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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3451/2023

ATAS/610/2024 du 13.08.2024 ( LAMAL ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3451/2023 ATAS/610/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 13 août 2024

Chambre 10

 

En la cause

A______
représentée par GROUPE SANTÉ GENÈVE, soit pour lui
Me Jacopo OGRABEK, avocat

 

 

recourante

 

contre

HELSANA ASSURANCES SA

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée), née le ______ 1978, présente une dysphorie de genre due à son identité transgenre dans le sens homme vers femme. De ce fait, à compter du 20 septembre 2018, elle a bénéficié d'un traitement hormonal féminisant et, le 23 juillet 2020, d'un traitement d'augmentation mammaire réalisé par le service de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG). Elle a également changé de genre et de prénoms auprès de l'état civil.

b. L'assurée est affiliée pour l'assurance obligatoire des soins auprès d'HELSANA ASSURANCES SA (ci-après : HELSANA) depuis le 1er janvier 2020.

c. HELSANA a pris en charge l'augmentation mammaire avec traitement d'expansion, un lipofilling et une épilation au laser.

d. Le 20 mai 2021, l'assurée, par l'intermédiaire du docteur B______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie aux HUG et psychiatre traitant, a requis la prise en charge d'une chirurgie de féminisation du visage afin de réduire la dysphorie de genre liée aux caractéristiques masculines de son visage. Cette chirurgie était indiquée et lui permettrait « de vivre son corps plus en harmonie avec son identité de genre », ce qui améliorerait son état psychologique.

Étaient joints à cette demande les documents médicaux suivants :

-          un certificat médical du 29 avril 2021 du Dr B______ adressé au service de chirurgie maxillo-faciale des HUG, par lequel le médecin a soutenu la demande de chirurgie de féminisation de la patiente ; cette dernière était suivie depuis le 29 janvier 2018 à l'unité de médecine sexuelle et sexologie des HUG en raison d'une dysphorie de genre ; malgré son intégration sociale, elle avait toujours relaté un sentiment d'inconfort par rapport au caractère masculin de son corps ; elle avait bénéficié d'un traitement hormonal féminisant et d'un traitement d'augmentation mammaire qui avaient amélioré son vécu psychologique ; toutefois, malgré ces traitements, elle relatait toujours une dysphorie de genre par rapport aux caractéristiques masculines de son visage, qui la renvoyaient à l'incongruence entre son corps et son identité avec un sentiment de tristesse, un manque de confiance en soi et une anxiété vis-à-vis des situations sociales ;

-          un courrier du 12 mai 2021 du docteur C______, spécialiste FMH en chirurgie orale et maxillo-faciale, à la suite de la consultation de la patiente le 11 mai 2021, indiquant notamment : « tu me la réfères pour une première évaluation quant à la possibilité d'entreprendre un traitement chirurgical de féminisation du visage. La patiente m'a présenté ses souhaits de modification de son visage, qui sont relativement stéréotypés, dans ce genre de situation, visant à la correction des caractères typiquement masculins suivants : bosses frontales, angles mandibulaires bien marqués, région malaire aplatie, et un nez large. Il est à souligner que ces caractères ont été clairement identifiés et décrits dans de nombreuses publications scientifiques » ; le médecin a ensuite décrit les différentes interventions pouvant être effectuées pour répondre à sa demande, soit une augmentation de la projection des malaires à l'aide d'une prothèse ou d’un transfert de tissu adipeux, une réduction des angles mandibulaires par ostéotomie, un remodelage fronto-orbitaire pour l'élimination des bosses frontales, ainsi qu'une rhinoplastie d'adaptation, tout en précisant que cette dernière opération devrait être effectuée par ses collègues plasticiens.

e. Le 28 février 2022, faisant suite à la demande d’HELSANA du 10 février 2022, le Dr B______ lui a transmis des photographies de l'assurée.

f. Dans son évaluation du 8 mars 2022, le docteur D______, spécialiste FMH en médecine interne générale et médecin-conseil d'HELSANA, a préavisé négativement la prise en charge des interventions sollicitées en raison d'une « valeur maladie insuffisante ».

g. Par courrier du 9 mars 2022, HELSANA a refusé la prise en charge des interventions de féminisation du visage, au motif que ces dernières ne faisaient pas partie des prestations obligatoires à charge de l'assurance obligatoire des soins.

h. Le 1er juillet 2022, à la suite d'une nouvelle demande de garantie de prise en charge d’une féminisation du visage, le docteur E______, spécialiste FMH en médecine interne générale et médecin-conseil d'HELSANA, a confirmé que les interventions devaient être refusées.

i. Le jour même, HELSANA a informé le Dr B______ qu’elle ne pourrait pas participer aux frais de l’intervention.

j. Par courrier du 21 juillet 2022, le Dr E______ a indiqué à l'assurée qu'au vu de la documentation photographique transmise, elle paraissait reconnaissable en tant que femme. Toute intervention supplémentaire visant à optimiser l'aspect extérieur était clairement de nature esthétique et ne pouvait être prise en charge par l'assurance-obligatoire de soins.

k. Le 29 juillet 2022, l'assurée a contesté cette position, relevant que ses médecins avaient recommandé une chirurgie de féminisation du visage, nécessaire pour pallier aux effets néfastes de la dysphorie de genre dont elle souffrait.

B. a. Par décision du 9 novembre 2022, HELSANA a refusé la prise en charge de l'intervention chirurgicale sollicitée.

b. Le 12 décembre 2022, l'assurée s'est opposée à la décision précitée. Sa demande de prise en charge par l'assurance-maladie de base reposait sur une indication médicale claire, fondée sur le diagnostic de dysphorie de genre, le but étant la transition d'homme à femme, et le résultat espéré une diminution sensible de la détresse qui s'attachait à cette atteinte. La prise en charge aurait dû être analysée sous un angle psychiatrique et non pas purement esthétique. L'indication médicale était clairement établie par ses psychiatres. L’intervention requise répondait au critère du caractère approprié. S'agissant de l'aspect économique, la question de savoir s'il existait une alternative thérapeutique à l’intervention ne se posait guère dans la mesure où, selon les spécialistes et les recommandations nationales ou internationales, le traitement de la dysphorie de genre se faisait principalement selon trois axes, cumulatifs ou non selon les patients, soit le traitement psychiatrique, le traitement hormonal et le traitement chirurgical.

c. Le 31 janvier 2023, HELSANA a sollicité à nouveau l’avis de ses
médecins-conseils. Dans leur évaluation rendue le 26 avril 2023, la
docteure F_____, spécialiste FMH en chirurgie, et le
docteur G_____, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, ont recommandé le refus de la prise en charge de la chirurgie féminisante étendue du visage. D'un point de vue somatique, la documentation photographique de l'assurée montrait clairement le visage d'une femme pour tous les traits pour lesquels une intervention chirurgicale était souhaitée. Ces traits ne présentaient pas le caractère d'une caractéristique sexuelle secondaire du sexe masculin. Ce constat avait été obtenu après une présentation anonymisée des photographies auprès de plusieurs personnes au sein du service médical d'HELSANA. D'un point de vue psychiatrique, l'assurée pouvait facilement être assignée au sexe féminin, de sorte que la dysphorie ne pouvait pas être considérée comme une conséquence de l'incongruité de genre. Il s'agissait plutôt d'un sentiment subjectif que le visage ne correspondait pas aux idéaux communs de la beauté. Dans ce cas, les mesures chirurgicales n'étaient pas appropriées et un soutien psychiatrique ou psychologique pouvait être requis pour travailler sur l'image de soi. Aux questions de savoir si les bosses frontales, les angles mandibulaires bien marqués, la région malaire aplatie et un nez large étaient des parties du visage typiquement masculin, les médecins-conseils ont répondu par la négative pour chacune des parties.

d. Par courrier du 21 avril 2023, le Dr B______ a réitéré la demande de prise en charge de l'intervention de féminisation du visage, rappelant que la patiente présentait une incongruence de genre (code HA60 selon la CIM-11). Dans les évaluations spécifiques pour l'indication d'un traitement de l'incongruence de genre, il fallait prendre en compte des éléments médicaux de deux types : celui de mettre en évidence la présence d'un vécu psychologique d'incongruence de genre comme décrit dans la CIM-11, et celui de certifier que les parties du corps que l'on voulait modifier chirurgicalement représentaient des caractères sexuels secondaires. L'assurée présentait une incongruence de genre chronique et marquée en lien avec les caractéristiques masculines de son visage, qu’elle considérait incompatibles avec son appartenance féminine. Elle évitait des situations sociales nouvelles en raison de remarques sur les caractéristiques masculines de son visage qui lui étaient souvent adressées. Le vécu de son visage augmentait sa dysphorie de genre, avec des moments de tristesse, de renfermement et d’anxiété. La symptomatologie anxiodépressive en lien avec les caractéristiques masculines de son visage était intensifiée par une fragilité psychologique de base due à un vécu infantile marqué par des carences affectives, de la négligence, des abus physiques et sexuels. Son passé était en lien avec l'organisation de la personnalité caractérisée par une labilité de l'humeur, une réactivité émotionnelle, des sentiments d'injustice et de désespoir, des symptômes dissociatifs. De plus, la chirurgie sollicitée touchait des caractères sexuels secondaires comme spécifié par le Dr C______ dans sa lettre du 12 mai 2021. Les conditions étaient réunies pour prendre en charge la chirurgie de féminisation du visage.

e. Par courrier du 10 mai 2023, les Drs F_____ et G_____ ont observé que le code HA60 CIM-11 ne correspondait pas à un diagnostic médical, mais plutôt à un constat qui n'avait aucune valeur de maladie et ne justifiait aucune intervention à charge de l'assurance-obligatoire des soins. La chirurgie féminisante faciale n'était considérée comme une prestation obligatoire que si un certain trait du visage était si marqué qu'une vie dans le sexe souhaité devenait impossible, ce qui n'était pas le cas de l'assurée. Selon l'enquête anonyme menée auprès de l'équipe de médecins-conseils, l'assurée avait été reconnue comme une femme. Elle vivait en tant que femme et était reconnue comme telle par son entourage. Les corrections demandées étaient donc basées sur une perception subjective erronée de l'assurée et non sur des éléments objectifs.

f. Le 3 juillet 2023, l'assurée a contesté le bien-fondé et la valeur probante de l'enquête anonyme opérée par les médecins-conseils d'HELSANA. Le fait d'être socialement assignée au genre ressenti devait être analysé de son point de vue à elle et non par enquête interne. Les Drs F_____ et G_____, psychiatres, ne pouvaient pas valablement déterminer l'aspect masculin ou féminin de son visage. Il appartenait à un expert en la matière de déterminer si les éléments pour lesquels une opération était sollicitée s'apparentaient au type masculin ou féminin. Une expertise médicale devait être menée pour évaluer si le suivi psychiatrique était plus efficace, approprié et économe qu'une opération de féminisation du visage, en évaluant le type de souffrance qu'elle ressentait en raison des aspects de son visage et en indiquant si ces souffrances acquéraient le caractère d'une caractéristique sexuelle secondaire. Son suivi psychiatrique perdurait depuis plusieurs années, de sorte qu'une opération serait notamment plus économe car limitée à une fois.

g. Dans une évaluation du 18 juillet 2023, la Dre F_____ a rappelé qu'elle était chirurgienne, de sorte que l'évaluation avait été émise d'un point de vue somatique et psychiatrique. L'enquête interne menée au sein du service de médecins-conseils représentait la méthode la plus objective de l'appréciation de la situation et était conforme à la pratique du Tribunal fédéral. La mise en œuvre d'une expertise psychiatrique n'était pas pertinente dans le cas de l'assurée. Les traits du visage ne correspondaient pas à l'idée que l’intéressée se faisait de son image en tant que femme. Cette idée était subjective et principalement influencée par l'image idéale de la femme telle que véhiculée par les réseaux sociaux. L'écart entre la perception subjective et l'apparence objective n'avait aucun lien avec la dysphorie de genre. Il s'agissait d'un problème esthétique dont la correction n'impliquait aucune obligation de prestations de l'assurance-obligatoire de soins.

h. Par courrier du 26 juillet 2023, HELSANA a informé l'assurée que, par appréciation anticipée des preuves, elle renonçait à la mise en œuvre d'une expertise, suivant l'avis de la Dre F_____, étant encore précisé que l'intervention litigieuse ne relevait pas d'une question technique ou d'une évaluation médicale d'une atteinte à la santé, mais d'une appréciation très subjective d'une apparence, sur laquelle les juges et les experts pouvaient entièrement se prononcer en se basant sur des photographies.

i. Par courrier du 18 août 2023, l'assurée a maintenu sa demande de mise en œuvre d'une expertise psychiatrique.

j. Par décision du 21 septembre 2023, HELSANA a rejeté l'opposition. Les parties du visage de l'assurée dont il était question n'avaient pas un caractère typiquement masculin, de sorte qu'elles n'étaient pas incompatibles avec une apparence féminine et ne constituaient pas une particularité physique incompatible avec une apparence féminine pouvant être assimilée à un caractère sexuel secondaire. L'intervention demandée ne permettrait pas d'obtenir un bénéfice thérapeutique clair et de diminuer les souffrances de l'assurée. Les critères d'efficacité et d'adéquation n'étaient donc pas remplis. D'un point de vue psychiatrique, au vu des consultations sporadiques, soit seulement 17 depuis 2020, il ne saurait être conclu à un suivi psychiatrique régulier et conséquent. Cette absence de régularité confirmait que l'assurée ne présentait pas un trouble psychologique sévère eu égard à son image. Selon le Dr G_____, le visage de l'assurée pouvait facilement être assigné au sexe féminin et la dysphorie ne pouvait pas être considérée comme une conséquence de l'incongruité de genre. Il s'agissait plutôt du sentiment subjectif que le visage ne correspondait pas aux idéaux communs de la beauté pour lequel un soutien psychiatrique ou psychologique pouvait être requis et pour lequel les mesures chirurgicales n'étaient pas appropriées. Les appréciations des médecins-conseils aboutissaient à des résultats convaincants. Le fait que le Dr G_____ n'ait pas rencontré l'assurée n'y changeait rien, dans la mesure où il disposait d'un dossier médical complet. L'enquête anonyme au sein de son service était une pratique acceptée par les tribunaux. Quant à la mise en œuvre d'une expertise psychiatrique, celle-ci n'était pas justifiée, dans la mesure où le Dr B______ n'avait pas fait état d'un diagnostic psychiatrique ayant valeur de maladie et qu'il ne s'agissait pas de résoudre une question médicale psychiatrique, mais une appréciation très subjective d'une apparence.

C. a. Par acte du 23 octobre 2023, l'assurée, par l'intermédiaire de son avocat, a recouru auprès de la chambre des assurances sociales contre cette décision, concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens, et à la condamnation d'HELSANA à la prise en charge des frais relatifs à l'intervention chirurgicale de féminisation du visage. À titre préalable, elle a sollicité la mise en œuvre d'une expertise quant au besoin médical d'une féminisation de son visage.

La recourante a réitéré la nécessité d’ordonner une expertise avec un médecin expert en chirurgie du visage pour examiner, en utilisant des critères objectifs, si les parties du visage concernées par une éventuelle opération s'apparentaient plutôt au genre masculin ou féminin. Les médecins-conseils n'avaient pas procédé à un examen complet, ne l'ayant même pas rencontrée et n'ayant pas pris en considération ses plaintes. Elle a notamment critiqué l'enquête menée au sein du cabinet du médecin-conseil, relevant qu'un tel procédé ne correspondait pas à une analyse objective, dans la mesure où aucun critère objectif ayant fondé la conclusion de ladite enquête n'était connu et qu'aucun élément factuel objectif de la motivation n'avait été donné. De plus, aucun principe scientifique pour définir les raisons pour lesquelles son visage serait plutôt féminin ou masculin n'avait été avancé ni appliqué. Il s'agissait d'une décision arbitraire, fondée uniquement sur le ressenti de tiers mandatés par l'intimée.

Sur le fond, l'intimée devait prendre en charge l'intervention litigieuse, dès lors qu’elle était atteinte de dysphorie de genre et que deux médecins spécialistes, l'un chirurgien, l'autre psychiatre, avaient conclu que cette opération était indiquée. L'efficacité de la féminisation chirurgicale du visage des personnes atteintes de dysphorie de genre avait été reconnue selon une étude publiée en 2016.

b. Le 9 novembre 2023, l'intimée a conclu au rejet du recours.

L'enquête menée au sein du cabinet de médecins-conseils consistait à montrer de manière anonyme les photographies de la recourante à diverses personnes et à leur demander s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, ce à quoi il avait été répondu unanimement « une femme », étant relevé qu’il ne fallait pas posséder des connaissances scientifiques pour définir si un visage était masculin ou féminin. Cette enquête s’était déroulée de manière orale, sans procédure ou protocole écrit, afin d'obtenir un avis neutre de personnes non impliquées dans l'examen du dossier. La détermination sur la base de photographies avait été validée par le Tribunal fédéral. Une expertise n'était pas nécessaire, puisqu'il ne ressortait pas du dossier que la recourante présentait des troubles psychiatriques importants et récurrents. Son sentiment d'incongruence par rapport à l'aspect de son visage n’avait pas nécessité un traitement psychiatrique long, régulier et intensif. De plus, la Dre F_____ s'était déjà déterminée sur les quatre éléments en question, soit les bosses frontales, les angles mandibulaires, la région malaire et le nez, et avait affirmé qu'il ne s'agissait pas de particularités physiques spécifiquement masculines, incompatibles avec une apparence féminine. Un expert ne pourrait se prononcer que sur la base de photographies, de sorte que la mise en œuvre d'une expertise par un spécialiste en chirurgie du visage n'était pas nécessaire.

L'intimée a joint à sa réponse un bordereau de pièces comprenant notamment :

-          un listing de prestations psychologiques et psychiatriques, démontrant que la recourante avait bénéficié de six consultations en 2020, six en 2021, deux en 2022 et trois en 2023 ;

-          une évaluation médicale du 7 novembre 2023 de la Dre F_____, aux termes de laquelle il n'existait pas de critères objectifs pour juger si un visage semblait masculin ou féminin, de sorte qu'une expertise ne serait pas efficace, car elle ne refléterait que l'opinion subjective de l'expert ; l’avis selon lequel la recourante ne présentait pas de caractéristiques faciales qui l'empêcheraient de vivre en tant que femme dans la société était largement partagé ; quatre médecins-conseils et des collaborateurs ayant été interrogés avaient tous considéré que le visage de l’intéressée était reconnaissable en tant que femme.

c. Par réplique du 8 mars 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions.

Elle a joint un rapport du 2 février 2024 du docteur H_____, spécialiste en chirurgie orale et maxillo-faciale. À la suite d’une consultation de la recourante pour un avis quant aux possibilités d'une chirurgie de féminisation du visage, il considérait, sur le plan morphologique, que certains caractères masculins pouvaient être identifiés, soit les arcades sourcilières marquées avec des bosses frontales, un aplatissement malaire et des angles mandibulaires marqués. Au niveau chirurgical, pouvaient être proposés un remodelage fronto-orbitaire, une augmentation de la projection des pommettes et une réduction des angles mandibulaires.

d. Par duplique du 26 mars 2024, l'intimée a maintenu ses conclusions tendant au rejet du recours et au rejet de la demande de mise en œuvre d'une expertise médicale, tant somatique que psychiatrique. Le rapport du Dr H_____ n'apportait aucun complément ou élément nouveau, et évoquait seulement une possibilité que certains caractères masculins puissent être identifiés, le critère du nez large n'étant au demeurant plus mentionné.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans les formes et délai prescrits par la loi, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA [applicable par le renvoi de l'art. 1 al. 1 LAMal] ; art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

2.             Le litige porte sur le droit de la recourante à la prise en charge par l'intimée, à titre de prestations couvertes par la LAMal, des coûts de la chirurgie de féminisation du visage dans le cadre d'une dysphorie de genre.

3.             L'assurance-maladie sociale alloue des prestations en cas de maladie (art. 1a al. 2 let. a LAMal). Est réputée maladie toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical ou provoque une incapacité de travail (art. 3 al. 1 LPGA).

Conformément à l’art. 24 LAMal, l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des prestations définies aux art. 25 à 31 en tenant compte des conditions des art. 32 à 34 (al. 1). Les prestations prises en charge sont rattachées à la date ou à la période de traitement (al. 2).

Selon l’art. 25 LAMal, l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des prestations qui servent à diagnostiquer ou à traiter une maladie et ses séquelles (al. 1). Ces prestations comprennent notamment les examens et traitements dispensés sous forme ambulatoire, en milieu hospitalier ou dans un établissement médico-social ainsi que les soins dispensés dans un hôpital par des personnes fournissant des prestations sur prescription ou sur mandat d’un médecin ou d’un chiropraticien (al. 2 let. a ch. 3).

Aux termes de l'art. 32 al. 1 LAMal, les prestations mentionnées aux art. 25 à 31 doivent être efficaces, appropriées et économiques. L’efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques.

3.1 La notion de maladie suppose, d’une part, une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique dans le sens d’un état physique, psychique ou mental qui s’écarte de la norme et, d’autre part, la nécessité d’un examen ou d’un traitement médical. La notion de maladie est une notion juridique qui ne se recoupe pas nécessairement avec la définition médicale de la maladie (ATF 124 V 118
consid. 3b et les références). Pour qu’une altération de la santé ou un dysfonctionnement du corps humain soient considérés comme une maladie au sens juridique, il faut qu’ils aient valeur de maladie (« Krankheitswert ») ou, en d’autres termes, atteignent une certaine ampleur ou intensité et rendent nécessaires des soins médicaux ou provoquent une incapacité de travail (arrêt du Tribunal fédéral 9C_465/2010 du 6 décembre 2010 consid. 4.1).

Le transsexualisme est un phénomène pathologique ayant le caractère d'une maladie (ATF 114 V 154).

3.2 Le Tribunal fédéral a reconnu depuis longtemps la nécessité d'un traitement spécial de la question de la prise en charge des coûts dans le cadre de l’assurance obligatoire de soins en ce qui concerne la modification chirurgicale des caractères sexuels primaires et secondaires, ainsi que des particularités physiques lors du diagnostic d'une dysphorie de genre/de sexe ou d'un transsexualisme, et a développé une jurisprudence fondée dans ce contexte (arrêt du Tribunal fédéral 9C_360/2023 du 10 avril 2024 consid. 2.2.2).

Les caractères sexuels primaires différents chez les femmes et chez les hommes désignent l’ensemble des organes génitaux qui permettent la reproduction et apparaissent in utero après quelques semaines de gestation. On les distingue des caractères sexuels secondaires qui confèrent également à l’individu une apparence féminine ou masculine mais apparaissent à la puberté. Sous l’angle médical, sont notamment mentionnés à cet égard l’apparition d’une pilosité du visage ainsi que d’autres parties du corps, la mue de la voix due à une modification du larynx ou l’augmentation du volume musculaire pour les hommes et le développement de la poitrine ainsi que des capacités de sécrétion lactée ou l’apparition des cycles menstruels chez les femmes (arrêts du Tribunal fédéral 9C_123/2022 du
28 novembre 2022 consid. 3.3 ; 9C_331/2020 du 29 septembre 2020 consid. 5.2.2 avec référence au dictionnaire médical Pschyrembel Online, sous www.pschyrembel.de, ad Geschlechtsmerkmale). Les caractères sexuels secondaires peuvent également varier au sein d'un même sexe et les fourchettes d'apparence entre les sexes peuvent se chevaucher (arrêt du Tribunal fédéral 9C_269/2022 du 31 janvier 2023 consid. 2.3.1). Il existe encore des particularités physiques qui ont un rôle important du point de vue esthétique et participent en principe de l'apparence féminine ou masculine d'un individu. Il en va ainsi d'une calvitie d'une ampleur typiquement masculine (arrêt du Tribunal fédéral 9C_123/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.3 et les références).

3.3 Dans le cadre du traitement de la dysphorie de genre, l'objectif thérapeutique recherché doit être non seulement d'accéder au désir de la personne concernée de changer de sexe, mais aussi de soulager les effets négatifs du diagnostic, c'est-à-dire de procurer à la personne concernée un bien-être subjectif en éliminant ou en réduisant le malaise et la détresse cliniquement significatifs liés aux difficultés d'ordre somatique et psychique rencontrés lors d'une réassignation sexuelle. Cet objectif implique le fait de donner à la personne concernée une apparence extérieure correspondant à son nouveau sexe. Il ne relève toutefois pas du seul désir de l'intéressée. Au contraire, encore faut-il que le caractère sexuel secondaire dont la modification est envisagée présente une apparence typique de l'autre sexe que celui attribué, faute de quoi l'opération projetée relèverait de la chirurgie esthétique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_123/2022 du 28 novembre 2022
consid. 5.1).

Lorsque, en ce qui concerne les caractéristiques sexuelles secondaires et les particularités physiques, seule la morphologie est concernée (et qu'elle n'entraîne donc pas de séquelles valant maladie), la question de la prise en charge des coûts dans le cadre de l’assurance obligatoire de soins devrait être résolue en tenant compte de l'objectif général d'une intervention chirurgicale, à savoir donner à la personne concernée l'apparence extérieure de son nouveau sexe. Par conséquent, il n'est pas possible de se référer à la jurisprudence relative aux défauts esthétiques et d'exiger qu'une caractéristique sexuelle secondaire ou une particularité physique, respectivement le visage dans son ensemble, soit défigurant pour que la modification demandée puisse être considérée comme prestation obligatoire. Pour ces cas, le Tribunal fédéral a développé une jurisprudence, selon laquelle, entre autres exigences, une caractéristique sexuelle secondaire ou une particularité physique, respectivement le visage dans son ensemble (lorsqu'il s'agit de caractéristiques ou particularités du visage) doit, sur la base de la caractéristique sexuelle secondaire ou de la particularité physique, présenter d'un point de vue objectif un aspect typique du sexe d'origine, respectivement un aspect incompatible avec le nouveau sexe, afin que l'intervention en question puisse être prise en charge par l’assurance obligatoire de soins. Il s'agit ainsi de garantir que, pour les personnes transgenres, la prise en charge des coûts des mesures qui, en soi, ne constituent pas des prestations obligatoires, puisse être envisagée, étant entendu qu'il ne saurait être question d'aider les personnes concernées à atteindre une image idéale sur le plan esthétique (arrêts du Tribunal fédéral 9C_360/2023 du 10 avril 2024 consid. 2.2.2 ; 9C_269/2022 du 31 janvier 2023 consid. 2.3.3 et 3.2 ; 9C_123/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.3, 5.1 in fine et 5.2.2 ; 9C_331/2020 du 29 septembre 2020 consid. 5.2.2 et 6.2.2 ; 9C_255/2016 du
17 février 2017 consid. 3.2, 5.2 et 6.1).

Étant donné que l'apparence des caractères sexuels secondaires peut présenter une grande variabilité, même au sein du même sexe, et que les fourchettes d'apparence peuvent se recouper chez les hommes et les femmes, il faut, selon la jurisprudence, qu'un caractère sexuel secondaire dont la modification est demandée présente une apparence typique du sexe d'origine pour que l'opération ne puisse pas être qualifiée de chirurgie esthétique (non prise en charge par l'assurance obligatoire des soins). Dans le contexte d'une dysphorie de genre avec indication d'une opération de réassignation sexuelle, une particularité physique incompatible avec l'apparence féminine ou masculine recherchée doit ensuite être assimilée à une caractéristique sexuelle secondaire (arrêts du Tribunal fédéral 9C_269/2022 du 31 janvier 2023 consid. 2.3.3 ; 9C_123/2022 du
28 novembre 2022 consid. 3.3 et consid. 5.1 in fine).

En résumé, si seule la morphologie est concernée, l'obligation de fournir des prestations dans le cadre de l'assurance obligatoire des soins pour une adaptation chirurgicale n'entre pas en ligne de compte lorsque l'apparence d'une caractéristique sexuelle secondaire ou d'une particularité physique ne peut pas (plus) être qualifiée de typique du sexe d'origine, respectivement ne peut pas (plus) être qualifiée d'incompatible avec le nouveau sexe recherché. L'appréciation à cet égard doit notamment être effectuée d'un point de vue objectif (arrêts du Tribunal fédéral 9C_269/2022 du 31 janvier 2023 consid. 2.3.3 ; 9C_123/2022 du 28 novembre 2022 consid. 5.1 in fine et consid. 5.2.2).

3.4 Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de relever que le visage humain est d'une importance capitale pour l'identité individuelle et fait partie des premiers aspects physiques perçus par les autres personnes lors des rencontres sociales. L'apparence du visage, y compris sa taille et sa forme, varie considérablement d'une personne à l'autre et se compose d'une structure stratifiée complexe d'os, de muscles, de graisse et de peau. Cette structure globale est influencée par une multitude de facteurs, dont la génétique, l'ethnie, l'âge et le sexe. L'apparence du visage joue un rôle clé dans la reconnaissance et le codage inconscients de l'identité sexuelle, sur la base de la présence de dimorphismes sexuels identifiables dans la structure du visage. L'apparence globale masculine ou féminine devrait être considérée comme la somme de plusieurs différences mesurables dans la structure du visage (arrêt du Tribunal fédéral 9C_269/2022 du 31 janvier 2023 consid. 2.3.2 et les références).

Le Tribunal fédéral a rendu plusieurs arrêts récents concernant des féminisations du visage et leurs prises en charge par l'assurance obligatoire des soins.

À titre d'exemples, dans un arrêt du 10 avril 2024, était litigieuse la question de savoir si l'assurance obligatoire des soins était tenue de prendre en charge le coût des mesures de féminisation du visage demandées par la recourante souffrant d'une dysphorie de genre, à savoir le perçage de la proéminence supra-orbitaire, la rhinoseptoplastie de féminisation et le contour de la mâchoire inférieure par meulage. Le Tribunal fédéral a retenu que les médecins traitants n'avaient pas établi de lien entre l'aspect qu'ils estimaient masculin du visage et le nez ou la mâchoire inférieure, quand bien même ils connaissaient manifestement la nécessité d'une justification à cet égard puisqu'ils avaient établi un lien correspondant s’agissant de l’intervention sur la proéminence supraorbitaire. Il a également jugé que la recourante ne pouvait rien déduire de la littérature spécialisée sur l'apparence du nez, car cela ne disait rien sur l'apparence du visage dans son ensemble. Il a conclu que le tribunal cantonal n'avait pas violé le droit en refusant d'accorder des prestations dans le cadre de l'assurance obligatoire des soins pour les interventions sur la mâchoire inférieure et sur le nez. S'agissant du front, le Tribunal fédéral a examiné si le visage de l’intéressée apparaissait comme typiquement masculin, respectivement incompatible avec un visage féminin, en raison de la proéminence supra-orbitaire. Il a relevé que les médecins traitants avaient répondu par l'affirmative à cette question en se référant à un scanner du crâne, mais que les deux médecins-conseils de l’assureur ne percevaient pas le visage comme masculin. Il a alors relevé que le tribunal cantonal aurait dû procéder à une appréciation sur ce point et qu'il aurait été souhaitable d'évaluer la documentation photographique du visage de la recourante figurant au dossier. Il a ensuite retenu que les appréciations des médecins-conseils sur la base de la documentation photographique devaient être approuvées, précisant que celles-ci ne devaient pas nécessairement être faites par des spécialistes en chirurgie ou en psychiatrie et psychothérapie après leur propre examen. Étant donné que la demande se référait uniquement à l'image du crâne pour expliquer pourquoi le visage paraissait masculin, cette prise de position ne pouvait servir de base pour une appréciation objective de l'apparence extérieure du visage. Le Tribunal fédéral a également précisé ce qu'il entendait par critère objectif selon lequel il convenait d'évaluer si l'apparence d'un caractère sexuel secondaire, d'une particularité physique ou du visage dans son ensemble était incompatible avec le sexe recherché, respectivement correspondait typiquement au sexe d'origine. Avant tout, ce n'était pas à la personne concernée de répondre seule à cette question, mais c'était la réaction de l'environnement social et donc de la société qui contribuait de manière essentielle à déterminer le bien-être que l'on éprouve face à son corps et son visage. Ainsi, pour garantir l'objectivité, il était souhaitable de disposer du plus grand nombre possible d'appréciations d'origines diverses afin de pouvoir répondre à cette question. Sur la base de ces éléments, le Tribunal fédéral a conclu que l'instance cantonale n'avait pas violé le droit en refusant la prise en charge des coûts par l'assurance obligatoire des soins du perçage de la proéminence supra-orbitaire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_360/2023 du
10 avril 2024).

Dans un autre arrêt, le Tribunal fédéral a examiné la question de savoir si c'était à bon droit que l'instance cantonale avait refusé la prise en charge par l'assurance obligatoire des soins d'une opération du Bullhorn Lip-Lift sur une personne atteinte de dysphorie de genre. Le Tribunal fédéral a tout d'abord rappelé qu'un caractère sexuel secondaire dont la modification était demandée devait également présenter une apparence typique du sexe d'origine pour que l'opération ne puisse être qualifiée de chirurgie esthétique. Ensuite, il a considéré que l'instance cantonale n'avait pas versé dans l'arbitraire en retenant que la longueur du philtrum de la recourante n'atteignait pas un niveau typiquement masculin, respectivement qu'elle n'était pas incompatible avec une apparence féminine. Outre une étude de 2002, l'instance cantonale avait pris en compte les différents avis médicaux et motivé de manière concluante pourquoi l'appréciation des médecins traitants ne pouvait être suivie. Le Tribunal fédéral a rajouté qu'il ne pouvait d'autant moins conclure à l'arbitraire au vu des photographies du visage de la recourante avant l'opération figurant au dossier et précisé que, s'agissant du visage, il fallait tenir compte de la manière dont la caractéristique en question faisait apparaître le visage dans son ensemble d'un point de vue objectif,
c'est-à-dire selon le point de vue d'un observateur impartial (arrêt du Tribunal fédéral 9C_269/2022 du 31 janvier 2023 ; RSAS 2023 pp. 304 – 306).

Dans un arrêt du 28 novembre 2022, le Tribunal fédéral s'est penché sur le cas d'une personne qui, à la suite d'une dysphorie de genre, avait requis la prise en charge par l'assurance obligatoire des soins d'une chirurgie faciale consistant en un rabotage de l'arcade sourcilière afin de féminiser le front. Le Tribunal fédéral a laissé indécise la question de savoir si les arcades sourcilières devaient être qualifiées de caractère sexuel secondaire ou de particularité physique ayant un rôle important du point de vue esthétique et participant en principe de l'apparence féminine ou masculine d'un individu. Il a considéré que dans les deux hypothèses, une intervention complémentaire ne pouvait être mise à la charge de l'assurance obligatoire des soins que pour autant que les conditions de l'art. 32 al. 1 LAMal soient réalisées. Or, le Tribunal fédéral a retenu que l'intervention litigieuse n'était pas nécessaire pour atteindre l'objectif thérapeutique visé dans le cadre du traitement de dysphorie de genre, à savoir principalement le fait de donner à la personne concernée une apparence extérieure correspondant à son nouveau sexe. Pour parvenir à la conclusion que la protubérance des arcades sourcilières de la recourante n'était pas incompatible avec une apparence féminine, l'instance cantonale avait apprécié les différents rapports médicaux versés au dossier ainsi que les photographies prises par le médecin avant et après l'intervention chirurgicale, et retenu qu'il n'était pas établi que la protubérance des arcades sourcilières de la recourante était incompatible avec une apparence féminine. Le Tribunal fédéral a jugé que cette appréciation n'était pas arbitraire, précisant que les juges cantonaux avaient par ailleurs eux-mêmes apprécié les photographies au dossier. De plus, le Tribunal fédéral a relevé que compte tenu des différents avis médicaux, ainsi que des autres pièces au dossier, la juridiction cantonale était en droit de se forger une conviction sans nouvelle mesure d'instruction (arrêt du Tribunal fédéral 9C_123/2022 du 28 novembre 2022).

4.             La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l’accident, l’incapacité de travail, l’invalidité, l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale) supposent l’instruction de faits d’ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l’assuré à des prestations, l’administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir. L’appréciation des données médicales revêt ainsi une importance d’autant plus grande dans ce contexte.

Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie librement les preuves médicales qu’il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle qu’en soit la provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S’il existe des avis contradictoires, il ne peut trancher l’affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu’une autre. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, ce qui est déterminant c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et qu’enfin, les conclusions de l’expert soient dûment motivées. Au demeurant, l’élément déterminant pour la valeur probante n’est ni l’origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 125 V 351 consid. 3).

5.             Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu’il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu’ils n’auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu’il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3).

6.             En l’espèce, la recourante reproche à l'intimée d'avoir refusé de prendre en charge les interventions d'augmentation de la projection des malaires à l'aide d'une prothèse ou de transfert de tissu adipeux, de réduction des angles mandibulaires par ostéotomie, de remodelage fronto-orbitaire, ainsi que d'une rhinoplastie d'adaptation. Selon elle, ces opérations visent à la correction des caractères typiquement masculins de ses bosses frontales, de ses angles mandibulaires bien marqués, de sa région malaire aplatie et de son nez large.

L'intimée soutient pour sa part que les traits pour lesquels l'intervention est sollicitée ne présentent pas de caractère typiquement masculin et ne constituent pas une particularité physique incompatible avec une apparence féminine pouvant être assimilée à un caractère sexuel secondaire.

6.1 La chambre de céans rappelle qu’il n’est pas contesté que la recourante présente une dysphorie de genre ou transsexualisme (F 64.0).

S'agissant des interventions sollicitées par la recourante, celles-ci s'inscrivent dans le cadre d'une adaptation de la morphologie du visage, soit sa féminisation. Il convient par conséquent d'examiner si les différentes régions concernées peuvent être qualifiées de typiquement masculines et sont incompatibles avec une apparence féminine en se fondant sur les critères objectifs développés par la jurisprudence du Tribunal fédéral à cet égard.

6.2 Dans la demande de prise en charge de l'intervention de féminisation du visage du 20 mai 2021 adressée à l'intimée, le Dr B______ a expliqué que cette opération était indiquée dans le but de permettre à la recourante de « vivre son corps » de manière plus harmonieuse avec son identité de genre et d'améliorer son état psychologique. Selon le certificat médical de ce médecin du 29 avril 2021, la patiente relatait une dysphorie de genre « par rapport aux caractéristiques masculines de son visage ». Le fait de « percevoir » ces dernières la renvoyait à son corps biologique masculin et réactivait l'incongruence entre son corps et son identité. Le Dr B______ a également fait état, dans son courrier du
21 avril 2023, d'une incongruence de genre chronique et marquée de sa patiente en lien avec les caractéristiques masculines de son visage. Il a exposé que celle-ci « vivait son visage comme incompatible » avec son appartenance féminine, évitait les situations sociales nouvelles, car des remarques sur les caractéristiques masculines de son visage lui étaient souvent adressées. Il a mentionné que la reconnaissance en tant que femme s’apparentait à un « critère esthétique et subjectif, et non à des critères médicaux ». Dans ses rapports, le Dr B______ a ainsi surtout mis l'accent sur la perception que la recourante avait elle-même de ses traits du visage, sans toutefois expliquer en quoi ce dernier serait incompatible, d'un point de vue objectif, avec une apparence féminine ou apparaîtrait comme typiquement masculin.

Quant au Dr C______, il a décrit, dans sa lettre du 12 mai 2021, « les bosses frontales, les angles mandibulaires bien marqués, la région malaire aplatie et un nez large » de la recourante comme étant « des caractères typiquement
masculins », ajoutant que « ces caractères ont été clairement identifiés et décrits dans de nombreuses publications scientifiques ». Ainsi, le Dr C______ s’est contenté d’affirmer que les régions pour lesquelles une intervention était sollicitée correspondaient à des caractères typiquement masculins, sans discuter aucunement d’éléments objectifs et sans développer la littérature médicale à laquelle il se réfère. De surcroît, il ne ressort pas de ses indications, au demeurant très sommaires, que les traits du visage de la recourante, dans son ensemble, seraient incompatibles avec une apparence féminine.

Le Dr H_____ n'a pas non plus donné de plus amples informations, dans la mesure où il a considéré que certains caractères masculins pouvaient être identifiés, sans se livrer à une appréciation globale du visage de la recourante et sans livrer d’élément objectif permettant de retenir que les particularités physiques en question seraient inconciliables avec une physionomie féminine.

Ces différents rapports ne permettent donc pas de conclure que les parties du visage pour lesquelles la recourante souhaite procéder à une intervention chirurgicale seraient, in casu, incompatibles avec une apparence féminine.

6.3 Plusieurs médecins-conseils de l'intimée ont été appelés à se prononcer sur le dossier de la recourante. Tous ont examiné la documentation photographique, qui comporte plusieurs clichés pris sous divers angles, de face et de profil. Ils ont expliqué que les régions du visage visées par l’intervention litigieuse n’étaient pas des parties typiquement masculines et estimé que l'aspect du visage de la recourante n'était pas incompatible avec une apparence féminine.

Cette appréciation est partagée par la chambre de céans au regard des photographies présentes au dossier.

6.4 Il sied également d'ajouter que, contrairement à ce que fait valoir la recourante, il n'appartient pas à un expert en chirurgie du visage de déterminer si les traits que l’intéressée souhaite modifier s'apparentent au type masculin ou féminin. En effet, conformément à la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, l'évaluation de l'apparence d'un caractère sexuel secondaire ou d'une particularité physique du visage n'est pas une question purement médicale, de sorte qu'il n'appartient pas à des médecins spécialistes de répondre à cette question, étant rappelé que le tribunal lui-même peut émettre une appréciation.

La recourante soutient également que sa demande repose sur une indication médicale claire, fondée sur le diagnostic de dysphorie de genre, dont le but est la diminution sensible de sa détresse liée à cette atteinte, de sorte que la prise en charge aurait dû être analysée sous un angle psychiatrique et non pas purement esthétique. Or, le fait qu'une féminisation du visage constitue, de l'avis des praticiens, une mesure efficace pour réduire les troubles psychiques dues à la dysphorie de genre ne justifie pas, à lui seul, un droit à la prise en charge des coûts. Une telle prise en charge n'entre en ligne de compte que s'il est établi au préalable qu'il s'agit d'une intervention complétant le changement de sexe et portant sur une caractéristique objectivement incompatible avec l'apparence du nouveau sexe, ce qui n'est pas établi en l’espèce, comme précédemment observé. Dès lors que l'aspect extérieur de son visage n'apparaît pas comme incompatible avec le genre féminin, le ressenti de la personne assurée n'a pas à être pris en considération, cette question devant être examinée sous l'angle de l'adéquation et l'efficacité du traitement uniquement lorsque l'intervention sollicitée est à la charge de l'assurance obligatoire des soins (cf. ATAS/1372/2021 du 16 décembre 2021 consid. 10b).

Enfin, l’arrêt cantonal cité par la recourante (ATAS/423/2018 du 22 mai 2018) ne lui est d’aucun secours. En effet, dans un arrêt de principe du 16 décembre 2021 (ATAS/1372/2021, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_123/2022 précité), la chambre de céans a considéré que les arcades sourcilières, tout comme la structure osseuse dans son ensemble, ne correspondaient pas à la définition restrictive des caractères sexuels secondaires appliquée par le Tribunal fédéral, rendant caduque sa jurisprudence antérieure qualifiant l'arcade sourcilière de caractère sexuel (ATAS/423/2018).

6.5 Au vu de ce qui précède, il ne peut être admis que l'intervention de féminisation du visage telle que sollicitée par la recourante soit à la charge de l'assurance obligatoire des soins.

7.             Partant, le recours sera rejeté.

La procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

 

Joanna JODRY

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le