Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/889/2024 du 29.07.2024 ( PRISON ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1513/2024-PRISON ATA/889/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 29 juillet 2024 1re section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
ÉTABLISSEMENT FERMÉ DE LA BRENAZ intimé
A. a. A______, né le ______ 1996, est incarcéré à l’Établissement fermé de La Brenaz (ci-après : La Brenaz) depuis le 4 décembre 2023.
b. Le 1er mars 2024, il a fait l’objet d’une sanction sous forme de suppression des activités pour une durée de 15 jours et a été maintenu en cellule pour violence envers un codétenu, comportement inadéquat et trouble à l’ordre de l’établissement. Cette sanction fait actuellement l’objet d’un recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).
B. a. Lundi 29 avril 2024, à 10h30, A______ a refusé de se soumettre à un prélèvement d’urine aux fins de contrôler son abstinence aux produits stupéfiants et à l’alcool. L’intéressé a été informé par le sous-chef qu’il risquait une sanction disciplinaire et que le résultat du test serait considéré comme positif. Le détenu a persisté dans son refus.
b. A______ a été auditionné, par écrit, par le sous-chef à 10h36.
c. Une sanction, sous la forme d’une amende de CHF 50.- lui a été notifiée le même jour à 10h45. Il a refusé de signer la notification de la sanction.
C. a. Par acte du 2 mai 2024, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative contre cette décision, dont il a demandé l’annulation.
Il n’avait pas signé le formulaire intitulé « notification de sanction », au vu des irrégularités du test toxicologique. Selon sa lecture des règlements, un contrôle urinaire ne pouvait se faire qu’avec le consentement de la personne concernée (art. 44 du règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d’exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 [REPSD - F 1 50.08]) et un médecin devait être présent (art. 45 REPSD). Ce prélèvement n’était pas nécessaire et ne respectait pas le principe de la proportionnalité. Le personnel n’avait pas été à même de lui prouver, à satisfaction de droit, que l’examen reposait sur une base légale claire. Il contestait avoir enfreint le règlement et concluait à l’annulation de la sanction, ce qui pouvait s’avérer important dans le cas d’une éventuelle demande de libération conditionnelle.
Il sollicitait l’apport des images de vidéosurveillance.
b. La direction de la prison a conclu au rejet du recours.
Le contrôle toxicologique avait été ordonné par la gardienne chef adjointe suite à la demande du service de l’application des peines et mesures (ci-après : SAPEM) en vue de l’examen de sa demande de libération conditionnelle.
L’apport des images de vidéosurveillance n’était pas pertinent dans l’établissement des faits : le recourant admettait s’être opposé audit prélèvement et il n’était pas contesté qu’aucun médecin n’était présent.
La croix avait été mise par le détenu afin de marquer sa désapprobation. Elle était sans incidence, le recourant ne contestant pas la notification de la sanction mais son bien-fondé.
c. Le recourant n’ayant pas souhaité répliquer dans le délai qui lui avait été imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le recourant sollicite la production des images de vidéosurveillance.
2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s’étend qu’aux éléments pertinents pour l’issue du litige et n’empêche pas la juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).
2.2 En l’espèce, il est établi que le recourant s’est opposé au contrôle toxicologique et qu’aucun médecin n’était présent lors de la demande de prélèvement. Le recourant ne détaille pas quel fait, contesté, les images de vidéosurveillance contribueraient à établir. Les éléments pertinents figurant d’ores et déjà au dossier, la chambre administrative est en possession d’un dossier lui permettant de statuer en toute connaissance de cause.
Il n’y a ainsi pas lieu de procéder à des actes d’instruction.
3. Le litige porte sur la sanction infligée au recourant pour avoir refusé de se soumettre au contrôle toxicologique.
3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).
3.2 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.2 ; ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a).
3.3 Le statut des personnes incarcérées à La Brenaz est régi par le REPSD, dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 REPSD). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l’égard du personnel, des autres détenus et des tiers (art. 43 REPSD).
Selon l’art. 44 let. a REPSD, il est interdit aux détenus d’introduire dans l’établissement, de détenir ou de consommer de l’alcool, des stupéfiants et des médicaments, sous quelque forme que ce soit ; l’art. 24 al. 4 concernant la prise de médicaments, est réservé.
À teneur de l’art. 45A REPSD, le directeur de l’établissement, son suppléant et les membres du personnel pénitentiaire désignés à cet effet par une directive ou une procédure interne sont compétents pour ordonner à la personne détenue de se soumettre à des examens d’urine et à des tests éthylométriques, ainsi que pour effectuer ces mesures (al. 1). Ces mesures de contrôle peuvent être effectuées en cas de soupçon de consommation de produits stupéfiants ou d’alcool (al. 2). Elles peuvent également être effectuées en application du plan d’exécution de la sanction ou à la demande de l’autorité de placement (al. 3). Des prises de sang ou des tests de salive peuvent être effectués par du personnel médical externe à l’établissement, à la demande du directeur de l’établissement, de son suppléant ou des membres du personnel pénitentiaire désignés à cet effet par une procédure ou une directive interne. Ces mesures de contrôle peuvent être effectuées dans les cas prévus aux al. 2 et 3 (al. 4).
3.4 Si un détenu enfreint le REPSD, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 46 al. 1 REPSD). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 46 al. 2 REPSD).
Le directeur de l’établissement et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer a) un avertissement écrit b) la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières c) l’amende jusqu’à CHF 1'000.- et d) les arrêts pour dix jours au plus (art. 46 al. 3 REPSD).
Le directeur de l’établissement peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l’art. 46 al. 3 REPSD, autres que le placement en cellule forte pour plus de cinq jours, à d’autres membres du personnel gradé de l’établissement. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service (art. 46 al. 7 REPSD).
À teneur de l’art. 40 al. 1 du règlement sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 22 février 2017 (ROPP – F 1 50.01) qui définit les grades et fonctions des agents de détention, un gardien-chef adjoint et un sous‑chef sont des officiers (let. f). Ils remplissent donc la condition d’être gradé au sens de l’art. 46 al. 7 REPSD. La directive 02.06 du 29 juin 2017 de La Brenaz reprend ces éléments, les sous-chefs faisant partie du personnel gradé habilité à délirer les sanctions.
3.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATA/439/2024 précité consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).
3.6 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).
3.7 En l’espèce, le recourant ne conteste pas que la sanction a été prononcée par une personne qui y était habilitée, s’être opposé à un prélèvement d’urine aux fins d’établir son éventuelle abstinence à l’alcool et aux stupéfiants et que son refus impliquait que le résultat soit considéré comme positif.
Il n’est de même pas contesté que ledit prélèvement était sollicité par l’autorité de placement de l’intéressé, à savoir le SAPEM, dans le cadre de l’examen de sa libération conditionnelle. Il était en conséquence conforme à l’art. 45A al. 3 REPSD.
Contrairement à ce que soutient l’intéressé, l’art. 44 REPSD ne fait pas mention d’un consentement du détenu. De même, il n’impose pas la présence d’un médecin. L’art. 45 REPSD cité par le recourant à l’appui de cette dernière exigence concerne les fouilles. Son al. 3 porte sur l’examen à l’intérieur du corps, seul cas où la présence de personnel médical est nécessaire. Enfin, l’art. 45A al. 4 REPSD traite de la possibilité, non pertinente en l’espèce, de faire effectuer des tests par du personnel médical externe à l’établissement.
Ce faisant, le recourant a contrevenu aux art. 42, 43 et 44 let. a REPSD, puisque son refus de se soumettre au prélèvement d’urine s’apparente à une reconnaissance de consommation de produits stupéfiants ou alcoolisés, ce dont l’intéressée avait été avisé.
Le prononcé d’une sanction est donc justifié.
3.8 Reste à examiner si le prononcé d’une amende de CHF 50.- constitue une sanction proportionnée.
Dans un arrêt du 11 août 2023, la chambre administrative a confirmé une amende de CHF 50.- de La Brenaz pour ingestion de benzodiazépines (ATA/852/2023).
En l’espèce, le recourant n’a, en l’état, pas d’antécédents disciplinaires, la sanction prononcée à son encontre le 1er mars 2024 faisant l’objet d’un recours.
La sanction choisie est apte et nécessaire pour garantir le respect de l’ordre au sein d’un établissement pénitentiaire, en particulier l’interdiction de consommer de l’alcool ou des stupéfiants. Il ne s’agit pas de la sanction la plus sévère et sa quotité reste dans le bas de la fourchette, le maximum légal étant fixé à CHF 1'000.‑. Elle respecte en conséquence le principe de la proportionnalité.
Au vu de ce qui précède, il apparaît que la sanction ne viole pas la loi ni ne consacre un abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée.
Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.
4. Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument. Compte tenu de l’issue de celui-ci, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 2 mai 2024 par A______ contre la décision de l’Établissement fermé de La Brenaz du 29 avril 2024 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu’à l’Établissement fermé de La Brenaz.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
C. MARINHEIRO
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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