Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/225/2025 du 13.02.2025 sur JTBL/343/2024 ( OBL ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/27386/2023 ACJC/225/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU JEUDI 13 FEVRIER 2025 |
Entre
A______, sise ______ [BE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 26 mars 2024, représentée par Me Pascal PETROZ, avocat, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,
Et
Madame B______ et Monsieur C______, domiciliés ______ [GE], intimés et représentés par l’ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6.
A. Par jugement JTBL/343/2024 du 26 mars 2024, reçu par la A______ (ci-après : A______) le 3 avril 2024, le Tribunal des baux et loyers a fixé à 23'676 fr., charges non comprises, dès le 16 juin 2020, le loyer de l’appartement de 5 pièces loué par B______ et C______ au 2ème étage de l’immeuble sis 18, chemin 1______ à D______ (GE) (ch. 1 du dispositif), a condamné A______ à rembourser aux précités le trop-perçu de loyer en découlant (ch. 2), a fixé à 1'068 fr. dès le 16 juin 2020 le loyer annuel de la place de parking extérieur n° 2 louée par B______ et C______ au 16-18-20, chemin 1______ à D______ (GE) (ch. 3), a condamné A______ à leur rembourser le trop-perçu de loyer en découlant (ch. 4), a réduit la garantie bancaire à 5’919 fr. et ordonné la libération du solde en faveur de B______ et C______ (ch. 5), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 7).
En substance, les premiers juges ont considéré que les loyers de l’appartement et du parking étaient abusifs et ont procédé à leur réduction, de même qu’à l’adaptation de la garantie bancaire aux nouveaux loyers.
B. a. Par acte expédié le 7 mai 2024 et reçu le lendemain au greffe de la Cour de justice, A______ forme appel contre ce jugement, concluant à son annulation et au déboutement de B______ et C______ de toutes leurs conclusions.
b. Par réponse du 11 juin 2024, B______ et C______ ont conclu à la confirmation du jugement entrepris.
c. A______ a répliqué le 30 août 2024 et persisté dans ses conclusions.
d. B______ et C______ ont dupliqué le 2 octobre 2024 et persisté dans leurs conclusions.
e. Les parties ont été avisées le 22 octobre 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. A______ est devenue propriétaire de la parcelle n° 2______ au chemin 1______ à D______, en date du 15 octobre 2002, pour un montant de 1'303'000 fr.
L’acte de vente fait état de droits d’enregistrement à hauteur de 146'211 fr. 20.
Le coût de construction des bâtiments érigés sur cette parcelle suite à son acquisition, composés des allées 16-18-20 du chemin 1______, s’est élevé à 6'252'660 fr. 60 (6'245'000 fr. + 7'660 fr. 60), payés en plusieurs fois.
L’intégralité des coûts a été financée par des fonds propres.
b. Chacune des trois allées précitées se compose de six appartements, soit trois logements de 4 pièces et trois de 5 pièces, répartis sur trois étages, les appartements du rez-de-chaussée disposant d’un jardin.
Les trois immeubles disposent de 9 places de parking extérieures et 18 intérieures.
La gérance des immeubles est confiée à la régie E______ (ci-après : la régie).
c. Les immeubles ont été soumis à la Loi générale sur les zones de développement (LGZD) jusqu’au 30 mai 2013. Dans le cadre du contrôle des loyers opéré par l’Etat, un état locatif des immeubles a été soumis à l’Office cantonal du logement (actuellement OCLPF) par A______ et approuvé par celui-ci.
d. A______ est également propriétaire des immeubles sis 1 à 11, chemin 1______.
Les charges des immeubles sis 1 à 11 et 16-18-20, chemin 1______ sont comptabilisées par A______ sans distinction entre les immeubles.
e. Par contrat du 20 mars 2020, B______ et C______, locataires, ont pris à bail un appartement de 5 pièces au 2ème et dernier étage de l’allée n° 18 du chemin 1______ ainsi qu’une place de parking extérieure n° 2 sise 16-18-20, chemin 1______. L’appartement, situé sous les combles, dispose d’un accès direct à un grenier et d’une hauteur sous plafond plus importante que celle des appartements situés dans les étages inférieurs.
Les baux ont été conclus pour une durée indéterminée, dès le 16 juin 2020, le préavis de résiliation étant de trois mois pour l’échéance à fin juin.
Le loyer annuel de l’appartement, charges non comprises, a été fixé initialement à 37'800 fr. et celui du parking à 1'440 fr.
B______ et C______ se sont engagés à fournir à A______ une garantie de 9'450 fr. s’agissant de l’appartement.
f. Selon l’avis de fixation du loyer initial du 20 mars 2020, le précédent locataire s’était acquitté, depuis le 1er juin 2018, d’un loyer annuel de 37'800 fr., charges non comprises.
L’avis était motivé comme suit : « Adaptation aux loyers usuels dans la localité ou le quartier (art. 269a CO) ».
g. Par requête du 9 juillet 2020, déclarée non conciliée à l’audience de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers du 18 septembre 2020 et portée devant le Tribunal le 22 septembre 2020, B______ et C______ ont conclu, préalablement, à ce qu’un calcul de rendement soit ordonné, A______ devant indiquer quelles pièces utiles elle détenait et quelles pièces étaient en mains de tiers, à ce qu’il soit ordonné à A______ et aux tiers de produire les pièces en leur possession, sous la menace de la peine prévue par l’article 292 CP.
Principalement, ils ont conclu à ce que les loyers de l’appartement et du parking soient fixés à, respectivement, 13'656 fr. par an, charges non comprises, et 516 fr. par an, dès le 16 juin 2020, sous réserve d’amplification, au remboursement du trop-perçu de loyer en découlant, à la réduction de la garantie de loyer à trois mois du nouveau loyer, soit 3'414 fr. et à la libération immédiate du surplus en leur faveur.
La requête a été enregistrée sous les numéros de cause C/13555/2020 (appartement) et C/13556/2020 (parking).
h. Par ordonnance du 8 octobre 2020, le Tribunal a notamment ordonné la jonction des causes C/13555/2020 et C/13556/2020 sous le numéro de la cause C/13555/2020.
i. Dans sa réponse du 23 novembre 2020, A______ a conclu au déboutement de B______ et C______ de toutes leurs conclusions.
Elle a notamment allégué avoir supporté des frais supplémentaires lors de l’acquisition des immeubles concernés à hauteur de 167'223 fr. 50, de 13'307 fr. 15 (frais des représentants du maître d’ouvrage) et 2'916 fr. 30 (frais relatifs au parking). La ventilation de l’état locatif à opérer dans le cadre du calcul de rendement devait s’opérer sur la base du critère du volume, celui de l’appartement, particulièrement spacieux, s’élevant à 438,4 m3 sur un total, pour les trois allées, de 5'082,90 m3.
j. Par ordonnance du 29 juin 2021, le Tribunal a invité A______ à produire toutes les pièces nécessaires au calcul du rendement net de l’immeuble concerné et, en particulier, l’acte d’acquisition de l’immeuble ou toute pièce permettant d’établir son prix d’achat, ses frais d’acquisition et son financement, toute pièce permettant d’établir les coûts de construction de l’immeuble, les comptes de gestion et de charges et leur relevé détaillé pour les années 2017 à 2019, l’état locatif détaillé pour l’année 2019, ainsi que le bordereau de l’impôt immobilier complémentaire de l’année 2019.
Le Tribunal a par ailleurs expressément attiré l’attention de A______ sur les déductions qui pouvaient être tirées de son refus de produire ces pièces, soit le fait qu’elles cachent un rendement abusif.
k. Par ordonnance du 21 juin 2022, le Tribunal a ordonné à A______ de produire les avis de fixation du loyer initial des locataires actuels des immeubles sis 16, 18 et 20, chemin 1______, afin de déterminer si le montant des loyers fixé par A______ était uniquement en fonction du volume du logement.
l. Par ordonnance du 14 septembre 2022, le Tribunal a notamment constaté que A______ n’avait pas produit les avis de fixation du loyer initial requis, et lui a rappelé que si une partie refusait de collaborer sans motif valable, le Tribunal en tiendrait compte lors de l’appréciation des preuves (art. 164 CPC).
m. Par ordonnances des 1er mars et 3 avril 2023, le Tribunal a invité la régie à remettre les avis de fixation du loyer initial des locataires actuels des immeubles sis 16, 18 et 20, chemin 1______, son attention étant attirée sur les conséquences prévues par l’article 167 al. 1 CPC en cas de refus injustifié de collaborer.
n. Seuls quatre avis ayant été produits par A______, motif pris de ce que tous les autres baux dataient des dix années suivant la construction des immeubles et étaient soumis à la LGZD, le Tribunal a, par ordonnance du 10 juillet 2023, imparti un délai à la régie pour produire l’état locatif agréé par le Département du territoire, ainsi que tous les contrats de bail des locataires actuels des immeubles sis 16, 18 et 20, chemin 1______, documents que la régie a produits le 11 septembre 2023.
o. Au dernier état de leurs conclusions, prises le 5 octobre 2023, B______ et C______ ont conclu, préalablement et si le Tribunal ne devait pas appliquer la clé de répartition validée par l’OCLPF, à ce qu’une expertise soit ordonnée afin d’établir une ventilation de l’état locatif entre les différents immeubles et les différents objets et, principalement, à ce que les loyers de l’appartement et du parking soient fixés à, respectivement, 23'568 fr. par an et 1'056 fr. par an, charges non comprises, dès le 16 juin 2020, au remboursement du trop-perçu de loyer en découlant, à la réduction de la garantie de loyer à trois mois du nouveau loyer, soit 5'892 fr., et à la libération immédiate du surplus en leur faveur.
p. Par écritures du 11 décembre 2024, A______ a persisté dans ses conclusions.
La cause a ensuite été gardée à juger.
1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2; 4C_310/1996 du 16 avril 1997, SJ 1997 p. 493 consid. 1).
S'agissant d'un contrat de bail reconductible tacitement, soit de durée indéterminée (ATF 114 II 165 consid. 2b), la valeur litigieuse déterminante, dans le cadre d'une contestation de loyer initial, doit être établie d'après les dernières conclusions prises devant l'autorité précédente, la différence de loyer sur une année devant être multipliée par vingt (art. 92 al. 2 CPC ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2012 du 6 décembre 2011 consid. 1.1).
En l'espèce, les locataires contestent le loyer initial et concluent à ce qu’il soit fixé à 23'568 fr. en lieu et place de 37'800 fr. pour l’appartement et à 1'056 fr. en lieu et place de 1'440 fr. pour le parking. La différence des loyers multipliée par vingt est ainsi supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.
1.2 Selon l'art. 311 CPC, l'appel est introduit auprès de l'instance d'appel dans les trente jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier d'appel.
L'appel a été interjeté dans le délai prescrit par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable sous cet angle.
2. La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2011 consid. 5.3.2).
2.1 Aux termes de l’art. 311 al. 1 CPC, l’appel doit être motivé. L’appelant a ainsi le fardeau d'expliquer les motifs pour lesquels le jugement attaqué doit être annulé et modifié, par référence à l'un et/ou l'autre motif(s) prévu(s) à l'art. 310 CPC. La maxime inquisitoire (art. 55 al. 2 et 247 al. 2 CPC) et la maxime d'office (art. 58 al. 2 CPC) ne dispensent pas l'appelant de motiver correctement. Un simple renvoi aux écritures et pièces de première instance ne serait pas conforme à l'exigence de motivation de l'art. 311 al. 1 CPC. L'instance supérieure doit pouvoir comprendre ce qui est reproché au premier juge quant aux faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, sans avoir à rechercher des griefs par elle-même, ce qui exige une certaine précision quant à l'énoncé et à la discussion des griefs (ATF 138 III 374; arrêt du Tribunal fédéral 4A_439/2023 du 9 septembre 2024, consid. 4.1.1).
L’appelante mentionne plusieurs faits qui auraient dus, selon elle, être pris en compte par le Tribunal, sans expliquer toutefois pourquoi ils auraient dû être constatés. Les faits en question sont contestés par les intimés et il ne ressort pas de la procédure qu’ils auraient été prouvés. Par conséquent, ce grief est irrecevable faute de motivation conforme aux exigences en la matière et il n’y a pas lieu de compléter l’état de fait.
2.2 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Code de procédure civile commenté, 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).
En l’espèce, l’appelante affirme que les immeubles sis au chemin 1______ 1 à 11 ne sont pas identiques à ceux sis aux numéros 16 à 20 du même chemin. Elle allègue des différences en termes de situation dans le quartier, d’orientation, d’utilisation et de vieillissement dans le temps. Outre le fait que ces considérations sont très générales, elles ne ressortent pas de la procédure de première instance, alors qu’elles pouvaient être alléguées à cette occasion. Elles ne peuvent, par ailleurs, être considérées comme des faits notoires.
2.3 Par conséquent, il ne se justifie pas de compléter la partie en fait.
3. Dans un premier moyen, l’appelante reproche au Tribunal de n’avoir pas intégré aux coûts de construction les montants allégués à titre de frais de représentants du maître d’ouvrage (13'307 fr. 15) et de parking (2'916 fr. 30).
3.1 Pour déterminer si la chose louée procure au bailleur un rendement net excessif (art. 269 CO), il est nécessaire de connaître le rapport entre les fonds propres réellement investis dans la chose remise à bail et le loyer, après déduction des charges d'exploitation et des intérêts débiteurs sur les capitaux empruntés. Pour déterminer le montant des fonds propres investis, il faut partir du coût de revient effectif de l'immeuble, sauf si le prix d'acquisition est manifestement exagéré, et soustraire le montant des fonds étrangers (emprunts garantis ou non par hypothèque). En règle générale, il convient d'effectuer le calcul du rendement net des fonds propres investis le jour où le locataire sollicite une baisse de loyer (Lachat/Grobet Thorens/Rubli/Stastny, Le bail à loyer, 3ème éd. 2019, p. 563).
Il appartient au locataire de prouver que le loyer convenu procure au bailleur un rendement excessif. Toutefois, selon les principes généraux tirés des règles de la bonne foi, la partie qui n'a pas la charge de la preuve, à savoir le bailleur, doit collaborer loyalement à l'administration des preuves et fournir les éléments qu'elle est seule à détenir (ATF 142 III 568 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_250/2012 du 28 août 2012 consid. 2.3, in SJ 2013 I p. 49). Le bailleur n'est aucunement tenu de se procurer les pièces auprès de tiers afin de les verser à la procédure. Il appartient cas échéant au locataire de requérir en procédure que le juge ordonne à ces tiers de produire les pièces dont il a besoin afin d'être en mesure de prouver les faits pour lesquels il doit supporter le fardeau de la preuve (ATF 142 III 568 consid. 2.2). Une violation de l'obligation de collaboration ne doit pas être admise à la légère; elle suppose que le locataire se trouve dans l'impossibilité d'apporter lui-même la preuve et que la bonne foi impose au bailleur de collaborer (ATF 142 III 568 consid. 2.1; Walter, in Berner Kommentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch, vol. I/1, 2012, nos 318 ss ad art. 8 CC). Le bailleur qui, sans aucune justification, refuse ou néglige de produire les pièces comptables en sa possession (ou se défait de ces pièces afin de ne pas pouvoir les produire) viole son obligation de collaboration. De nature procédurale, celle-ci ne touche pas au fardeau de la preuve et n'implique pas un renversement de celui-ci. C'est dans le cadre de l'appréciation des preuves que le juge tirera les conséquences d'un refus de collaborer à l'administration de la preuve
(ATF 142 III 568 consid. 2.1, Lachat & al., op. cit., p. 537).
3.2 En l’espèce, l’appelante n’a pas produit les documents permettant de démontrer l’existence des frais de représentants du maître d’ouvrage (13'307 fr. 15) et de parking (2'916 fr. 30). Elle n’a pas non plus justifié d’un motif légitime pour lequel ces documents n’ont pas pu être produits. De plus, les intimés ne pouvaient être tenus d’obtenir ces pièces eux-mêmes auprès des tiers concernés. Il en découle que les frais précités ne doivent pas être retenus, ni intégrés au calcul de rendement.
Le montant total des coûts d’investissement effectifs de 7'722'884 fr. 10 doit ainsi être retenu.
4. Dans un second moyen, l’appelante reproche au Tribunal d’avoir procédé à un calcul des charges courantes et d’entretien forfaitaire sur la base d’un décompte qu’elle avait effectué, portant sur l’ensemble des immeubles sis 1 à 11 et 16 à 20 chemin 1______, et de n’avoir pas tenu compte des spécificités de chaque immeuble.
4.1 L'art. 269 CO implique une analyse du rendement net obtenu par le bailleur. Ce rendement résulte du rapport entre les fonds propres investis dans la chose remise à bail et le loyer, après déduction des charges d'exploitation et des intérêts débiteurs sur les capitaux empruntés (ATF 123 III 171 consid. 6a). Sont pris en compte les fonds propres réellement investis, sans égard au modèle théorique qui gouverne certaines dispositions légales en consacrant un rapport standardisé de 40% de fonds propres et 60% de fonds étrangers (ATF 122 III 257 consid. 3a; 120 II 100 consid. 5).
Les charges courantes et d'entretien doivent être en principe comptabilisées en fonction de leur montant effectif et non pas sur la base de forfaits (ACJC/339/2024 du 18 mars 2024 consid. 4.2; Bohnet/Broquet, in Commentaire pratique du droit du bail à loyer et à ferme, 2e éd., n. 54 ad art. 269a CO). En tout état, le recours à un forfait ne devrait pas être admis si l'absence de documents probants est due à une faute du bailleur ou si ce dernier ne cherche qu'à se simplifier la tâche (ACJC/339/2024 du 18 mars 2024 consid. 4.2; Lachat & al., op. cit., p. 595-596).
Il est possible de faire exception à ce qui précède s'il n’est pas possible d'établir des moyennes fiables, notamment lorsque certaines données ne sont plus accessibles ou lorsque les comptes d'un exercice comportent des chiffres anormalement bas ou élevés, qui faussent toute comparaison (ATF 122 III 257 consid. 3b/bb ; 111 II 378 consid. 2).
Dans la mesure où les données concrètes du cas ne permettent pas d’aboutir à un résultat satisfaisant, parce que le bailleur ne dispose pas de toutes les pièces comptables nécessaires, le coût moyen de l’entretien peut être calculé sur une plus courte durée ou en se fondant uniquement sur la période entre l’acquisition du bien loué et la demande de réduction de loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4A_88/2013 du 17 juillet 2013 consid. 4.5; ACJC/339/2024 du 18 mars 2024 consid. 4.2; Bohnet/Broquet, op. cit., n. 54 ad art. 269a CO).
4.2 En l’espèce, l’appelante a produit un tableau récapitulant les charges d’exploitation, qui porte sur l’ensemble de son parc immobilier sis aux numéros 1-11 et 16-20 du chemin 1______, les frais étant tous payés et comptabilisés en bloc, sans qu’une distinction ne soit effectuée entre les différents immeubles.
L’appelante a allégué l’existence de différences entre les immeubles, sans expliquer en quoi de telles différences consisteraient et comment elles influeraient concrètement sur le calcul des charges d’exploitation. Il n’est ainsi pas établi qu’une différenciation entre les immeubles serait nécessaire et qu’il conviendrait de tenir compte de différences ou de particularités entre lesdits immeubles, qui ne ressortent pas davantage de la procédure, dans le cadre du calcul.
De plus, des décomptes communs n’opérant aucune distinction entre les immeubles en question ont été établis par l’appelante elle-même. Dès lors, l’absence de documents plus détaillés étant du fait de l’appelante, elle ne peut reprocher au Tribunal de ne pas avoir tenu compte des spécificités de l’immeuble dans lequel se situe l’appartement loué.
Pour le surplus, le raisonnement de l’appelante qui invoque le constat du Tribunal fédéral selon lequel les calculs de rendements ont pu par le passé aboutir à la fixation de loyers très bas en inadéquation avec la réalité économique, relève de considérations générales, sans lien avec le cas d’espèce. De même, la nécessité pour une caisse de pension d’obtenir un rendement suffisant ne permet pas de justifier une modification du mode de calcul adopté par le Tribunal.
Le jugement est dès lors fondé sur ce point.
5. L’appelante reproche au Tribunal d’avoir écarté la ventilation de l’état locatif proposée par ses soins en considérant que le critère des volumes ne tiendrait pas compte de la ventilation qui doit être opérée entre les appartements et les places de parking.
5.1 Après détermination de l’état locatif annuel admissible, il s'agit de procéder à la ventilation de ce résultat appartement par appartement pour obtenir le loyer admissible de la chose louée en cause. Généralement, on ventile au pro rata de la surface, du volume des logements ou du nombre de pièces (arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.3).
Il est parfois difficile de trouver une clé de répartition, par exemple lorsque le bailleur a procédé à la rénovation de certains logements ou locaux, à l'exclusion d'autres, ou que les travaux ont été réalisés à des moments différents (arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.3). Lorsque les travaux à plus-value (i.e les prestations supplémentaires) bénéficient à tous les locataires, la clé de répartition choisie doit tenir compte de la mesure dans laquelle chaque locataire en profite. Lorsqu'un ou certains locataires bénéficient seuls des travaux à plus-value, il faudra ventiler ceux-ci, en fonction des factures des entreprises, par logement ou local commercial (arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.3). Les mêmes principes sont aussi valables dans l'application de la méthode relative (ATF 139 III 209 consid. 2.1). Lorsque la clé de répartition choisie par le bailleur ne répercute pas les coûts selon ces principes, elle est insoutenable et le juge appliquera le système qu'il jugera équitable (ATF 139 III 209 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.3).
Par ailleurs, le Tribunal fédéral a validé la distinction opérée dans le cadre d’un calcul de rendement entre les parkings, les arcades ou encore les appartements, dont la valeur au mètre carré ne pouvait être considérée comme identique (arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.4.2). Ainsi, lorsque l'immeuble comprend des parkings ou des locaux commerciaux, il convient de les retrancher de l'état locatif global de l'immeuble (sur la base du dernier état locatif de l'immeuble), pour obtenir le rendement admissible pour les seuls logements (arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2018 précité; ACJC/271/2023 du 27 février 2023 consid. 5.1; ACJC/127/1998 du 16 février 1998; ACJC/398/2000 du 10 avril 2000).
Pour choisir l'une de ces différentes clés de répartition, le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 125 III 421 consid. 2d).
5.2 En l’espèce, le Tribunal a considéré que la ventilation de l’état locatif proposée par l’appelante et qui ne se basait que sur le critère des volumes ne tenait aucunement compte de la distinction entre parkings et appartements, ces types de biens ne pouvant être comptabilisés de manière identique.
Cette manière de faire apparaît conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral. Il est inadéquat de n’opérer aucune distinction entre les parkings et les appartements, de sorte que le Tribunal pouvait s’écarter de la clé de répartition proposée par l’appelante. À cet égard, le décompte produit par l’appelante distinguant les divers types de biens dans le décompte de l’état locatif ne suffit pas à tenir compte des spécificités susmentionnées.
De plus, les appartements concernés présentent d’importantes disparités, certains étant dotés de jardins, d’autres non. L’appartement loué par les intimés présente certes un volume important. Ce volume toutefois doit être relativisé dans la mesure où il résulte d’une importante hauteur sous plafond dans le séjour et une pièce de type grenier à laquelle il est accédé par une trappe et une échelle. Cette dernière pièce, quand bien même elle représente un volume non négligeable, ne peut être considérée comme une pièce habitable de l’appartement et un volume pleinement utilisable pour que les intimés y vivent. Il ne peut être dès lors procédé à un calcul basé uniquement sur le critère du volume, qui ne tiendrait pas compte, de manière insoutenable, des spécificités de l’appartement litigieux.
Pour cette raison également, la clé de répartition préconisée par l’appelante ne peut être retenue.
En revanche, dans la mesure où l’état locatif proposé par l’appelante à l’Office cantonal du logement tient compte des spécificités liées aux différents appartement loués dans l’immeuble, rien ne s’opposait à ce que le Tribunal le retienne comme base de calcul. Au contraire, cet état locatif apparaît adapté au cas d’espèce et conforme aux principes jurisprudentiels susmentionnés. Dès lors, il n’apparaît pas que le Tribunal aura mésusé de son pouvoir d’appréciation.
6. Le grief est ainsi infondé, le jugement sera dès lors confirmé.
7. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).
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La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 7 mai 2024 par A______ contre le jugement JTBL/343/2024 rendu le 26 mars 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/13555/2020.
Au fond :
Confirme le jugement entrepris.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Nicolas DAUDIN, Madame Zoé SEILER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.