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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/16085/2023

ACJC/267/2025 du 21.02.2025 ( SBL )

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16085/2023 ACJC/267/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU VENDREDI 21 FEVRIER 2025

Entre

1) Monsieur A______, sans domicile connu, recourant contre une ordonnance de preuves rendue par le Tribunal des baux et loyers le 29 janvier 2025, représenté par
Me Pascal PETROZ, avocat, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

2) Madame B______, sans domicile connu, recourante contre une ordonnance de preuves rendue par le Tribunal des baux et loyers le 29 janvier 2025, représentée par
Me Pascal PETROZ, avocat, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

et

1) Madame C______, domiciliée ______, intimée, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

2) Monsieur D______, domicilié ______, intimé, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6.

 


Vu l'ordonnance de preuves rendue le 29 janvier 2025 par le Tribunal des baux et loyers, aux termes de laquelle celui-ci a dit qu'il incombait à la bailleresse de mettre à disposition des locataires toutes pièces justificatives afférentes aux charges de l'immeuble, fixé un délai au 3 mars 2025 à la bailleresse pour produire le calcul de rendement ainsi que pour déposer les pièces requises et un délai au 1er avril 2025 aux locataires pour se déterminer sur le calcul de rendement, et réservé l'admission éventuelle d'autres moyens de preuve à un stade ultérieur de la procédure;

Vu le recours expédié le 13 février 2024 par B______ et A______ (ci-après : les bailleurs ou les recourants) contre cette ordonnance, concluant à son annulation et au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision sur ordonnance de preuves dans le sens des considérants;

Qu'ils ont préalablement requis la restitution de l'effet suspensif au recours, faisant valoir qu'à défaut ils seraient obligés de produire les pièces nécessaires à la réalisation d'un calcul de rendement, dont les intimés prendraient connaissance, ce qui leur causerait un préjudice difficilement réparable;

Que dans leur réponse du 20 février 2025, C______ et D______ (ci-après : les locataires ou les intimés) ont conclu au rejet de la requête d'effet suspensif, au motif que le recours était voué à l'échec;

Considérant, EN DROIT, que la décision querellée est une ordonnance d'instruction, soit une ordonnance de preuves (art. 124 CPC), susceptible du seul recours, recours dont la recevabilité est subordonnée à l'existence d'un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC), la cognition de la Cour étant limitée à l'appréciation manifestement inexacte des faits et à la violation de la loi (art. 321 al. 2 CPC);

Que le recours ne suspend pas la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision entreprise, l'autorité de recours (soit la Cour de céans) pouvant suspendre le caractère exécutoire en ordonnant au besoin des mesures conservatoires ou le dépôt de sûretés (art. 325 CPC);

Que, saisie d'une demande de suspension de l'effet exécutoire, l'autorité de recours doit faire preuve de retenue et ne modifier la décision de première instance que dans des cas exceptionnels; qu'elle dispose cependant d'un large pouvoir d'appréciation permettant de tenir compte des circonstances concrètes du cas d'espèce (ATF 137 III 475 consid. 4. 1);

Que, selon les principes généraux, l'autorité procède à une pesée des intérêts en présence et doit se demander, en particulier, si la décision est de nature à provoquer une situation irréversible; qu'elle prend également en considération les chances de succès du recours (arrêts du Tribunal fédéral 4A_337/2014 du 14 juillet 2014 consid. 3.1; 4D_30/2010 du 25 mars 2010 consid. 2.3);

Que la notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF relatif aux recours dirigés contre des décisions préjudicielles ou incidentes, dès lors qu'elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. Que l'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu (cf. ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 73; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 22 ad art. 319 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2485);

Que cela suppose que la partie recourante soit exposée à un préjudice de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale qui lui serait favorable; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 138 III 333 consid. 1.3.1; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2); qu'ainsi, une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad art. 319 CPC);

Que de même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable (Spühler, op. cit., n. 8 ad art. 319 CPC; Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JdT 2013 III p. 131 ss, p. 155); que la décision refusant ou admettant des moyens de preuve ne cause en effet pas de préjudice difficilement réparable, puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014, 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2 et 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1; Colombini, Code de procédure civile, Lausanne 2018, p. 1024);

Que dans un arrêt où l'obligation pour la bailleresse de produire les pièces nécessaires à un calcul du rendement net était en jeu, le Tribunal fédéral a considéré que si la bailleresse devait être contrainte de fournir immédiatement lesdites pièces, cela entraînerait pour elle un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, puisque, une fois qu'elle aurait produit ces pièces, les parties adverses en auraient pris connaissance et la bailleresse n'aurait alors plus aucun intérêt à faire valoir qu'elle n'avait pas l'obligation de les produire; que le Tribunal fédéral a alors admis que l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF était réalisée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2017 du 13 septembre 2018 consid. 1.1 non publié aux ATF 144 III 514);

Qu'en l'espèce, l'ordonnance entreprise ordonne aux bailleurs recourants de produire les documents nécessaires pour effectuer un calcul de rendement; que dans la jurisprudence rappelée ci-dessus, le Tribunal fédéral a considéré que les bailleurs subiraient alors un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, même en cas de décision favorable, puisqu'ils n'auraient plus d'intérêt à contester qu'ils fussent indûment obligés de produire les éléments de calcul litigieux;

Que l'existence d'un préjudice difficilement réparable doit dès lors être, prima facie et sans préjudice de l'examen au fond, retenu;

Que la requête d'effet suspensif sera en conséquence admise.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
La Présidente de la Chambre des baux et loyers :


Suspend le caractère exécutoire de l'ordonnance de preuves rendue le 29 janvier 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/16085/2023.


Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 










 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indications des voies de recours :

 

La présente décision, incidente et de nature provisionnelle (137 III 475 consid. 1) est susceptible d'un recours en matière civile, les griefs pouvant être invoqués étant toutefois limités (art. 98 LTF), respectivement d'un recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 à 119 et 90 ss LTF). Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.