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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2445/2024

ATA/1467/2024 du 17.12.2024 ( NAT ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2445/2024-NAT ATA/1467/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 décembre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante

représentée par CARITAS Genève, mandataire

contre

CONSEIL D'ÉTAT intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1966, est ressortissante italienne. Elle est arrivée en Suisse en 2010.

b. Le 11 janvier 2021, B______, son mari, a déposé une demande de naturalisation suisse et genevoise pour la commune de C______, en y incluant son épouse.

c. Dans les pièces produites à l'appui de leur demande figure une déclaration sur l'honneur signée le 22 novembre 2020 dans laquelle A______ a certifié n'avoir fait l'objet d'aucune condamnation ou mesure pénale.

B. a. Par arrêté du 12 octobre 2022, le Conseil d'État a accordé la citoyenneté suisse et genevoise pour la commune de C______ à A______ et à son époux.

b. Le 13 janvier 2023, ils ont prêté serment et ont ainsi acquis la nationalité suisse et genevoise à cette date.

c. En date du 3 février 2023, A______ s'est présentée à la police genevoise, sur mandat de comparution du 27 janvier 2023, en qualité de prévenue pour avoir employé une ressortissante étrangère sans autorisation.

Lors de son audition, elle a notamment admis qu'elle savait que son employée n'était pas au bénéfice d'une autorisation de séjour mais que lorsqu'elle l'avait employée, cette dernière avait un numéro AVS, ce qui signifiait qu'elle cotisait à l'AVS et qu'elle avait reçu ce numéro de la Confédération. « Pour moi, c'était un chemin correct. Je sais que si une personne "sans papier" se trouvant en Suisse depuis plus de 10 ans et qu'elle peut prouver qu'elle travaille régulièrement, elle peut demander un permis de séjour. Je me suis alors dit que j'allais l'employer correctement. J'ai contacté l'OCAS pour leur remettre son numéro AVS et je lui ai fait une assurance accident avec HELVETIA. J'ai également contacté l'OCIRT pour leur demander si la fiche de salaire que je lui faisais était correcte ». Elle a expliqué également « Honnêtement, bien que je sache que cette personne est sans papier, j'ai essayé de l'aider au mieux. Elle a deux enfants et elle est seule ici pour s'en occuper (…). J'ai d'ailleurs payé des cours de français à R. auprès de la Croix-Rouge. (…). Mme C. essaie simplement de s'en sortir et de vivre. En tant que "maman", je ne me voyais pas de ne pas l'aider ». Elle a ajouté être désolée que son choix d'employer une personne sans permis de séjour ne corresponde pas à la loi, pensant que le fait de cotiser était correct. Elle serait touchée si cette situation mettait son employée et sa famille dans une situation bien plus grave.

d. Dans le cadre de la remise des documents requis par les autorités pénales, A______ a rédigé une lettre d'accompagnement datée du 10 février 2023 dans laquelle elle a de nouveau exprimé ses regrets et relevé que son « intention n'était pas d'être irrégulière ou d'enfreindre la loi suisse, mais bien le contraire ».

e. Par ordonnance pénale du 25 mai 2023, le Ministère public du canton de Genève a condamné A______ à une peine pécuniaire de 80 jours-amende avec sursis pour infraction à l'art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

Il ressort de cette ordonnance pénale qu'entre le mois de juillet 2019 et le 3 février 2023, A______ avait employé en qualité de femme de ménage une ressortissante étrangère qui n'était pas au bénéfice des autorisations nécessaires pour séjourner et exercer une activité lucrative en Suisse. Entendue par la police le 3 février 2023, elle avait déclaré qu'elle savait que son employée ne disposait pas d'une autorisation de séjour et qu'une personne sans papier en Suisse depuis plus de dix ans pouvait demander un permis de séjour si elle travaillait régulièrement, raison pour laquelle elle avait décidé de l'employer.

f. En date du 13 juin 2023, le Service naturalisations de l'office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : SN) a été informé de cette condamnation par le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM).

g. Le 29 août 2023, le SN a informé A______ de son intention de proposer au Conseil d'État de prononcer un arrêté d'annulation de sa naturalisation, en raison de la dissimulation de sa part de faits essentiels, soit la commission d'une infraction pénale durant sa procédure de naturalisation alors que les conditions fixées aux art.  11, 12 al. 1 let. a de la loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN ‑ RS 141.0), 4 al. 3 de l’ordonnance sur la nationalité suisse du 17 juin 2016 (OLN - RS 141.019) et 12 let. a à c et f de la loi sur la nationalité genevoise du 13  mars 1992 (LNat - A 4 05) n'étaient manifestement pas remplies, tout en l'invitant à exercer son droit d'être entendue.

h. Dans ses observations du 26 octobre 2023, A______ a fait valoir qu'elle n'avait eu aucune intention de nuire à l'ordre public suisse en engageant sa femme de ménage et qu'adopter un positionnement consistant à reprocher la commission d'une infraction pénale sans prendre en compte les circonstances du cas d'espèce consacrerait une violation du pouvoir d'appréciation de l'autorité ainsi que du principe de proportionnalité.

i. En date du 14 décembre 2023, A______ a indiqué au SN que le SEM avait accepté les demandes d'autorisation de séjour de son employée et de ses deux enfants déposées le 20 février 2023.

j. Par arrêté du 12 juin 2024, le Conseil d'État a annulé partiellement l'arrêté du 12 octobre 2022 en ce qu'il concernait uniquement A______ et, par voie de conséquence, refusé sa naturalisation genevoise.

Dans l'arrêté du 12 octobre 2022, le Conseil d'État avait considéré que A______ remplissait les conditions requises, notamment celles du respect de sécurité et de l'ordre publics et de la bonne réputation conformément aux art. 12 al. 1 let. a LN et 12 b et c f LNat en se fondant sur ses déclarations et son dossier. Il ressortait toutefois des éléments portés postérieurement à la connaissance du SN que durant sa procédure de naturalisation, elle n'avait pas respecté la sécurité et l'ordre publics dans la mesure où de juillet 2019 au 3 février 2023, elle avait employé en qualité de femme de ménage une ressortissante étrangère qui n'était pas au bénéfice des autorisations nécessaires pour séjourner et exercer une activité lucrative en Suisse, ce qu'elle avait dissimulé tant au SN qu'au Conseil d'État. Elle a été condamnée pour ces faits. Ainsi c'était le fait qu'elle ait pu obtenir la naturalisation suisse et genevoise grâce à sa dissimulation de faits essentiels à l'autorité compétente, soit la commission d'infractions pénales pendant sa procédure de naturalisation, qui justifiait la présente annulation. Elle ne pouvait ignorer les conditions des exigences requises pour les ressortissants étrangers pour pouvoir résider et exercer une activité lucrative en Suisse, ni qu'elle commettait une infraction pénale en employant une personne étrangère sans les autorisations de travail requises. Malgré son audition par la police et sa condamnation pénale qui s'en était suivie, elle avait continué à employer cette femme de ménage sans être au bénéfice des autorisations nécessaires, ce qui démontrait un manque de respect patent envers les institutions helvétiques et de réelles difficultés à se conformer à l'ordre juridique suisse, étant précisé que le travail au noir n'était pas un délit négligeable selon le Conseil fédéral.

C. a. Par acte du 15 juillet 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'arrêté précité, concluant à son annulation.

En juillet 2019, elle avait engagé une employée de maison, ressortissante du Salvador. En juin 2021, elle avait volontairement effectué les démarches visant à déclarer rétroactivement son employée aux assurances sociales et en janvier et mai 2022, pris contact avec l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) afin de se conformer aux dispositions légales relatives à la rémunération des jours fériés et des vacances. Lors de son audition par la police le 3 février 2023, elle avait indiqué que bien qu'elle savait que cette personne était sans papier, elle avait essayé de l'aider au mieux, en tant qu'elle était mère seule avec deux enfants. Le 20 février 2023, cette personne avait déposé une demande de régularisation pour ses deux fils et elle-même et A______ était intervenue en faveur de la famille en signant un formulaire M.

Le Conseil d'État avait abusé son pouvoir d'appréciation et violé de ce fait l'art. 35 LNat. Il n'avait pas analysé la question de savoir si elle avait obtenu sa naturalisation par un comportement déloyal et trompeur, en communiquant sciemment de fausses informations à l'autorité ou en la laissant délibérément dans l'erreur sur des faits qu'elle savait essentiels. Or tel n'était pas le cas puisqu'elle avait rapidement après avoir engagé son employée entrepris les démarches en vue de son affiliation aux assurances sociales et rémunéré les jours fériés. Un tel comportement ne pouvait être assimilé à un comportement déloyal et trompeur. Les éléments qui lui avaient été reprochés n'étaient par ailleurs pas des éléments essentiels pour elle. Elle pensait sincèrement agir dans le cadre d'une tolérance cantonale, à savoir le cadre « post-papyrus », et ainsi employer cette femme pour lui permettre de se régulariser à terme. Il était rappelé à cet égard que dans le cadre de l'opération Papyrus, le Conseil d'État avait exposé notamment renoncer à appliquer des sanctions administratives ou dénoncer pénalement les employeurs de migrants sans papiers engageant une procédure de normalisation, sous réserve expresse que les normes applicables en matière de conditions de travail et d'assurances sociales soient strictement respectées. Par ailleurs, lorsque la recourante avait signé sa déclaration sur l'honneur du 22 novembre 2020, elle ne faisait l'objet d'aucune condamnation, mesure ou procédure pénale.

Le Conseil d'État n'avait pas pris en considération les circonstances pertinentes dans l'analyse du dossier de la recourante et avait violé le principe de proportionnalité.

Le Conseil d'État ne pouvait appliquer le raisonnement de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral (ci-après : ATAF) F-1551/2021 cité dans la décision querellée sans prendre en considération les particularités du cas d'espèce, les faits retenus dans cet arrêt et ceux du cas d'espèce étant différents à plusieurs égards. Notamment, cette jurisprudence avait été retenue dans le cadre d'une décision fédérale du SEM et les faits ne s'étaient pas déroulés à Genève, canton où il était rappelé que le Conseil d'État avait mis en place l' « opération Papyrus ». Ce faisant, il avait excédé son pouvoir d'appréciation.

b. Le 6 septembre 2024 le Conseil d'État, soit pour lui le département des institutions et du numérique, a conclu au rejet du recours.

L'argument en lien avec l' « opération Papyrus » n'était pas pertinent puisque d'une part, elle avait pris fin avant la naissance des faits de la cause et que d'autre part, elle s'appliquait à leurs bénéficiaires conformément aux règles du droit des étrangers. En tout état, la recourante n'aurait nullement été exonérée de l'obligation de respecter l'ordre juridique suisse dans le cadre de sa propre naturalisation, dès lors qu'il s'agissait d'une condition impérative de la naturalisation, tant en droit fédéral qu'en droit cantonal. Or l'emploi intentionnel d'une personne étrangère sans autorisation constituait bien une infraction pénale, réprimée par l'art. 117 al. 1 LEI pour laquelle la recourante avait été condamnée et constituait par définition une violation de l'ordre juridique.

La recourante avait toujours admis qu'elle savait dès juillet 2019 qu'elle agissait contrairement à la loi en engageant son employée sans papiers. Elle s'en était accommodée et avait attendu un an avant de la déclarer aux assurances sociales et ces démarches ne guérissaient de toute manière pas pour autant le non-respect de règles relevant du droit des étrangers. La recourante ne contestait pas ne pas avoir informé le SN qu'elle avait intentionnellement employé, durant au minimum trois ans, une ressortissante étrangère ne disposant pas des autorisations nécessaires pour résider et travailler en Suisse. Elle ne pouvait pas non plus ignorer que le respect de l'ordre juridique suisse était une condition impérative de la naturalisation. Aussi, en signant ces formulaires en novembre 2020, elle l'avait fait en dissimulant sciemment aux autorités compétentes en matière de naturalisation le fait qu'elle commettait une infraction depuis un an et demi environ. Elle ne s'était pas non plus manifestée sur ces points durant la suite de la procédure alors même que son employée de maison s'était fait contrôler et même arrêter par la douane en août 2022. Ce faisant, elle avait également violé son devoir de renseigner, prévu aux art.  21 OLN et 14 al. 4 et 6 LNat. Cette analyse avait de surcroît été développée sur deux pages dans la décision querellée.

C'était en réalité une fois que la procédure pénale avait été ouverte contre la recourante que la requête en autorisation de séjour pour cas de rigueur de son employée avait été déposée et son comportement pénal avait bien eu lieu au cours de l'entier de la procédure de naturalisation et aurait bien fait obstacle à sa naturalisation si le SN en avait eu connaissance en cours de procédure.

L'ATAF F-1551/2021, confirmé par le Tribunal fédéral, comportait d'importantes similitudes avec le dossier de la recourante puisque dans cette affaire, le recourant avait, notamment, aussi été condamné après sa naturalisation pour infraction à l'art. 117 al. 1 LEI, dont la période pénale coïncidait avec sa procédure de naturalisation. Il tentait également, en vain, de soutenir que l'affiliation de ses employés à l'AVS lui permettait de penser que tout était en ordre.

c. Le 8 octobre 2024, A______ a persisté dans ses conclusions.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les arguments et les pièces produites par les parties.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             L'objet du litige consiste à déterminer si l'intimé était fondé à annuler la naturalisation genevoise de la recourante.

2.1 L'art. 9 al. 1 LN, relatif aux conditions formelles de la naturalisation ordinaire, prescrit que la Confédération octroie l’autorisation de naturalisation uniquement si, lors du dépôt de la demande, le requérant remplit les conditions suivantes : il est titulaire d’une autorisation d’établissement (let. a) ; il apporte la preuve qu’il a séjourné en Suisse pendant dix ans en tout, dont trois sur les cinq ans ayant précédé le dépôt de la demande (let. b).

S'agissant des conditions matérielles, l’autorisation fédérale de naturalisation est octroyée si le requérant remplit les conditions suivantes : a) son intégration est réussie ; b) il s’est familiarisé avec les conditions de vie en Suisse ; c) il ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (art. 11 LN).

Une intégration réussie se manifeste en particulier par le respect de la sécurité et de l’ordre publics (art. 12 al. 1 let. a LN).

2.2 À Genève est entrée en vigueur le 1er septembre 2024 la loi sur le droit de cité genevois du 2 mars 2023 (LDGC - A 4 05) qui a remplacé la LNat.

L'art. 69 LDGC, relatif aux dispositions transitoires, prescrit que l'art. 50 LN est applicable à toutes les demandes d’octroi de la nationalité suisse pendantes lors de l'entrée en vigueur de la présente loi.

L’art. 50 LN indique pour sa part que l’acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s’est produit (al. 1). Les demandes déposées avant l’entrée en vigueur de la LN sont traitées conformément aux dispositions de l’ancien droit jusqu’à ce qu’une décision soit rendue (al. 2).

Les faits déterminants s'étant produits avant l'entrée en vigueur de la LDGC, de même que le prononcé de la décision querellée, la procédure doit être traitée en application de l'ancien droit, étant encore observé que les conditions relatives à l'annulation de la naturalisation – du droit de cité genevois selon la nouvelle loi – sont identiques.

2.3 Selon l'art. 1 let. b LNat, le candidat à la naturalisation doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral et celles fixées par le droit cantonal.

L'art. 12 LNat précise que le candidat étranger doit en outre remplir les conditions suivantes: a) avoir avec le canton des attaches qui témoignent de son adaptation au mode de vie genevois; b) respecter la sécurité et l’ordre publics; c) jouir d’une bonne réputation ; d) avoir une situation permettant de subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille dont il a la charge; e) ne pas être, par sa faute ou par abus, à la charge des organismes responsables de l’assistance publique et f) s’être intégré dans la communauté genevoise, et respecter les droits fondamentaux garantis par la constitution de la République et canton de Genève, du 14 octobre 2012.

Selon l'art 14 LNat, le candidat doit fournir les renseignements utiles sur les faits qui motivent sa demande et produire les pièces y relatives qui sont en sa possession (al. 4). Il est tenu d’informer le service compétent de tout changement survenant dans sa situation économique et familiale pendant la procédure (al. 6).

2.4 L'art. 21 OLN prévoit que les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits déterminants pour l’application de la LN. Elles doivent en particulier : fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la naturalisation (let. a) ; informer immédiatement l’autorité compétente de tout changement dans la situation du requérant dont elles doivent savoir qu’il s’opposerait à une naturalisation (let. b) ; fournir, en cas de procédure d’annulation, des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la naturalisation (let. c).

2.5 Selon l'art. 36 LN, applicable également à la procédure ordinaire (al. 3), le SEM peut annuler la naturalisation ou la réintégration obtenue par des déclarations mensongères ou par la dissimulation de faits essentiels (al. 1). La naturalisation ou la réintégration peut être annulée dans un délai de deux ans après que le SEM a eu connaissance de l'état de fait juridiquement pertinent, mais au plus tard huit ans après l'octroi de la nationalité suisse. Un nouveau délai de prescription de deux ans commence à courir après tout acte d'instruction signalé à la personne naturalisée ou réintégrée. Les délais de prescription sont suspendus pendant la procédure de recours (al. 2).

Conformément à l'art. 35 LNat, le Conseil d'État peut annuler la naturalisation genevoise ou la réintégration dans la nationalité genevoise obtenue par des déclarations mensongères ou par la dissimulation de faits essentiels (al. 1). La naturalisation ou la réintégration peut être annulée dans un délai de deux ans après que le Conseil d'État a eu connaissance de l'état de fait juridiquement pertinent, mais au plus tard huit ans après l'octroi de la nationalité genevoise. Un nouveau délai de prescription de deux ans commence à courir après tout acte d'instruction signalé à la personne naturalisée ou réintégrée. Les délais de prescription sont suspendus pendant la procédure de recours (al. 2).

2.6 Les termes utilisés à l'art. 35 al. 1 LNat étant les mêmes que ceux contenus à l'art. 36 al. 1 LN, la jurisprudence concernant cette disposition peut trouver application (ATA/1251/2022 du 13 décembre 2022 consid. 6b ; ATA/87/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4c).

Pour qu'une naturalisation soit annulée, il ne suffit pas qu'elle ait été accordée alors que l'une ou l'autre de ses conditions n'était pas remplie ; il faut qu'elle ait été acquise grâce à un comportement déloyal et trompeur. S'il n'est point besoin que ce comportement soit constitutif d'une escroquerie au sens du droit pénal, il est nécessaire que l'intéressé ait donné sciemment de fausses informations à l'autorité ou qu'il l'ait délibérément laissée dans l'erreur sur des faits qu'il savait essentiels, de sorte qu'il ne suffit pas que la naturalisation ait été accordée alors que l'une ou l'autre de ses conditions n'étaient pas réalisées (ATF 140 II 65 consid. 2.2 ; 135 II 161 consid. 2 ; arrêts 1C_168/2023 du 30 octobre 2023 consid. 3.1 ; 1C_20/2014 du 13 mai 2014 consid. 2.1.1).

La nature potestative de l'art. 36 LN confère une certaine liberté d'appréciation à l'autorité compétente, qui doit toutefois s'abstenir de tout abus dans l'exercice de celle-ci. Commet un abus de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui se fonde sur des critères inappropriés, ne tient pas compte de circonstances pertinentes ou rend une décision arbitraire, contraire au but de la loi ou au principe de la proportionnalité (ATF 129 III 400 consid. 3.1)

2.7 La chambre de céans a confirmé que le recourant condamné pour infraction à l'art. 117 al. 1 LEI pour avoir employé au sein de son entreprise deux personnes dépourvues d'autorisation de séjourner et d'exercer une activité lucrative en Suisse, étant relevé qu’il n’avait pas annoncé l'ouverture de cette procédure pénale à son encontre à l’autorité, ne pouvait recevoir une réponse favorable à sa demande de naturalisation ordinaire (ATA/622/2022 du 14 juin 2022 consid. 6).

3.             La recourante conteste avoir obtenu la naturalisation par la dissimulation consciente de faits essentiels. Elle reproche à l'autorité intimée d'avoir abusé de son pouvoir d'appréciation et d'avoir violé le principe de la proportionnalité.

3.1 En l'occurrence, la recourante a été condamnée par ordonnance pénale du 25 mai 2023 pour violation de l'art. 117 al. 1 LEI. Il lui a été reproché d'avoir employé, dès juillet 2019, une ressortissante étrangère ne disposant pas des autorisations nécessaires pour séjourner et exercer une activité lucrative en Suisse. La recourante n'a pas fait opposition à cette ordonnance pénale.

L'intimé en déduit que la recourante aurait admis savoir qu'elle commettait une infraction et ainsi, ne pas avoir respecté la sécurité et l'ordre publics suisses à tout le moins durant la période pénale retenue, soit entre juillet 2019 et le 3 février 2023.

3.2 Il convient de relever en premier lieu que tant lors de sa déclaration sur l'honneur du 22 novembre 2020, que lors de sa prestation de serment du 13 janvier 2023, la recourante ne faisait l'objet d'aucune condamnation, mesure ou procédure pénale, le mandat de comparution délivré par la police datant du 27 janvier 2023. En second lieu, elle a toujours déclaré, déjà devant la police, qu'elle ignorait que son choix d'employer une sans papier ne correspondait pas à la loi, pensant avoir emprunté un « chemin correct » en déclarant son employée aux assurances sociales et savoir qu'après une durée de dix ans, cette dernière pourrait régulariser son séjour. Dans son recours, elle a expliqué qu'elle pensait agir dans le cadre d'une tolérance cantonale en lien avec « l'opération papyrus » qui avait fait naître chez elle le sentiment d'agir conformément à une pratique mise en place et encouragée par les autorités genevoises. Elle pensait sincèrement agir dans le cadre de la pratique « post-papyrus » et souhaitait aider son employée et sa famille afin qu'elles puissent se régulariser et sortir de la précarité, ce qui a été le cas d'ailleurs puisque l'employée de la recourante et ses enfants ont obtenu une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

La décision querellée retient que la recourante aurait de surcroît continué à employer cette femme de ménage malgré sa condamnation pénale, sans être au bénéfice des autorisations nécessaires, ce qui démontrait un « manque de respect patent envers les institutions helvétiques et de réelles difficultés à se conformer à l'ordre juridique suisse ». Or tel n'est pas le cas puisque la requête en autorisation de séjour pour cas de rigueur de son employée a été déposée le 20 février 2023, au moment où cette dernière séjournait en Suisse depuis dix ans (puisqu'il ressort de cette requête qu'elle avait quitté El Salvador 10 ans auparavant avec sa famille), soit avant la condamnation pénale prononcée en mai 2023.

3.3 L'intimé se réfère à l'ATAF-1551/2021 où le TAF a jugé que la décision d'annulation de la naturalisation était conforme au principe de la proportionnalité. Dans cet arrêt, le TAF a relevé l'importance de l'intérêt public à lutter contre le travail au noir. Il s'est référé à cet égard au Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale contre le travail au noir du 16 janvier 2002, selon lequel le travail au noir « ne constitue pas un délit négligeable », dès lors que celui-ci est à l'origine de nombreux problèmes, dont, notamment, des pertes de recettes pour le secteur public, une menace pour la protection des travailleurs, ainsi que des distorsions de la concurrence et de la péréquation financière (FF 2002 3371, p. 3372 et 3375). Le TAF en a déduit que le comportement illégal adopté par le recourant, qui avait débuté déjà une année avant sa naturalisation, ne pouvait par conséquent être qualifié de bagatelle ; le fait que ses employés aient été prétendument affiliés à l'AVS n'était pas décisif dans le cas d'espèce, dès lors qu'ils n'étaient pas autorisés à travailler en Suisse ; il importait par ailleurs peu que le statut de ceux-ci ait été régularisé après-coup ; en définitive, l'intérêt public à l'annulation de la naturalisation ordinaire de l'intéressé était important.

Cet arrêt a été confirmé par l'arrêt 1C_168/2023 précité. Le Tribunal fédéral a retenu que l'élément pertinent n'était pas la condamnation pénale et son inscription au casier judiciaire de l'intéressé (qui étaient intervenues postérieurement à l'octroi de la naturalisation ordinaire). L'élément déterminant était le fait que le recourant avait adopté un comportement répréhensible durant la procédure de naturalisation (le fait d'avoir employé des ressortissants étrangers qui ne disposaient pas des autorisations nécessaires pour travailler en Suisse) et d'avoir dissimulé aux autorités de naturalisation cette circonstance (consid. 3.2.2).

Certes, dans l'arrêt fédéral, le recourant a également été condamné après sa naturalisation pour infraction à l'art. 117 al. 1 LEI dont la période pénale coïncidait avec sa procédure de naturalisation. À l'instar de la recourante, il convient toutefois de relever que la cause fédérale diffère du cas d'espèce à plusieurs égards. Tout d'abord, il s'agissait d'une décision fédérale du SEM et les faits ne s'étaient pas déroulés à Genève alors qu'ici, le Conseil d'État avait appliqué une tolérance cantonale dans le cadre de l' « opération Papyrus » pour régulariser les sans-papiers ayant une source de revenu. Par ailleurs, le recourant avait employé deux personnes sans autorisation de séjour au sein de son entreprise et le Tribunal fédéral a retenu qu'il devait à tout le moins avoir envisagé le fait qu'il commettait des infractions à la législation sur les étrangers et s'en était accommodé (consid. 3.2.1). Or il n'est pas possible ici de parvenir à la même conclusion dans le cas de la recourante qui a employé sa femme de ménage quelques heures par semaine à titre privé et qui n'est pas chef d'une entreprise.

Pour la même raison, le présent cas diffère de l'ATA/622/2022 précité où il était reproché au recourant d'avoir, en sa qualité d'associé-gérant d'une société exploitant un dancing, employé deux personnes dépourvues d'autorisation de séjourner et d'exercer une activité lucrative en Suisse. La chambre de céans avait retenu que « professionnellement actif dans le domaine de la restauration depuis de nombreuses années, il ne pouvait pas ignorer que l'emploi d’étrangers sans autorisation pouvait donner lieu à l'ouverture d'une procédure pénale ». Par ailleurs, dans cette affaire, une procédure pénale était déjà ouverte avant le prononcé de l'arrêt du 19 février 2020 lui accordant la naturalisation, le recourant s'étant déterminé sur les faits reprochés le 16 mai 2019. La chambre de céans avait retenu que ce délit revêtait une certaine importance dans la mesure où la jurisprudence considérait que le travail au noir devait être combattu pour des raisons économiques, sociales, juridiques et éthiques (consid. 6). Or tel n'est pas le cas en l'espèce. Il est important de relever qu'il n'est pas contesté que la recourante n'a pas engagé cette femme de ménage dans le but de tirer avantage de sa situation irrégulière, de l'employer à bas coût ou encore de créer une distorsion de la concurrence. Elle s'est en effet acquittée de ses charges sociales et l'a correctement rémunérée avant de la soutenir dans sa démarche de régularisation qui est intervenue le 20 février 2023.

3.4 Au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'est nullement établi à satisfaction de droit que la recourante aurait communiqué sciemment de fausses informations à l'autorité ou l'aurait laissée délibérément dans l'erreur sur des faits qu'elle savait essentiels et, partant, qu'elle aurait obtenu sa naturalisation grâce à un comportement déloyal et trompeur au sens des art. 35 al. 1 LNat et 36 al. 1 LN.

Partant, le recours sera admis et l'arrêté querellé annulé.

4.             Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée à la recourant, qui y a conclu et s'est fait assister par un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 juillet 2024 par A______ contre le l'arrêté du Conseil d'État du 12 juin 2024 ;

au fond :

l'admet ;

annule l'arrêté du Conseil d'État du 12 juin 2024 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 800.- à la charge du Conseil d'État ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à CARITAS Genève, mandataire de A______, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :