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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2137/2020

ATAS/423/2025 du 03.06.2025 ( ARBIT )

Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2137/2020 ATAS/423/2025

COUR DE JUSTICE

Tribunal arbitral des assurances

Arrêt incident du 3 juin 2025

 

En la cause

CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

MOOVE SYMPANY AG

SUPRA-1846 SA

CONCORDIA SCHWEIZ, KRANKEN- UND UNFALLVERSICHERUNG AG

ATUPRI CAISSE-MALADIE

AVENIR ASSURANCE MALADIE

KPT KRANKENKASSE AG

ÖKK KRANKEN-UND UNFALLVERSICHERUNGEN AG

VIVAO SYMPANY AG

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA

EGK GRUNDVERSICHERUNGEN AG

SWICA CENTRES DE SANTÉ

GALENOS, ASSURANCE MALADIE ET ACCIDENTS

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

SANITAS GRUNDVERSICHERUNGEN AG

PHILOS ASSURANCE MALADIE SA

ASSURA-BASIS SA

VISANA AG

HELSANA VERSICHERUNGEN AG

SANA24 AG

VIVACARE

COMPACT GRUNDVERSICHERUNGEN AG

Toutes représentées par SANTÉSUISSE, elle-même représentée par Me Valentin SCHUMACHER, avocat

 

 

demanderesses

 

contre

A______

représenté par Me Marc MATHEY-DORET, avocat

 

 

défendeur

 


 

ATTENDU EN FAIT :

Que le docteur A______ (ci-après : le défendeur), né le ______ 1967, pratique la gynécologie et l’obstétrique en tant que médecin indépendant depuis le 1er octobre 2005 ; qu'il travaille dans le cadre d'un cabinet géré par la société B______ fondée à Genève en 2016 et dont il est l'administrateur unique et le directeur ; qu'il est enregistré sous le code créancier 1______, lequel l'autorise à facturer à charge de l'assurance obligatoire des soins ;

Que le 3 juillet 2020, 25 caisses-maladies, toutes représentées par SANTÉSUISSE, ont déposé auprès du Tribunal arbitral des assurances (ci-après : le Tribunal de céans) une demande visant au paiement par le défendeur de la somme de CHF 156'574.60, calculée selon l’indice de régression, pour l’année statistiques 2018, au titre de violation du principe du caractère économique des prestations ;

Que dans sa réponse du 21 mai 2021, le défendeur a conclu au rejet de la demande ; qu'il a sollicité la mise en œuvre d'expertises ; qu'il a également requis la production par SANTÉSUISSE de divers documents ;

Que dans sa réplique du 24 août 2021, SANTÉSUISSE, ayant constaté que le défendeur avait utilisé des chaînages de positions TARMED, a amplifié ses conclusions ;

Que dans sa duplique du 25 octobre 2021, le défendeur a conclu à ce que les demanderesses soient déboutées de toutes leurs conclusions ;

Que par arrêt incident du 14 décembre 2022 (ATAS/1108/2022), le Tribunal de céans a ordonné aux demanderesses de produire l'ensemble des autorisations qu'elles avaient accordées au défendeur pour les traitements dispensés pour l'année statistique 2018 ;

Que les parties ont été invitées à se déterminer sur l'arrêt de principe rendu par le Tribunal fédéral le 12 décembre 2023 (9C_135/2022) et publié in ATF 150 V 129 ;

Que le 31 octobre 2024, SANTÉSUISSE, représentée par Me Valentin SCHUMACHER, a souligné que l'arrêt du Tribunal fédéral n'était pas applicable au cas d'espèce et a fait valoir, quoi qu'il en soit, qu'elle avait bel et bien procédé à une analyse de la pratique du défendeur, de laquelle il était du reste résulté qu'aucune particularité susceptible d'être prise en considération n'avait pu être mise en évidence ;

Que le 18 décembre 2024, le défendeur, représenté par Me Marc MATHEY-DORET, a, au contraire, insisté sur le fait qu'il n'y avait pas eu d'examen au cas par cas au sens de la jurisprudence fédérale, dès lors que SANTÉSUISSE s'était limitée à une analyse statistique ;

 

 

 

 

 

CONSIDÉRANT EN DROIT :

Que le litige porte sur la question de savoir si la pratique du défendeur pendant l'année statistique 2018 est ou non contraire au principe de l’économicité au sens de l'art. 56 al. 1 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10) (art. 59 al. 1 let. b LAMal ; ATF 141 V 25), et, dans l’affirmative, si et dans quelle mesure les demanderesses sont habilitées à lui réclamer le trop-perçu ;

Que la Fédération des médecins suisses - FMH, SANTÉSUISSE et CURAFUTURA, en collaboration avec POLYNOMICS SA, ont adopté début 2023 une nouvelle convention relative au contrôle de l'économicité de la pratique médicale (art. 56 al. 6 LAMal) ; que les médecins dont l’indice est sensiblement supérieur à la moyenne (100%) sont considérés comme statistiquement « hors norme » ; qu'ils sont ensuite soumis à un examen individuel incluant une analyse de leur manière d’appliquer le tarif et de prescrire des médicaments en tenant compte du collectif de patients ; que la nécessité d’un examen individuel, auquel doivent procéder l'assureur et/ou SANTÉSUISSE avant même d'intenter une action en justice, est ainsi désormais inscrite dans la convention ;

Que dans son arrêt du 12 décembre 2023 (9C_135/2022), publié in ATF 150 V 129, le Tribunal fédéral l'a confirmé ; qu'il a ainsi rappelé que l'examen de l'économicité de la pratique médicale d'un fournisseur de prestations comportait deux phases : l'analyse de régression et, en cas de résultat hors norme, un examen de cas particulier (consid. 5.2) ; que l'établissement de l'indice de régression a uniquement pour but de détecter le fournisseur de prestations hors norme et que c'est lors de l'analyse individuelle que le fournisseur de prestations a la possibilité de justifier ses coûts trop élevés par les particularités de sa pratique (consid. 5.3) ;

Que le 23 décembre 2024, le Tribunal fédéral, se référant expressément à cet arrêt, a répété que la constatation d'une pratique non économique au sens de l'art. 56 LAMal ne pouvait être retenue que sur la base d'une analyse individuelle, soit une analyse au cas par cas effectuée dans une seconde étape ; que la demande en restitution ne pouvait être déposée auprès du Tribunal arbitral que si elle pouvait s'appuyer sur les résultats d'un examen complet du cas individuel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_795/2023) ; que le Tribunal fédéral a insisté sur le fait que l'examen des caractéristiques de la pratique ayant une incidence sur les coûts ne devait pas être reporté à la procédure arbitrale, même si les tribunaux arbitraux peuvent établir les faits pertinents pour la décision avec la participation des parties, à titre complémentaire, qu'ils administrent les preuves nécessaires et qu'ils sont libres dans l'appréciation des preuves (art. 89 al. 5 LAMal) ;

Que dans un arrêt plus récent encore, daté du 29 avril 2025 (9C_199/2022), le Tribunal fédéral a précisé que l'examen de l'économicité ne pouvait être conclu directement sur la base de l'analyse de régression que s'il était établi qu'aucun facteur particulier n'influençait la structure des coûts du fournisseur de prestations (cf. ATF 150 V 129 consid. 5.5), ou si le fournisseur de prestations ne pouvait pas rendre crédibles des points de vue qui, en tant que particularités du cabinet, nécessitaient un examen au cas par cas, ou s'il n'expliquait pas de manière plausible dans quelle mesure l'anomalie détectée dans le cadre du screening pouvait être attribuée à une telle particularité du cabinet ; de même, s'il refusait de collaborer à la collecte des données nécessaires à l'interprétation des données statistiques (consid. 6.4.2) ;

Que SANTÉSUISSE considère que le cas d'espèce est très différent de celui traité par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 12 décembre 2023 (ATF 150 V 129) ; qu'en effet, le fournisseur de prestations concerné n'avait pas eu la possibilité d'expliquer les particularités de son cabinet avant que le Tribunal arbitral ne soit saisi, alors qu'elle avait au contraire expressément prié le défendeur de lui faire part des spécificités de son collectif de patients ;

Que SANTÉSUISSE rappelle qu'elle a interpellé le défendeur le 18 novembre 2019 pour attirer son attention sur ses coûts élevés, lui demander si des particularités de sa pratique pouvaient les justifier et lui communiquer des documents explicatifs relatifs à la méthode de régression ;

Qu'elle fait valoir qu'elle a procédé à un examen préliminaire de la pratique du défendeur, ce lors d'un entretien du 12 mars 2020, et d'un échange de courriels du 13 au 20 mars 2020, au cours desquels le défendeur avait largement eu l'occasion de s'exprimer ;

Qu'elle considère ainsi qu'en l'espèce l'analyse individuelle telle que voulue par le Tribunal fédéral avait en l'occurrence eu lieu ;

Que le raisonnement de SANTÉSUISSE ne saurait toutefois être suivi ;

Qu'il ne suffit pas que le défendeur ait été à même d'exposer ses arguments quant aux particularités de sa pratique ayant une incidence sur les coûts ; qu'il est également nécessaire que les particularités invoquées soient analysées par SANTÉSUISSE et que les résultats d'une évaluation complète du cas individuel soient pris en compte avant la procédure arbitrale (9C_199/2022 consid. 6.1 et 6.2) ; qu'en l'espèce, il n'apparaît pas que SANTÉSUISSE ait, dans le cadre de l'entretien du 12 mars 2020 notamment, examiné les particularités invoquées par le défendeur ;

Que le fait d'avoir préalablement interpellé le défendeur le 18 novembre 2019, et, partant, de l'avoir invité à modifier sa pratique, ne saurait remplacer un examen au cas par cas ;

Qu'on peut également relever que SANTÉSUISSE a déposé sa demande le 3 juillet 2020, soit à une date antérieure à l'adoption de la convention susmentionnée ; qu'on ne saurait dès lors attendre d'elle qu'elle s'y soit conformée ; que dans ladite demande quoi qu'il en soit, elle ne fait aucune allusion à une analyse individuelle qu'elle aurait préalablement effectuée ;

Que force est, au vu de ce qui précède, de constater qu'en l'espèce, lorsque SANTÉSUISSE a saisi le Tribunal de céans d'une demande en restitution le 30 juin 2021, elle n'avait pas procédé à l'examen au cas par cas à présent clairement exigé par la jurisprudence ;

Que l'art. 56 LAMal est ainsi violé ; que la plainte à déposer auprès du tribunal arbitral cantonal doit en effet se baser sur les résultats d'une évaluation complète du cas individuel ; que l'appréciation du cas individuel qui a été omise ne peut pas être rattrapée dans la procédure arbitrale ; qu'étant donné qu'un examen au cas par cas a fait défaut dans le cas présent, les bases de décision du Tribunal de céans sont incomplètes (9C_199/2022 consid. 6.2 ; ATF 150 V 129 consid. 5.6 et 5.8) ;

Qu'il y a dès lors lieu de demander à SANTÉSUISSE de mettre en œuvre, en collaboration avec le défendeur, la seconde étape de la méthode de screening, en d'autres termes de déterminer, en procédant notamment à une analyse au moyen d'une évaluation par échantillon d'un nombre représentatif de factures concrètes, si les particularités de la pratique invoquées par le défendeur ont été prises en compte par l'analyse de régression et, le cas échant, dans quelle mesure elles influencent l'indice de régression  ;

Qu'un délai au 31 octobre 2025 lui est accordé pour effectuer cette analyse ;

Que la procédure est par ailleurs suspendue durant ce délai, en application, par analogie, de l'art. 14 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10) (ATF 150 V 129 consid. 5.8.1) ;

Qu'il convient enfin de relever qu'en l'état, aucune suite ne sera donnée aux conclusions du défendeur visant à ce que certaines mesures d'instruction soient réalisées ; qu'elles ne peuvent en effet qu'être écartées, au vu de l'issue du présent arrêt incident ; qu'il en est de même pour l'expertise demandée par le défendeur, étant à cet égard rappelé que l'examen au cas par cas ne peut être remplacé par une expertise qui serait ordonnée par le Tribunal arbitral (9C_795/23 consid. 6.4).

 

 

 


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES:

Statuant sur incident

1.        Impartit à SANTÉSUISSE un délai au 31 octobre 2025 pour procéder conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral et présenter des nouvelles conclusions, sur la base de son analyse.

2.        Suspend la cause jusqu'à cette date.

3.        Réserve le fond.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le