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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/16085/2023

ACJC/1174/2025 du 02.09.2025 ( SBL ) , CONFIRME

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16085/2023 ACJC/1174/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MARDI 2 SEPTEMBRE 2025

 

Entre

1) Monsieur A______, sans domicile connu, recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 29 janvier 2025, représenté par Me Pascal PETROZ, avocat, De Boccard Associés SA, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

2) Madame B______, sans domicile connu, recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 29 janvier 2025, représentée par Me Pascal PETROZ, avocat, De Boccard Associés SA, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

et

1) Madame C______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

2) Monsieur D______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6.

 


Vu, EN FAIT, la demande en contestation de loyer initial déposée au Tribunal des baux et loyers par C______ et D______, par laquelle ceux-ci ont conclu à la fixation du loyer de l'appartement de quatre pièces n° 6.02 au quatrième étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ [à] E______ [GE] à 1'000 fr. par mois, provisions chauffage/eau chaude non comprises, dès le 1er juillet 2023, à la condamnation de A______ et B______ à leur restituer la part de loyer versée en trop, à la réduction de la garantie de loyer à 3'000 fr. et à la libération du solde;

Attendu qu'à titre préalable, ils ont requis que soit ordonné un calcul de rendement ainsi que la déposition de la partie bailleresse sur les pièces détenues par elle ou par des tiers (détail du financement de l'appartement, montant des fonds empruntés et propres, détails des amortissements, état des charges immobilières sur les cinq dernières années, charges financières, courantes, d'entretien, impôt immobilier complémentaire, honoraires de régie) ainsi que leur production, sous la menace de la peine de l'art. 292 CP;

Que, le 5 juin 2023, les parties ont conclu un contrat de bail portant sur un appartement de quatre pièces n° 6.02 au quatrième étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ [à] E______;

Que le loyer annuel a été fixé à 31'200 fr, soit 2'600 fr. par mois, les provisions de chauffage et d'eau chaude étant de 215 fr. par mois;

Que l'avis de fixation de loyer du 5 juin 2023 porte mention que le dernier loyer annuel était de 31'200 fr. depuis le 16 octobre 2020 (avec la précision des motifs de prétentions rédigée ainsi: "Adaptation du loyer à ceux usuels d'objets comparables dans la localité ou le quartier");

Que l'appartement a été acquis par les bailleurs le 13 septembre 1999 pour le prix de 327'000 fr.;

Qu'il est admis qu'à cette date, l'ISPC de référence était de 145.8 pts, et, lors de la conclusion du bail, de 168 pts, tandis qu'à la même époque le taux hypothécaire de référence était de 1,5%;

Qu'à teneur de l'état des lieux du 30 juin 2023, l'appartement était en ordre;

Que les locataires ont allégué que l'isolation phonique et thermique de l'immeuble était mauvaise, alors que ses abords étaient bruyants, que les stores étaient vétustes, et que la surface de l'appartement était de 80 m2 environ;

Qu'ils se prévalent de ce que les bailleurs auraient, conformément à l'usage, payé des frais d'acquisition de l'immeuble à hauteur de 5% du prix d'achat au maximum, auraient financé ce prix à raison de 20% de fonds propres et 80% de fonds empruntés, intérêts hypothécaires au taux officiel, et supporteraient des charges courantes et d'entretien au maximum de 30% de l'état locatif admissible, ce qui est contesté par les bailleurs;

Que, dans leurs écritures, les locataires proposent un loyer mensuel de 820 fr. 87, estimé selon une ébauche de calcul de rendement basé sur les éléments allégués;

Que les bailleurs ont conclu au déboutement de C______ et D______ des fins de leurs conclusions;

Qu'à l'audience du Tribunal du 27 septembre 2024, les parties ont persisté dans leurs conclusions, et les bailleurs ont requis la limitation de la procédure à la question de l'absence de preuve du caractère abusif de la fixation du loyer initial (référence étant faite à l'ATF 143 III 431), ce à quoi les locataires se sont opposés (référence étant faite à l'ATF 146 III 346);

Qu'à l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger "sur la question de la limitation de la procédure, respectivement sur les offres de preuve";

Que, par ordonnance du 29 janvier 2025, expédiée pour notification aux parties le même jour et reçue le 3 février 2025 par les bailleurs, le Tribunal a dit qu'il incombait aux bailleurs de mettre à disposition des locataires toute pièce justificative afférente aux charges de l'immeuble (ch.1), a fixé aux bailleurs un délai pour produire un calcul de rendement et déposer les pièces requises (détaillées dans le corps de la décision) (ch. 2), fixé un délai aux locataires pour se déterminer sur le calcul de rendement (ch. 3), et réservé l'admission éventuelle d'autres moyens de preuve (ch. 4);

Qu'il a retenu que les locataires ayant fondé leur action sur le rendement, la production des pièces permettant ledit calcul était justifiée, sans autre développement;

Que, par acte du 13 février 2025, B______ et A______ ont formé recours contre cette ordonnance, concluant à l'annulation de celle-ci, cela fait au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision;

Que la Cour a fait droit, par arrêt ACJC/267/2025 du 21 février 2025, à la conclusion préalable en suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance que comportait le recours;

Que C______ et D______ ont conclu au rejet du recours;

Que les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives;

Que, par avis du 5 mai 2025, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger;

Considérant, EN DROIT, que le recours est recevable contre les ordonnances d'instruction dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b
ch. 2 CPC);

Que le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours pour les décisions prises en procédure sommaire et les ordonnances d'instruction, à moins que la loi n'en dispose autrement (art. 321 al. 1 et 2 CPC);

Qu'en l'espèce, le recours est dirigé contre une ordonnance de preuve, soit une ordonnance d'instruction au sens des dispositions susvisées;

Qu'introduit dans le délai de dix jours et selon la forme prescrite par la loi
(art. 130, 131 et 142 al. 3 CPC), il est recevable de ces points de vue;

Qu'il reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer aux recourants un préjudice difficilement réparable;

Que la notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF relatif aux recours dirigés contre des décisions préjudicielles ou incidentes, dès lors qu'elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 73; Jeandin, CR-CPC, 2019, n. 22 ad art. 319 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2485);

Que cela suppose que la partie recourante soit exposée à un préjudice de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale qui lui serait favorable; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue
(ATF 138 III 333 consid. 1.3.1; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Ainsi, une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad art. 319 CPC);

Que dans un arrêt où l'obligation pour la bailleresse de produire les pièces nécessaires à un calcul du rendement net était en jeu, le Tribunal fédéral a considéré que si la bailleresse devait être contrainte de fournir immédiatement lesdites pièces, cela entraînerait pour elle un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, puisque, une fois qu'elle aurait produit ces pièces, les parties adverses en auraient pris connaissance et la bailleresse n'aurait alors plus aucun intérêt à faire valoir qu'elle n'avait pas l'obligation de les produire; que le Tribunal fédéral a alors admis que l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF était réalisée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2017 du 13 septembre 2018 consid. 1.1 non publié aux
ATF 144 III 514);

Que la Cour a appliqué cette jurisprudence dans un arrêt ACJC/1104/2021 du
6 septembre 2021;

Qu'en l'espèce, au regard de la jurisprudence précitée, il convient d'admettre que les recourants risquent de subir un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, même en cas de décision favorable, puisqu'elle n'aurait plus d'intérêt à contester l'obligation de produire les pièces litigieuses;

Que dès lors, l'existence d'un préjudice difficilement réparable doit être admise;

Que, partant, le recours est recevable;

Considérant qu'en vertu de l'art. 270 al. 1 CO, le locataire peut contester le loyer initial qu'il estime abusif au sens des art. 269 et 269a CO, que selon l'art. 269 CO, le loyer est abusif lorsqu'il permet au bailleur d'obtenir un rendement excessif de la chose louée et, selon l'art. 269a let. a CO, qu'il est présumé non abusif lorsqu'il se situe dans les limites des loyers usuels dans la localité ou dans le quartier;

Que le contrôle de l'admissibilité du loyer initial ne peut s'effectuer qu'à l'aide de la méthode absolue, laquelle sert à vérifier concrètement que le loyer ne procure pas un rendement excessif au bailleur compte tenu des frais qu'il doit supporter ou des prix du marché; que dans l'application de cette méthode, les deux critères absolus que sont celui du rendement net (fondé sur les coûts) et celui des loyers du marché (c'est-à-dire les loyers comparatifs appliqués dans la localité ou le quartier) sont antinomiques, et partant exclusifs l'un de l'autre (ATF 147 III 14 consid. 4.1);

Que le critère absolu du rendement net a la priorité sur celui des loyers usuels de la localité ou du quartier, en ce sens que le locataire peut toujours tenter de prouver que le loyer permet au bailleur d'obtenir un rendement excessif (art. 269 CO), et que ce n'est donc qu'en cas de difficulté ou d'impossibilité de déterminer le caractère excessif du rendement net qu'il pourra être fait application du critère des loyers usuels de la localité ou du quartier (ATF 148 III 209 consid. 3.1;
147 III 14 consid. 4.2);

Que le locataire qui conteste le loyer initial doit apporter la preuve que le loyer convenu procure au bailleur un rendement excessif; que toutefois, selon les principes généraux tirés des règles de la bonne foi, la partie qui n'a pas la charge de la preuve (soit le bailleur) doit collaborer loyalement à l'administration des preuves et fournir les éléments qu'elle est la seule à détenir (ATF 147 III 14 consid. 6.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_230/2024 du 21 janvier 2025,
consid. 6.2);

Que l'art. 20 al. 2 OBLF prévoit en particulier que le locataire peut exiger la présentation des pièces justificatives pour tous les motifs que le bailleur fait valoir;

Que selon l'art. 150 CPC, la preuve a pour objet les faits pertinents et contestés;

Qu'à teneur de l'art. 160 al. 1 let. b CPC, les parties sont tenues de collaborer à l’administration des preuves; elles ont en particulier l’obligation de produire les titres requis;

Qu'une recherche "ad explorandum" (fishing expedition) est contraire aux principes régissant le droit de procédure, selon lesquels l'obligation de production ne peut porter que sur les documents destinés à prouver des faits connus et allégués par la partie requérante (arrêt du Tribunal fédéral 5A_295/2009 du
23 décembre 2009 consid. 2, SJ 2010 I 401);

Qu'afin que l'administration des preuves ne se transforme pas en une recherche de preuves prohibée ou en une véritable "fishing expedition", il faut exiger des parties qu'elles exposent, lorsque cela n'est pas évident, pourquoi on peut s'attendre avec une certaine vraisemblance à ce qu'un moyen de preuve offert fournisse un résultat probant (arrêt du Tribunal fédéral 4A_494/2020 du
24 juin 2022 consid. 5.3);

Que les faits notoires (art. 151 CPC), qu'il n'est pas nécessaire d'alléguer ni de prouver, sont ceux dont l'existence est certaine au point d'emporter la conviction du juge; que pour être notoire, un renseignement ne doit pas être constamment présent à l'esprit; il suffit qu'il puisse être contrôlé par des publications accessibles à chacun (ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1; 135 III 88 consid. 4.1; arrêt 4A_344/2022 du 15 mai 2023 consid. 5.1), qu'un fait notoire doit être admis seulement de manière restrictive (ATF 150 III 209 consid. 2.3; arrêt 4A_90/2024 du 30 octobre 2024 consid. 4.1);

Qu'en l'espèce, l'immeuble n'est ni ancien ni récent;

Que l'avis de fixation du loyer initial ne fait pas ressortir d'augmentation par rapport à la précédente mise en location;

Que le loyer initial des intimés n'est donc pas présumé abusif, ce qui a pour conséquence qu'il revient à ceux-ci de prouver l'éventuel abus;

Qu'à cet égard, leurs allégués sont particulièrement peu consistants, en tant qu'ils ne sont fondés que sur des suppositions;

Que, cependant, tant la baisse de l'indice suisse des prix à la consommation, et la hausse du taux hypothécaire de référence, alors pourtant que ceux-ci ne résultent pas d'éléments que l'appelante serait seule à détenir, étant notoires ne doivent être ni allégués ni prouvés;

Que, dès lors, le Tribunal, certes par une motivation plus que lapidaire, n'a pas contrevenu au droit en rendant l'ordonnance attaquée;

Que le recours, infondé, sera donc rejeté;

Qu'à teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (art. 116 al. 1 CPC; ATF 139 III 182 consid. 2.6).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé par A______ et B______ contre l'ordonnance rendue le 29 janvier 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/16085/2023.

Au fond :

Le rejette.

Déboute les parties de toute autre conclusion de recours.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Sarah MEINEN, Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, juges assesseurs; Madame Victoria PALLUD, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2