Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/455/2025 du 29.04.2025 ( LIPAD ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2752/2024-LIPAD ATA/455/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 29 avril 2025 |
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dans la cause
A______ SA
et
B______ SA recourantes
représentées par Me Philippe PROST, avocat
contre
DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé
A. a. A______ SA et B______ SA (ci-après : les requérantes ou les recourantes) sont deux sociétés anonymes ayant leur siège à Genève et qui sont actives dans l’organisation d’obsèques depuis plusieurs années.
b. C______ SA (ci-après : C______) a son siège dans le canton de Genève depuis octobre 2022. Son but social est notamment l’exploitation d’une entreprise de pompes funèbres et diverses activités qui y sont associées. L’administratrice présidente, D______, et l’administrateur, E______, disposent de la signature collective à deux.
B. a. Par courrier du 14 août 2023, les requérantes ont interpellé le département des institutions et du numérique (dénommé auparavant le département de la sécurité, de la population et de la santé ; ci-après : le département). Elles souhaitaient savoir si C______ avait été autorisée à exploiter une entreprise de pompes funèbres. Si tel était le cas, elles demandaient à avoir accès à tous les documents du dossier d’autorisation d’exploiter délivrée à cette société, y compris l’autorisation d’exploiter.
b. Le 4 septembre 2023, la responsable juridique du département a répondu par l’affirmative à la question des requérantes. Elle les a également informées que leur demande d’accès au dossier devrait être préalablement soumise à la société concernée.
c. Le 6 septembre 2023, ladite responsable a informé C______ de la demande des requérantes et lui a fixé un délai pour se déterminer. C______ y a répondu le 27 septembre 2023.
d. Le 15 septembre 2023, C______ a demandé au département si les requérantes avaient obtenu l’autorisation de « pratique » et sollicité l’accès à leur dossier d’autorisation d’exploiter, ce dont les requérantes ont été informées.
e. Les requérantes ont relancé le département à plusieurs reprises, entre les 12 octobre 2023 et 2 février 2024, date à laquelle elles ont mis en demeure le département de répondre à leur demande dans un délai fixé au 15 février 2024.
f. Après avoir consulté C______, la responsable juridique du département a, le 14 février 2024, transmis aux requérantes l’arrêté du 25 octobre 2022 du département autorisant E______ à exploiter une entreprise de pompes funèbres pour le compte d’C______, en caviardant l’adresse de celui-là.
Selon cet arrêté, E______ était directeur d’C______, remplissait les conditions personnelles prévues à l’art. 9A al. 2 let. a à e de la loi sur les cimetières du 20 septembre 1876 (LCim - K 1 65) et était la personne physique responsable de cette société.
La responsable juridique du département a également informé les requérantes que le reste du dossier administratif constituant le dossier d’autorisation ne devait pas leur être communiqué dans la mesure où il comportait des données personnelles relevant de la sphère privée tant de la personne morale que de la personne physique concernée. Elles pouvaient saisir le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : le préposé cantonal) dans un délai de dix jours. Copie de ce courrier était adressée à C______.
g. Le 11 mars 2024, les requérantes se sont opposées à la demande d’accès à leurs dossiers d’autorisation formulée par C______. Cette demande était « purement chicanière » et ne répondait à aucun intérêt public ou privé. Elles invoquaient des motifs tenant à la protection de la sphère privée et que cet accès mettrait un concurrent en possession d’informations auxquelles il n’aurait pas accès dans le cours ordinaire des choses.
h. Par courriers séparés du 27 mars 2024, la responsable juridique du département a informé les requérantes et C______ qu’elles pouvaient saisir le préposé cantonal dans un délai de dix jours. Elle estimait que compte tenu de l’opposition des requérantes à la demande d’C______, seules les autorisations accordées aux requérantes pouvaient être transmises à cette dernière, à l’exclusion des dossiers y afférents.
i. À la suite de la demande du 23 février 2024 des requérantes auprès du préposé cantonal, une médiation a eu lieu le 17 avril 2024, en présence de ces dernières, de la responsable juridique du département et de la préposée adjointe à la protection des données et à la transparence (ci-après : la préposée adjointe).
j. Par courrier de ce même jour, la responsable juridique du département a informé C______ et E______ de la médiation précitée et du fait que les requérantes souhaitaient savoir si ce dernier était au bénéfice d’une formation ou expérience suffisante, au sens de l’art. 9A al. 2 let. e LCim, condition qui avait été vérifiée pour l’obtention de l’autorisation délivrée le 25 octobre 2022.
Elle précisait la teneur de l’art. 24 du règlement d’exécution de la loi sur les cimetières du 16 juin 1956 (RCim - K 1 65.01), qui exigeait de l’entrepreneur d’être au bénéfice d’un brevet fédéral d’entrepreneur de pompes funèbres délivré par le secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation, ou au bénéfice d’une expérience d’au moins cinq ans dans une entreprise de pompes funèbres.
Elle leur a fixé un délai pour qu’ils lui indiquent s’ils l’autorisaient à remettre aux requérantes « le document qui, dans leur dossier d’autorisation, permettait d’attester de la réalisation de cette condition », l’absence de réponse équivalant à une opposition à cette communication.
k. Le 24 avril 2024, C______, représentée par ses deux administrateurs, s’est opposée à la transmission dudit document et a relancé le département au sujet de sa propre demande d’accès aux dossiers d’autorisation des requérantes.
l. Par courrier du 15 mai 2024, la responsable juridique du département a informé les requérantes du refus précité de E______ quant à la transmission du document attestant de la réalisation de la condition posée par l’art. 24 RCim. Elle les a également informées qu’elles pouvaient saisir le préposé cantonal dans un délai de dix jours.
m. La médiation n’ayant pas abouti, la préposée adjointe a, le 16 mai 2024, transmis le dossier au préposé cantonal pour recommandation.
n. Le préposé cantonal a, le 12 juin 2024, pris connaissance du dossier querellé, sollicité auprès du département, et, le 17 juin 2024, rendu une recommandation, invitant ce dernier à refuser l’accès au dossier d’autorisation d’exploiter octroyée à C______ et à rendre une décision dans un délai de dix jours. Cette recommandation a été notifiée aux requérantes et au département.
o. Par décision du 24 juillet 2024 et conformément à cette recommandation, le département, par l’intermédiaire de sa responsable juridique, a refusé aux requérantes l’accès au dossier administratif d’C______ en vertu des art. 26 al. 2 let. f et 39 al. 9 let. b de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08).
L’intérêt privé de E______ et d’C______ à la protection de leurs données personnelles contenues dans le dossier litigieux était prépondérant à celui invoqué par les requérantes voulant « s’assurer que la société et l’administrateur satisfaisaient à toutes les conditions légales nécessaires à l’exploitation d’une entreprise de pompes funèbres, domaine particulièrement sensible pour le public ».
Le département était l’autorité compétente pour la délivrance de l’autorisation d’exploiter une entreprise de pompes funèbres conformément à l’art. 9A al. 1 LCim. Il lui appartenait de vérifier si les conditions posées par les art. 9A al. 2 LCim et 24 RCim étaient remplies. Il ne serait pas admissible qu’une personne privée cherche à interférer dans un tel processus, sous peine d’empiéter sur une tâche publique. Si tout un chacun demandait à vérifier les innombrables autorisations délivrées par l’État dans les divers domaines, cela reviendrait à remettre en question les tâches dévolues à l’État et paralyserait son activité. En outre, E______ avait expressément refusé que les pièces de son dossier permettant de déterminer s’il réalisait la condition des cinq années d’expérience dans la branche soient transmises. Les requérantes avaient par ailleurs reçu le document principal du dossier, soit l’autorisation d’exploiter.
C. a. Par acte déposé le 27 août 2024, les requérantes ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée du département en concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné au département de leur donner l’accès à tout le dossier administratif d’C______.
L’autorisation d’exploiter délivrée le 25 octobre 2022 par le département à E______ était fondée sur des renseignements erronés puisqu’aucun des deux administrateurs d’C______ ne remplissait les conditions nécessaires à l’exploitation d’une entreprise de pompes funèbres, compte tenu de l’activité effectuée par E______ et du parcours, librement accessible sur internet, de D______.
E______ avait travaillé au sein des A______ SA d’abord en tant qu’auxiliaire dès le 1er janvier 2017, puis en tant qu’employé et chauffeur du 1er décembre 2019 au 30 juin 2021, date à laquelle il avait décidé de quitter cet emploi. Selon un certificat de travail daté du 5 juillet 2021, il avait assumé avec succès diverses tâches en faisant preuve d’autonomie et de sens des responsabilités et était libéré de tout engagement hormis ses devoirs de discrétion, soit en particulier l’interdiction de « permettre à des tiers d’avoir accès aux informations de quelque ordre que ce soit qui lui étaient parvenues dans le cadre de son activité ».
D______ avait été active dans la gestion hôtelière avant de fonder une société à responsabilité limitée en 2016 dont le but n’était pas l’exploitation d’une entreprise de pompes funèbres, mais l’« organisation d’événements funéraires et prise en charge des démarches administratives », ce qui ressortait expressément du site internet de ladite société. En outre, les deux administrateurs d’C______ ne disposeraient, à leur connaissance, pas du brevet fédéral topique.
Elles persistaient à solliciter l’accès au dossier litigieux en raison d’un « intérêt privé et public à pouvoir vérifier que [les deux administrateurs de C______] remplissaient les conditions légales pour exploiter une entreprise de pompes funèbres », domaine particulièrement sensible.
Le motif invoqué par le département, selon lequel une personne privée ne pouvait pas empiéter sur une tâche étatique, n’était pas prévu aux art. 26 et 39 LIPAD. Elles disposaient d’un intérêt privé prépondérant à s’assurer que E______ remplissait les conditions légales, puisqu’il s’agissait d’un concurrent commercial sur le territoire genevois. Ainsi, l’octroi d’une autorisation « sans fondement » constituait une atteinte importante à leurs intérêts commerciaux. Elles invoquaient l’existence d’un intérêt public prépondérant de la population genevoise à s’assurer de la réalisation desdites conditions vu le caractère sensible de la prise en charge d’un proche défunt et de la nécessité de pouvoir compter sur des professionnels dans ce domaine. Ainsi, la pesée des intérêts exigée par l’art. 39 al. 9 LIPAD devait pencher en faveur de l’intérêt public primordial de la population à ce que l’exercice de cette tâche d’intérêt public soit confiée à des personnes qualifiées.
Si le refus querellé devait être confirmé, un accès partiel aux documents litigieux, par opposition à un simple refus, s’imposait en vertu de l’art. 27 LIPAD vu que le caviardage des documents nécessaires à vérifier la réalisation de la condition posée par les art. 9A al. 2 let. e LCim et 24 RCim serait « de toute évidence aisé ». La remise de l’arrêté du 25 octobre 2022 ne permettait pas de leur donner l’assurance, à elles et à la population, que cette autorisation était bien fondée au regard de ces deux dernières dispositions. C’était la « délivrance [dudit arrêté] qui [était] contesté et qui les avait menées à introduire la demande litigieuse d’accès aux documents ». Ainsi, la transmission de cet arrêté ne constituait pas un cas d’application de l’art. 27 LIPAD.
b. Le département a conclu au rejet du recours et produit, à titre confidentiel, des pièces exclues à la consultation des recourantes.
La requête de l’autorisation litigieuse avait donné lieu à une instruction comportant notamment des échanges de correspondance avec les protagonistes d’C______, accompagnés de diverses pièces en vue de démontrer la réalisation des conditions de l’art. 9A LCim. Tant l’échange de correspondance que les documents fournis dans ce cadre contenaient des données personnelles en lien, à la fois, avec les personnes physiques concernées et la personne morale qu’était C______. L’intérêt de ces dernières à ce que ces données ne soient pas divulguées tenait aux éléments composant le dossier administratif et visant à la vérification des conditions de l’art. 9A LCim, dont l’une était précisé par l’art. 24 RCim. Les données personnelles en cause étaient issues de pièces d’identité, de documents émanant de l’office des poursuites, de l’office fédéral de la justice, de la police etc. ; elles devaient être vérifiées par le département et l’avaient été scrupuleusement. L’administré transmettant des données personnelles, voire sensibles, ne s’attendait clairement pas à ce qu’elles puissent être divulguées à des tiers et, qui plus était, à des concurrents. Compte tenu de la nature des données personnelles des pièces produites, l’intérêt d’C______ et de E______ à ce que leurs données personnelles ne soient pas divulguées était prépondérant par rapport à l’intérêt privé des recourantes à accéder au contenu du dossier administratif pour démontrer que la condition de l’expérience nécessaire de cinq ans dans la branche ne serait pas remplie.
L’intérêt public prépondérant invoqué par les recourantes ne pouvait, selon l’art. 7 « al. 3 » de la loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration du 17 décembre 2004 (LTrans - RS 152.3), être jugé qu’exceptionnellement prépondérant. Les recourantes ne pouvaient déduire, malgré leurs allégations quant à l’examen des conditions légales pertinentes, du refus d’accéder à un document ou à un dossier administratif que celui-ci comportait des irrégularités, apparence que donnaient à tort les pièces qu’elles avaient produites. Cette apparence d’absence de respect des conditions légales ne pouvait à elle seule conclure à l’admission d’un intérêt public prépondérant à la transmission dudit dossier par rapport à l’intérêt privé d’C______ et E______ à la non-divulgation de leurs données personnelles.
Dans le cadre de la demande réciproque d’C______ sur l’accès aux dossiers administratifs des recourantes, celles-ci invoquaient, pour s’y opposer, des exceptions tirées de l’art. 26 al. 2 let. g et let. j LIPAD.
Enfin, les recourantes s’égaraient en voulant se substituer à l’autorité chargée d’autoriser l’exploitation d’une entreprise de pompes funèbres. Toute personne ayant des doutes sur la réalisation des conditions y relatives disposaient de la voie de la dénonciation pour porter à la connaissance du département les éléments qu’elle estimait utiles, avec le cas échéant le retrait de l’autorisation au sens de l’art. 9A al. 4 LCim. Or, elles empiétaient sur une tâche publique et détournaient les voies offertes par la LIPAD en demandant à la juridiction saisie de se prononcer sur la question de la réalisation ou non de l’une des conditions de l’octroi de l’autorisation litigieuse, soit les cinq ans d’expérience requis dans la branche. Tel n’était pas le but de la LIPAD, la juridiction de céans n’étant pas habilitée à examiner la réalisation de ladite condition. Une telle démarche semblait correspondre à la définition de l’abus de droit, en ce sens qu’une institution juridique était utilisée à des fins étrangères au but qu’elle poursuivait et que l’écart entre le droit exercé et l’intérêt censé être protégé était manifeste.
c. Les recourantes ont renoncé à répliquer et persisté dans leurs conclusions.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 al. 1 LIPAD).
2. Dans le corps de leur recours, les recourantes proposent l'interrogatoire des parties.
2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).
2.2 En droit genevois, la procédure administrative est en principe écrite ; toutefois, si le règlement et la nature de l’affaire le requièrent, l’autorité peut procéder oralement (art. 18 LPA). L’autorité réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties (art. 20 al. 1 LPA). S’il y a lieu, elle peut notamment recourir à l’interrogatoire des parties (art. 20 al. 2 let. b LPA) et aux témoignages de tiers (art. 20 al. 2 let. c LPA).
Lorsque les faits ne peuvent être éclaircis autrement, les juridictions administratives peuvent au besoin procéder à l’audition de témoins (art. 28 al. 1 let. c LPA). Afin de constater un fait par elle-même, l’autorité peut notamment ordonner le transport sur place (art. 37 let. c LPA).
2.3 En l'espèce, les recourantes se sont vues offrir la possibilité de faire valoir leurs arguments par écrit devant l’autorité intimée, puis la chambre de céans, et se sont exprimées de manière circonstanciée sur l’objet du litige. Une audience de comparution personnelle des parties n'est dès lors pas utile à la solution du litige.
Au vu de ces éléments et de l’objet du litige précisé ci-après, la chambre de céans considère que le dossier est complet et est en état d’être jugé sans qu’il soit nécessaire de procéder à des actes d’instruction complémentaires. Il n’y sera donc pas donné suite.
3. Compte tenu des arguments des recourantes, il convient de cerner d’abord l’objet du litige.
3.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1301/2020 du 15 décembre 2020 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/1301/2020 précité consid. 2b).
3.2 En l’espèce, la décision querellée est le refus du département du 24 juillet 2024, opposé aux recourantes, d’accéder au dossier administratif d’C______, et non l’arrêté du 25 octobre 2022 par lequel le département a autorisé E______ à exploiter une entreprise de pompes funèbres pour le compte d’C______. Seul ledit refus est donc susceptible d’être contesté dans la présente procédure de recours et de constituer l’objet du litige, à l’exclusion de l’autorisation d’exploiter qui a d’ailleurs été transmise aux recourantes en février 2024.
Ainsi, la question de savoir si cette autorisation est bien fondée est exorbitante au présent litige, circonscrit par la décision attaquée qui porte sur le refus d’accéder aux pièces du dossier de ladite autorisation, et non sur l’octroi de cette dernière. Il n’y a ainsi pas lieu d’examiner si cette autorisation respecte les conditions prévues à l’art. 9A al. 2 LCim, notamment celle d’être au bénéfice d’une formation ou expérience suffisante (let. e), précisée à l’art. 24 RCim qui pose, à titre de condition alternative, une expérience d’au moins cinq ans dans une entreprise de pompes funèbres. Comme le relève à raison le département, le contrôle du respect desdites conditions légales lui incombe en vertu des art. 2 et 9A al. 1 LCim, sous réserve d’un contrôle judiciaire en cas de recours contre l’autorisation d’exploiter, hypothèse non réalisée in casu.
Dès lors et contrairement à ce que semblent penser les recourantes, il n’est pas admissible, dans le cadre de la présente procédure dirigée contre le refus d’accéder aux pièces du dossier de ladite autorisation, de remettre en cause cette dernière. Seule peut être examinée, dans le cadre du présent litige, la conformité au droit du refus d’accéder auxdites pièces, mais non celle de l’octroi de cette autorisation. Les griefs liés à cette deuxième question sont donc irrecevables et ne seront pas examinés.
4. Il convient de vérifier si c’est à bon droit que le département a refusé aux recourantes d’accéder aux pièces constituant le dossier de l’autorisation d’exploiter délivrée le 25 octobre 2022 à C______, étant rappelé qu’elles ont obtenu copie de cette décision dont seule l’adresse de E______ était caviardée.
4.1 La LIPAD est applicable à la demande d’accès litigieuse dans la mesure où celle-ci vise des informations détenues par le département (art. 3 al. 1 let. a LIPAD) et qu’elle ne tombe pas dans l’une des exceptions de l’art. 3 al. 3 et 4 LIPAD.
La LIPAD régit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique ainsi que, d’autre part, protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. a et b LIPAD).
Toute personne a le droit de prendre connaissance des informations et d’accéder aux documents officiels, à moins qu’un intérêt prépondérant ne s’y oppose (art. 28 al. 2 Cst-GE). Il a déjà été jugé que cette disposition n’avait pas une portée plus large que la LIPAD (arrêt du Tribunal fédéral 1C_379/2014 du 29 janvier 2015 consid. 5.4).
En édictant cette loi, le législateur genevois a voulu passer d'un régime du secret assorti d'exceptions, prévalant jusqu'alors pour l'administration genevoise, à celui de la transparence sous réserve de dérogation. Cette évolution législative est propre à renforcer tant la démocratie que le contrôle de l'administration, ainsi qu'à valoriser l'activité étatique et à favoriser la mise en œuvre des politiques publiques. L'instauration d'un droit individuel d'accès aux documents représente l'innovation majeure propre à conférer sa pleine dimension au changement de culture qu'implique l'abandon du principe du secret (ATF 148 II 16 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_25/2017 du 28 août 2017 consid. 3.1 ; 1C_277/2016 du 29 novembre 2016 consid. 3.2). Toutefois, il n’existe pas un droit absolu d’accès aux documents détenus par les autorités genevoises. Le droit d’accès aux documents est soumis à des restrictions prévues à l’art. 26 LIPAD. Ces dernières ont pour but de veiller au respect de la protection de la sphère privée des administrés et de permettre le bon fonctionnement des institutions (Mémorial du Grand Conseil [ci-après MGC] 2000 45/VIII 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9680 ss, 9697 et 9738).
4.2 L’art. 24 LIPAD prévoit que toute personne, physique ou morale, a accès aux documents en possession des institutions, sauf exception prévue ou réservée par cette loi (al. 1). L’accès comprend la consultation sur place des documents et l’obtention de copies des documents (al. 2).
Par documents au sens de l’art. 24 LIPAD, il faut entendre tous les supports d’information détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique (art. 25 al. 1 LIPAD). Sont notamment des documents les messages, rapports, études, procès-verbaux approuvés, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions (art. 25 al. 2 LIPAD ; MGC 2000 45/VIII 7693s et MGC 2001 49/X 9696). En revanche, ne constituent pas des documents au sens de la loi, les notes à usage personnel, les brouillons ou autres textes inachevés ainsi que les procès-verbaux non encore approuvés (art. 25 al. 4 LIPAD).
La demande d’accès n’est en principe soumise à aucune exigence de forme. Elle n’a pas à être motivée, mais elle doit contenir des indications suffisantes pour permettre l’identification du document recherché (art. 28 al. 1 LIPAD).
4.3 Le droit d’accès aux documents est cependant restreint aux conditions de l’art. 26 LIPAD. L’application desdites restrictions implique une juste pesée des intérêts en présence lors de leur mise en œuvre (MGC 2000 45/VIII 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9680). Les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s’oppose sont soustraits au droit d’accès institué par la LIPAD (art. 26 al. 1 LIPAD). Cette disposition constitue une règle générale. Celle-ci est illustrée exemplativement par l’énumération des cas dans lesquels un intérêt public ou privé prépondérant s’oppose à la communication d’un document (MGC 2000 45/VIII 7694 ; MGC 2001 49/X 9697).
Tel est, en vertu de l’art. 26 al. 2 LIPAD, le cas lorsque l’accès aux documents est propre à : rendre inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles à des tiers (let. f), porter atteinte à la sphère privée ou familiale (let. g) ou révéler d’autres faits dont la communication donnerait à des tiers un avantage indu, notamment en mettant un concurrent en possession d’informations auxquelles il n’aurait pas accès dans le cours ordinaire des choses (let. j).
4.3.1 Selon la jurisprudence de la chambre de céans, le concurrent visé par l’art. 26 al. 2 let. j LIPAD ne constitue qu’un exemple de tiers obtenant un avantage indu (ATA/525/2016 du 21 juin 2016 consid. 5a). C’est la nature des informations contenues dans les documents, dont la transmission est requise, qui est déterminante (ATA/180/2009 du 7 avril 2009 consid. 5 et 6 ; ATA/134/2007 du 20 mars 2007 consid. 7b). En outre, ce qui est décisif dans l’application de la LIPAD, c’est le contenu même de l’information sollicitée et non la qualité du requérant (ATA/805/2012 du 27 novembre 2012 consid. 3e ; ATA/621/2005 du 20 septembre 2005 consid. 3c).
4.3.2 Les travaux préparatoires précisent que l’exception prévue à l’art. 26 al. 2 let. g LIPAD implique une atteinte notable à la sphère privée, qui peut être celle d’administrés ou d’institutions. Cette disposition n’exclut pas automatiquement l’accès à tout document dès l’instant qu’il concernerait la sphère privée d’un tiers ; elle requiert une pesée des intérêts en présence. Par exemple, un avocat mandaté par une institution doit s’attendre à ce que le montant des honoraires qu’il perçoit du chef de ce mandat soit le cas échéant communiqué à des tiers, dès lors qu’il s’agit de l’utilisation des ressources d’institutions chargées de l’accomplissement de tâches de droit public, bien que cette information concerne sa sphère privée économique (MGC 2000 45/VIII 7697).
4.3.3 L’exception au droit d’accès prévue à l’art. 26 al. 2 let. f LIPAD vise à ce que l’accès aux documents ne rende pas inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles à des tiers. Ces restrictions légales-ci sont prévues à l’art. 39 LIPAD. La communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé est réglée par l’art. 39 al. 9 LIPAD. Par données personnelles, la LIPAD vise toutes les informations se rapportant à une personne physique ou morale de droit privé, identifiée ou identifiable (art. 4 let. a LIPAD).
Selon l’art. 39 al. 9 LIPAD, la communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé n’est possible, alternativement, que si : a) une loi ou un règlement le prévoit explicitement ; b) un intérêt privé digne de protection du requérant le justifie sans qu’un intérêt prépondérant des personnes concernées ne s’y oppose. Par personne concernée, il faut entendre la personne physique ou morale au sujet de laquelle des données sont traitées (art. 4 let. g LIPAD).
4.4 Enfin, l’art. 27 LIPAD est, dans ses quatre alinéas, une concrétisation du principe de la proportionnalité (MGC 2000 45/VIII 7699s). Pour autant que cela ne requière pas un travail disproportionné, un accès partiel doit être préféré à un simple refus d’accès à un document dans la mesure où seules certaines données ou parties du document considéré doivent être soustraites à communication, en vertu de l’art. 26 LIPAD (art. 27 al. 1 LIPAD). Les mentions à soustraire au droit d’accès doivent être caviardées de façon à ce qu’elles ne puissent être reconstituées et que le contenu informationnel du document ne s’en trouve pas déformé au point d’induire en erreur sur le sens ou la portée du document (art. 27 al. 2 LIPAD).
4.5 En l’espèce, le recours est essentiellement focalisé sur la condition des cinq années d’expérience dans une entreprise de pompes funèbres au sens de l’art. 24 RCim, qui précise l’art. 9A al. 2 let. e LCim. Compte tenu des conditions figurant à l’art. 9A al. 2 LCim, il va de soi, comme l’indique à raison l’autorité intimée, que leur vérification porte sur des pièces comportant des données personnelles des personnes sollicitant l’octroi de l’autorisation d’exploiter une entreprise de pompes funèbres au sens de l’art. 9A LCim. En effet, lesdites conditions portent sur la nationalité ou le permis de séjour, l’exercice des droits civils, la garantie d’honorabilité, la solvabilité et la formation ou expérience suffisante.
L’accès à de telles informations n’est donc autorisé qu’aux conditions de l’art. 39 al. 9 LIPAD auquel renvoie l’exception prévue à l’art. 26 al. 2 let. f LIPAD. Aucune partie n’invoque l’existence d’une loi ou d’un règlement permettant explicitement un tel accès, sur la base de l’art. 39 al. 9 let. a LIPAD. Ainsi, l’accès aux pièces du dossier de l’autorisation délivrée à C______ ne peut être admis qu’en vertu d’une pesée des intérêts au sens de l’art. 39 al. 9 let. b LIPAD. Cela implique l’existence d’un intérêt privé, digne de protection, des recourantes, prépondérant par rapport à celui d’C______ et de ses deux administrateurs, en particulier E______, ancien employé de l’une des recourantes et personne physique responsable d’C______ au sens de l’art. 9A al. 2 LCim.
Or, aucun des éléments invoqués par les recourantes ne permet d’admettre in casu un intérêt privé digne de protection prépondérant en leur faveur, par rapport à celui à la protection des données personnelles de E______. En effet, d’une part, l’intérêt public de la population est allégué de manière générale, sans être étayé par des éléments tangibles imputables à C______ ou à son responsable. D’autre part et comme déjà relevé plus haut, la vérification des conditions légales posées par l’art. 9A al. 2 LCim est une question exorbitante au présent litige, dont la responsabilité incombe de par la loi au département (art. 9A al. 1 LCim) en vertu des dispositions topiques ne relevant pas de la LIPAD. Contrairement à ce que semblent penser les recourantes, la contestation de la réalisation des conditions posées à l’art. 9A al. 2 LCim, en particulier de celle de la let. e, précisée par l’art. 24 RCim, ne constitue nullement l’objet d’une procédure LIPAD, mais doit intervenir dans le cadre d’un recours – pour autant qu’il soit recevable – contre l’autorisation d’exploiter concernée, qui ne fait pas partie de l’objet du présent litige. De plus et comme l’indique l’autorité intimée, la voie de la dénonciation permet le cas échéant aux recourantes de porter à sa connaissance les éléments déterminants en lien avec l’autorisation d’exploiter en cause. Le fait que les recourantes se retrouvent avec un nouveau concurrent sur le marché de leur activité n’est en soi pas non plus déterminant au regard de la jurisprudence précitée qui privilégie la nature des informations sollicitées par rapport au statut de la personne requérante.
Certes, la demande d’accès ne doit pas être motivée (art. 28 al. 1 LIPAD). Toutefois, face à des documents contenant des données personnelles (art. 4 let. a LIPAD), voire des données personnelles sensibles (art. 4 let. b ch. 4 LIPAD cum art. 9A al. 2 let. c et d LCim), seule l’existence d’un intérêt privé digne de protection et prépondérant de la partie sollicitant l’accès auxdits documents permet d’envisager une dérogation à la protection aux données personnelles de la personne concernée, conformément aux art. 26 al. 2 let. f et 39 al. 9 let. b LIPAD. Faute pour les recourantes d’avoir démontré l’existence d’un tel intérêt dans les circonstances du présent cas et en l’absence du consentement des personnes ici concernées, c’est à juste titre que le département a refusé l’accès aux pièces du dossier de l’autorisation d’exploitation visée par les recourantes.
En outre, le département a agi de manière conforme au principe de la proportionnalité, concrétisé à l’art. 27 LIPAD, en transmettant aux recourantes l’arrêté départemental du 25 octobre 2022 autorisant E______ à exploiter une entreprise de pompes funèbres pour le compte d’C______, en caviardant son adresse. Ce document concrétise la tâche publique incombant dans ce domaine au département en vertu de l’art. 9A LCim et renseigne les recourantes tant sur la décision de ce dernier que sur les raisons l’y ayant conduit. Ce faisant, le département a respecté le principe de transparence de l’activité publique lui incombant, tout en préservant les intérêts privés des personnes concernées, en l’absence d’intérêt privé, digne de protection, prépondérant des requérantes.
Dans ces circonstances, le refus querellé est conforme au droit et doit donc être confirmé.
5. Dans sa réponse, le département soulève la question d’un abus de droit de la part des recourantes, compte tenu du but de leur demande focalisée sur le respect de la condition des cinq ans d’expérience au sens des art. 9A al. 2 let. e LCim et 24 RCim, et de leur propre attitude par rapport à la demande réciproque d’C______.
5.1 Ancré à l'art. 9 Cst., et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2). En droit public, le principe de la bonne foi est aussi explicitement consacré par l'art. 5 al. 3 Cst., en vertu duquel les organes de l'Etat et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi.
5.2 Avant d’aborder ci-après la jurisprudence fédérale relative à l’abus de droit en matière de protection des données, il convient de rappeler l’art. 8 de l’ancienne loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 (aLPD). Celle-ci vise à protéger la personnalité et les droits fondamentaux des personnes faisant l’objet d’un traitement de données (art. 1 aLPD ; art. 1 de la loi fédérale sur la protection des données du 25 septembre 2020 - LPD - RS 235.1). Elle s’applique, en principe, au traitement de données concernant des personnes physiques et morales effectué par des personnes privées (art. 2 al. 1 let. a aLPD ; art. 2 al. 1 let. a LPD).
Dans son ancienne teneur, l’art. 8 aLPD permettait à toute personne de demander au maître du fichier si des données la concernant étaient traitées (al. 1) ; le maître du fichier devait lui communiquer toutes les données la concernant qui étaient contenues dans le fichier, y compris les informations disponibles sur l'origine des données (al. 2 let. a) ; le but et éventuellement la base juridique du traitement, les catégories de données personnelles traitées, de participants au fichier et de destinataires des données (al. 2 let. b). Ce droit de consultation existait indépendamment de tout intérêt ; ce n'était qu'en cas de refus de la part du maître du fichier (aux conditions de l’ancien art. 9 aLPD), qu'une pesée d'intérêts devait avoir lieu. La prise en compte de l'intérêt du requérant jouait également un rôle lorsque se pose la question d'un éventuel abus de droit (ATF 141 III 119 consid. 7.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_522/2018 du 8 mars 2019 consid. 3.2).
5.3 L'existence d'un abus de droit (art. 2 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210) doit être reconnue lorsque l'exercice du droit par le titulaire ne répond à aucun intérêt digne de protection, qu'il est purement chicanier ou lorsque, dans les circonstances dans lesquelles il est exercé, le droit est mis au service d'intérêts qui ne correspondent pas à ceux que la règle est destinée à protéger. Cela est ainsi le cas, dans la perspective de l’art. 8 aLPD, lorsque le droit d'accès est exercé dans un but étranger à la protection des données, par exemple lorsque le droit d'accès n'est utilisé que pour nuire au débiteur de ce droit. Il faudrait probablement aussi considérer comme contraire à son but et donc abusive l'utilisation du droit d'accès dans le but exclusif d'espionner une (future) partie adverse et de se procurer des preuves normalement inaccessibles (ATF 147 III 139 consid. 1.7.2 ; 141 III 119 consid. 7.1.1 ; 138 III 425 consid. 5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_277/2020 du 18 novembre 2020 consid. 5.3). Ce serait ainsi le cas d'une requête qui ne constitue qu'un prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve (fishing expedition ; ATF 141 III 119 consid. 7.1.1 et les arrêts cités). En revanche, la requête de l'employé visant à obtenir les données le concernant en vue d'une éventuelle action en dommages-intérêts contre le maître du fichier n'est, en soi, pas abusive (ATF 141 III 119 consid. 7.1.1 ; 138 III 425 consid. 5.6).
Dans l’ATF 147 III 139, le Tribunal fédéral a précisé que ni le droit matériel à l’octroi de renseignements conféré par la loi sur la protection des données (à savoir l’art. 8 al. 2 let. a aLPD), ni le droit à l’administration des preuves en procédure civile ne pouvait être utilisé abusivement pour effectuer une prospection de preuves proscrite, par exemple en requérant des renseignements aux seules fins d'investiguer sur une future partie adverse et de se procurer des preuves qui seraient sinon inaccessibles (consid. 1.7 à 1.7.2).
Quelques temps auparavant, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt, non publié, considéré être le premier arrêt à retenir un abus du droit à l’information (PJA 2021 p. 593, 601). Il a jugé que le droit à l'information prévu à l'art. 8 aLPD n'avait pas pour but de faciliter l'obtention de preuves ou d'interférer avec le droit de la procédure civile. Dans cette affaire, il avait été prouvé que la demande d’information avait pour seul but de préparer une procédure civile et de clarifier les perspectives d’un litige, sans poursuivre en même temps une finalité au regard de la législation sur la protection des données. En effet, la demande d’accès en cause s’étendait à l’ensemble de la correspondance et des documents, au sujet desquels la partie « autorisée » - soit celle visée par les données personnelles traitées – ne demandait ni la vérification de l’exactitude des données la concernant, ni l’examen du respect des principes de traitement des données afin de pouvoir, le cas échéant, faire valoir des prétentions fondées sur la LPD. Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral a retenu que la demande d’informations était constitutive d’un abus de droit manifeste, vu l’usage contraire au but du droit d’accès prévu par la législation sur la protection des données. Cette affaire se distinguait d’arrêts antérieurs (notamment les ATF 138 III 425 et 141 III 119) où l’abus de droit avait été nié au motif que la partie autorisée (« berechtigte Partei ») avait un intérêt manifeste à pouvoir vérifier les données la concernant ou leur traitement par la partie débitrice (« verpflichtete Partei »). En admettant que l'art. 8 aLPD ne présupposait pas un intérêt relevant du droit de la protection des données, mais qu'il pouvait aussi servir à la seule clarification des perspectives d’un procès, la juridiction cantonale s'était fondée sur une conception juridique erronée. La demande d’accès au titre de la protection des données a dès lors été rejetée par le Tribunal fédéral pour abus de droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_277/2020 du 18 novembre 2020 consid. 5.4).
5.4 Selon la jurisprudence relative à la fraude à la loi, forme particulière d’abus de droit, reprise par la chambre de céans, un abus de droit doit apparaître manifeste pour être sanctionné (ATF 144 II 49 consid. 2.2 ; 142 II 206 consid. 2.3 et 2.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_637/2023 du 30 septembre 2024 consid. 4.1 ; ATA/880/2021 du 31 août 2021 consid. 8). Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 143 III 279 consid. 3.1 ; 140 III 583 consid. 3.2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_132/2022 du 20 mars 2023 consid. 4.1).
5.5 En l’espèce, le cas de figure de la présente affaire ne correspond pas à celui visé par l’art. 8 aLPD. En effet, les recourantes, également requérantes, ne sollicitent pas des données personnelles les concernant elles-mêmes mais se rapportant à des tierces personnes de droit privé, en particulier l’ancien employé de l’une d’elles. Il existe toutefois des similitudes entre l’art. 8 aLPD et l’art. 39 al. 9 let. b LIPAD quant au raisonnement sur l’accès aux informations visées, en ce sens que le droit d’accès est en principe indépendant de tout intérêt, sauf en cas de refus de l’autre partie exigeant alors une pesée des intérêts en présence.
Certes, l’insistance des recourantes focalisées sur la condition précitée des cinq années d’expérience dans le cadre de leur demande d’accès fondée sur la LIPAD suscite des interrogations sur la conformité du but réellement recherché par rapport aux objectifs de transparence de l’activité publique promus par la LIPAD. En effet, d’une part, elles ont obtenu copie de l’autorisation d’exploiter en cause, concrétisant la mission publique revenant au département en vertu de l’art. 9A LCim. D’autre part, elles disposent de la voie de la dénonciation auprès de cette autorité pour alléguer les éléments utiles au respect de l’intérêt public visé par l’art. 9A LCim si elles considèrent, contrairement au département, que la condition posée par la let. e de l’art. 9A al. 2 LCim n’est pas réalisée par E______. Dès lors et eu égard aux circonstances particulières, notamment l’absence d’intérêt privé digne de protection des recourantes face à l’intérêt privé évident des personnes concernées à la protection des données personnelles du responsable d’C______, la question d’un éventuel abus du droit à l’accès aux documents, détenus par le département en vue de la délivrance des autorisations d’exploiter fondées sur l’art. 9A LCim, se pose. Elle peut néanmoins in casu demeurer indécise puisque le refus d’accès aux pièces sollicitées a été confirmé pour les raisons évoquées plus haut en lien avec l’exception de l’art. 26 al. 2 let. f LIPAD.
Mal fondé, le recours sera en conséquence rejeté.
6. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire des recourantes (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 27 août 2024 par A______ SA et B______ SA contre la décision du département des institutions et du numérique du 24 juillet 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de A______ SA et B______ SA ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal-Fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions ;
communique le présent arrêt à Me Philippe PROST, avocat des recourantes, au département des institutions et du numérique, au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence ainsi qu’à C______ SA pour information.
Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Catherine TAPPONNIER, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
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| le président siégeant :
P. CHENAUX |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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