Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/748/2024 du 01.10.2024 ( AF ) , ADMIS/RENVOI
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/1605/2024 ATAS/748/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 1er octobre 2024 Chambre 10 |
En la cause
A______
| recourante |
contre
CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES POUR PERSONNES SANS ACTIVITE LUCRATIVE
| intimée |
A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née en 1974, de nationalité suisse, célibataire, s’est installée à Genève le 8 mars 2010, en provenance de Cannes (France). Elle a donné naissance à un fils le ______ 2010, dont le père, de nationalité irlandaise, vit à Dublin (Irlande).
b. Le 13 juin 2012, l’assurée a déposé une demande d’allocations familiales, indiquant notamment avoir travaillé à 50% à Cannes jusqu’au 1er octobre 2009 et vivre de l’aide financière du père de son fils.
c. Par décision du 20 juillet 2012, la caisse d’allocations familiales pour personnes sans activité lucrative (ci-après : CAFNA) a reconnu le droit de l’assurée à des allocations familiales pour enfant du 1er mai 2010 au 31 mars 2012. Pour la période subséquente, des informations complémentaires étaient requises.
d. Les 15 octobre 2014 et 26 mai 2015, la CAFNA a reçu deux formulaires E411 de la sécurité sociale irlandaise.
e. Par décision du 4 juin 2015, la CAFNA a admis le droit de l’assurée aux allocations familiales avec effet rétroactif, du 1er avril 2012 au 31 mai 2026.
f. Dans un courrier du 30 novembre 2015 adressé l’office fédéral des assurances sociales, transmis le 18 janvier 2016 à la CAFNA, les autorités irlandaises se sont déclarées compétentes pour verser les allocations familiales.
g. La CAFNA a suspendu le droit de l’assurée au 31 décembre 2017, au motif que l’organisme irlandais semblait prioritaire pour allouer des prestations, dès lors
que le père de l’enfant exerçait une activité lucrative dans ce pays.
h. Le 17 septembre 2021, l’assurée a informé la CAFNA qu’elle avait enfin obtenu que les autorités irlandaises statuent sur la situation et que celles-ci accordent une allocation mensuelle de Euros 130.- de septembre à décembre 2014, de Euros 135.- de janvier à décembre 2015 et Euros 140.- depuis janvier 2016, selon une décision du 14 juillet 2021 annexée.
B. a. Par décision du 24 septembre 2021, la CAFNA a demandé à l’assurée la restitution des prestations indûment touchées du 1er septembre 2014 au
31 décembre 2017, soit CHF 12'000.-.
b. Le 29 septembre 2021, l’assurée a formé opposition à l’encontre de ladite décision, relevant notamment qu’il lui avait été annoncé à maintes reprises que si le montant des allocations familiales était inférieur à celui prévu par la législation genevoise, la différence pourrait être octroyée à titre de complément différentiel. En outre, elle avait collaboré et effectué toutes les démarches nécessaires.
c. Dans un courrier du 21 juin 2022 intitulé « Demande de remise du
5 octobre 2021 », la CAFNA a considéré que l’intéressée invoquait sa bonne foi et ne contestait pas le fait que les allocations familiales lui avaient été versées à tort, de sorte que son courrier devait être considéré comme une demande de remise. Compte tenu du fait qu’elle avait par erreur rendu une décision d’octroi des allocations familiales, alors que les autorités irlandaises lui avaient communiqué les formulaires ad hoc, elle admettait que l’assurée avait satisfait à ses obligations d’annonce et avait pu croire de bonne foi qu’elle avait droit aux prestations. L’intéressée était priée de compléter le formulaire annexé visant à déterminer la seconde condition de la remise, soit celle relative à la situation financière.
d. Le 3 juillet 2022, l’assurée a considéré avoir droit à la différence entre l’allocation irlandaise fixée et le montant de l’allocation suisse qui était supérieure, soit CHF 24'940.-.
e. Par décision sur opposition du 17 avril 2024, la CAFNA a suspendu la procédure d’opposition en attente de l’examen de la remise, respectivement de l’analyse de la situation financière de l’assurée. L’Irlande était prioritaire depuis la naissance de l’enfant, mais elle avait, dans un souci d’apaisement, réclamé les prestations indument versées à compter de septembre 2014 seulement, puisque les prestations antérieures étaient prescrites en vertu du droit irlandais. Dès lors qu’elle lui avait versé des prestations de mai 2010 à décembre 2017, il y avait eu cumul de prestations, ce qui était interdit par la loi. Concernant le complément différentiel, l’intéressée ne pouvait pas y prétendre, car elle était assujettie en qualité de personne sans activité lucrative. Elle était donc priée de répondre au formulaire relatif à l’examen de la condition difficile.
C. a. Par acte du 10 mai 2024, l’assurée a interjeté recours contre la décision précitée par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice. La recourante a conclu à l’annulation de la décision sur opposition suspendant la procédure et au versement rétroactif du complément différentiel, avec intérêts moratoires. Elle a notamment relevé que l’intimée lui avait versé des prestations alors qu’elle savait depuis 2014 que le père de son fils exerçait une activité lucrative en Irlande, de sorte que le droit de demander la restitution était échu. Il n’était donc pas nécessaire d’analyser sa situation financière et la décision litigieuse n’était pas fondée. Elle avait droit au versement du complément différentiel, ainsi qu’à des intérêts moratoires.
b. Dans sa réponse du 2 juillet 2024, l’intimée a conclu au renvoi du dossier pour instruction complémentaire. Elle a indiqué qu’elle annulerait sa décision du
24 septembre 2021. Pour déterminer le complément différentiel qui serait dû à la recourante, elle devrait prendre en compte les prestations irlandaises exportables rétroactivement au 1er septembre 2014 et tenir compte de l’impact du Brexit sur les prestations courantes. À l’issue de cette instruction, une nouvelle décision serait établie.
c. Dans sa réplique du 6 juillet 2024, la recourante a maintenu sa position et relevé que si l’intimée admettait enfin son droit au complément différentiel, elle ne s’était déterminée ni sur le délai de péremption, ni sur les intérêts moratoires.
d. Par duplique du 10 septembre 2024, l’intimée a admis qu’elle aurait dû verser à la recourante un complément différentiel du 1er septembre au 31 décembre 2017, et qu’elle devrait également examiner le droit à un tel complément à compter de janvier 2018. Elle avait reçu les informations des institutions irlandaises concernant les montants servis, mais devait néanmoins instruire davantage le dossier de la recourante, car elle avait appris que cette dernière exerçait plusieurs « activités salariées et/ou non salariées » en France. Elle s’interrogeait donc sur sa compétence dans ce dossier et requérait la production par la recourante de différents documents pour déterminer la législation applicable entre la Suisse et la France.
e. Copie de cette écriture a été transmise à la recourante le 20 septembre 2024.
f. Le jour même, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1.
1.1 La chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les allocations familiales du 24 mars 2006 (LAFam - RS 836.2). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. e de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), sur les contestations prévues à l'art. 38A de la loi cantonale sur les allocations familiales du 1er mars 1996
(LAF - J 5 10).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).
Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.
2.
2.1 En procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent en principe être examinés et jugés que les rapports juridiques à propos desquels l'autorité administrative compétente s'est prononcée préalablement d'une manière qui la lie sous la forme d'une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l’objet de la contestation qui peut être déféré en justice par la voie d'un recours. Le juge n'entre donc pas en matière, sauf exception, sur des conclusions qui vont au-delà de l’objet de la contestation (ATF 134 V 418 consid. 5.2.1 et les références).
La procédure juridictionnelle administrative peut toutefois être étendue pour des motifs d'économie de procédure à une question en état d'être jugée qui excède l’objet de la contestation, c'est-à-dire le rapport juridique visé par la décision, lorsque cette question est si étroitement liée à l’objet initial du litige que l'on peut parler d'un état de fait commun et à la condition que l'administration se soit exprimée à son sujet dans un acte de procédure au moins. Les conditions auxquelles un élargissement du procès au-delà de l’objet de la contestation est admissible sont donc les suivantes : la question (excédant l’objet de la contestation) doit être en état d'être jugée ; il doit exister un état de fait commun entre cette question et l’objet initial du litige ; l'administration doit s'être prononcée à son sujet dans un acte de procédure au moins ; le rapport juridique externe à l’objet de la contestation ne doit pas avoir fait l’objet d'une décision passée en force de chose jugée (ATF 130 V 501 consid. 1.2 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_678/2019 du 22 avril 2020 consid. 4.4.1 et les références).
2.2 En l’espèce, la décision litigieuse est la décision sur opposition du
17 avril 2024, par laquelle l’intimée a suspendu la procédure d’opposition à l’encontre de la décision du 24 septembre 2021, dans l’attente de l’examen de la remise.
Le litige ne porte donc pas sur le bien-fondé de la demande en restitution, ni sur le droit de la recourante à un complément différentiel et à des intérêts moratoires, questions qui ne sont en outre pas en l’état d’être jugées, au vu des écritures de l’intimée. Les conclusions de la recourante à cet égard sont donc irrecevables.
3. La décision de restitution du 24 septembre 2021 a fait l’objet d’une opposition de la part de la recourante, laquelle ne s’est pas limitée à invoquer sa bonne foi. Elle a clairement contesté avoir perçu des prestations indûment et a fait valoir un droit à un complément différentiel.
Son courrier ne pouvait dès lors pas être interprété comme une simple demande de remise, contrairement à ce qui a été indiqué par l’intimée dans sa missive du
21 juin 2022. Il s’agissait d’une opposition à la décision de restitution, laquelle n’a donc pas acquis force de chose décidée. L’intimée ne soutient d’ailleurs pas le contraire.
3.1 La procédure de restitution comporte trois étapes (la deuxième étant cependant souvent simultanée à la première), à savoir une première décision sur le caractère indu des prestations, une seconde décision sur la restitution en tant que telle des prestations (comportant l’examen de la réalisation des conditions d’une révision ou d’une reconsidération, au sens de l’art. 53 al. 1 et 2 LPGA dans la mesure où les prestations fournies à tort l’ont été en exécution d’une décision en force), et, le cas échéant, une troisième décision sur la remise de l'obligation de restituer, subordonnée aux deux conditions que l'intéressé était de bonne foi et que la restitution le mettrait dans une situation difficile (arrêt du Tribunal fédéral 9C_678/2011 du 4 janvier 2012 consid. 5.2 ; ATAS/587/2016 du 19 juillet 2016 consid. 3 ; ATAS/365/2016 du 10 mai 2016 consid. 7a ; Ueli KIESER,
ATSG-Kommentar, 3e éd., 2015, n. 9 ad art. 25 LPGA, p. 383). C’est une fois qu’est entrée en force la décision portant sur la restitution elle-même des prestations perçues indûment que sont examinées les deux conditions de la bonne foi et de l’exposition à une situation financière difficile devant amener le cas échéant à renoncer à l’obligation de restitution, à moins qu’il soit manifeste que ces deux conditions sont remplies, auquel cas il doit être renoncé à la restitution déjà au stade de la prise de la décision sur la restitution (art. 3 al. 3 OPGA ;
Ueli KIESER, op. cit., n. 53 ad art. 25, p. 392 s.). Le moment déterminant pour apprécier s’il y a une situation difficile est d’ailleurs le moment où la décision de restitution est exécutoire (art. 4 al. 2 OPGA).
L'opposition et le recours de première instance formés contre une décision en matière de restitution ont un effet suspensif, ce qui fait obstacle à leur exécution immédiate (arrêts du Tribunal fédéral 8C_804/2017 du 9 octobre 2018 consid. 3.2 et 8C_130/2008 du 11 juillet 2008 consid. 3.2 et les références). Dans la mesure où la demande de remise ne peut être traitée sur le fond que si la décision de restitution est entrée en force, la remise et son étendue font l'objet d'une procédure distincte. Intrinsèquement, une remise de l'obligation de restituer n'a de sens que pour la personne tenue à restitution (arrêt du Tribunal fédéral 9C_211/2009 du
26 février 2010 consid. 3.1). L’art. 3 al. 3 OPGA
Compte tenu de ces principes, l’intimée ne pouvait pas suspendre la procédure d’opposition à l’encontre de la décision de restitution dans l’attente de l’examen de la remise.
3.2 Dans sa réponse du 2 juillet 2024, l’intimée a indiqué qu’elle annulerait sa décision du 24 septembre 2021, et se déterminerait sur le montant du complément différentiel dû à la recourante. Par duplique du 10 septembre 2024, elle a maintenu que le dossier devait être davantage instruit, dès lors que de nouveaux éléments la conduisaient à s’interroger sur sa compétence dans ce dossier. Elle requérait la production par la recourante de différents documents afin de déterminer le droit applicable.
Force est donc de constater que l’intimée admet devoir reprendre l’instruction du dossier, ce qui revient à reprendre la procédure d’opposition à l’encontre de la décision du 24 septembre 2021, laquelle n’a en l’état toujours pas été annulée.
En conséquence, la décision sur opposition du 17 avril 2024 sera annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour reprise de l’instruction du dossier de la recourante.
3.3 La recourante, qui n’a pas allégué avoir déployé des efforts dépassant la mesure de ce que tout un chacun consacre à la gestion courante de ses affaires, n’a pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986
[RFPA - E 5 10.03]).
3.4 Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet partiellement.
3. Annule la décision du 17 avril 2024 et renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire.
4. Dit que la procédure est gratuite.
5. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Nathalie KOMAISKI |
| La présidente
Joanna JODRY |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le