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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2975/2023

ATAS/325/2024 du 13.05.2024 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2975/2023 ATAS/325/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 13 mai 2024

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

représenté par APAS-Association pour la permanence de défense des patients et assurés, mandataire

 

recourant

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1975, originaire d’Espagne, séparé, père de deux enfants, au bénéfice d’une autorisation d’établissement C, est titulaire d’un diplôme de comptable (IFAGE Genève, 2010), d’un baccalauréat en sciences (Espagne, 1996) et d’un diplôme de guitariste (Boston, 2014).

b. Le 30 novembre 2015, l’assuré a déposé une demande de prestations d’invalidité, en invoquant un syndrome radiculaire, une carence en vitamine D, une rhino-conjonctivite et un épisode dépressif sévère, puis moyen.

B. a. Du 17 septembre au 7 octobre 2014, l’assuré a été hospitalisé à la clinique genevoise de Montana pour un épisode dépressif modéré à sévère.

b. Le 15 avril 2016, la docteure B______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a rempli un rapport médical AI, attestant d’un état dépressif chronique modéré à sévère depuis l’adolescence et d’une incapacité de travail de 50% dès décembre 2014.

c. A la demande de l’office cantonal de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI), les docteurs C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et D______, spécialiste FMH en rhumatologie, ont rendu une expertise bidisciplinaire le 19 octobre 2018.

L’expert psychiatre a retenu un diagnostic de dysthymie et une capacité de travail totale. L’expert rhumatologue a conclu à une capacité de travail de 100% comme comptable.

d. A la demande du service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR), le Dr C______ a précisé, le 4 février 2019, qu’il n’avait pas retenu de trouble somatoforme car il existait certes des douleurs diffuses mais sans connotation affective (sentiment de détresse).

e. Le 13 février 2019, le SMR a retenu une capacité de travail nulle comme livreur, mais de 100% comme comptable.

f. Par décision du 27 juin 2019, l’OAI a rejeté la demande de rente d’invalidité et de mesures professionnelles.

g. Le 16 janvier 2023, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations, en invoquant une fibromyalgie et en transmettant un rapport de la docteure E______, spécialiste FMH en médecine interne, du 12 décembre 2022.

h. Le 7 février 2023, l’OAI a invité l’assuré à lui communiquer tout document médical rendant plausible une aggravation de son état de santé.

i. Le 3 mars 2023, la Dre B______ a rempli un rapport médical AI, attestant d’un diagnostic d’épisode dépressif sans précision et de troubles du spectre autistique, syndrome d’Asperger (ci-après : TSA). Le status était le même qu’en 2016, mais à l’époque elle ne disposait pas des éléments suffisants pour poser le diagnostic de TSA. L’assuré pouvait présenter des épisodes de dépersonnalisation. Il sortait uniquement pour ses rendez-vous médicaux et n’arrivait plus à jouer de la guitare. En raison du TSA, il présentait des difficultés au niveau des interactions sociales, de sa capacité d’adaptation et de la gestion du stress. La capacité de travail était nulle.

Elle constatait une péjoration de l’état psychique.

j. Le 23 mars 2023, le SMR a estimé que les rapports médicaux fournis ne démontraient pas une aggravation de l’état de santé de l’assuré.

k. Par projet de décision du 4 avril 2023, l’OAI a refusé d’entrer en matière sur la demande de prestations, l’examen du dossier n’ayant montré aucun changement.

l. Les 19 et 26 juin 2023, l’assuré s’est opposé au projet de décision, en relevant que le TSA était une infirmité congénitale et que la Dre B______ avait bien mentionné une aggravation de son état de santé avec une capacité de travail nulle, alors qu’elle l’avait antérieurement fixée à 50%.

m. Par décision du 27 juillet 2023, l’OAI a refusé d’entrer en matière sur la nouvelle demande de l’assuré, en considérant que le nouveau diagnostic ne suffisait pas pour admettre l’existence d’un fait nouveau ou d’un nouveau moyen de preuve susceptible d’entrainer une révision procédurale.

C. a. Le 14 septembre 2023, l’assuré, représenté par un avocat, a recouru à l’encontre de la décision précitée, en concluant à son annulation et à ce que l’OAI se détermine formellement sur la demande de reconsidération.

L’aggravation de son état de santé était plausible, le Dre B______ l’ayant attestée.

b. Le 16 octobre 2023, l’OAI a conclu au rejet du recours, au motif que l’état de l’assuré sur le plan clinique n’avait pas changé, le TSA n’entrainait pas de nouvelle limitation fonctionnelle et datait du jeune âge de l’assuré.

c. Le 13 novembre 2023, l’assuré a répliqué, en relevant qu’il avait présenté une détresse profonde suite à sa séparation, en 2022.

d. Le 14 décembre 2023, l’OAI a persisté dans sa décision.

e. Le 26 décembre 2023, l’assuré a persisté dans ses conclusions et communiqué une demande de la Dre B______ du 26 septembre 2023 afin que son TSA soit évalué auprès de l’unité de psychiatrie du développement mental des hôpitaux universitaires de Genève, en mentionnant les difficultés suivantes : perturbation des fonctions exécutives, difficulté à gérer les interactions sociales, l’assuré n’arrivait pas à anticiper ni décoder les intentions ou les réactions de son interlocuteur, l’assuré évitait le contact visuel, hypersensibilité sensorielle et émotionnelle et épisodes de dépersonnalisation lorsque l’assuré était submergé par ses émotions.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 LPGA).

3.             Le litige porte sur le bien-fondé du refus de l'intimé d'entrer en matière sur la nouvelle demande de prestations du recourant.

4.              

4.1 Selon l'art. 87 al. 2 et 3 du règlement sur l'assurance-invalidité (RAI), dans sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2012, lorsqu'une demande de révision est déposée, celle-ci doit établir de façon plausible que l'invalidité, l'impotence ou l'étendue du besoin de soins ou du besoin d'aide découlant de l'invalidité de l'assuré s'est modifiée de manière à influencer ses droits (al. 2). Lorsque la rente, l'allocation pour impotent ou la contribution d'assistance a été refusée parce que le degré d'invalidité était insuffisant, parce qu'il n'y avait pas d'impotence ou parce que le besoin d'aide ne donnait pas droit à une contribution d'assistance, la nouvelle demande ne peut être examinée que si les conditions prévues à l'al. 2 sont remplies (al. 3).

La jurisprudence développée sous l'empire de l'art. 87 al. 3 et 4 RAI, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2011, reste applicable à l'art. 87 al. 2 et 3 RAI modifié dès lors que la demande de révision doit répondre aux mêmes critères.

4.2 L’exigence de l’art. 87 al. 3 RAI (ATF 109 V 262 consid. 3 p. 264 s.) doit permettre à l'administration, qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force, d'écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l'assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 125 V 410 consid. 2b p. 412 ; ATF 117 V 198 consid. 4b p. 200 et les références). Lorsqu'elle est saisie d'une nouvelle demande, l'administration doit commencer par examiner si les allégations de l'assuré sont, d'une manière générale, plausibles. Si tel n'est pas le cas, l'affaire est liquidée d'entrée de cause et sans autres investigations par un refus d'entrée en matière. A cet égard, l'administration se montrera d'autant plus exigeante pour apprécier le caractère plausible des allégations de l'assuré que le laps de temps qui s'est écoulé depuis sa décision antérieure est bref. Elle jouit sur ce point d'un certain pouvoir d'appréciation que le juge doit en principe respecter. Ainsi, le juge ne doit examiner comment l'administration a tranché la question de l'entrée en matière que lorsque ce point est litigieux, c'est-à-dire quand l'administration a refusé d'entrer en matière en se fondant sur l'art. 87 al. 4 RAI et que l'assuré a interjeté recours pour ce motif. Ce contrôle par l'autorité judiciaire n'est en revanche pas nécessaire lorsque l'administration est entrée en matière sur la nouvelle demande (ATF 109 V 108 consid. 2b p. 114).

4.3 Le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par l'autorité (cf. art. 43 al. 1 LPGA), ne s'applique pas à la procédure de l'art. 87 al. 3 RAI (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5 p. 68 s.). Eu égard au caractère atypique de celle-ci dans le droit des assurances sociales, le Tribunal fédéral a précisé que l'administration pouvait appliquer par analogie l'art. 73 aRAI (cf. art. 43 al. 3 LPGA depuis le 1er janvier 2003) - qui permet aux organes de l'AI de statuer en l'état du dossier en cas de refus de l'assuré de coopérer - à la procédure régie par l'art. 87 al. 3 RAI, à la condition de s'en tenir aux principes découlant de la protection de la bonne foi (cf. art. 5 al. 3 et 9 Cst. ; ATF 124 II 265 consid. 4a p. 269 s.). Ainsi, lorsqu'un assuré introduit une nouvelle demande de prestations ou une procédure de révision sans rendre plausible que son invalidité s'est modifiée, notamment en se bornant à renvoyer à des pièces médicales qu'il propose de produire ultérieurement ou à des avis médicaux qui devraient selon lui être recueillis d'office, l'administration doit lui impartir un délai raisonnable pour déposer ses moyens de preuve, en l'avertissant qu'elle n'entrera pas en matière sur sa demande pour le cas où il ne se plierait pas à ses injonctions. Enfin, cela présuppose que les moyens proposés soient pertinents, en d'autres termes qu'ils soient de nature à rendre plausibles les faits allégués.

L'exigence du caractère plausible de la nouvelle demande selon l'article 87 RAI ne renvoie pas à la notion de vraisemblance prépondérante usuelle en droit des assurances sociales. Les exigences de preuves sont, au contraire, sensiblement réduites en ce sens que la conviction de l'autorité administrative n'a pas besoin d'être fondée sur la preuve pleinement rapportée qu'une modification déterminante est survenue depuis le moment auquel la décision refusant les prestations a été rendue. Des indices d'une telle modification suffisent alors même que la possibilité subsiste qu'une instruction plus poussée ne permettra pas de l'établir (Damien VALLAT, La nouvelle demande de prestations AI et les autres voies permettant la modification de décisions en force, RSAS 2003, p. 396 ch. 5.1 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_596/2019 du 15 janvier 2020).

Lors de l'appréciation du caractère plausible d'une modification déterminante des faits influant sur le droit aux prestations, on compare les faits tels qu'ils se présentaient au moment de la décision administrative litigieuse et les circonstances prévalant à l'époque de la dernière décision d'octroi ou de refus des prestations (ATF 130 V 64 consid. 2 ; ATF 109 V 262 consid. 4a).

 

 

Le juge doit examiner la situation d'après l'état de fait tel qu'il se présentait à l'administration au moment où celle-ci a statué (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5 p. 68 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_708/2007 du 11 septembre 2008 consid. 2.3 ; I 2/03 du 16 janvier 2004 consid. 2.2 ; 9C_789/2012 du 27 juillet 2013, consid. 2). Son examen se limite, ainsi, au point de savoir si les pièces déposées en procédure administrative justifient ou non la reprise de l'instruction du dossier (ATF 9C_789/2012 du 27 juillet 2013, consid. 4.1). Il ne sera donc pas tenu compte des rapports produits postérieurement à la décision litigieuse (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5 ; ATF 121 V 366 consid. 1b et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 9C 959/2011 du 6 août 2012 consid. 4.3).

5.              

5.1 En l’occurrence, le recourant a fourni un rapport de la Dre B______ du 3 mars 2023, lequel, tout en mentionnant que le status était le même que celui décrit en 2016, atteste d’un diagnostic de TSA et d’une péjoration de l’état psychique du recourant. Il a également transmis, dans le cadre de la présente procédure, soit postérieurement à la décision litigieuse, une demande d’évaluation de son TSA. Cette pièce ne peut cependant, en application de la jurisprudence précitée, être prise en compte.

5.2 L’intimé conteste toute aggravation de l’état de santé du recourant, au motif que le diagnostic de TSA existait déjà lors du prononcé de sa décision de 2019.

5.3 La chambre de céans constate que l’aggravation alléguée par la psychiatre traitante est corroborée par la description des restrictions mentales et psychiques du recourant, lesquelles étaient limitées, dans le rapport de cette dernière du 15 avril 2016, à une incapacité à se concentrer, à s’organiser, à respecter un cahier des charges, alors qu’en 2023, la Dre B______ relevait des limitations de la capacité d’adaptation, des interactions sociales et de la gestion du stress. L’assuré avait des difficultés à anticiper les réactions et comportements d’autrui. Il présentait par ailleurs une grande détresse suite à sa séparation en 2022. En outre, le fait de n’avoir diagnostiqué un TSA que tardivement contribuait à aggraver le diagnostic. La description d’une journée-type attestait également d’une aggravation de l’état de santé du recourant, dès lors qu’il ne sortait que pour ses rendez-vous médicaux, ne faisait plus de guitare et plus de sport ; il cherchait intimement à s’isoler. Or, lors de l’expertise du Dr C______, celui-ci décrivait un assuré qui pratiquait encore la musique, jouait de la guitare électrique, ce qui lui faisait plaisir (expertise du Dr C______, p. 6). Enfin, la Dre B______, alors qu’elle attestait d’une capacité de travail de 50% dans son rapport du 15 avril 2016, l’estime comme totalement nulle le 3 mars 2023.

Au vu de ce qui précède, il convient de retenir que le rapport médical de la Dre B______ de 2023 a rendu plausible une aggravation de l’état de santé du recourant.

Partant, l’intimé doit entrer en matière sur la demande de prestations.

6.             Le recours sera admis, la décision litigieuse annulée et la cause renvoyée à l’intimé pour instruction et nouvelle décision.

Le recourant obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision du 27 juillet 2023 de l’intimé.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour instruction et nouvelle décision.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le