux en logements soit réellement envisageable dans un avenir non lointain, par exemple 15 ou 20 ans. Le Conseil d’État aurait pu tout à fait choisir des zones – bien délimitées – où les risques relevant de la LPE, de l’OBP et de l’OPAM, en particulier concernant le bruit et le danger potentiel d’accident majeur (cf. consid. 6.2), auraient pu être écartés, même pour l’avenir.
D’autre part, le Conseil d’État, dans le règlement d’application, aurait pu déterminer de manière adéquate en quoi consisteraient des « travaux majeurs » selon l’art. 57A al. 1 autres que ceux afférents à l’al. 2 du même article, et adopter, en application de l’art. 57C, des règles qui réduiraient à un niveau raisonnable et compatible avec la sécurité du droit les contraintes grevant les projets des investisseurs, architectes et ingénieurs.
À cet égard, dans notre arrêt, nous aurions pu énoncer des cautèles qui auraient rendu les art. 57A, 57B et 57C conformes au principe de la proportionnalité, y compris en matière de droit transitoire.